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Politique Publié le mardi 14 décembre 2010 | Le Temps

Crise ivoirienne/S.E.M. Gnamien Yao, ambassadeur : «Laissez la diplomatie jouer son rôle»

Samedi dernier, 11 décembre 2010, le ministre Gnamien Yao était l’invité de l’émission «La Tribune du Citoyen» de Radio Côte d’Ivoire. Il s’est prononcé sur l’actualité sociopolitique du pays. Pour lui, il faut laisser la place à la diplomatie dénouer les différends qui opposent les fils de ce pays.
Vous êtes un intellectuel, vous êtes un homme politique, vous êtes invité pour nous faire comprendre le comportement du citoyen en cette période post-électorale. C’est vrai, beaucoup de choses se disent, beaucoup de choses se racontent, beaucoup de choses aussi sont vues…

Quel devrait être le comportement du citoyen, aujourd’hui ?
Je voudrais dire à nos compatriotes que dans l’organisation de la société, il y a trois grandes sphères. Il y a la sphère politique qui appartient aux hommes politiques, il y a la sphère civile dans laquelle, nous tous, nous sommes. Et puis, il y a la société économique. Vous voyez donc que c’est une table à trois pieds. Pour le moment, il y a un pied qui est un peu coincé, c’est-à-dire, le pied politique. Mais cela n’empêche pas que la société économique vaque à ses occupations, parce que, comme on le dit, après la pluie, c’est le beau temps. Et donc, la Côte d’Ivoire ne doit pas s’arrêter à des controverses, ni à l’issue d’une élection présidentielle.

Vous êtes en train de nous dire que le citoyen ne doit pas se faire peur ?
Non ! Pas du tout. On ne doit pas se faire peur, parce que ce n’est pas la première fois qu’il y a une crise politique dans ce pays et dans le monde. Si vous prenez un Etat comme Israël, le Liban, quelquefois il y a des crises qui durent 6 mois, qui durent 1 an au niveau du sommet de l’Etat. Mais cela n’empêche pas que l’activité économique suive son cours, que les acteurs de la société civile jouent leur rôle et que chacun vaque à ses occupations, parce que ce qui compte, c’est l’avenir du pays.

Ce qui alimente les débats régulièrement dans les maquis ou dans les bars et même dans les journaux, c’est la question des salaires. Quelle assurance ?
Il n’y a même pas de lien entre la question de salaire et la question de Président de la République de Côte d’Ivoire. Le problème est résolu. Le Président, c’est le Président Laurent Gbagbo. Souvenez-vous, en décembre 1993 à la mort du Président Félix Houphouët- Boigny, le Premier ministre d’lors avait prédit qu’il n’y aurait pas de salaire. Enfin, nous avions été payés depuis cette période jusqu’aujourd’hui. Cela n’a donc rien à voir. Une crise politique ne veut pas dire que le pays s’est arrêté. Aujourd’hui (ndlr : samedi 11/12/2010), en venant de chez moi, j’ai refusé de conduire, j’ai emprunté un taxi, et j’ai dû payer ma course. Cela veut dire que l’activité économique continue. Et quand vous allez au port, les gens payent leurs impôts, ils payent leurs taxes. Quand vous allez à l’aéroport, les gens voyagent. Tous ces mouvements de personnes, tous ces mouvements d’opérateurs, constituent ce qu’on appelle "la création de la richesse". Quand on crée la richesse, l’Etat a sa part. C’est-à-dire les impôts sont payés. Et c’est la somme des impôts qui constitue, en partie, la masse salariale qu’on nous verse. Alors, tant que l’Etat est debout, on percevra nos salaires.

Vous voulez dire que la tension au sommet de l’Etat n’influence en rien l’activité générale ?
Pas du tout. Il s’agit d’une crise au sein d’un secteur de la vie sociopolitique nationale…

Il est principal, ce secteur-là…
Oui, mais pas aussi déterminant. Le politique, il est là pour gérer notre richesse. Oui, le politique gère la richesse et veille à ce que la richesse soit répartie équitablement. Ce n’est donc pas parce que les politiques ne s’entendent pas que la machine à créer la richesse s’arrête. Quand vous allez, par exemple, à Soubré, les paysans continuent d’aller au champ, donc, ils contribuent à créer la richesse. Quand vous regardez nos routes, les transporteurs transportent les marchandises, sinon il y aurait pénurie. Aujourd’hui, quand je venais, j’ai vu un camion de livraison de bouteilles d’eau minérale… cela veut dire que la vie économique a repris. Et dès lors qu’il y a mouvement de personnes, mouvement de biens, mouvement de services… cela veut dire qu’on est en train de créer la richesse. Et une partie de cette richesse va être prélevée pour être reversée à chacun de nous au prorata de sa contribution à l’Etat de Côte d’Ivoire par son travail. N’empêche qu’en tant que citoyen, on est obligé de s’intéresser à cette situation sociopolitique, parce qu’elle rythme nos activités…
Ce que je demande, c’est qu’on ne dramatise pas. Il faut éviter de dramatiser, parce que ce n’est pas une première dans le monde, ce n’est pas une première dans la vie de la Côte d’Ivoire. Regardez, quand le Président Félix Houphouët-Boigny est parti (paix à son âme), entre le 7 et le 9 décembre 1993, toute la Côte d’Ivoire a retenu son souffle, parce qu’il y avait une crise à ce niveau-là. Il y avait les partisans de la Constitution qui voulaient que Henri Konan Bédié devienne Président de la République, il y avait des opposants dont le Premier ministre Alassane Dramane Ouattara, qui estimaient qu’il fallait mettre en place un Conseil d’Etat… On a vécu tout cela.

