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Société Publié le lundi 30 novembre 2009 | Nord-Sud

Hommes, femmes : Les faux marabouts sévissent à Abidjan

Abidjan est devenue la capitale des faux marabouts qui vivent de la misère de leurs concitoyens.

Pour comprendre l'étendue du phénomène, nous avons approché certains sur la base d'une histoire inventée. Vous n'en croirez pas vos yeux ! Reportage.

Ce matin nous avons rendez-vous avec Souleymane (nom d'emprunt), un marabout. Il est réputé dans son quartier : Abobo-Camp commando, derrière la mosquée Tao. Après plusieurs indications, nous arrivons dans un domicile au lieu indiqué. Dans la cour, sans clôture, trônent un manguier et un petit teck. Des personnes attendent sous le teck, une femme (la cinquantaine) et deux messieurs. Nous saluons. Un homme sort de l'entrée d'une petite clôture aux murs dénués.

C'est la réception ! «Souleymane n'est pas là, dit-il. Mais il ne tardera pas parce qu'il est sorti sans sa voiture ». Comme les autres visiteurs, il faut attendre. Il est 13h et la prière du vendredi vient de débuter à la mosquée d'à côté.

Le marabout croit au mensonge

Peu de temps après, un grand monsieur arrive vêtu d'un boubou ample et d'un pantalon de couleur marron. Démarche calme, regard inquisiteur. C'est le maître des lieux. Après des poignées de mains, il discute avec les trois premiers visiteurs en bambara puis en français. Il invite ensuite la seule femme du groupe à le suivre. Ils disparaissent derrière la petite clôture.

Une quinzaine de minutes plus tard, le marabout ressort et se dirige vers nous. Il a toujours ce regard méfiant. Peut-être qu'il a des appréhensions, que son don divinatoire lui fait dire que ce visiteur n'est pas ordinaire. Fausse alerte. Souleymane ne voit rien du tout. Il ne sait même pas que le nom que nous lui donnons est faux. «Venez!», lance-t-il. Nous le suivons. La porte débouche sur une petite cour de trois maisons basses. Nous traversons un hall. La femme de tout à l'heure y est installée. Il faut laisser les chaussures devant la porte. La pièce qui nous accueille est humide, mal rangée. Trois vieux fauteuils lui donnent l'apparence d'un salon, mais c'est le lieu de consultation du marabout. Là où la vérité doit sortir... Un tas de poudre noir, au sol des peaux de moutons, une petite caisse en bois sur lequel sont posés un Coran, des bouteilles d'eau minérale vides, un ventilateur usé. Le voyant s'installe confortablement dans l'un des fauteuils. Il prend un bout de papier et un stylo.

-Nouvelles ?, nous lance-t-il.
-Voilà, il y a une place qui vient d’être libérée dans notre entreprise et nous la voulons. Seulement, un collègue, Bahi Kasimir, nous fait obstacle. Ah, ce collègue, si seulement!…
Le marabout termine pour nous : «Vous voulez qu'on vous aide à acquérir la place ? ». Pendant un moment, il nous observe sans rien dire. Nous avons à cet instant les mains moites. Si c'est un vrai marabout, c'est maintenant ou jamais qu'il doit deviner qu'il est en train d'être mené en bateau. Et cela pourrait faire étincelles... Mais, il faut rester concentré. Et nous n'avons pas tort, car, Souleymane a avalé le tissu de mensonges que nous venons de lui servir. «Je vois», ajoute-t-il en griffonnant notre nom sur un papier. «Ça doit pouvoir se régler ». Il sympathise avec son visiteur. Il dit que le nom que nous portons vient de chez lui et qu'il connaît notre mère. Il parle d'une femme que nous n'avons jamais vue. Après deux ou trois plaisanteries, il nous demande de laisser le prix du lait : 1.000 Fcfa. Rendez-vous est pris pour le dimanche suivant. «Vous aurez votre place», rassure-t-il derechef. Une place fictive dans une entreprise fictive, attendons de voir cela!...

Dimanche, nous sommes au rendez-vous. Sa voiture grise est stationnée devant la cour.

