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Faits Divers Publié le lundi 2 août 2010 | Nord-Sud

Faits divers /Ils font parler les morts : A la découverte des médecins legists

Au cinéma, le médecin légiste est souvent enfermé dans sa salle d'autopsie, en tête-à-tête avec un cadavre. A la vérité, la réalité est bien différente…

Le bâtiment où nous avons rendez-vous, ce jeudi 22 juillet après-midi est situé entre la Faculté de Médecine et l'université d'Abidjan. C'est l'institut de médecine légale. Le vigile nous accompagne jusqu'à une porte en fer de couleur marron. L'un des assistants du professeur Hélène Yapo Etté nous accueille. « C'est Nord-Sud Quotidien ? », lance Dr Djodjo Mathurin, un homme costaud et au regard vif. « Entrez, je vous en prie. » Voix prévenante, sourire aimable, le professeur est loin de l'image que j'avais d'un médecin légiste. Autour d'elle, une équipe de quatre « médecins des morts ». Il s'agit des docteurs Botti Koffi, Eboua Marc, Djodjo Mathurin et Attoungbré N'guettia Solange. En compagnie de nos interlocuteurs, nous prenons place dans la salle de réunion de l'institut.
Pr Etté veut tout de suite lever les équivoques. Certes, elle est la plus médiatisée des médecins légistes, mais elle n'est pas la seule. « Ce sont les autres qui parlent de moi parce que je pense que je suis la pionnière pour les temps modernes que nous connaissons maintenant pour avoir fait développer la médecine légale en Côte d'Ivoire, constituer l'équipe. Et aujourd'hui, ils sont là pour en témoigner », insiste-t-elle.


La Côte d’Ivoire compte seulement 5 médecins légistes.

Puis, d'ajouter : « Toutes les fois qu'on vient m'interroger, je dis qu'il ne s'agit pas de moi seule. J'ai toute une équipe qui travaille avec moi. Et je souhaiterais que l'on connaisse toutes ces personnes. C'est donc toute une équipe qui apporte de l'eau au moulin de la discipline qu'on essaie de faire connaître pour la crédibilité de l'expertise nationale en médecine légale ». Les collaborateurs du Pr Etté qui suivent attentivement l'entretien, racontent leur histoire avec les morts.

Pour Dr Botti Koffi, maître-assistant, l'idée a germé depuis le jour où Mme le professeur Etté leur a fait le cours de médecine légale en 6ème année. « Ça m'a accroché. La manière dont elle nous transmettait le cours. On a senti qu'elle vivait la chose. C'était une discipline nouvelle dans son approche par rapport aux phénomènes de société et par rapport à la médecine en général. Et puis, le fait de contribuer à la manifestation de la vérité m'a également motivé. Parce qu'au départ mon père voulait que je devienne magistrat », raconte Dr. Botti. Il n'a pas été orienté dans une filière juridique. Cependant, il n'est pas totalement déçu. «Mais la médecine légale permettait de remplir les deux missions en même temps. Il a fallu passer le concours d'internat pour pouvoir embrasser la carrière universitaire dans la discipline. Depuis 1996, je travaille avec le Pr Etté au Chu de Treichville. C'est elle qui nous a donné les rudiments pour la pratique médico-légale », affirme-t-il fièrement. Il est vrai que la pratique impose beaucoup d'exigences. Selon lui, il y a la rigueur, l'observation et le sens du discernement mais aussi le raisonnement logique. « Après 14 ans de métier, je retiens que la médecine légale en Côte d'Ivoire avance par rapport aux autres pays qui nous entourent. Il y a une très bonne évolution. On pense avoir rempli toutes les missions qui nous ont été confiées », se satisfait le praticien.

Dr. Attoungbré N'guettia Solange est la seconde dame du groupe après le Pr Etté. C'est à partir de la 6ème année de médecine aussi qu'elle a pris contact avec la discipline. Eblouie par la manière dont son illustre devancière leur transmettait le cours, Dr Attoungbré s'est entichée de la médecine légale après sa soutenance de thèse en 2001. « Je suis allée la voir pour lui dire que je voulais faire carrière dans la médecine légale. Elle m'a aidée à avoir la bourse. Elle était heureuse parce qu'elle voulait une équipe autour d'elle. Je l'appréciais beaucoup. Donc je l'ai approchée. Elle m'a accueillie à bras ouverts », se rappelle-t-elle. Sa future patronne lui a trouvé une lettre de recommandation et la préinscription à l'université de Bordeaux (France). « Je suis rentrée en 2003. Mon intégration s'est faite immédiatement », lance celle qui se présente comme « la bonne petite » du prof. A la différence des autres, Dr. Djodjo Mathurin, assistant-chef clinique, affirme qu'il est venu dans la profession par un effet de hasard. « J'étais interne aux hôpitaux. J'étais au département de médecine du travail, médecine légale et toxicologie. Je devais faire un stage en médecine légale. J'ai découvert que c'était une autre médecine. Je me suis accroché car c'était une contribution à la manifestation de la vérité. Je suis avec le Pr Etté depuis 2001», confie-t-il sans oublier d'ajouter qu'il a pu bénéficier d'une bourse pour aller étudier à Bordeaux grâce à «sa patronne».

