Mères, épouses et entrepreneurs : La révolte des femmes émancipées

Femmes instruites et financièrement indépendantes. C'est aujourd'hui ce à quoi aspirent nombre de jeunes filles encore sur les bancs de l'école. C'est aussi l'aboutissement socioprofessionnel des femmes ivoiriennes, voire africaines. Désormais, celles-ci parlent liberté et égalité des sexes à l'image des femmes occidentales. S'affirmer et réussir socialement au même titre que les hommes grâce à l'émancipation sont devenus le nouveau credo de la femme du XXI siècle. Mais au fait, que signifie femme émancipée et comment est-elle vue par la société ?

Entrons donc dans l'univers des femmes qui revendiquent le titre de femmes émancipées.
Mademoiselle Achy, que nous avons rencontrée, vit dans un bel et grand appartement situé dans la commune d'Adjamé. Sa maison décorée avec soin est à cheval sur le style africain et le modèle européen. Assise dans un des fauteuils à son domicile, entourée de ses deux filles qui viennent parfois l'enquiquiner, elle nous affirme avec conviction qu'elle est une femme émancipée.

Pourquoi ? " Parce que je travaille comme les hommes et je suis payée selon mon grade au même titre que ces derniers ", nous répond-elle. Après un parcours scolaire et professionnel réussi, Mademoiselle Achy travaille aujourd'hui dans une société de téléphonie mobile de la place.
Elle ne veut donc pas seulement se confiner dans le rôle de mère au foyer. Elle veut apporter beaucoup à la société. " L'émancipation de la femme est justement son intellectualisation. La femme émancipée se bat et sait ce qu'elle veut dans la vie. Elle ne dépend pas d'une tierce personne. C'est une femme courageuse qui a des projets pour sa famille. Elle est une letagonin (NDLR : femme battante en langue gouro) " poursuit-elle fièrement. Beaucoup de femmes qui se disent émancipées adoptent une conception similaire de la vie. Elles veulent toutes être leaders dans leur domaine d'activité tout en restant mères et épouses avec tout ce que cela implique.


Femme émancipée égale développement ?

