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Politique Publié le mercredi 18 août 2010 | Le Nouveau Courrier

C’est le travail qui donne la vraie indépendance

Il fut un moment où, parmi les premiers chrétiens, certains ne travaillaient plus. Parce qu’ils pensaient que le retour du Christ était très proche. Pour les exhorter au travail, pour leur montrer l’importance du travail, Paul ne fera point dans la dentelle : «Si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas non plus» (2 Thess 3, 10). Paul pouvait parler ainsi parce qu’il n’était pas homme à se tourner les pouces et à vivre aux crochets des autres. En effet, en plus d’annoncer l’évangile, l’apôtre fabriquait des tentes. C’est la raison pour laquelle il affirme – non sans fierté – avoir «travaillé de ses propres mains, nuit et jour, pour n’être à la charge de personne» (1 Thess 2, 9). C’est une parole qu’un certain nombre de «serviteurs de Dieu» en Afrique (prêtres, vrais et faux pasteurs) devraient méditer. Car, de mon point de vue, proclamer la Bonne nouvelle n’empêche pas de gagner son pain à la sueur de son front.
Certains objecteront : le prêtre ou le pasteur doit-il refuser si on lui fait don de ceci ou de cela ? Ma réponse est «non» parce que le Christ ne lui interdit pas de recevoir argent et cadeaux offerts joyeusement et librement par ses fidèles. Ce que Jésus condamnerait aujourd’hui, s’il était physiquement présent parmi nous, c’est la pression mise par certains guides religieux sur des fidèles qui eux-mêmes n’arrivent plus à joindre les deux bouts et qui, soit dit en passant, n’ont obligé personne à devenir prêtre ou pasteur ; le fait de ne compter financièrement que sur des laïcs dont le pouvoir d’achat diminue de jour en jour comme peau de chagrin ; la propension de certains «hommes de Dieu» à réduire leur ministère à la célébration des sacrements alors qu’ils peuvent, après le culte ou la messe, faire quantité de choses : par exemple, enseigner dans les collèges, lycées et universités, soigner dans les dispensaires et hôpitaux, travailler à l’usine ou dans les champs, conduire des bus ou des camions, participer à la construction des routes et des ponts, etc. Ces métiers, que certains de leurs confrères européens et américains exercent avec bonheur, leur permettraient de garder intacte leur liberté d’opinion et d’expression.
Que nous soyons des personnes consacrées ou non, la commémoration de nos cinquante années d’indépendance fictive est une belle occasion pour nous interroger sur notre rapport au travail, sur la place que nous accordons à celui-ci, sur le sens que nous lui donnons. Dieu avait dit à Adam après que ce dernier eut désobéi : «Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front» (Gn 3, 19). N’avons-nous pas tendance à interpréter cette parole comme un châtiment divin ? Est-ce de gaîté de cœur ou en maugréant que nous accomplissons nos tâches quotidiennes? A mon humble avis, l’Afrique francophone se portera mieux le jour où nombre de ses fils comprendront que le travail n’est ni une corvée, ni une sanction ; elle présentera un tout autre visage lorsqu’elle réalisera que le travail, tout en créant la richesse (Adam Smith), assure l’indépendance de l’homme. Comment les pays asiatiques se sont-ils développés alors que, en 1960, ils étaient logés à la même enseigne que nous ? Qu’est-ce qui leur a permis de «décoller» et de se hisser au niveau de certains pays occidentaux ? Comment la Chine est-elle devenue la seconde puissance économique mondiale ? Pourquoi Indiens, Japonais, Chinois et Coréens sont-ils plus respectés que les Noirs en Europe ? Pourquoi sont-ils moins contrôlés que nous dans la rue et les gares de métro ? Parce qu’ils ont de l’argent et, s’ils ont de l’argent, c’est parce qu’ils vouent un culte au travail, parce qu’ils ont perçu le rôle libérateur et positif du travail. Dans un monde où, selon le philosophe camerounais Fabien Eboussi, «tout devient une faveur dont chacun est redevable aux dirigeants puisque, à tout moment, ils sont capables de les soustraire et de vous précipiter dans le vide, dans le néant» (cf. Lignes de résistance, Yaoundé, Cle, 1999, p. 18), seul le travail accompli avec sérieux et passion fera de nous des hommes et des femmes libres. «Arbeit macht frei» (le travail rend libre). Ces mots, que certains attribuent à Hegel, étaient écrits par les Nazis à l’entrée du camp d’Auschwitz.
Il est vrai que «les anciens maîtres se perçoivent toujours comme ‘‘ceux qui savent’’ mieux que les pays en développement ce qui est bon pour eux» (Joseph E. Stiglitz, «FMI, la preuve par l’Éthiopie» dans Manière de voir, n° 79, février-mars 2005, pp. 37-38). Mais, aujourd’hui, la vraie question n’est-elle pas celle de savoir ce que nous comptons faire du prochain demi-siècle, comment nous voulons passer du statut de PPTE au statut de pays émergents ?
Pour changer de statut, nous aurons certainement besoin de nous réconcilier avec la rigueur, la discipline, le respect du bien commun et la confiance en nous-mêmes. Mais ce qu’il faudra, aussi et avant tout, c’est de nous mettre au travail. Et peu importe si ce travail consiste à balayer les rues, à vendre le charbon, à scier le bois ou à élever des poules. Cela signifie qu’il est temps, grandement temps, de commencer à nous intéresser aux métiers jusqu’ici jugés bas et humbles. Quel que soit le travail que nous faisons ou que nous ferons, l’essentiel est qu’il nous permette de nous prendre en charge. Car celui qui dépend des autres, celui qui attend tout des autres, celui qui est toujours assisté, a rarement voix au chapitre ; il est difficilement pris au sérieux ; bref, il est peu écouté. Si nous voulons être écoutés, si nous voulons que demain (c’est-à-dire les prochaines cinquante années) soit différent d’aujourd’hui, je pense que nous avons une seule chose à faire : danser moins et travailler plus. C’est à cette condition que nous ferons mentir la phrase prononcée en 1962 par l’agronome français René Dumont : «L’Afrique noire est mal partie».
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