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Société Publié le mardi 17 août 2010 | Notre Voie

Instituteurs adjoints et professeurs limités, cours de renforcement sur fond de chantage, moyennes annuelles monnayées -Comment la catastrophe scolaire se prépare

On ne le dira jamais assez. L’école ivoirienne va à vau-l’eau. Les causes de cette descente aux enfers sont multiples. Incursion dans ce milieu pour s'intéresser à trois facteurs qui constituent, visiblement, les causes lointaines de la catastrophe scolaire en Côte d’Ivoire. Enquête. «Je suis d’accord avec le gouvernement, qu’il recrute des instituteurs pour combler le déficit, mais qu’on relève un peu le niveau». Cette interpellation a été faite par N’Dah Sylvain, instituteur ordinaire (IO), rencontré en face des locaux du ministère de la Fonction publique, à Abidjan-Plateau. Et son collègue Ehouman Angaman d’enfoncer le clou. «Ces dernières années, nous avons parmi nous des collègues incapables de former une phrase correcte et de conduire normalement un cours, quel que soit le niveau». En effet, la situation ainsi dépeinte vient du fait que recrutés avec le Brevet d’études du premier cycle (BEPC), nombreux sont les instituteurs adjoints (IA) incapables, dit-on, de préparer et de présenter un cours relativement parfait. Il en est de même pour certains enseignants du secondaire recrutés sur la base de la licence selon des témoignages. Instituteurs adjoints limités «Au cours d’une visite de classe, une institutrice adjointe (IA) a demandé à ses élèves de CM1 de remplacer le nom «règle» par un pronom personnel dans la phrase «Il a volé la règle». Les enfants ne trouvant pas la bonne réponse, la maîtresse a écrit ceci : «Il la volé». Interpellée par l’inspecteur, elle a mis, dans la précipitation, un accent grave sur le «a» pour obtenir «Il là volé». L’Inspecteur s’est emporté et a aussitôt demandé au conseiller pédagogique de se lever. Ils ont quitté la salle de classe, au grand dam de l’institutrice adjointe (IA)», raconte Ehouman Angaman, pour donner la preuve de la faiblesse de niveau de certains instituteurs adjoints. Il insiste pour dire que ce genre de situations est désormais légion dans le milieu de l’Education nationale. La preuve, à en croire cet autre enseignant du primaire qui a requis l’anonymat, un jeune instituteur adjoint (IA) a écrit le mot «Vendredi» avec «a». Interpellé par un apprenant qui lui a signalé qu’il a écrit «a» à la place de «e», l’instituteur, embarrassé, a tout simplement conseillé à ses élèves d’écrire désormais le mot «Vendredi» avec «a» car, selon lui, c’est la bonne orthographe. Que dire de cette institutrice qui, toujours à en croire notre interloculeur, a écrit au verso d’une enveloppe son nom et son prénom suivis de la mention «Institutrisse» ? Vous remarquez bien que la jeune enseignante du primaire a écrit le mot avec deux «s». Et ce genre de fautes, selon un maître d’application, est monnaie courante à l’école primaire, qui est pourtant censée donner une base solide sans reproche aux enfants. Pour lui, le comble est que, généralement, ces maîtres sont très souvent interpellés par les apprenants, leurs propres élèves, qui découvrent, par eux-mêmes, les fautes et autres énormités commises par leurs maîtres. «Il est mieux de revenir au système d’orientation au Centre d’animation et de formation pédagogique (CAFOP) où les instituteurs étaient formés pendant deux ans, dont une année de théorie et une année de pratique. Sinon, ce sera la catastrophe les années à venir», préconise ce maître d’application. Avant de s’interroger. «Au fait, quel apprenant bien formé peut-on avoir si le formateur est totalement limité ?». Sur ce point, des directeurs d’écoles et des maîtres d’application rencontrés s’indignent du niveau quasi nul de beaucoup d’instituteurs adjoints (IA) et même des instituteurs ordinaires (IO). Dans ce domaine, révèlent-ils, la plupart sont des femmes qui ont abandonné l’école ou les études depuis des années et qui n’ont pratiquement aucun niveau. Et la plupart de ces recrues, apprend-on, n’ont aucune maîtrise de l’orthographe et de la grammaire, encore moins des mathématiques. «Sincèrement, c’est une véritable catastrophe qu’on prépare dans la formation. Il faut donc revoir le contenu de la formation dans les CAFOP, si l’on veut rehausser le niveau des élèves», relève un directeur d’école en poste à Aboisso. Quand un autre maître d’application souligne que, tôt ou tard, les élèves du primaire feront absolument face à un bouchon au secondaire. «La réalité est que ceux qui forment actuellement ces enfants ont un niveau très bas. Avec les arrangements de moyennes qui cachent le faible niveau du formateur, les enfants progressent jusqu’au CM2. On parle pourtant de suppression du concours