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Politique Publié le samedi 12 juin 2010 | Le Patriote

Interview / Dr Ahua Junior (ex-conseiller spécial de Koulibaly Mamadou) : “Koulibaly veut démontrer que Gbagbo a échoué”

© Le Patriote Par DR
Politique nationale - Dr Ahua Junior, ex-conseiller spécial du président de l`Assemblée nationale, Koulibaly Mamadou
Il connaît le système et ses hommes. Dr Ahua Junior, ex-conseiller spécial de Koulibaly Mamadou, contraint à l’exil par le régime, fait une analyse de la passe d’armes entre les pontes du régime dans ce qu’il est convenu d’appeler « l’affaire Koulibaly ».

Le Patriote : Lors d’une récente conférence publique, Mamadou Koulibaly a traité le régime FPI de corrompu. Vous qui êtes son ex-compagnon, avez-vous été surpris par son discours ?

Dr Ahua Antoine Junior : Pas du tout ! C’est plutôt un discours contraire de sa part qui m’aurait surpris. Il y a environ un an, j’ai confié à un journaliste américain de bien surveiller les déclarations à venir du Président Koulibaly, car le temps n’est pas loin où il plantera le dernier clou dans le cercueil de la Refondation. En fait, je lui ai dit que Mamadou Koulibaly va finir par dire à la population textuellement ceci : « Ne votez pas pour nous. Nous n’avons rien fait pour mériter d’être reconduits. Renvoyez-nous dans l’opposition pour qu’on y aille réfléchir un peu ». Ce n’est pas exactement cela qu’il a dit récemment mais, Affi N’Guessan qui le connaît aussi bien, sinon mieux que moi, sait que Mamadou Koulibaly s’apprête à mettre fin à la campagne du camp présidentiel. D’où son obligation de réagir en tant que président du parti.

L.P. : Comment suivez-vous cette bataille de tranchées entre Affi et Koulibaly ?

Dr A.A.Jr : Vous parlez comme si la bataille entre les deux hommes venait de commencer. Elle est plutôt en train de connaitre son épilogue. Il faut se rappeler que le clash entre Affi et Koulibaly date de leur divergence de vues lors des négociations de Marcoussis, en janvier 2003. L’Accord signé par Affi est une compromission selon Koulibaly, à mettre au passif d’Affi dont l’intérêt personnel, privilégié avant tout, était d’avoir à son actif son maintien au poste de Premier ministre.

Pour Affi, en claquant la porte à Marcoussis, Mamadou Koulibaly a rejeté prématurément un compromis politique sans lequel le FPI était appelé à perdre totalement le pouvoir. Depuis, les autres Refondateurs se sont rangés soit derrière le clan constitutionaliste avec Koulibaly, soit derrière le clan “gouvernementaliste” avec Affi. A l’exception du Président Gbagbo, qui a pour pratique politique de ne pas prendre de décision jusqu’à ce que le temps fasse son oeuvre en lui imposant l’alternative restante. C’est dire qu’aujourd’hui, à travers ce qui parait être un duel Affi-Koulibaly, c’est en réalité la dernière bataille d’une guerre de clans.

LP : A quoi va-t-elle aboutir ?

Dr A.A. Jr : A mon avis, Affi et ceux qui ne vivent que pour diriger le gouvernement, ont perdu la guerre, car ils sortiront perdants du bras de fer actuel. La raison est simple. D’abord parce que Gbagbo, l’arbitre, a déjà lâché Affi et son “FPI” en choisissant d’être candidat “indépendant”.

Ensuite, convaincus que la Présidentielle leur a déjà échappé, les Refondateurs vont se ranger, les uns après les autres derrière Koulibaly pour tenter de se soustraire à la kleptocratie qui entache le FPI. Il faut donc s’attendre à ce que la course aux élections législatives et municipales commence prématurément chez les Refondateurs, chacun voulant sauver sa tête.

LP : Pour certains, nous assistons à une comédie à la tête de l’Etat avec un jeu de rôle pour chacun des protagonistes ?

DR A.A.Jr : Le jeu de rôle n’a jamais vraiment existé au FPI. Ce à quoi on a assisté jusqu’à présent, c’est une course au vedettariat pour se faire remarquer par le Président Gbagbo et se positionner. Par exemple, entre Blé Goudé, Eugène Djué, Bro Grébé, Odette Lorougnon, Danielle Claverie, Désiré Tagro, Bohoun Bouabré, Affi… on ne peut pas les voir comme des composantes spécifiques d’une équipe émergente. C’est plutôt un branle-bas de combat où chacun cherche à tacler l’autre à la moindre occasion. En fait, tant que le pouvoir du FPI n’était pas menacé et que le gâteau était assez gros pour que tout le monde, à la tête de l’Etat ou du “mouvement patriotique”, puisse “manger”, les crocs-en-jambes passaient inaperçus ou tolérés. Maintenant que le pouvoir chancèle, les antagonismes vont apparaître de plus en plus au grand jour.

