Dr Kouakou Ossei (Enseignant chercheur au département de Psychologie à l`université de Cocody) : “La superstition rend irresponsable”

Dr Kouakou Ossei, spécialiste de psychologie explique les forces et faiblesses de la superstition en Côte d'Ivoire.

Qu'est-ce que la superstition ?
On peut la définir de façon générale comme des croyances en des objets, à des situations où lorsque ces objets sont présents, l’on peut présager la chance ou la malchance. C'est lorsqu'on lie de façon irrationnelle des éléments de la nature à la manifestation de la réussite ou de l'échec.

La superstition est-elle propre aux Africains ?
Tous les hommes, à un certain degré, sont superstitieux à leur manière. Ce sont des croyances culturelles. Chaque société a sa croyance, sa culture, sa religion. Le fait de croire qu'un morceau de bois peut nous donner la réussite est une forme de superstition. Parler à une rivière et être convaincu qu'elle peut nous donner un enfant également. On y croit et on pose l'acte. Quand vous faites des rêves, et vous pensez qu'ils vont se réaliser, cela fait partie de la superstition.

Est-ce que cela veut dire qu'elle existe sous les mêmes formes partout?
Ce sont des croyances. Elles existent chez tous les humains.

N'y a-t-il pas de risques à être superstitieux si on doit lier les chances aux objets de la nature ?
Le risque est que cette croyance désengage l'homme. Il ne se sent plus responsable de ce qu'il entreprend ou même de son avenir. Si je vois un tel oiseau sur le chemin de ma plantation, c'est que je vais me blesser, il va y avoir un malheur. Celui qui pense ainsi, sans s'en rendre compte peut s'enivrer d'alcool et se blesser. Mais, il justifiera toujours la blessure par l'oiseau qu'il a vu. Il ne se rend pas responsable lui-même de ce qui lui arrive. Quand on se fixe à la superstition, les choses nous échappent. On pose des actes et on n'en assume pas les conséquences.

Peut-on considérer dans ce cas ces croyances comme une anomalie ou un dysfonctionnement chez l'homme ?
On ne peut pas dire que c'est une pathologie. Mais cela fait partie de la culture de l'homme. Il y a également des avantages liés à la superstition. Si vous devez passer un concours ou mener une affaire et qu'avant de le faire, vous mangez par exemple un œuf, cela vous donne de l'énergie. Vous vous dites que vous avez posé l'acte et cela vous donne la force de vouloir réussir. C'est une motivation supplémentaire. Si vous ne posez pas l'acte, vous n'êtes pas heureux. Psychologiquement, la superstition équilibre l'individu. C'est pourquoi on ne peut pas empêcher quelqu'un d'y croire.

Mais cette attitude ne pose-t-elle pas la question de la dépendance ?
C'est pourquoi il faut rationaliser les choses pour ne pas trop en dépendre. Mais, on ne peut pas enrayer la superstition. Chacun naît dans un contexte culturel dans lequel on apprend certaines choses qui se fixent dans nos mentalités, nos manières de voir. C'est tout à fait normal. Seulement, il ne faut pas être obsédé. Si votre homme se fâche au petit matin et vous insulte, vous allez croire que toute votre journée est gâchée. Et votre journée se gâche souvent même par votre propre faute et vous ne vous en rendez pas compte. La supersition rend irresponsable et empêche l’homme de faire des efforts. Si j'estime que j'ai croisé un chat noir et donc je vais faire un accident, si je me saoule pour conduire, cela va arriver. Le mieux est d'être conscient que l'accident existe et le surmonter. Il ne faut pas par exemple, accuser sa femme de porter la malchance. On ne doit pas établir de lien entre l'anatomie de sa femme et ses propres actions. Un chef d'entreprise qui fait des détournements, cela n'a rien à voir avec les pieds de sa femme ou le teint de cette dernière. Il doit assumer. En résumé, la superstition est une réalité sociale propre aux humains. Elle existe sur tous les continents. Tous les hommes ont des croyances. L'homme doit rationaliser les choses en se mettant au dessus de ces croyances-là.

Entretien réalisé par N.D