x Télécharger l'application mobile Abidjan.net Abidjan.net partout avec vous
Télécharger l'application
INSTALLER
PUBLICITÉ

Art et Culture Publié le mercredi 7 juillet 2010 | Scrib Mag

Alexis Don Zigré, réalisateur

« J’ai connu des gens formidables, les premiers leaders dans la lutte contre le sida. Quand je vois leur courage, la meilleure façon de leur rendre hommage, mais aussi de participer à la vie de mon pays, c’est de faire des films. »

Alexis Don Zigré travaille au Niger pour PSI depuis quelques années. Scrib Magazine l’a rencontré à l’occasion de la présentation officielle à Abidjan de son dernier film, Adjara, l’espoir, réalisé pour le compte du Centre des Programmes de Communication. Rencontre qui fut l’occasion propice pour revisiter son parcours...

Scrib Magazine : Comment es-tu venu au théâtre ?
Alexis Don Zigré - ADZ : Je suis venu à l’art par l’intermédiaire d’une dame qui connaissait Niangoran Porquet, j’étais dans une période de quête, j’étais tout jeune à l’époque. Donc j’ai rencontré Niangoran Porquet, et puis d’autres personnes autour de lui. Et petit à petit, j’ai appris avec Porquet, ensuite Zadi Zaourou, Were Were Liking. J’ai eu la chance de rencontrer beaucoup de personnes qui m’ont forgé.

Scrib Magazine : Comment es-tu passé de comédien à metteur en scène ?
ADZ : A un moment donné, il a fallu la rupture, il a fallu commencer à être agressif avec les aînés. On était dans cette soi-disant guéguerre, des palabres inutiles, du théâtre dit de Treichville et du théâtre intellectuel. Il y avait beaucoup de débats. Paradoxalement, j’étais dans le camp de Porquet Niangoran qui parlait d’un théâtre populaire mais qui, en fait, voyait un théâtre intellectuel. Et qui était opposé à la théorie défendue par Souleymane Koly, lui croyait que le théâtre en Afrique pouvait être porteur s’il était plus proche de la population. J’avais la possibilité de faire la jonction, donc j’ai décidé de faire de la mise en scène en m’appuyant sur tout ce que j’avais reçu sur le plan conceptuel et artistique, mais en essayant de toucher les problèmes de la population. C’est pour cela que je suis passé à la mise en scène. Ma première pièce, c’était en 1986, c’était A qui la faute ? d’un auteur sénégalais, Bilal Fall. Je l’avais montée pour la commune d’Adjamé.

Scrib Magazine : Quelles ont été tes satisfactions en tant que metteur en scène ?
ADZ : A ce moment là, j’étais dans le feu de l’action, et je travaillais avec une grande passion parce que Porquet, Zadi et Werewere m’avait inculqué cette passion. Donc la première des choses, c’était de pouvoir inculquer cette passion aux autres. Aussi le fait de prendre un texte que je n’avais pas étudié pendant mon apprentissage et de pouvoir le monter, naturellement le regard admiratif des amis et les quelques prix gagnés dans les compétitions, étaient les satisfactions. Tout cela a fait que rapidement j’ai eu la grosse tête. Et cela a duré longtemps puisque assez rapidement, j’attaquais une pièce, je gagnais les concours. On se défiait entre nous, Fargass Assandé, Thiam Abdul Karim… Et puis j’ai eu la chance d’avoir l’occasion de me recadrer.

Scrib Magazine : Aujourd’hui le théâtre ivoirien est entré en léthargie et les humoristes ont le vent en poupe. Comment tu expliques cette évolution ?
ADZ : Est-ce qu’on peut parler d’évolution ? Avec les possibilités que j’ai d’aller dans d’autres pays, à travers le regard des gens de la CEDEAO, je me rends compte à quel point mon âme est triste pour mon pays. Abidjan avait eu le Centre Culturel Français, le Théâtre de la Cité, il y avait des endroits où les gens se retrouvaient pour travailler sur le théâtre. Donc je suis satisfait de savoir qu’il y a des jeunes qui sont capables de faire des one man show, qui sont capables de faire rire le public et qui réussissent sur le plan humoristique ou des gags. Mais quand je prends l’ensemble de la culture en Côte d’Ivoire, c’est une déchéance. Combien de gens ne peuvent plus lire ? Quand on regarde la télévision ivoirienne, qu’est-ce qu’il y a de culturel ? On n’a plus de repères et c’est cette perte de repères qui fait qu’on se contente de peu. On est tellement stressé qu’il nous faut prendre un peu de bière et un poulet braisé avec un peu de bruit musical. Et de temps en temps, on va au théâtre.