LP : N’était-il pas préférable pour Koulibaly Mamadou d’engager le débat à l’intérieur de son parti ?

Dr A.A.Jr : A ma connaissance, le FPI n’a jamais été un parti de concertation capable d’élaborer un programme d’intérêt national. C’est un parti d’opposition au PDCI qui paraissait uni tant que chacun, en faisant ce qu’il veut, jetait la pierre au pouvoir qui était aux mains du parti d’Houphouet. Le FPI ayant eu le pouvoir par “accident”, la cohésion entre frontistes est alors devenue une tache ardue. Même au plus fort de la présente crise, le Pouvoir frontiste n’a jamais été capable de mettre sur pied une cellule de crise de réflexion collective. Il est même rare que les réunions du parti convoquées par Affi atteignent le quorum. En fait, il y a trois évènements qui ont achevé de convaincre Koulibaly qu’il ne pouvait pas s’asseoir à la même table que certains de ses confrères.

Il y a eu d’abord la magouille autour des achats d’armes à la veille de l’attaque de la rébellion. Une magouille qui a fini par emporter un témoin-censeur gênant, en l’occurrence le ministre de l’Intérieur Boga Doudou. Ensuite, l’Accord de Marcoussis a été une grosse pomme de discorde.

Finalement, les causes et conditions de ma mise en exil, fomentées à l’insu du Président de l’Assemblée nationale qui avait le devoir moral de respecter le contrat professionnel qu’il avait signé avec son seul et unique conseiller spécial, ont définitivement mis fin à une quelconque communion d’esprit à l’intérieur du parti.

LP : La succession de Gbagbo fait rage. Pour qui travaille Koulibaly ?

Dr A.A Jr : Je crois que c’est faire preuve de courte vue que de penser à une succession de Gbagbo, puisque le FPI qu’il a créé, n’existe plus que de nom. Je rappelle que c’est la Mouvance présidentielle qui a presque enterré le parti frontiste. La Refondation ne survivra pas au départ de Gbagbo de la Présidence. Comme je prévois que Gbagbo n’aura pas le courage de se soumettre au verdict populaire, il retirera sa candidature de la Présidentielle sans démissionner. C’est ainsi que je vois comment il agira pour éviter toute velléité pour sa succession avant les élections.

C’est depuis juin 2007 que j’ai prédit sur Radio IvoireNews de Washington que Gbagbo n’organisera pas d’élection avant le dernier dimanche d’octobre 2010. Nous y sommes presque.

Concernant Koulibaly, la succession de Gbagbo est indiscutablement le cadet de ses soucis. Il ne sera à la tête d’un parti que si celui-ci est nouveau et que des milliers d’admirateurs le lui offrent en couronnement avec insistance.

LP : Joue-t-il sa propre carte ou celle de Simone ?

Dr A.A Jr : Comme je viens de le dire, si le FPI devait renaître de ses cendres, Koulibaly s’en éloignera plus encore qu’aujourd’hui. Ce ne n’est pas un homme à se battre pour le pouvoir, surtout s’il s’agissait de croiser le fer avec des gens qu’il ne peut “sentir”. Affi et Simone pourraient peut- être tenter leur chance lors d’un congrès à organiser à cet effet. Toutefois, l’histoire politique enseigne que les partis ne renaissent que là où ils sont nés la première fois. Le FPI redeviendra un parti tribaliste avant de se muer de nouveau. Tagro ou Bouabré sont donc à mon avis les mieux positionnés pour reprendre la tête d’un éventuel “FPI nouveau”. Affi et Simone devraient subir le même sort qu’Akoto Yao dans l’UPDCI de l’ouest.

LP : Cette guéguerre ne se situe-t -elle pas dans l’après Gbagbo ?

Dr A.A Jr : Ce qui se passe comme palabre au sein du FPI ne me paraît pas être une guerre de succession, mais plutôt le règlement de compte final entre les deux clans qui se détestent. Le clan constitutionnaliste ou parlementaire de Koulibaly et le clan gouvernementaliste ou de Pouvoir d’Affi. La situation est trop confuse pour que les prétentions politiques se précisent au leadership.

LP : Que risque le Président de l’Assemblée Nationale ?

Dr A.A Jr : Le Président Koulibaly est trop dans la vérité pour que politiquement il ne gagne pas en popularité auprès de la population et des Refondateurs qui voudraient se faire une virginité pour les élections législatives et municipales. Par contre, au niveau personnel, le nombre de ses ennemis dans son propre camp va s’allonger, suffisamment pour qu’il pense à porter plus d’attention à sa sécurité.

LP : Quel est l’état réel des relations Gbagbo-Koulibaly ?

