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Politique Publié le vendredi 30 juillet 2010 | Nuit & Jour

Justice : Procès de Le Nouveau Courrier

© Nuit & Jour Par Prisca
Affaire Désiré Tagro : saisi par le chef de l’Etat, le Procureur de la République, M. Tchimou Raymond anime un point de presse
Mercredi 23 juin 2010. Abidjan, Palais de la Justice, Plateau. Cabinet du Procureur de la République
Un délit… imaginaire

Arrêtés le mardi 13 juillet dernier pour avoir divulgué une information couverte par le secret de l’instruction et vol de documents administratifs, les journalistes du quotidien Le Nouveau Courrier ont été libérés le mardi 27 juillet dernier. Retour sur un fait divers médiaco-judiciaire aux allures de plaisanterie de mauvais goût.

Deux semaines. Les journalistes du Nouveau Courier ont passé deux semaines à la Maison d’Arrêt et de Correction d’Abidjan (Maca). Arrêtés le mardi 13 juillet dernier, par le Procureur de la République Tchimou Féhou Raymond, pour vol de documents administratifs, ils ont été libérés le mardi 27 juillet dernier. Après une intense campagne de désapprobation menée par la presse nationale qui a pu compter sur le soutien actif de Reporters Sans Frontières qui n’a jamais autant mérité son nom. Dans son combat pour la libération des confrères embastillés, la presse nationale n’a reculé devant rien. C’est ainsi que des journalistes ont été gazés et matraqués lors d’un sit-in devant le palais de justice. Que reprochait-on aux mis en cause ? D’avoir divulgué les conclusions d’une enquête sur la filière café-cacao menée par le Procureur Tchimou Raymond. On voit donc qu’ils ont été incarcérés simplement parce qu’ils ont fait leur travail. C’est le monde à l’envers…

Un artifice juridique

La Côte d’Ivoire est certainement le seul pays au monde où des journalistes sont emprisonnés pour avoir publié des informations vraies. Car, à aucun moment, le Procureur Tchimou n’a dit que les informations publiées par le Nouveau Courrier étaient fausses. De sorte qu’il n’a pas trouvé d’autre chef d’inculpation que celui de ‘’vol de documents administratifs’’. Or, le ‘’vol de document’’ ne peut être opposé à un journaliste dont le métier est justement de divulguer les informations qui tombent sous sa main. Et comment déterminer qu’un journaliste a volé un document à une ère où les Nouvelles technologies de l’information ont fait de si gros progrès ?
Citons ce passage de la lettre que Reporters Sans Frontières a adressée aux autorités ivoiriennes après la libération des journalistes du Nouveau Courrier : « Nous appelons toutefois les autorités à assouplir le cadre juridique sur les délits de presse. Pouvoir diffuser des informations et publier des dossiers sur des sujets non évoqués en audience publique, au contraire de ce qu’impose le droit ivoirien, doit faire partie du travail du journaliste d’investigation. Cette liberté permet, dans bon nombre de pays , de faire des révélations sur des sujets d’intérêt public,d’informer la population sur des sujets sensibles ,d’éviter que des dossiers soient étouffés voire d’aider au déroulement d’une enquête .Elle est une condition incontournable de l’indépendance des journalistes envers les pouvoirs juridique et politique,qui décident des dossiers à clore ou à ouvrir. La Côte d’Ivoire qui a déjà connu une avancée majeure en dépénalisant les délits de presse en 2004 , a la possibilité d’améliorer son cadre légal pour se rapprocher davantage des standards internationaux et renforcer les droits fondamentaux ».Il est clair que le « vol de document administratif » est un artifice juridique allégué pour justifier l’injustifiable et défendre l’indéfendable :l’emprisonnement abusif des journalistes du Nouveau Courrier.
A l’évidence, l’accusation portée contre les confrères est un non sens. Elle n’avait certainement pour objectif que de faire diversion et d’empêcher l’opinion de se poser les vraies questions après la divulgation des conclusions de l’enquête du Procureur Tchimou. Comment ce document s’est-il retrouvé sur la place publique ? Les services du Procureur sont-ils fiables ? On le voit, ce sont des questions qui engagent la responsabilité du chef du Parquet. On le sait, un journaliste peut être poursuivi pour diffamation, divulgation de fausses informations ou autres. Mais pas pour un présumé ‘’vol de document’’.

Un délit non constitué

Au total, Théophile Kouamoua et ses collaborateurs Oula Saint Claver et Bahi Guédé Stéphane, de même que Patrice Pohé, le chargé de mission du Procureur Tchimou, auront fait la prison pour rien. Ils ont d’ailleurs été blanchis par le Tribunal d’Abidjan-Plateau, qui a estimé que le délit de vol de document n’était pas constitué. C’est un cinglant désaveu pour le Procureur Tchimou. Mais, qui pourra réparer le discrédit que cette affaire a jeté sur la Côte d’Ivoire où, pendant deux semaines, des journalistes ont fait la prison pour un délit…imaginaire ?
Il n’empêche, sans doute, pour ‘’ ne pas verser la figure de Tchimou par terre’’, le Nouveau Courrier a été quand même condamné à ne pas paraître pendant 15 jours. C’est un verdict à la Salomon qui fait un double tort aux confrères. Ainsi, après qu’ils ont été privés de liberté pendant deux semaines, leur journal ne pourra pas paraître pendant deux semaines également. Ce n’est pas juste. Mais alors, pourquoi les avoir emprisonnés ? Le Tribunal aurait dû commencer par là. Il eut, en effet, été plus cohérent de suspendre le journal sans avoir à mettre les journalistes en prison.

Mais comme souvent, sous les tropiques, ceux qui ont une parcelle de pouvoir en usent et en abusent toujours. C’est la seule explication qu’il faut donner à l’emprisonnement des confrères qui ont heureusement recommencé à respirer l’air de la liberté le mardi 27 juillet dernier. Tout est donc bien qui finit bien. Mais à quel prix ?

Jean Henri Kwahulé
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