Contrairement à la dernière visite, il est assisté par un monsieur maigre au visage clair. « Ah, tiens, c'est O. S. Nouvelles ? » Nous lui rapellons le but de la visite. Il l'explique à son assistant et lui demande de travailler sur la poudre noire entassée dans le coin de la pièce. Ce dernier, assis à même le sol, étale la poudre pendant que le marabout tient en main un cahier et un stylo. À l'aide de l'index et du majeur, l'assistant se met à faire des figures sur la poudre. Des ondes, des demi-cercles, des traits verticaux... A chaque étape, il donne un nom au marabout.

La consultation est mensongère

Celui-ci trace des bouts de traits sur son cahier, en remuant la tête. Ce sont, dit-il, de bons signes. Notre avenir est tout tracé, il est plein de richesse. «Vous êtes très chanceux O.S». Il se remet à parler avec son assistant qui continue de regarder ses signes sur la poudre noire. « Mais, des gens empêchent l'accomplissement de votre richesse (…), ajoute-t-il. Vous attendez en ce moment une grosse somme d'argent qui tarde à venir, n'est-ce pas ? » Faux ! Mais, nous acquiesçons. Le marabout, satisfait, ajoute que nous avons envie de rendre un grand service à notre père ; que nous sommes marié et que nous avons un gosse. Encore faux ! Devant notre hésitation, il hésite à entrer dans les détails. Il se met à citer des noms. «Les connaissez-vous ?»

Certains, oui, d'autres, non, répondons-nous. Pendant 5 minutes, il parle de notre entourage sans nous convaincre. Mais, là n'est pas le problème, Souleymane semble avoir oublié le véritable but de notre présence. Il ne parle que de richesse. Il a oublié l'entreprise et la place pour laquelle nous sommes-là. «Vous devez faire un sacrifice pour devenir riche. Etes-vous prêts à le faire.»

Nous acquiesçons. «Amenez un bélier blanc et la somme de 10.000 Fcfa que nous allons prendre pour acheter un coq, des noix de cola et des plantes que nous allons immoler sur une termitière». Quand ? «Le plus tôt sera le mieux». Le marabout rassure que si le sacrifice est fait, il n'y aura aucun obstacle à la réussite. «Vous pouvez même laisser les 10.000 Fcfa ici dès aujourd'hui pour que nous soyons en avance. Nous allons acheter les plantes». Et le coq ? «Ah, oui, le coq aussi», se rappelle-t-il. Rendez-vous est pris pour le lendemain. Peut-être que le bon marabout est ailleurs.

Le second marabout très réputé…

Un autre diseur de bonnes paroles nous est désigné, il s'agit de Boukary. On dit de lui qu'il est l'un des meilleurs. Lundi, 26 octobre, nous sommes chez lui, à Abobo-Avocatier, en allant au «Depôt 9 » de la Sotra. Le célèbre marabout habite l'une des maisons d'une cour commune.

Cet après-midi, il n'est pas là. Un jeune homme nous donne sa carte de visite de l'Union culturelle musulmane de Côte d'Ivoire (Ucm-ci), comportant son titre de guide spirituel et ses trois numéros de cellulaire. Nous l'appelons. Il se trouve à Abobo-Banco chez son garagiste. Il faut se rendre sur les lieux. Boukary est un grand monsieur noir. Il porte comme Souleymane un ample boubou mais de couleur verte. Après les présentations, nous attendons sur un banc. Il en profite pour nous étaler son palmarès. Il fréquente les endroits huppés. Il cite des grands à la RTI et à la Sir qu'il aurait aidés à acquérir leur poste. Il participe, selon lui, à des émissions télévisées. Pendant ce temps, les mécaniciens réparent son véhicule, une Peugeot gris-métallique. Dès que le véhicule est réparé, nous y prenons place à côté de lui, direction son domicile.