Scrib Magazine : Selon toi, comment remédier à cette situation ?
ADZ : Il faut refonder le pays. Il faut donner d’autres valeurs aux Ivoiriens. On est dans une culture de la facilité, que ce soit au niveau du théâtre, de la musique, de la littérature. Tout le monde fait les choses vite, vite, l’essentiel, c’est de faire, l’essentiel, c’est d’être là. L’essentiel, c’est d’être vu mais ce n’est pas ça l’essentiel. Dieu nous a donné un talent, ce talent, c’est pour quoi ? Est-ce que c’est pour être glorifié ou c’est pour qu’on se mette au service des autres ? Est-ce que quand je produis une œuvre, l’essentiel, c’est que je raconte n’importe quelle petite chose que les gens ont envie d’entendre, les histoires de fesses? Ou est-ce que je tiens compte de mon rôle premier d’acteur social ? Est-ce que je dis quelque chose à la population ? Il faut pouvoir vraiment labourer, défricher, aller plus en profondeur dans tout ce qu’on est train de faire.

Scrib Magazine : Et ensuite, comment es-tu passé du théâtre à la réalisation ?
ADZ : J’étais fâché. Chaque fois que l’on donnait les textes aux réalisateurs ou aux techniciens, je me rendais compte que ce qui était important pour eux, c’était l’aspect technique, où poser la caméra, s’assurer qu’on a le son. Techniquement, le film est là mais il manque une dimension humaine, une dimension artistique. Je me suis dit que ce n’est pas possible que les gens ne comprennent pas que le film repose sur les dialogues, sur les personnages, et que la meilleure façon de faire passer une histoire, c’est d’avoir des acteurs crédibles. Donc j’ai pris le parti de travailler avec les acteurs qui sont l’axe central de ma démarche. Et petit à petit, j’ai commencé à réaliser.

Scrib Magazine : La réalisation, tu l’as apprise sur le tas ou tu es allé à l’école ?
ADZ : C’est pour le théâtre que j’étais reparti à l’INA. Zadi me l’a conseillé pour avoir les bases. Mais la réalisation, à un moment, je me suis lancé.

Scrib Magazine : Donc tu es un réalisateur autodidacte ?
ADZ : Je suis un artiste qui a bénéficié de beaucoup de chances. J’ai pu rencontrer les grands noms de la culture ivoirienne pour apprendre, travailler sur de grandes pièces, ensuite pour pouvoir faire des mises en scène. Au début, je ne comprenais pas, je croyais que c’était moi, mais je sais maintenant, que c’est tout ce qui m’a été donné gratuitement par les aînés que je rends aujourd’hui.

Scrib Magazine : Depuis plus de 10 ans, tu réalises des films exclusivement sur la thématique du sida. Pourquoi ?
ADZ : Je travaille toujours par rapport à une cause. Quand je lis un scénario, si je ne me retrouve pas dedans, je ne peux pas réaliser le film. J’ai eu des personnes très très proches qui ont été frappées par le sida. J’ai connu des gens formidables, les premiers leaders dans la lutte contre le sida. Quand je vois leur courage, la meilleure façon de leur rendre hommage, mais aussi de participer à la vie de mon pays, c’est de faire des films. La question du sida, elle est multiforme et complexe. Et c’est vrai qu’avec chaque film, j’attaque la thématique du sida mais il y a aussi une dimension humaine. Chacun des personnages de ces films est lié à un être humain que j’ai connu. Après tout, le sida touche ce que nous avons de plus cher, la reproduction humaine. Alors comment pourrais-je dire que j’aime les gens, que je mets mon art au service de la société, si je ne peux pas être là où la société a le plus mal?

