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Showbizz Publié le mardi 25 août 2009 | RFI

Tiken Jah Fakoly, messager reggae


Fini, la Jamaïque ! C’est à Bamako où il réside depuis qu’il a quitté son pays en guerre que l’Ivoirien Tiken Jah Fakoly a enregistré son nouvel album L’Africain. Pour ses chansons en français, le reggaeman a confié sa plume à d’autres chanteurs : Magyd Cherfi du groupe Zebda ou encore Mike de Sinsémilia.

RFI Musique : Qu’est-ce qui vous a amené à développer les coécritures sur ce nouvel album ?
Tiken Jah Fakoly : C’est une volonté de ma part, il n’y a jamais eu d’exigence de qui que ce soit. J’ai la chance d’être très inspiré quand je fais des chansons en bambara, en dioula ou en malinké mais je sais que le français n’est pas ma langue maternelle. J’avais envie de faire une chanson sur l’excision, une autre sur la guerre en Irak. Je fais le refrain, deux ou trois couplets, et après j’appelle Magyd (Cherfi, ndr) pour lui dire que je lui envoie ça par email afin qu’il regarde. Et s’il a des idées à apporter, s’il y a des choses à changer, il le fait. Quand je reçois le texte, je l’analyse avec mes proches et les phrases qu’on trouve meilleures, on les garde. C’est un vrai travail de concertation. Pour moi, l’essentiel est que mon message soit entendu par le plus grand nombre. Si je dois partager mon succès, mon argent avec des gens pour que le message puisse passer, je suis d’accord.

Les textes définitifs sont-ils très différents des premières moutures que vous faites par vous-même ?
Pas forcément. Sur l’album précédent, j’avais écrit Plus rien ne m’étonne qui est un texte assez fort. Je pense qu’à l’avenir, une fois que je me serais rendu compte des techniques de réécriture, je serai capable travailler tout seul. Quand j’ai commencé la musique, je n’écrivais pas. L’écriture pour moi, c’est nouveau. Avant, j’avais tout dans la tête. J’allais en studio et je chantais. Là, je suis arrivé à un stade où je ne peux plus forcément me le permettre, parce que je risque de mettre les gens en retard au studio, de dire des choses que j’aurais pu dire autrement.

Avec Ouvrez les frontières, n’incitez-vous pas la jeunesse africaine à une expatriation risquée ?
Il ne s’agit pas d’ouvrir la porte pour que tout le monde vienne. L’Afrique a besoin de ses fils pour la construire, la faire avancer, mais je parle de cette injustice qui consiste à bloquer la porte. Aujourd’hui, un Occidental peut décider d’aller à Bamako dès demain. Il file à l’ambassade, il demande le visa, et le lendemain il est dans l’avion. Pour nous, en tant qu’Africain, cela est impossible et je trouve que ce n’est pas juste. Dans l’album, il y a trois titres qui se suivent et sont liés : Ouvrez les frontières, Où aller où ? et Africain à Paris (adaptation d’Englishman In New York de Sting, ndr). A travers Où aller où ?, j’explique à mes frères africains les galères qu’ont vécu ceux qui ont traversé le désert ou la mer pour atteindre l’Occident. Et une fois arrivés – c’est ce que je dis dans Africain à Paris –, ils réalisent que ce n’est pas le paradis. Ils dorment à cinq ou six dans des chambres, ils sont traités comme des esclaves, maintenus au stade de sans-papiers pour pouvoir être exploité parce que c’est une main d’œuvre dont l’Europe a besoin. Pour moi, c’est important de ne pas mentir à cette jeunesse africaine, mais c’est aussi important de l’aider à réclamer ses droits.


Etre artiste, pour vous, est-ce forcément un engagement ?
On me demande tout le temps pourquoi il n’y a pas de chansons d’amour. Ça viendra, mais je ne peux pas forcer l’inspiration. J’ai l’habitude de dire que le reggae africain en général mérite de chanter l’amour mais il y a d’autres priorités. Mon objectif est de faire passer un message d’éveil des consciences, d’information, d’éducation. Il y a un besoin de justice, d’égalité, de lutte contre la corruption, et il se trouve que nos porte-paroles, ceux qui nous représentent, c’est-à-dire nos chefs d’Etat, ne font pas forcément l’affaire.

Cet album a été fait à Bamako, où vous vous êtes exilé. Changer de méthode de travail, cela change-t-il le résultat ?
Le résultat est différent parce que j’ai enregistré avec le groupe qui m’accompagne sur scène. Et quand on est à la maison, on est plus à l’aise qu’ailleurs. Lorsque tu vas en Jamaïque, que Sly Dunbar et Robbie Shakespeare arrivent avec leur palmarès, quelquefois ils peuvent imposer leur idée. Il y a une basse sur le morceau Où veux-tu que j’aille de l’album Coup de gueule que j’ai beaucoup regrettée. Celle que j’avais sur les maquettes m’allait parfaitement. En studio, j’essayais de m’opposer mais j’avais mon directeur artistique et le réalisateur de l’album contre moi. Et mon éducation ne me permet pas forcément de m’opposer. Il faut reconnaître aussi qu’aujourd’hui avec un peu d’expérience, je suis plus à l’aise. Je me souviens que la première fois que je devais entrer en studio, je n’avais pas dormi de toute la nuit, et pourtant il le fallait pour être en forme ! Aujourd’hui, ça ne m'empêche pas de dormir.

L’album se clôt par un duo avec votre compatriote Beta Simon sur Ma Côte d’Ivoire, une façon très symbolique d’appeler à la réconciliation entre les populations du nord et du sud. Pensez-vous que vous retournez bientôt dans votre pays ?
Ça fait cinq ans que nous sommes en guerre. Les populations se sont appauvries, beaucoup de choses se sont détériorées. Les Ivoiriens sont fatigués, ils veulent aller à la paix. Quand on est malade et qu’on nous amène un remède, on essaie le remède. L’accord signé par Laurent Gbagbo et Guillaume Soro mérite d’être essayé. S’ils y mettent de la bonne volonté, on va peut-être y arriver. C’est pourquoi j’ai décidé d’apporter ma petite pierre à la réconciliation en Côte d’Ivoire : un concert est en train d’être organisé et on aimerait bien avoir un papier signé par Gbagbo et Soro afin d’avoir la sécurité nécessaire pour venir faire ce concert.
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