Dr A.A Jr : Je l’ignore. Cependant, vu que Koulibaly est rancunier, il me semble difficile que la détérioration des relations entre les deux personnalités, intervenue à la fois pour des différends privés et des divergences de visions politiques, s’efface un jour. Il suffit de savoir lire entre les lignes des attaques de Koulibaly contre la Refondation, contre les bras droits de la Présidence et contre les abus du pouvoir exécutif pour comprendre qu’en fait, Gbagbo est la cible principale du Président de l’Assemblée nationale dont le bureau a mystérieusement pris feu. Incendie pour lequel l’enquête promise par le Président de la République n’a toujours pas eu de suite. Quant on est numéro deux du pouvoir, c’est une couleuvre difficile à avaler.

LP : Koulibaly ne s’est-il pas trompé de parti ?

Dr A.A Jr : Sur le plan idéologique, Koulibaly est beaucoup plus proche d’ADO. Ce sont deux économistes interventionnistes, rigoureux, travailleurs et anti-ivoiritaires. De là à faire de Koulibaly un RDR, il faudrait lui prouver qu’ADO et la France ne sont pas derrière la rébellion de Soro. C’est son talon d’Achille. Mais, il est clair que Koulibaly s’est trompé de parti relativement au FPI ou alors c’est le FPI qui s’est trompé sur le compte de Koulibaly. Dans les deux cas, Koulibaly cherche davantage à se vider le cœur sans faire trop de calcul pour son propre sort. C’est un monsieur qui préfère de loin les couloirs de l’université aux coulisses de la politique.

LP : « Je ne retire rien à mes propos et je ne regrette pas de les avoir tenus. Si c’était à redire, je le redirais avec encore plus de véhémence. Les Ivoiriens ne nous ont pas élus en 2000 pour les commander mais pour les servir. Notre engagement n’était pas de gérer leur vie quotidienne mais de gouverner l’Etat (…) », répond Koulibaly Mamadou à Affi N’guessan. Que vous inspire cette contre-attaque ?

Dr A.A Jr : Cela confirme ce que je vous ai dit en début d’interview. La prochaine sortie publique de Koulibaly sera pour dire aux Ivoiriens : “Nous avons échoué; ne votez pas pour nous!”

LP : Y’a-t-il à craindre lorsque Koulibaly affirme : « Demain Tagro et ses amis se demanderont si je suis Ivoirien… » ?

Dr A.A Jr : Cette phrase confirme aussi ce que je vous ai déjà dit. Koulibaly semble prévoir comme moi que le FPI va mourir et renaître en pays bété. Pas ailleurs.

LP : Le FPI serait-il devenu ivoiritaire ?

Dr A.A Jr : Le FPI n’a pas une philosophie autre que celle d’avoir combattu Houphouet et “ses héritiers” pour prendre le pouvoir. N’oublions pas que le FPI n’a pas hésité à former le « front républicain » avec le RDR en 1995 pour soutenir qu’ADO est Ivoirien et que sa candidature était non négociable. C’est le même FPI, avec les mêmes hommes, qui fait la chasse aux sorcières aujourd’hui sur la liste électorale qu’il veut “désinfecter” en commettant des délits de patronyme.

Le FPI fait sien tout ce qui fait son affaire pour prendre ou rester au pouvoir. C’est un parti imprévisible.

LP : Accusé par le N°2 du régime de corrompu, Tagro doit-il rendre le tablier ?

Dr A.A Jr : Je ne vois pas pourquoi Tagro doit démissionner pour le simple fait qu’il a négocié l’Accord de Ouaga pour le compte du camp présidentiel. Je vous l’ai déjà dit, c’est pour éviter d’affronter directement Gbagbo que Koulibaly s’attaque à Tagro, son bras droit. Le seul message du Président de l’Assemblée nationale se résume à ceci : « Monsieur le Président de la République, vous êtes incompétents; nous avons eu tort de vous avoir laissé faire ».

LP : Quelles leçons les Ivoiriens doivent-ils tirer de ce débat sur la moralité du régime ?

Dr A.A Jr : Je crois que les Ivoiriens ont déjà tiré sur ce régime, les leçons qu’il faut. Le débat en cours entre frontistes n’a d’intérêt que pour les politologues et les historiens. Pour les élections, le vin est tiré.

LP : Votre commentaire à propos des opérations de limogeage de certains responsables d’administration lancées par Gbagbo. Electoralistes ?

Dr A.A Jr : Gbagbo est encore assez lucide pour savoir qu’il a perdu les élections. D’où mon analyse qu’il va retirer sa candidature. Toutes ses actions actuelles et à venir ont et auront une saveur de règlement de compte personnel. Il faut donc s’attendre à ce que, dans le même esprit, Gbagbo débarque des ministres, tente de barrer la route à certains candidats de l’opposition et assomme Soro par mercenaires interposés avant qu’il ne s’éclipse lui-même.

réalisée par Charles Sanga et Coulibaly Brahima
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