Scrib Magazine : Mais n’est-ce pas aussi parce qu’il y a des financements disponibles ?
ADZ : Non. La plupart de ces films que j’ai réalisés, ce n’était pas pour l’argent. Les gens croient qu’il y a de l’argent dans le domaine du sida. Non, il n’y a pas d’argent. Il y a des malades dans la misère, certains ne savent pas comment prendre leurs médicaments même quand on leur offre, car il faut qu’ils aient un minimum pour manger.
On ne comprend pas que la qualité dans une production, c’est de l’argent à dépenser. Le temps que tu prends pour réfléchir sur chaque personnage, le temps que tu prends pour écrire le scénario, discuter avec toutes les parties qui vont participer à la production de l’œuvre, le son, la lumière, les images, le matériel, c’est quelque chose d’important. Là où le pays aurait pu faciliter les choses, comme au Sénégal, c’est en défiscalisant le matériel informatique. Le matériel du cinéma coûte très cher en Côte d’Ivoire, donc tout l’argent qu’on reçoit part dans le matériel. Et les artistes ne gagnent pas d’argent, donc comment pourrais-je avoir beaucoup trop d’argent quand je ne suis pas en mesure de payer très bien les acteurs ?
Non, il n’y a pas d’argent pour réaliser des films. Quand je prends les quatre dernières années, combien de films ont été réalisés sur le sida alors qu’il y a beaucoup de choses à faire? L’humilité demande que l’on comprenne que les films sont nécessaires mais ce n’est pas qu’avec les films qu’on fait changer les gens, les films nous permettent de toucher le plus grand nombre de personnes, c’est un média très fort. Mais il y a aussi les soins, la prise en charge des orphelins, les ONG, il y a tout cela à faire. C’est pour cela que chaque fois que nous avons un film à réaliser, nous faisons l’effort même si le budget est très serré pour que le film puisse servir.

Scrib Magazine : Sida dans la cité a connu le succès. Pourquoi la série n’est-elle pas allée au-delà de la saison 3 ?
ADZ : J’ai fait Sida dans la cité 1, Sida dans la cité 2 et Sida dans la cité 3. Je risquais d’être sclérosé, j’étais saturé, j’ai arrêté. J’ai quitté la boîte avec laquelle je travaillais, libres à eux de continuer Sida dans la cité, ou de faire autre chose. Je suis allé ailleurs, j’ai connu des fortunes diverses. C’est la vie.

Scrib Magazine : Adjara, l’espoir n’est pas ton premier film sur la thématique du sida, quelle est pour toi la particularité de ce film ?
ADZ : Je crois que c’est l’un des films où il y a vraiment de l’espoir. Quand je me suis engagé dans la lutte contre le sida, je ne connaissais pas grand-chose. Je me rappelle qu’on m’avait dit d’aller à Treichville au pavillon des maladies infectieuses. Ça a été un choc. Quand je commençais avec Sida dans la cité, on cherchait simplement à faire admettre aux gens que le sida existe. Maintenant, on comprend qu’il y a de l’espoir. Il y a deux scènes qui m’ont marqué, celle où l’actrice principale est très très malade, et celle où elle regarde sa fille qui va à l’école. Ça me marque parce qu’il y a des personnes qui sont décédées qui n’ont pas connu cette période. Maintenant, il y a les antirétroviraux, des centres spécialisés, des médecins, des programmes.

Scrib Magazine : Quel a été le moment le plus difficile du tournage d’Adjara, l’espoir ?
ADZ : Il y a eu des moments difficiles. Sur le plan technique, parce qu’on tournait dans des quartiers compliqués. Normalement, quand on doit tourner, tout le décor est fabriqué. Or en Afrique, on tourne dans des décors naturels, donc on négocie avec une famille pour occuper sa maison, mais on ne peut pas demander à tout un quartier d’être silencieux. Mais, il y a eu aussi des difficultés sur le plan émotionnel : le moment où la petite sœur d’Adjara lui annonce des visiteurs, et l’on découvre la malade couchée, leurs regards, l’émotion, ça m’a rappelé un de nos amis que l’on avait trouvé mort devant sa porte. Et cette image forte, je l’ai utilisée dans le film. Je crois que nous avons tous pleuré ce jour là.