Madame Bintou C, appelé affectueusement BBC, a, on peut le dire, réussi dans la vie. En plus de son métier de professeur d'économie dans une grande école de la place, elle est présidente d'une Ong qu'elle a elle-même créée. Loin de s'arrêter à ce stade, elle confectionne des colliers qu'elle vend et est un membre actif au sein de son Eglise. Cette dame de 51ans qui paraît en avoir moins, est mère de quatre (4) filles et est mariée depuis 26 ans. Pour elle, l'émancipation se conçoit comme la reconnaissance des droits de la femme: " Une femme émancipée est une femme qui reconnaît ses droits que les autres lui reconnaissent, les mettent en pratique et les développent". Son Ong qu'elle dirige depuis maintenant quelques années, est née d'un constat : " Un jour, j'ai vu une de mes élèves en train de se prostituer. Cela m'a fait un choc. Le lendemain, je l'ai approché pour lui demander ce qui l'avait poussée à se prostituer. C'est après ses explications que j'ai réorienté la façon de dispenser mes cours ". A la suite de cela, est née son Ong dont un pan est consacré à la sensibilisation des femmes en vue de les amener à connaître leurs droits et à être partie prenante de la vie de la société. Ses journées de femme émancipée, elle les passe ainsi : " La journée commence d'abord par la prière. Selon mon emploi du temps, si j'ai cours, j'y vais. Je suis le professeur qui n'aime pas sécher les cours. Donc, je vais dispenser mes cours comme il se doit et ensuite, comme j'ai des activités en extra, comme celle de l'Ong, je m'y consacre. Je participe aussi à des séminaires nationaux et internationaux. ". S'il est tout aussi vrai qu'en raison de ses activités professionnelles, Dame B, fervente croyante et sensible à la condition de la personne humaine occupe de nombreuses responsabilités, il n'en demeure pas moins qu'elle est consciente de sa première mission qu'est la vie familiale. A ce sujet, elle affirme : " A la maison, je suis en famille. Et là, on ne parle plus d'autres choses. Donc avec mon époux, mes enfants, on échange…Je conjugue tout ça ". Sa vie réussie de femme épouse, mère et responsable d'une structure, elle la met sur le compte de la Grâce de Dieu. Et de poursuivre pour dire, "Ce n'est pas parce qu'on est émancipée qu'on ne doit pas remplir les devoirs qui nous sont dévolus par Dieu lui-même. La femme doit être soumise à son mari, mais l'homme doit aussi aimer sa femme comme Dieu aime l'église ". Concernant ses charges familiales, Madame B B C, le visage gai, nous raconte ses débuts dans le foyer où étant jeune et étudiante, elle participait grâce à ses petites activités à meubler la maison, bien que son mari ne le voulût pas. Aujourd'hui, un budget familial est établi entre lui et elle. " Jusqu'aujourd'hui, il n'y a aucun problème d'argent entre lui et moi. " nous répond-elle, lorsque nous avons voulu savoir comment les charges sont partagées. Pour cette dame qui a foi en l'avenir et au rôle que peuvent jouer les femmes dans la société, certaines n'ont pas encore compris l'émancipation. Alors qu'elles sont (en parlant particulièrement des jeunes filles) des femmes ayant des droits, mais aussi des devoirs. " On peut mettre en exergue ses droits, mais en étant humble. Je leur demande l'humilité. Je crois que c'est la meilleure des choses, car l'humilité précède la gloire ", conseille-t-elle. Les propos d'Espérance K, une jeune étudiante pour qui femme leader et au foyer vont de pair ne sont pas également bien loin de ceux de Dame BBC: " Je me vois plus tard dans mon foyer et dans mon travail. Je me vois en tant que dirigeante et une battante tout en gardant ma place de femme ". A l'instar de cette dernière, nombreuses sont les jeunes filles, quel que soit leur secteur d'activité, à penser ainsi. Il en est de même pour celles qui sont déjà dans la vie active. A ce sujet, E Achy, la première interrogée nous affirme ceci: " Dans 20 ans, je me vois une grande femme d'affaires de ce pays avec des idées pour le développement de mon pays. Pourquoi pas député et même présidente de la république ? ", nous a-t-elle lancé.

Pour elle et comme pour beaucoup d'autres d'ailleurs, la femme doit revendiquer ses droits, s'affirmer dans la société en alliant à la fois ces trois (3) challenges, à savoir être femme leader, mère et épouse.


Vue par les hommes

Pour Monsieur B, époux de madame Bintou, sa femme est " une femme dynamique " parce qu' " elle sait gérer son temps sans que cela ne gène le fonctionnement de la famille. Elle arrive à concilier tout sans que ça nous gène, sans que je sente qu'elle n'est pas là, qu'elle est toujours partie. Elle bouge beaucoup ". Et de rétorquer que pour lui, c'est cela la femme émancipée. " En tout cas, si moi demain j'ai l'argent, ma femme ne va pas travailler. Je vais lui donner l'argent pour faire son sounglounya (ndlr : Se faire coquette) " nous a révélé IB, chauffeur de taxi et résidant à Abobo. A la question de savoir pourquoi un tel choix, il nous répond sans sourciller : " Quand femme travaille là, c'est pas affaire ! ". En effet, selon ce dernier, une femme qui est financièrement indépendante ne respecte plus son homme. Pour Bernard K, serviteur de Dieu, " La femme émancipée veut avoir les mêmes droits que l'homme et faire les mêmes choses que l'homme. Il n'y a pas de mal à cela, seulement on leur demande de respecter leur condition de femme. Elle doit rester soumise à l'homme ". Un colonel interrogé sur la question partage le même avis que le deuxième. " Être une femme émancipée, c'est bien. Mais quand ça devient 'je porte la culotte dans le foyer et je commande tout', ça devient autre chose " a-t-il déploré. Selon lui, il est regrettable de voir que certaines femmes ne puissent pas faire la différence entre " commander " au travail et " commander " dans le foyer conjugal. Et malheureusement, la conséquence de ses activités bureaucratiques qui sont transposées dans le foyer est le divorce. Car a bien des égards, l'homme qui est le chef de famille a du mal à voir son rôle de "maître de la maison" lui échapper.

CRA (Stagiaire)