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Société Publié le jeudi 19 août 2010 | Le Patriote

Dossier - Scandale des déchets toxiques: Il y a quatre ans, le Probo Koala débarquait…

© Le Patriote Par DR
Scandale des déchets toxiques : ouverture à Amsterdam (Hollande) du procès du Probo Koala
La cargaison de déchets toxiques du Probo Koala avait finalement été épandue en 2006 en Côte d`Ivoire
En août 2006, des habitants de certains quartiers d’Abidjan se réveillaient un matin, intrigués par une odeur fétide et forte, à la limite suffocante. Quelques jours après, le scandale éclatait au grand jour. Le Probo Koala, navire vraquier affrété par la société Trafigura, troisième négociant de pétrole dans le monde, après plusieurs mois d’errance en mer, venait de déverser 500 tonnes de déchets toxiques à Abidjan. La suite, on la connaît… C’est au moins 10 morts et plus de 6000 personnes intoxiquées. Quatre ans après, la vérité éclate enfin. Dans un ouvrage intitulé « Le cargo de la honte, l’effroyable odyssée du Probo Koala », paru aux éditions Stock, fruit d’une minutieuse enquête, deux auteurs français, Bernard Dussol, grand reporter à « Thalassa » et Charlotte Nithart, directrice de l’association Robin des bois, racontent, avec force détails et émotion, ce qui s’est vraiment passé le soir du 19 août 2006. Flash-back sur la plus grande catastrophe écologique que la Côte d’Ivoire n’ait jamais connue.

Août 2006. Abidjan semble tranquille. C’est la saison des pluies. Quelquefois de fortes pluies arrosent la grande métropole ivoirienne. Les populations vaquent tranquillement à leurs occupations. Elles sont loin de se douter qu’un navire panaméen battant pavillon russe erre en mer. Non loin des côtes abidjanaises. Son nom : le Probo Koala. En effet, depuis avril 2006, le commandant Sergueï Chertov et son équipage constitué de dix-neuf marins de nationalité ukrainienne, comme lui, cherchent désespérément un endroit pour déverser des slops, des résidus toxiques qu’ils transportent. Dans leur bateau à la coque bleue délavée, ils traînent 528m3 de cette matière puante, stockée dans des citernes à résidus dont personne n’en veut. Du moins jusqu’à ce fameux mois d’août. Refoulé à Lagos et « prié de continuer son chemin » à Lomé, le Probo Koala traverse le golfe de Guinée lorsque le Commandant Chertov reçoit le 18 août à 18h36 un mail : « Bonjour Capitaine, dès réception de ce message, faites route sur Abidjan, Côte d’Ivoire, et procédez à toutes les formalités nécessaires pour réaliser le déchargement des déchets chimiques contenus dans la citerne à résidus. Prenez contact en ce sens avec l’agence Waibs Abidjan dont voici les coordonnées. (…) S’il vous plaît, veuillez nous tenir pleinement informés des mouvements du navire à Abidjan et des anomalies éventuelles constatées pendant les opérations. Merci de confirmer réception. Quand l’opération de déchargement des résidus sera terminée, faites route sur Paldiski en Estonie. Avec nos remerciements et notre considération. Trafigura ».
En bon soldat, comme le racontent si bien Bernard Dussol et Charlotte Nithart, Chertov donne l’ordre à l’homme de quart de changer de cap et vérifie ses instruments de navigation. Le Probo Koala doit la nuit prochaine pointer son étrave face au port d’Abidjan.
Dans la capitale économique ivoirienne, un certain Salomon Ugborugbo attend le colis. Lui, qui avait adressé le 7 juin 2006 à la DGAMP (Direction générale des Affaires maritimes et portuaires), au nom de la société Tommy, une demande d’agrément d’ « avitailleur maritime spécialisé dans la vidange, l’entretien et le soutage » des navires à l’escale. Le « précieux » document est signé le 12 juillet 2006, par M. Innocent Anaky, alors ministre des Transports, rapporte les deux enquêteurs. Mieux, le commandant du port, le colonel Marcel Bombo lui adresse le 9 août 2006 un courrier pour lui demander de s’acquitter d’une redevance d’usage de 708 000 FCFA. Ce qu’il fait et obtient de facto le droit d’entrer dans le cercle très fermé des entreprises reconnues par l’autorité portuaire. Salomon prend ensuite attache avec la société Waibs, dont il connaît l’un des chefs de service David Adja. Waibs, faut-il le savoir, fait office d’agent consignataire. Sa mission est de faciliter les différentes démarches administratives liées à l’escale d’un navire et aussi d’apporter une assistance aux équipages. Ce dernier lui propose le déchargement des slops du Probo Koala le lendemain, suite à une conversation avec Paul Short, l’un des responsables de Trafigura à Londres. Salomon bondit sur le contrat, convaincu qu’il est que Tommy, l’entreprise qu’il vient de créer, peut « faire le travail ». Adja conseille à Salomon de contacter un certain N’Zi Kablan, responsable de Puma Energy, filiale ivoirienne de Trafigura. Quelques minutes plus tard, le voilà dans le bureau de M. N’Zi Kablan, qui l’accueille et lui tend un document. Il s’agit, précisent Bernard Dussol et Charlotte Nithart dans leur récit, d’un mail reçu la veille le 17 août 2006, émanant de Jorge Luis Marrero, responsable de l’activité essence du groupe Trafigura. De son bureau de Londres, rapportent-ils, Marrero a rédigé ainsi son message : « Capt. Kablan, suite à notre conversation téléphonique, veuillez noter que nous aimerions décharger environ 528m3 de résidus du Probo Koala, heure d’arrivée estimée à Abidjan, le 19 août tôt le matin. (…) Les résidus à bord sont un mélange d’essence et de soude caustique avec une forte concentration de mercaptan. En raison de la forte concentration de mercaptan, le mélange a une forte odeur et doit être retiré du navire et éliminé convenablement pour éviter tout souci environnemental ou des problèmes avec les autorités. (…) Les résidus ne doivent pas être considérés comme ‘’résidus’’ mais comme ‘’résidus chimiques’’ ». Il est aussi question dans ce message de la présence de déchets de blanchiment de la pâte à papier. Les deux hommes sont dans l’incapacité de décrypter convenablement cette fiche technique rédigée en anglais. Mais, Kablan demande à Salomon de se charger du travail d’évacuation des déchets. L’affaire est vite conclue : le patron de Tommy s’engage à fournir dans la journée un devis à son interlocuteur. Mais auparavant, il doit encore régler deux ou trois détails. Il se rend à la décharge d’Akouédo où il rencontre au poste de garde, une vieille connaissance, Jean-Paul Agbelessi. C’est l’homme dont il a besoin : l’agent chargé de mesurer sur un pont à bascule le tonnage des camions qui viennent déverser les déchets dans la décharge d’Akouédo. Les deux compères se mettent d’accord sur l’endroit où le contenu des cuves du Probo Koala sera déversé, une parcelle privée où toutes les catégories de déchets sont acceptés. Agbelessi rassure Salomon : une équipe spéciale restera sur place pour accueillir les derniers camions-citernes, au cas où la décharge devrait fermer avant la fin des opérations. « De quel produit s’agit-il ? », demande innocemment Agblelessi. « Juste les eaux sales d’un navire, répond Salomon, rien de méchant »…

