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Société Publié le vendredi 18 septembre 2009 | Nord-Sud

Recherche de la Nuit du destin : Les hafiz prennent le contrôle des mosquées

La dernière décade du mois de ramadan est marquée de longues prières pendant lesquelles le Coran est lu abondamment dans les mosquées. Pour mieux profiter de cette période, les communautés musulmanes font de plus en plus appel à des jeunes qui ont mémorisé la totalité du livre saint de l’Islam.

Les musulmans ont célébré en prière, mercredi soir, laylatoul khadr ou la Nuit du destin. Cette nuit, selon le verset coranique qui l’institue, vaut mille mois d’adoration soit plus de 83 ans de prières. Si la nuit du 26 au 27ème jour du ramadan mobilise chaque année un grand nombre de fidèles, la date réelle de cette célébration reste inconnue. Le prophète Mohamed invite les musulmans à la chercher dans la dévotion pendant les dix dernières nuits du mois de ramadan. C’est ainsi que des prières sont organisées dans toutes les mosquées. Les adorations permettent à ceux qui ne savent pas lire en arabe de profiter du savoir des guides religieux qui savent le faire. Durant cette période, de nouveaux prêcheurs font surface. Des jeunes gens, en majorité experts dans la récitation du Livre saint, sont conviés pour diriger les prières. Ces personnes qui ne sont pas imams en plein temps, ont une parfaite maîtrise du Coran. Ce sont des « hafiz », (dénomination arabe qui désigne une personne qui a mémorisé le Coran), qui viennent apporter un soutien aux imams qui ne sont pas toujours jeunes et dont le style de diction date souvent d’une autre époque. Imprégnés des versets coraniques, les hafiz impressionnent.

Une nouvelle race d’imams

Mercredi 16, mosquée Arafat, Riviera Bonoumin. Occupant l’estrade destinée à l’imam, Alassane Sylla dirige la prière. Cette scène qui aurait fait un tolet au sein de la communauté des années passées, durant lesquelles on avait pensé que « l’imamat » (Charge ou dignité d’imam) répondait à des principes gérontocratiques, est appréciée de tous. Ce jeune homme, la vingtaine, psalmodie « la parole d’Allah » au grand plaisir des fidèles. Frisson et émotion sont au rendez-vous. Artiste aguerri, il « chante » d’un rythme cadencé la révélation en arabe sur laquelle est fondée la religion de Mohamed (Saw). Cette voix tantôt grave, parfois élevée et souvent mélancolique, n’a rien à envier aux maîtres Arabes dans cet exercice.

N’est pas hafiz qui le veut

Aussi impressionnant que peut être un hafiz, il reste un être humain. Mais, un humain à part. En effet, même chez les Arabes où la religion est au cœur de toutes les activités, les hafiz se comptent du bout des doigts, révèle un guide réligieux. Ce qui leur donne une place de choix au sein de la société. Pour savoir combien de fois ces personnes fournissent des efforts, il suffit de les voir réviser « la parole divine ». Selon Adam Koné, imam hafiz à la mosquée du Plateau, l’apprentissage en lui-même n’est pas trop difficile. Mais, c’est la révision, en vue de ne pas oublier les versets, qui constitue le fondement du hafiz. Il faut être capable, en permanence de réciter les versets dans toutes les circonstances sans ouvrir le Coran. Il y a de ce fait un programme rigoureux à suivre. Autodidacte, Adam a mémorisé le Coran à Tiémé, dans le département d’Odienné. « J’ai suivi un calendrier de révision des égyptiens. Il consiste à réviser cinq subdivisions (le Coran en comporte 30) par jour durant deux ans pour avoir une bonne assise », confie-t-il. « Mémoriser le Coran est un don de Dieu. Et, c’est Dieu même qui le dit dans son livre sacré à la sourate 29 verset 49 : “ Il consiste plutôt en des versets évidents, préservés dans les poitrines de ceux à qui le savoir a été donné par Allah…», souligne Alassane Sylla. De nombreux jeunes se lancent dans la mémorisation coranique non sans objectif.

