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Showbizz Publié le vendredi 4 décembre 2009 | Nord-Sud

Portrait - Brèjnev : Aveugle et Disc Jokey

Courageux, talentueux, ouvert, mais…non-voyant. Aujourd’hui, après près de 20 ans passés à lutter pour réussir, comme une personne normale, l’handicap de Zaté Brèjnev continue d’être un obstacle à tous ses projets. Portrait d’un révolté.

Assis dans l’une des deux rangées de sièges rembourrés du Douhahou-Bar, nous avons de la peine à avaler une sucrerie tant nous pensons aux 700 Fcfa que nous avons déboursés pour l’avoir. Du coup, ce bar de Yopougon Groupement-foncier, flamboyant de ses jeux de lumière à l’entrée, nous fait méditer sur la surenchère des boissons dans ces lieux chics. Soudain, une voix sauve et pénétrante de Dj (Disc-jockey), sortie de nulle part, se fait entendre dans le bar. Les trois boomers installés dans chaque angle de la salle répercutent agréablement la voix qui accompagne la musique. Entre la lueur chatoyante des jeux de lumière et la climatisation, l’ambiance commence à plaire. Mais, ce qui plait le plus c’est cette voix qui provient d’une petite cabine vitrée à l’entrée de la salle. A l’intérieur, le Dj, muni d’un casque, est concentré sur sa platine. Derrière lui, une petite étagère où sont rangés des Cd (Compact disc). Le Dj fait des « atalakus» (faire les éloges d’une personne) avec des mixages millimétrés. Il manie la platine en vrai pro. Ce n’est pas nouveau certes, seulement, ce Dj-là est aveugle…

Il manie la platine sans la voir

Zaté Brèjnev, himself, s’applique. De ses 1,70 mètres et ses 62 kg, l’enfant terrible de la platine nous régale. Il a un visage énigmatique avec une fine moustache et une barbichette. Comment fait-il, lui qui ne voit rien? Son habitude devant les appareils lui a permis de mémoriser l’emplacement des touches. Mais, pour ce qui est des Cd qu’il faut jouer, c’est un travail d’un autre degré. En effet, n’étant pas en mesure de savoir que tel Cd est du R&B et tel autre du Zouglou, il doit faire un travail préalable : marquer chaque pochette d’un signe : un triangle, un rond, une croix. C’est ainsi qu’il arrive à se retrouver par le toucher. Un boulot pas toujours aisé, car il arrive que certains de ses collègues Dj déplacent un Cd de sa pochette sans le prévenir. Heureusement qu’il se sert toujours de son casque pour écouter avant de distiller le son. Ce qui lui demande beaucoup de concentration. Une anecdote : Un jour qu’il était en train de faire ses atalakus, un client qui ne savait pas qu’il est aveugle est venu lui demander de changer de musique, puis, ayant remarqué son handicape il lui a lancé : «Oh ! Laisse tomber, je ne savais pas que tu es aveugle».
Le Dj sort de la cabine pour prendre de l’air. Il achète une cigarette dans un kiosque qu’il allume, tire des bouffées, sa canne blanche en main. Son visage est lointain. Et on peut y lire un air de révolte mal voilée, comme s’il n’avait pas assez de champ pour se libérer, se déchaîner. Malgré le contrat qu’il a signé avec le Douhahou-Bar de Yopougon et un autre avec le bar «La 5ème dimension» à Koumassi-Terminus 05, le Dj ne parvient pas véritablement à «s’envoler». Au Douhahou-Bar, il partage la platine avec deux collègue et à La 5ème dimension, c’est une demi-dizaine de Dj. Il le sait, son talent n’est plus à démontrer. «C’est un bon Dj. Ce qui m’a séduit en lui, c’est la voix, son parler sans grossièreté, ses mixa­ges», peut confirmer un client du bar. Que lui faut-il encore ? Pour Brejnèv, déjà 30 ans, il mérite plus que «ça». Il est d’ailleurs en train de préparer discrètement son album qui reste pour lui l’unique porte de sortie. Si le couple aveugle, Amadou et Mariam, a réussi, pourquoi pas lui. Il espère seulement qu’au dernier moment on ne lui servira pas le même refrain : «Un chanteur non-voyant, pas question !» Et, au stade où il en est, comment ne pas être inquiet quand on a côtoyé Marie Catherine Kouassi, Dj Jacob, Dj Luciano et des grands du monde du showbiz et que malgré tout on reste sur la touche à cause de son handicap…