Des autorités portuaires savaient que ces déchets étaient dangereux
Après le lieu de déversement, un autre souci demeure : trouver les véhicules nécessaires pour le transport des déchets du Probo Koala. Mais Salomon a une petite idée sur la question. L’un de ses voisins a travaillé pour une entreprise, Les Camionneurs, spécialisée dans la vidange et le transport de produits liquides avec des camions-citernes. Il l’appelle et les deux « amis » se retrouvent dans un restaurant. Là, l’homme rassure Salomon qu’il peut trouver les douze camions citernes dont il a besoin. Et ils concluent le marché. Ça sera 125 000 FCFA par voyage entre le bateau et la décharge. Une précision de taille : les chauffeurs devront emprunter les camions sans prévenir leur entreprise. Le temps presse.
Salomon rejoint, après un détour dans ses bureaux à Vridi, N’Zi Kablan, qui l’attend dans les locaux de Puma Energy. Celui-ci lui demande le devis, que Salomon fait aussitôt sans mesurer pleinement la responsabilité de ses écrits. Il s’engage en effet « à déverser les slops à Akouédo », mais surtout à assumer, à travers Tommy, « toutes ses responsabilités ». Et demande 30 dollars US (environ 15 000 FCFA) par m3 de slops Marchol et 35 dollars Us( à peu près 17500 FCFA) par m3 de slops chimiques.
Entre-temps, le Probo Koala se dirige tranquillement vers le Port d’Abidjan. A Londres, Paul Short redoute les dégâts collatéraux si le déversement des slops devait se faire sans traitement approprié. Par courrier, il demande à l’agence Waibs d’obtenir « une documentation adéquate de la part de la société d’enlèvement, concernant la conformité avec les règlements locaux de l’administration environnementale et des douanes sur l’élimination de ces eaux sales. »
Mais, à aucun moment Waibs Shipping ou Puma Energy, destinataires de l’ensemble des courriers de Trafigura, ne demanderont à Salomon la moindre garantie concernant le cycle de traitement des déchets chimiques détenus par le Probo Koala…
Samedi 19 août 2006. Il est dix heures, le Probo Koala accoste enfin au quai Petroci. Il faut s’assurer que le navire est en conformité avec les règlements de l’OMI (Organisation Maritime Internationale qui édicte les règles propres à l’activité du transport maritime). La série de contrôles qui prend plusieurs minutes. Chertov reçoit d’abord deux policiers en présence du chef mécanicien chargé de coordonner le déchargement des déchets. Il leur montre un document qui mentionne uniquement la vidange de l’eau de rinçage des cuves du Probo Koala. Ensuite, des policiers de la DST (Direction de la surveillance du territoire) montent à bord pour vérifier le livre de bord et le rôle de l’équipage. Pendant ce temps, le second de Chertov accompagne plusieurs agents de la Navigation et de la Garde côtière chargés de déceler les défectuosités du navire. Extincteurs, fusées de détresse, bouées, canots de sauvetage et postes d’incendie sont examinés sommairement, puis la petite équipe d’inspection repart sans observation particulière. C’est autour des douaniers de pointer le bout du nez, mais ils restent sur le quai. Une note du DG des douanes, antérieure à l’arrivée du Probo Koala, interdit aux agents de monter à bord des pétroliers et des autres navires qui ne déchargent pas de marchandises. Ils se contentent donc de vérifier si le volume débarqué à terre correspond au chiffre annoncé de 528m…