Un débouché pour les oubliés du système

De nombreuses raisons sont évoquées par les jeunes hafiz qui empruntent cette voie. Ils n’échappent pas à certaines réalités sociales qui les amènent parfois à faire ce choix. Le système éducatif ivoirien n’a encore rien prévu pour les jeunes issus des écoles confessionnelles islamiques. De ce fait, le départ vers les pays arabes constitue un gage de sécurité sociale et financière. Après avoir obtenu un diplôme dans ces pays, ils reçoivent pour certains une indemnité mensuelle pour la diffusion de la religion. Ce qui leur permet de mieux vivre. « Etre hafiz est devenu une condition des Arabes pour donner des bourses d’étude aux jeunes Africains. Ce qui justifie le fait que de nombreux jeunes se lancent sur cette voie », soutient Adam Koné. « Certaines personnes deviennent hafiz pour la notoriété. Car, le hafiz est beaucoup respecté et occupe une place importante au sein de la communauté », ajoute Alassane Sylla. « Les retombées pour moi sont inestimables. En premier, le fait même de savoir que j’ai pu mémoriser le livre Saint de Dieu est satisfaisant. A cela s’ajoute le respect que les musulmans me portent et les sollicitations dont je fais l’objet. J’ai déjà représenté la Côte d’Ivoire à des concours internationaux de lecture de Coran en Lybie et à Dubaï. Et cette année, j’ai été classé deuxième au concours sous-régional de lecture du Coran, organisé au Palais de la culture », explique Aboubacar Kouyaté, autre hafiz officiant actuellement au campus universitaire de Cocody. L’amour pour ces jeunes amène aussi des personnes à vouloir faire de leurs enfants des connaisseurs du livre Saint. « C’est la volonté d’Allah et celle de mes parents qui ont permis la mémorisation du Coran. J’ai commencé l’apprentissage à 9 ans et je l’ai terminé à 14 ans », renchérit Aboubacar. Seules la foi et la persévérance font d’une personne un « maître du Coran », vu le temps et les efforts que cela implique. Il faut en moyenne un à trois ans, souvent cinq ans pour retenir les 114 sourates et les 6.236 versets.

Faux hafiz ?

Pour le profane, le hafiz est un savant incontesté du Coran. « Quand je suis arrivé à Abidjan, j’ai été invité par les étudiants de la cité Mermoz qui voulaient tester mes connaissances. De ce fait, ils ouvraient des parties du Coran, donnaient les titres et me disaient de réciter les sourates. Ce que j’ai parfaitement réussi. Mais, cela n’est pas évident pour un nouveau hafiz», explique Adam. D’où le recours au Coran pour des novices de cet art. Pour éviter d’écorcher la parole d’Allah (réciter le Coran avec des fautes est un péché), le jeune homme préfère s’orienter avec le Coran. A ce niveau aussi, la lecture n’est pas totale. Les imams de circonstance recherchent des repères en début de verset vu que de nombreuses parties du livre saint de l’Islam se ressemblent, ou reprennent de plus belle la lecture en jetant un coin d’œil sur les écritures lorsqu’ils sont bloqués. « Pour les personnes qui ont mémorisé le Coran dans un passé récent, notre maître (Oustaz Bah, fondateur du centre de mémorisation du Coran d’Anyama) demande qu’ils lisent le Coran durant la prière », précise Alassane Sylla. Pour Fofana Karamoko, un autre imam hafiz à Yopougon, ce comportement n’est que temporaire. Aussi, pense-t-il qu’une bonne révision des parties à réciter peut simplifier la tâche de l’imam. Loin de les jalouser, les imams titulaires adoubent ces jeunes poètes qu’eux-mêmes font venir pour donner une tonalité plus attrayante aux longues prières. A preuve, dans la nuit du mercredi au jeudi, après avoir fait leurs éloges devant les fidèles, l’imam Karamoko Gaoussou et son adjoint de la mosquée Bicici d’Angré ont invité la communauté à apporter un soutien matériel à trois hafiz qui ont quitté leur famille à Yopougon pour vivre cette année les dix dernières nuits du ramadan dans ce lieu de culte.


S.A.
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