d’entrée en Sixième. Ce qui veut dire que les élèvent iront au collège avec une formation au rabais et après des tripatouillages de notes et autres moyennes. Ces élèves feront absolument face à un bouchon, en classe de Troisième», explique le maître d’application. Qui insiste sur des aspects à revoir dans le mode de recrutement des instituteurs. Sur ce plan et selon les spécialistes de la question, le recrutement des instituteurs se fait après concours. Mais il existe deux voies dans la formation. «Il y a ceux qui passent 5 à 6 mois de formation au CAFOP avant d’être affectés sur le terrain, et ceux qui sont directement recrutés et qui subissent seulement 1 mois de formation pendant les vacances, avant d’être affectés dès la rentrée scolaire suivante», explique un conseiller pédagogique de Secteur (CPS). Du côté de la Fonction publique, nous avons recueilli des détails importants en vue d’éclairer suffisamment l’opinion. «Entre 2004 et 2008, il y avait un déficit de 5 000 instituteurs dans le pays. Le concours de recrutement a été lancé sans aucune précision sur la date d’obtention du BEPC, le diplôme requis pour se présenter à ce concours. Il y avait seulement une limite d’âge. Ainsi, des mécaniciens, des commerçantes, des gérants de cabines téléphoniques, titulaires du BEPC depuis des années, se sont présentés au concours», nous confie un agent de la Fonction publique. Les lacunes de certains professeurs Le même problème, semble-t-il, se pose de plus en plus au secondaire où, à en croire des encadreurs pédagogiques, on rencontre des professeurs licenciés recrutés après concours, dont le niveau laisse à désirer. «Il y a une grande différence aujourd’hui entre les professeurs recrutés autrefois avec la licence et ceux recrutés ces dernières années. Certes, certains d’entre eux ont le niveau requis, mais il en existe vraiment de médiocres», souligne N’Goran J., professeur d’histoire-géographie, dont l’avis est partagé par plusieurs spécialistes du milieu. En témoigne cette révélation d’un Conseiller Pédagogique de français. «Au cours de son inspection, une jeune dame professeur licenciée de français a demandé à ses élèves de 4ème de conjuguer au présent de l’indicatif, à toutes les personnes, le verbe «partir». Un élève a répondu oralement : «Je pars». Madame le professeur de Français écrit au tableau : «Je parts». Un autre apprenant lui signale qu’elle a fait une erreur dans l’orthographe. Et la stagiaire de dire à l’élève qu’il n’y a pas de faute parce que, justifie-t-elle, c’est le verbe «partir». Non seulement la formatrice a maintenu la faute au tableau, mais aussi et surtout, elle a conjugué le même verbe à la deuxième personne du singulier, toujours avec les mêmes erreurs» révèle le conseiller pédagogique du secondaire. Avant d’affirmer que bon nombre de professeurs, même sortis de l’Ecole Normale Supérieure (ENS), ne sont pas non plus exempts de reproches. «Par exemple, pour combler le déficit de professeur de mathématiques, appel a été fait, en son temps, à des étudiants titulaires de licence en Sciences économiques», renchérit l’agent de la Fonction Publique. Quand un professeur de mathématiques en activité témoigne. «La plupart de ces professeurs licenciés en sciences éco transformés en professeurs de mathématiques ne sont pas du tout à la hauteur de la tâche. Il y a des bricoleurs parmi eux», souligne Bakayoko A., professeur de mathématiques. Sur la question, un autre enseignant du secondaire, spécialiste des sciences de la vie et de la terre (SVT) à la direction régionale de l’éducation nationale (DREN) d’Adzopé a témoigné ceci : «Au cours d’une inspection pédagogique, un professeur licencié de SVT faisait son cours sur la puberté. Il a demandé aux élèves le nom du sexe chez la femme. Un apprenant a répondu «le vagin». Et le professeur d’apprécier : «Non, ce n’est pas trop juste». Un autre élève répond : «Le c…». Le professeur apprécie : «Très bien, c’est juste». Et notre interlocuteur précise que ce professeur stagiaire présente des carences telles que le jury d’inspection l’a recalé. Cependant, relève-t-il, il reste dans le circuit et sera reprogrammé sûrement l’année prochaine. A ce niveau, révèlent nos sources, les professeurs licenciés sont toujours titularisés, quel que soit leur niveau. En un mot, indiquent les mêmes sources, ces professeurs licenciés sont rarement ou ne sont jamais exclus du circuit. Et ce qui est dramatique, dit-on, c’est que la plupart de ces instituteurs adjoints (IA) et professeurs du secondaire limités dispensent également des cours dits de renforcement. Les mercredis et les samedis, à en croire nos sources, sont les jours choisis par ces enseignants pour «opérer». Dossier réalisé par Sam Kadet Patrice
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