Marie Catherine Kouassi, le souffle de vie

Jusqu’en classe de troisième, ses parents, planteurs, n’ont plus d’argent pour payer ses études. Etant au lycée moderne de Yopougon, le «petit» Brèjnev, non-voyant de naissance, fait la rencontre de Marie Catherine Kouassi alors son professeur de français et animatrice à Fréquence 2. Elle est attirée par sa voix et son éloquence et lui propose de participer à l’une de ses émissions «Les amis de la vie», dans laquelle des artistes connus sont conviés. Brèjnev a l’occasion de se frotter au monde du showbiz. Plus tard, l’animatrice-professeur décide de lui accorder plus d’importance dans ses émissions et Brèjnev peut même, à certaines émissions, poser des questions aux invités. En somme, cette femme lui insuffle l’envie, la confiance. Et il peut souvent se rappeler: «Elle m’a appris à me battre, moi, le non-voyant qui n’était pas le premier de la classe. Elle m’a donné une âme de battant, elle m’a appris à ne pas faire les choses à moitié.» Aujourd’hui, où il veut se lancer dans une aventure à risque, il se dit : «Moi qui étais avec Marie Catherine Kouassi…pourquoi ne pas faire ça…». Mais, la flamme ambitieuse qu’elle lui a communiquée va vaciller et manquer de s’étein­dre. Car, avec le retrait de Marie Catherine Kouassi de l’animation en 1994, Brèjnev est sur le carreau.

Dj Jacob, les leçons d’un maître

Que va-t-il devenir ? Il décide de suivre le son de la musique. En 1994, le rap cartonne. Il se bat. « C’est un battant, très ouvert », affirme Lucien Bahi Fallé, un de ses amis. Son talent ajouté à son handicap fait de lui un mythe. Le « seigneur du hardcore » (rap violent par les paroles). Il intègre le groupe «Zone rap». Mais, comme une ombre, la déception le suit. À un concert pour handicapés organisé par l’Ong «Servir», Brèjnev s’apprête à monter sur le podium. Un animateur, aujourd’hui une autorité de ce pays, qui peut sans doute se reconnaître dans ces propos, lui dit : «Les personnes normales qui viennent dans la musique ne réussissent pas, ce n’est pas un aveugle qui y arrivera… ». Et, comme aime le dire le directeur de la promotion des handicapés, Koné Victorien : «Il n’y a rien de pire pour un handicapé que de lui montrer qu’il n’est rien. Vous le tuez ainsi d’un coup de fusil». Mais, pour ce garçon, ces moqueries ont fait l’effet contraire. «Chaque fois que quelqu’un me dit cela, je veux lui montrer qu’il a tort».

