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Politique Publié le mercredi 1 septembre 2010 | L’Inter

Reportage / Après leur réinsertion - Dans l’univers des ex-combattants mutilés de guerre - Les blessures psychologiques qu’ils traînent encore

© L’Inter Par Fatai photorush
Cinquantenaire de la Côte d`Ivoire: le préfet Konin Aka préside le défilé militaire à Bouaké
Samedi 7 août 2010. Bouaké. Soldats des Forces nouvelles, de l`ONUCI, du Centre de commandement intégré (CCI) et forces vives défilent en présence des autorités administratives, politiques et militaires, à la faveur du 50è anniversaire de l`indépendance de la Côte d`Ivoire
Dans les rues de Bouaké, des ex-combattants de la rébellion, aujourd’hui retournés à la vie civile, essaient tant bien que mal de donner un nouveau souffle à leur existence. A la faveur de la cérémonie d’encasernement des ex-combattants des Forces nouvelles, qui s’est tenue dans cette cité vendredi 27 août dernier, nous en avons débusqué en plein exercice de leur nouvel emploi. Nous avons ainsi pu toucher du doigt ce qui attend les milliers d’autres ex-combattants que l’on reversait à la vie civile ce vendredi-là.

Eric Kouakou, 27 ans, ex-combattant de la rébellion, est sorti mutilé de la guerre. Aujourd’hui, il ne tient debout que grâce à une prothèse qu’il porte désormais en remplacement de son pied gauche, resté dans les affrontements au plus fort de la crise. Il fait partie des groupes spéciaux que le Programme national de réinsertion et de réhabilitation communautaire (Pnrrc) et l’Ong Espoir Vie ont aidé à exercer une activité génératrice de revenu. Pour relancer sa vie, Eric a choisi de faire la calligraphie. Dans son modeste atelier, situé au quartier commerce, il peint, dessine sur des T-shirt, confectionne des banderoles et cela, depuis deux à trois ans. Eric dit avoir reçu, avant de s’installer, du matériel et un encadrement, qui lui permettent de renouer avec ce métier qu’il exerçait avant d’avoir rejoint la rébellion. Il emploie trois personnes dans son « entreprise ». « Aujourd’hui, je gagne bien ma vie », lâche-t-il à notre passage le jeudi 26 août, après la cérémonie de remise du drapeau national au chef de guerre Chérif Ousmane, qui voit ainsi son règne s’étendre à la zone précédemment confiée à son ami Touré Hervé dit Vetcho.

LEUR NOUVELLE VIE

En bordure de la route mitoyenne au marché, se trouve la boutique d’un autre ex-combattant, Karim Coulibaly. Ce mutilé de guerre d’une trentaine d’années, vend du riz, du haricot, des bouteilles d’huile…, en compagnie d’un parent à qui il a pratiquement cédé la gestion de cette boutique pour se consacrer à la cordonnerie. Il portait d’ailleurs son matériel de cordonnier ambulant à notre passage à sa boutique. Comme lui, Dagnogo Tchorna s’est reconverti au commerce. Depuis six mois, il est installé, grâce au soutien du Pnrrc, au marché de Dar Es Salam où il tient boutique lui aussi. Quand nous arrivons chez lui, il est en plein exercice de son métier. Sa modeste boutique est assez achalandée. Ce mutilé de guerre de 39 ans à la main gauche amputée, dit avoir retrouvé la joie de vivre avec sa nouvelle activité. « Ces blessés et mutilés de guerre font partie des groupes dits spéciaux que nous avons aidé à retourner à la vie civile grâce à l’appui du Pnud (Programme des Nations Unies pour le développement). Il y a une trentaine d’autres qui vont bénéficier d’un projet de réinsertion », a soutenu le coordonnateur du Pnrrc, M. Daniel Ouattara. C’est cette structure, créée au lendemain de la guerre, qui s’occupe de la réinsertion des ex-combattants qui ont opté pour la vie civile. Avant d’aider à son installation dans le secteur d’activité qu’il a choisi, le Pnrrc prend en charge le soldat démobilisé à l’issue d’un processus, dont nous avons suivi les étapes lors de la cérémonie d’encasernement qui s’est déroulée à Bouaké le vendredi 27 août dernier, dans l’enceinte du 3e Bataillon, appelé nouveau camp. Nous avons ainsi compris d’où partent les Eric Kouakou, Karim Coulibaly et Dagnogo Tchorna pour se retrouver dans la nouvelle activité qu’ils exercent. Tout part de l’atelier « Accueil et orientation » où des éléments du Cci (Centre de commandement intégré, unité mixte composée des deux forces ex-belligérantes) reçoivent les ex-combattants.