En début d’après-midi, Salomon donne l’ordre de commencer les opérations de pompage. Les déchets quittent progressivement le navire, s’écoulent dans les tuyaux, se déversent dans le premier camion-citerne et prennent racine sur le sol ivoirien. Le produit peste et titille la curiosité du chef d’escouade des douaniers qui demande ce que c’est. Salomon le rassure que l’analyse des spécialistes montre qu’il n’y a aucun danger. Les déchets continuent de s’écouler sous l’action bruyante de la pompe du Probo Koala dont la capacité est de 250m3/heure. Pourtant, il faudra trente heures pour extraire plus de 500m3. Les flexibles et les raccordements sont en mauvais état. Des fuites souillent le quai. Il fait chaud. Les odeurs se dilatent et envahissent la zone. Plusieurs chauffeurs s’inquiètent et posent des questions à Salomon qui répond invariablement : « C’est le fond des cuves, ça va passer, ce ne sont que des eaux usées. Le pompage démarre donc en présence de l’ensemble des représentants des services de contrôle et de sécurité délégués par les autorités ivoiriennes et le Port autonome d’Abidjan.
Le premier camion-citerne quitte le quai Petroci vers dix-huit heures. Comme ses collègues, le chauffeur a reçu une feuille de route où Salomon a indiqué le nom de la personne chargée de l’accueillir à l’entrée de la décharge d’Akouédo…
A 19h06, révèlent les deux Français(Page 37), le premier camion-citerne escorté par Tommy arrive sur la décharge d’Akouédo, à douze kilomètres du port d’Abidjan. Le chauffeur est conduit vers le quai de déchargement réservé aux déchets privés. Puis, il ouvre la vanne de la citerne, les déchets coulent au sol, glissent sur les ordures et ruissellent dans la lagune interne en contrebas. Les émanations exhalent l’œuf pourri, le cadavre très gâté, le concentré d’ail et le mercaptan, la molécule pétrochimique qui odorise le gaz du commerce. L’odeur est puissante, épaisse. Le chauffeur n’en peut plus, il refuse de faire une deuxième rotation et demande à toucher son argent, avant d’aller nettoyer sa citerne. Il repart d’Akouédo à 20h 11 après avoir déversé plus de trente-six tonnes de déchets. D’autres camions vont suivre…
La nappe s’étale et atteint très vite le village d’Akouédo. A deux heures du matin, les femmes sortent dans la rue, mains et pagnes protégeant le nez et la bouche. Qu’est-ce qui peut autant empuantir, mettre ainsi le feu aux bronches et donner le mal de tête ? Les toux se répondent en écho dans le village, les interrogations se transforment en sentiments de peur et de colère. Certains saignent déjà du nez, tous ont la sensation d’étouffer, d’être pris dans une tenaille invisible. Les populations alertent la police et la gendarmerie. C’est le sauve qui peut pour les chauffeurs qui n’ont pas encore vidé leur cargaison. Des camions se dirigent vers Abobo et d’Alépé en cherchant un endroit pour déverser leur contenu. Les derniers camions à quitter le port se dirigent vers le sud notamment Vridi, pour se débarrasser de ces produist encombrants. Du nord au sud et d’est en ouest, Abidjan et ses cinq millions d’habitants sont cernés par une dizaine de dépôts de déchets chimiques en provenance des cuves du Probo Koala. Mais des citernes pleines de déchets toxiques sont encore en circulation.
Dimanche 20 août, au tour de minuit, le Probo Koala largue ses amarres en pleine mer et bye bye la Côte d’Ivoire. Laissant une ville sous le choc et un pays en émoi…
L’ouvrage de Bernard Dussol et de Charlotte Nithart est une enquête très fouillée, minutieuse et extrêmement informée sur ce scandale écologique. On y apprend, c’est une effroyable vérité, que les autorités portuaires savaient pertinemment que ces produits étaient bel et bien dangereux. Comme en témoigne l’interview exclusive de Salomon dans les geôles de la Maca, dans les dernières pages du livre. Plus qu’un devoir de vérité, cette oeuvre montre implicitement comment la cupidité de certaines personnes a poussé une dizaine de leurs semblables à la mort. Vraiment triste !
YS
Source : « Le Cargo de la honte, l’effroyable odyssée du Probo Koala », éditions Stock2010, 266 pages.

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