«Je suis l'un des derniers arrivants dans l'équipe. Il faut dire que la médecine légale enseigne beaucoup de choses. Quand on prend la société, on peut estimer qu'il y a des choses importantes telles que l'éducation et la santé. Il y a aussi la justice. Et vous retrouvez tout ceci lorsque vous êtes universitaire et médecin légiste. Ce sont ces éléments qui m'ont motivé à embrasser cette profession », indique le Dr Eboua Kouadio Marc Victor, assistant-chef clinique.

Après les présentations, la visite guidée, dans le couloir, des chaises métalliques sont là pour accueillir les visiteurs. Un peu plus loin, se trouve la salle de conservation des corps avec une capacité d'accueil de cinquante-trois places. Dans la salle d'autopsie, sont installées deux tables, une boîte à dissection composée de scies, de ciseaux, de couteaux, de pinces et de marteaux. Notre hôte simule une scène où elle est en pleine actionne avec ses collaborateurs. Elle tient entre ses mains une paire de ciseaux puis fait le geste de découper un corps. Elle met au travail l'équipe. « Malheureusement, jusqu'à ce jour, nous n'avions pas un service commun. Donc, nous avions initié de nous organiser en unité « virtuelle » de médecine légale avec l'ensemble de l'équipe. C'est pour cela qu'on se fait appeler l'unité de médecine légale. Mais c'est une unité dans nos rapports professionnels, unité dans notre façon de travailler, d'aborder les problèmes et d'échanger sur des questions d'ordre médico-judiciaire. Sinon au plan pratique, nous sommes obligés d'être dispatchés sur des sites d'affectation différents c'est-à-dire que nous sommes quatre au CHU de Treichville, un au CHU de Yopougon mais qui travaillent au sein de la morgue. Dr Attoungbré y va en renfort même si elle est affectée au Chu de Treichville. On n'a même pas de service propre à notre discipline au sein de ces CHU. A Treichville, nous sommes rattachés au service d'anatomie pathologique. Donc on n'existe même pas dans l'organigramme du Chu de Treichville.


Le Pr Etté a transmis sa passion à l’enssemble de ses collaborateurs.

C'est parce que nous voulons travailler que nous nous sommes battus pour obtenir la création d'un véritable institut de médecine légale entièrement financé par la coopération allemande par l'intermédiaire de la GTZ, clame la femme qui « fait parler » les morts. La médecine légale est une discipline à part entière qui mérite un cadre de travail adéquat. Je me démène pour agrandir l'équipe et élargir aussi notre champ de compétence. C'est ainsi que j'oriente mes médecins légistes vers la balistique lésionnelle, vers la médecine carcérale et vers l'anthropologie. Moi-même, j'aime particulièrement tout ce qui relève de la scène de crime ou de la scène d'infraction, soutient la première femme médecin légiste en Afrique occidentale qui vit, d'après elle, la médecine légale comme une vocation. « C'est la raison pour laquelle tous ceux qui m'approchent et manifestent un intérêt sincère pour la discipline, je les accueille à bras ouverts. Le poste d'interne en médecine légale qui m'est accordé bien que je n'aie pas de service, est une aubaine pour moi d'accueillir les étudiants et les intéresser à la discipline », souligne prof Etté. Et de faire cette mise en garde : «En médecine légale, il ne faut pas être cupide. C'est vrai, on fait un métier difficile qui mérite d'être rémunéré à sa juste valeur. C'est un clin d'œil que je fais aux professionnels de la justice qui sollicitent notre compétence mais qui ne font rien pour relever les frais de justice criminelle dans un cadre formel. Malgré mes démarches vers eux, je n'ai pas eu d'oreille attentive de leur part et je ne comprends pas pourquoi. N'avons-nous pas fait nos preuves ? Nous travaillons pour que l'expertise ivoirienne soit reconnue partout et nous y arrivons. Pourquoi ne pas nous encourager dans ce sens en relevant nos honoraires de façon formelle ? Nous vivons de notre métier et c'est tout à fait légitime que nous ayons un intéressement digne de la pénibilité, de la responsabilité et de la noblesse de notre tâche. Certes, j'ai choisi ce métier, je le vis en moi comme une passion que je communique sans même le savoir. J'ai par ailleurs un fort sentiment d'écoute vis-à-vis de mon prochain et cela m'aide énormément à exercer mon métier qui est avant tout une mission». Le prof. Etté a transmis sa passion à l'ensemble de son équipe. Comme le témoigne Dr Botti : « Le travail est fait avec enthousiasme. La confiance que les autorités judiciaires placent en nous, nous permet aussi d'accomplir notre mission en toute sérénité. Nous ressentons une grande responsabilité dans la conduite du travail. C'est vrai, le corps devient temporairement une pièce à conviction entre les mains de la justice qui nous le confie afin de chercher des éléments de preuves qu'elle attend ». Et le prof Etté de conclure: « C'est dans cette disposition d'esprit que se fait la prise en charge médico-légale de la personne décédée. Il est fait en toute objectivité et impartialité par rapport aux questions qui nous sont posées. C'est une approche professionnelle, objective et humaniste aussi ». C'est vers 16h50 que nous prenons congé de nos interlocuteurs.

Un reportage de Bahi K.
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