Refoulé parce qu’il voulait être animateur

Pendant ses concerts, il fait une autre rencontre déterminante, celle de Dj Jacob. Quand il finissait de chanter, Brèjnev prenait place à côté de lui à la technique. Curieux, il laissait sa main aller sur la platine du Dj pour toucher les touches, ce dernier lui criaient presque : «N’y touche pas !». Têtu comme une mule, il continuait, posait des questions. «Qu’est-ce que je viens de toucher-là, à quoi sert-il ?». Et Dj Jacob lui répondait d’un ton amusé. A plusieurs de ses concerts rap, lorsque Dj Jacob est là, c’est toujours ainsi. Hélas ! Le rap qui était à ses yeux le milieu où il pouvait s’exprimer librement, revêti d’un manteau som­bre et dégoûtant. C’est la guerre des clans avec le feuilleton Almighty-Stezo. Il faut choisir son camp. Il craque et jette l’éponge en 1995. Mam Cambell qui avait des projets pour lui, préfère alors produire les SBJ (Sages black du ghetto). En quittant le rap, Brèjnev met ainsi fin à ses sources de revenu. Il essaye d’approcher les radios de proximité pour se lancer dans l’animation. Notamment, Radio Yopougon. Mais, il est rejeté comme un malpropre. «Non mais, un animateur non-voyant, et puis quoi encore !». S’il avait été choisi à cet instant, l’handicapé aurait pu avoir l’expérience, le talent des grandes animatrices telles que Mariam Coulibaly. Il l’a rencontrée à Radio Yopougon, ils allaient ensemble chercher de l’emploi. Elle a été choisie pendant qu’on lui disait qu’il n’était même pas fichu de voir le matériel de travail. Il est au bord de la crise de nerf. Plus d’issue. En 1998, Bréjnev prend du recul, peut-être pour mieux sauter. Pendant cette traversée du désert, le Dj se réveille petit à petit en lui. L’ «atalaku» est le nouveau concept en Côte d’Ivoire. Mais, après ses revers, il hésite à aller dans un maquis où on ne le connaît pas. L’un de ses oncles qui tient alors un maquis sur la route de Dabou accepte de le prendre comme Dj. Il s’essaye dans plusieurs maquis sans jamais avoir le moindre salaire, bien qu’on le trouve bon. «Il sait manier les appareils, contrairement à beaucoup, il a la voix, les doigtés de Dj Jacob, le courage de Marie Catherine Kouassi. Et il parle surtout bien. Ce qui rend ses atalakus captivants et ses samples alléchants», remarque-t-on. Mais, l’hom­me a l’impression d’être abusé. On profite de sa situation de non-voyant pour ne lui proposer que des essais. Il fait les célèbres bars tels que le Stade de France (Yopougon) que Erickson le Zulu venait de quitter. Pour la petite histoire, à son premier atalaku dans ce bar, croyant que le célèbre Zulu était de retour, les riverains sont sortis nombreux pour le voir. Mais, ce n’était que Brèjnev... Il ira ensuite au Nectar, le San Siro (Koumassi) et le Paterno (Marcory), où il reste au stade d’essai. Puis, en 2008, le bonheur. Dj Luciano, le président des Dj de Côte d’Ivoire, le prend dans son staff. Brèjnev le suit partout dans ses tournées et participe aux spectacles. Et, au Vandrôme, la célèbre boîte de nuit d’Innocent Boro Sangui, au Plateau, à un spectacle, tous les Dj chantent, à son tour, les clients se lèvent pour l’arroser de billets de banque. Brèjnev ramasse en une seule soirée la coquette somme de 450.000 Fcfa. Une soirée, au cours de laquelle il y avait une sorte de duel avec Alex Funk, le président des Dj de Yopougon qui avait Dj Rodrigue, Serpent noir, Kila Bongo, alors que Luciano n’avait que lui, Niki Dollars et Dj Rome. Il leur a damné le pion, lui le non-voyant. Comment ne pas rêver ! Mais, le rêve se brise si tôt : Dj Luciano ferme son bar, le Boulevard des stars à Biétry et arrête ses activités avec lui. Brèjnev revient à Yopougon. Il est à nouveau laissé sur la touche. A 30 ans, le voilà au point de départ.
Grâce à ses connaissances qui n’ignorent pas ses talents, il signe un contrat avec la 5ème dimension à Koumassi-Terminus 05 et le Douhahou-bar à Yopougon Groupement-foncier. Il est au Douhahou-bar le vendredi, puis, La 5ème dimension le samedi. Deux salaires qui lui permettent juste de joindre les deux bouts, car, il habite toujours chez son grand frère au Plateau Dokui, et est encore célibataire.
Brèjnev finit sa cigarette, souffle la dernière bouffée de fumée. Une jeune fille sort du bar, l’attrape par la main et l’aide à regagner l’intérieur, comme un malade que l’on surveille de près.

Raphaël Tanoh
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