…avec un domicile chic…

Le salon est coquet. A l'entrée, il y a un petit meuble qui sert de bibliothèque et qui contient de gros livres sur l'Islam, des porcelaines. Des fauteuils bien rembourrés de couleur verte, posés sur un tapis exotique, ornent la pièce. Une télé, une grosse chaîne hi-fi, un décodeur canal, un appareil vidéo Vhs. Les murs sont recouverts de tableaux représentant La Mecque.
À côté des fauteuils, dans un coin, se trouve une natte sur laquelle sont posées des planches marquées d'écritures en arabe.
Notre hôte s'assoit, prend un cahier et un stylo sur le guéridon, comme un policier qui commence son interrogatoire.

Il note notre nom entier, celui de notre entreprise et le but de notre visite. Nous lui racontons la même histoire que nous avions servie au premier marabout. C'est-à-dire, un poste inexistant à occuper dans une entreprise fictive. Le marabout ne se rend pas compte qu'il est sur une fausse piste. Il se met à faire des signes sur une feuille : des petits traits verticaux, semblables à ceux de Souleymane. Il s'arrête un moment, prend son téléphone, fait semblant d'appeler quelqu'un et raccroche. Il se remet à la tâche.

Le coup du téléphone pour berner le client

Son téléphone sonne dans les secondes qui suivent. Il semble que c'est quelqu'un pour qui il a déjà travaillé. Et il fait tout pour que nous comprenions la conversation. Il répète à haute voix les mots de satisfaction de son interlocuteur. Puis raccroche et passe encore une minute sur sa feuille. Il nous fixe. C'est le moment décisif. Va-t-il nous dire la vérité ? «Il n'y a aucun problème.

Le poste que vous voulez, vous l'aurez. Il suffit de faire des sacrifices et c'est cher ». Combien ? 150.000 Fcfa plus deux béliers. Avec lui, pas de poulet ni de cola. Bref, nous sommes face à un nouveau dilemme. Dès que les deux béliers et les 150.000 Fcfa seront là, le problème sera-t-il résolu ? « Il n'y a absolument aucun problème », promet le marabout. Dès ce soir, c'est sûr nous aurons le poste. Mais, avant il faut laisser 20.000 Fcfa pour les frais de consultation. Pas question. Finalement 2.000 Fcfa font l'affaire. Rendez-vous est pris pour le mardi suivant avec les 150.000 Fcfa et les deux béliers. Boukary prévient qu'il doit voyager mais à cause de notre problème il annule son déplacement. Seulement, il faut que nous soyons là avec l'argent. En sortant de chez lui, une question nous vient à l'esprit? Qu'a-t-il l'intention de faire avec les 150.000 Fcfa et les deux béliers que nous allons lui payer ? Encore une fois, nous sommes déçus. Peut-être que Abobo n'est pas la commune où l'on trouve les vrais marabouts.

Cocody, un marabout pas comme les autres

Un autre nous est désigné. Pour le rencontrer ce mercredi, il faut se rendre derrière l'hôtel Ivoire, à Blokhauss, un village ébrié. Un mélange de belles villas, d'immeubles et de maisons basses. Le marabout consulte non loin d'un kiosque à café. Après des indications, nous empruntons un couloir restreint qui conduit à une série de maisons basses. Nous finissons par arriver au bout du couloir où se trouve l'entrée de la maison indiquée. La porte est ouverte. À travers le rideau fleurie à l'entrée, on devine deux messieurs assis à l'intérieur. Nous frappons. « Qui est-ce ? », demande l’un d’eux. Nous nous présentons sans entrer. « Vous cherchez un marabout pour faire quoi ? ». Nous introduisons la tête dans la pièce, une odeur et une chaleur asphyxiantes nous repoussent. On distingue deux hommes dans la pénombre. L'un, trapu, vêtu d'un pantalon et une chemise rouge rayée est assis sur une natte à même le sol. L'autre, sûrement le visiteur, se tient sur un banc. «Vous voulez voir lequel des marabouts parce qu'ici, il y a la concurrence, il ne faudrait pas qu'un marabout accuse l'autre de lui prendre son client », reprend l'homme assis sur la natte. Nous sommes surpris par cette assertion. Une concurrence entre marabouts ? Insolite ! Néanmoins, nous lui expliquons que peu importe le marabout, nous voulons juste une consultation. Toujours méfiant, notre interlocuteur exige le nom de celui qui nous l'a recommandé.