Scrib Magazine : Et quel a été le meilleur moment du tournage ?
ADZ : C’est la scène du médecin, parce que les autres acteurs avaient flirté avec le théâtre, mais lui, il n’avait aucune expérience. Et donc je fais mon travail de coaching, et il a commencé à jouer. Et tous, on l’appelait Docteur, tellement il était convaincant.
Le meilleur moment, aussi, c’est quand je donne le clap final. Je sais que je n’ai pas tout mis dans le film, qu’il y a des choses que je n’ai pas faites parce que je n’avais pas le temps, qu’il y en a que j’ai ratées parce qu’il n’y avait pas les moyens, parce que les conditions ne s’y prêtaient pas. Ces deux moments me marquent toujours.
Et puis après, je souffre beaucoup parce que j’ai peur. Avant Adjara, l’espoir, le dernier film que j’avais réalisé, c’était Porteuses de vie. J’ai donné tout ce que je pouvais. Donc pour attaquer Adjara, l’espoir, j’avais peur. Est-ce que Adjara, l’espoir sera un meilleur film que Porteuses de vie, ou le contraire ? Mais la deuxième peur, c’est que je rassemble plusieurs images, je peux tourner toute une journée la même scène, les acteurs sont épuisés, les techniciens sont épuisés, il y a plusieurs plans. Qu’est-ce que je vais choisir ?
L’autre peur, c’est que quand j’ai pu pousser les acteurs à donner le meilleur d’eux-mêmes, à comprendre le texte, à vivre le personnage, est-ce que au montage je pourrai vraiment les révéler ? Il y a le message à faire passer, la thématique du film à respecter, mais il y a aussi
les acteurs. Si je ne suis pas capable de les mettre en valeur, on ne peut pas avoir un film.

Scrib Magazine : Est-ce que dans un avenir proche ou lointain, les spectateurs auront l’occasion de voir un film de Don Zigré qui ne porte pas sur le sida ?
ADZ : Est-ce qu’on a la possibilité de voir une famille ivoirienne qui n’est pas touchée d’une manière ou d’une autre par la question du sida ? Oui, j’espère car la pression devient de plus en plus intenable, elle vient des acteurs, des amis, de la famille… J’aimerais vraiment faire un film qui va dire tout ce que je pense car j’ai vécu certains événements. Est-ce que ce serait intéressant ou est-ce qu’il faut complètement dégager la population de tout ce qui est lié à la politique ?

Scrib Magazine Est-ce qu’un jour également, on te reverra de l’autre côté de la caméra ou sur les planches en tant qu’acteur ?
ADZ : J’ai peur, j’ai joué de très grands rôles. Je crois que dans la dernière pièce, j’ai joué Ramsès II. Est-ce que je pourrai avoir une pièce de qualité, un metteur en scène de qualité parce que je suis extrêmement exigeant et compliqué ? Savoir que quelqu’un va avoir l’occasion de m’embêter en tant qu’acteur, c’est ça mon problème. Pour le moment, je ne sais pas, peut-être que si je trouve un bon texte et qu’il y a des metteurs en scène qui me font confiance… Zadi Zaourou est toujours là, Werewere Liking aussi, Thiam Abdul Karim.

Scrib Magazine : Si tu pouvais revenir sur ton parcours, qu’aurais-tu fait différemment ?
ADZ : Je serai allé à l’essentiel. Quand j’ai commencé, je n’avais pas la connaissance de Dieu. Etre acteur, c’est être au devant des choses, ça ouvre des possibilités. Quand j’accumulais les succès, les prix au théâtre, vraiment, je pensais que j’étais un super homme, que j’étais quelqu’un. Non, non. S’il y a une chose que je regrette, c’est que je n’avais pas cette connaissance de Dieu qui m’aurait permis de travailler avec les gens avec plus d’humilité, plus d’humanité, plus de respect des autres.

Propos recueillis par Patricia Dailly Ajavon
PUBLICITÉ
PUBLICITÉ

Playlist Art et Culture

Toutes les vidéos Art et Culture à ne pas rater, spécialement sélectionnées pour vous

PUBLICITÉ