52 KALACH DEPOSEES !

Ce vendredi-là, ils sont plusieurs centaines à défiler devant la table où sont vérifiés leurs filiations, âges, numéros d’identification etc. En tenues militaires de plusieurs couleurs avec autant de couleurs de bérets, les éléments pour l’armée nouvelle (Ean, des volontaires ayant satisfait aux critères pour intégrer l’armée) côtoient les ex-combattants en civil, ayant choisi de retourner à la vie civile. Ça se bouscule, on fait et défait les rangs sous la vigilance des officiers du Cci, dont le colonel Attoungbré Joseph. Les vérifications faites, les soldats se dirigent vers l’atelier « Désarmement et déséquipement » où ils déposent armes et effets militaires. A l’intérieur d’une grande salle, assis derrière une table, deux officiers vérifient l’identité du soldat qui décide de rendre son arme. A notre passage aux environs de 12h 20, seules 52 kalachnikov ont été collectées. Selon le sergent-chef Koné,sont invités à venir rendre leurs armes, les ‘ex-combattants qui en détiennent encore après un premier regroupement qui avait déjà eu lieu par le passé. « A partir de maintenant, toute personne qui détiendra des armes est en situation irrégulière. Jusque-là, on pouvait leur accorder des circonstances atténuantes. », commente-t-il. La moisson, en termes d’armes collectées, paraît bien maigre. Où sont passées toutes ces armes lourdes brandies ces dernières années dans les rues de Bouaké à la moindre altercation entre éléments des Forces nouvelles ? Un dossier de presse relatif au Ddr (Désarmement, démobilisation, réinsertion), apporte un début de réponse : « L’opération de désarmement en Côte d’Ivoire consiste à un retour en caserne des troupes et un rangement des armes en râtelier. Seules les armes défectueuses sont remises aux Forces impartiales pour être détruites. C’est d’ailleurs ce qui justifie l’absence dans l’atelier « désarmement » de l’armement lourd ». Désarmé et démobilisé, l’ex-combattant qui n’a pas opté pour une carrière militaire est vêtu d’un T-shirt symbolisant son retour à la vie civile, puis il va se faire établir une carte de démobilisé sur présentation du certificat de démobilisé, qui lui est délivré. Cette carte, qualifiée de « passeport de la réinsertion » par Dr Klo Fagama, responsable de la cellule Planification au Pnrrc, lui donne droit à beaucoup d’avantages dont le premier est la prise en charge psycho-médicale. Etape suivante par laquelle passe le démobilisé. Là, il se présente devant des médecins et un psychologue. « A ce niveau, les médecins procèdent à un diagnostic des traumatismes physiques liés à la guerre et à un diagnostic des pathologies cliniques. Il s’agit de mettre l’état de santé psycho-médicale de l’ex-combattant en adéquation avec le métier qu’il a choisi. A l’issue de la consultation, le Pnrrc apporte un appui pour leur prise en charge médicale », explique Dr Youssouf Soumahoro, responsable des groupes spéciaux au Pnrrc. Plusieurs ex-combattants étant parvenus à cette étape se tiennent en rangs devant chaque médecin.

ENCORE DES SEQUELLES PSYCHOLOGIQUES

Parmi eux, des hommes et des femmes d’un âge avancé, parfois aux cheveux blanchis. Koma Mohamed, lui, est bien plus jeune. Il a perdu un pied dans la guerre. C’est donc au moyen de ses béquilles qu’il se tient debout en attendant son tour. « C’est à la deuxième attaque de Tiebissou en fin 2002 que j’ai eu ça. Après ma sortie de l’hôpital, j’ai été gagné par le désespoir, parce que je me sentais abandonné par les miens. Donc je suis allé au Mali, d’où je suis revenu récemment sous les conseils d’amis qui m’ont dit de ne pas rater cette occasion. Avant la guerre, je vendais des pièces détachées. Mais aujourd’hui, à cause de mon état, je ne peux plus rien faire ; je suis délaissé, même dans ma famille. Au niveau de l’état-major des Forces nouvelles, on n’a rien fait pour moi. Seul le ministre Dosso Moussa m’a permis d’avoir une prothèse. C’est pourquoi je fonde beaucoup d’espoir en ce projet », nous raconte-t-il. Fofana Moustapha, est lui aussi ex-combattant. Il a choisi de reprendre le commerce qu’il faisait avant la guerre. L’armée, il ne veut plus en entendre parler. « Je regrette d’avoir pris les armes contre mon prochain, ce n’est pas bon, soutient-il. Et puis, je ne veux plus revivre les souffrances que j’ai vécues pendant la guerre. C’est pourquoi j’ai choisi de retourner à la vie civile ». Fofana dit n’avoir rien reçu malgré toutes les promesses qui leur ont été faites jusque-là. Aussi attend-il avec scepticisme sa réinsertion sociale. A l’image de Coulibaly Fatoumata, une ex-combattante trentenaire, qui entend faire le commerce. « On a vécu des moments difficiles pendant la guerre, mais jusque-là, on n’a rien gagné. J’espère qu’ils feront ce qu’ils nous ont promis », dit-elle. Tous ces ex-combattants démobilisés passent entre les mains du psychologue avant d’aller confirmer, dans l’ultime atelier, le projet choisi en vue de leur réinsertion. Le psychologue Diarra Lamine a pour mission de jauger l’état psychologique de l’ex-combattant que l’on s’apprête à reverser à la vie civile. Plus de huit ans après l’éclatement de la guerre, le diagnostic du spécialiste est plutôt alarmant : « Près de 10 ans après, on constate qu’il y a encore des séquelles. On note que les névroses de guerre subsistent. Des ex-combattants ne supportent pas les foules, tressaillent à la vue du treillis ou au moindre bruit strident. Tout cela leur rappelle des scènes de guerre. Certains sont nerveux, ils ne supportent pas qu’on les contrarie. A côté de ces cas, il y en a qui présentent des névroses d’angoisse. Ils sont dans une situation d’inquiétude par rapport au présent et au futur. En même temps qu’ils perdent l’identité (statut de combattant, ndlr), ils perdent les avantages qui vont avec. D’où l’angoisse. ». Et le technicien d’ajouter que ces ex-combattants ruminent encore des sentiments de culpabilité et de frustration : « Ils se demandent pourquoi ils ont posé certains actes, pourquoi ils ont tué leurs semblables. D’autres se sentent frustrés de n’avoir rien gagné en comparaison à certains qui ont tout eu. D’autres encore sont frustrés de ne pas percevoir les 500 000 Fcfa promis pour solde de tout compte. Il faut les rassurer. Mais si on n’y prend garde, certaines séquelles peuvent impacter sur leur réinsertion. ».

Assane NIADA
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