Nous refusons. Il nous demande alors d'attendre dehors, sur un banc. Nous obéissons. Après une dizaine de minutes, les deux hommes ressortent. Surpris, nous voyons le marabout fermer son atelier. Il refuse de nous recevoir tant que nous ne venons pas avec quelqu'un qu'il connaît.

Pour quoi faire ? Etrange ! Nous lui signifions que nous n'en voyons pas l'utilité. Pour lui, c'est essentiel. Bon. S'il n'a pas l'intention de consulter pour nous qu'il nous désigne un autre marabout. De son index, il nous indique un chemin à suivre dans le quartier.

Un marabout qui a peur des flics

Lorsque nous tournons le dos, il nous appelle et demande d'où nous venons. «Mais, vous êtes mon frère, c'est pour cela que je vais vous recevoir. Sinon, je ne consulte pas les inconnus. J'ai déjà eu un problème avec la police à cause d'un client», explique-t-il sans rentrer dans les détails.

Il se nomme Lacina. Nous retournons dans son atelier. La pièce est petite, surchauffée, parce qu'il n'y a pas de fenêtre. Une odeur nauséabonde nous accueille. Nous ne tardons pas à connaître sa provenance. Au fond de la pièce, derrière les piles de vieux cahiers, de cartons et le vieux lit, il y a un spectacle digne des pratiques du vodou. Des statuettes sont collées au mur en banco. En dessous, il y a des canaris sur lesquels traînent des plumes de poulet et un liquide difficile à identifier. Tout ce décor est soutenu par des signes cabalistiques sur le mur.
Deux petits ventilateurs agonisants semblent en rajouter à la chaleur. Nous avons vraiment le sentiment d'être chez un vrai marabout. Lancina s'assoit sur sa natte. Devant lui, il y a des centaines de cauris. Il prend notre nom, le même donné aux deux premiers marabouts. Nous lui racontons la même histoire. Il demande une pièce de 500 Fcfa. Il la met sur une feuille qu'il vient d'arracher à un cahier. Il fait un cercle autour de la pièce avant de nous tendre la feuille et les 500 Fcfa. Nous écrivons notre nom sur le papier à sa demande. Il reprend la feuille, la plie sur la pièce avec quelques cauris et nous demande de formuler un vœu là-dessus. Nous obéissons.

Après, il reprend la feuille. Jette des cauris. « Il n'y a aucun problème, vous êtes très chanceux. Comment vous-vous appelez déjà ? », dit-il. Son verdict tombe : « Ne vous en faites pas O.S., vous aurez ce poste. Il suffit de payer des galettes de 150 Fcfa que vous donnerez à une mère de jumeaux. Payez ensuite des noix de cola blanches et rouges pour les donner à un vieux. Ah, payez aussi des billes et donnez-les à des enfants dans la rue. Sans oublier des bonbons ''Pecto'' que vous mettrez sous votre oreiller… ». La liste est longue et nous n'avons pu rapporter que la moitié. Bref, selon notre homme, il faudrait considérer que l'affaire est dans le sac. Mais, quelle affaire ? Il parle de richesse lui aussi. On le voit, lui non plus ne parvient pas à déjouer le piège. Il donne des solutions différentes de celles des deux premiers marabouts. Sans rentrer dans le détail des horreurs qu'il raconte sur notre vie privée et notre entourage qui serait jaloux. Nous prenons congé de lui.

Au terme de notre randonnée à travers la ville, une question nous taraude : y a-t-il encore de vrais marabouts dans notre capitale économique ? Aucune des personnes que nous avons rencontrées n'a pu se douter qu'aussi bien l'identité et le problème que nous leur soumettions étaient faux. Pire, chaque marabout a donné ses recettes pour nous satisfaire avec toujours le même refrain : je vous rendrai riche. Aussi simple. Malheureusement, la pauvreté galopante et le stress de la ville constituent un bon levain pour ces vendeurs d'illusions.

Raphaël Tanoh
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