On a vacillé un peu…
Oui. Et on n’en est pas mort. Même aux Etats-Unis, lorsqu’il y a eu une élection controversée entre Georges W. Bush et Al Gore, les Américains ont retenu leur souffle pendant près de 2 mois jusqu’à ce que la Cour suprême des Etats-Unis tranche en faveur du Président Georges W. Bush et que le vice-président Al Gore s’incline, et que la vie politique reprenne.

Je souhaite qu’on s’accorde un peu que le débat sur la Cei est derrière nous, je veux qu’on aille de l’avant. Et comme on doit s’occuper des choses qui se passent au sommet de l’Etat, qu’est-ce qu’il y a lieu de faire maintenant en cette période tout aussi délicate ?
Permettez-moi de citer le Président Obama qui s’adressait pour la première fois aux Nations unies et, grâce à vos prières et vos bénédictions, j’étais juste en face de lui. Je l’ai écouté et le Président Obama disait que "la démocratie ne saurait s’imposer de l’extérieur à un pays quelconque. Et que chaque pays doit chercher sa voie, et aucune voie n’est parfaite". Et le Président Obama de terminer en disant "chaque pays doit s’engager dans une direction qui est ancréée dans la culture de sa population et dans ses traditions". Notre culture et nos traditions sont faites de paix par le dialogue. C’est cette philosophie-là qui est la trame de la politique nationale et internationale de la Côte d’Ivoire : privilégier le dialogue en tout lieu et en toute circonstance. Privilégier le dialogue. Souvenez-vous lorsque l’apartheid régnait en Afrique du Sud, il y a beaucoup de chefs d’Etat qui se moquaient du Président Félix Houphouët-Boigny, et qui ont même proposé que chaque Africain envoie une kalachnikov pour chaque citoyen sud-africain pour mettre un terme à l’apartheid. Mais, ce sont les Sud-Africains eux-mêmes qui ont puisé dans leur culture et leurs traditions, c’est-à-dire Frédéric Déclerk, Nelson Mandela… qui ont accepté de s’asseoir, qui ont accepté de se parler, et qui ont accepté de jeter les bases de ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui, la Nation arc-en-ciel.

C’est un repère qui fait école, aujourd’hui…
Bien entendu ! Puisqu’on parle de «Commission Vérité et Réconciliation»… Moi, je pense qu’il appartient à chaque peuple comme le Président Obama l’a dit et je le cite «aucun pays ne
En tant que citoyen, on est obligé de s’intéresser à cette situation sociopolitique, parce qu’elle rythme nos activités…
Souvenez-vous lorsque l’apartheid régnait en Afrique du Sud, il y a beaucoup de chefs d’Etat qui se moquaient du Président Félix Houphouët-Boigny...peut, ni ne doit tenter de dominer un autre. Et que aucun ordre mondial qui place un pays ou un groupe de pays au-dessus d’une Nation ne réussira.»

Parlons justement de démocratie. Dans le quotidien progouvernemental Frat/Mat, vous avez fait une contribution aujourd’hui (ndlr 11/12/2010). Vous titrez «la mobilisation autour de la Constitution». Que dites-vous exactement ?
Je dis tout simplement que la situation qui prévaut en Côte d’Ivoire aujourd’hui, est celle qui a prévalu en France en juin 1940. En juin 1940, le France était occupée, on a même pensé que la France allait disparaître de la carte du monde. Mais, il s’est trouvé un fils qui s’appelle Charles de Gaulle qui a appelé à la résistance. Et donc, en Côte d’Ivoire, face à la situation qui prévaut, nous ne devons pas résister par les armes ou par les machettes. Mais nous devons résister par le génie de notre peuple. Parce que, ce qui fait la grandeur d’un peuple, c’est le génie de ses dirigeants. Ce n’est pas le Pib, ce n’est pas l’étendue du territoire, non plus, sinon Israël ne serait pas une puissance. Quand vous voyez sa superficie et que vous le rapportez à la superficie de la Chine, vous vous étonnez que Israël soit une puissance.

J’ai fait un peu la campagne du deuxième tour de la présidentielle, et j’ai vu des choses qui m’ont fortifié dans l’amour que les Ivoiriens avaient entre eux. Dans un même maquis, des militants du Rhdp et ceux de Lmp se côtoyaient, s’embrassaient pour finalement arriver à ce qu’on a vu après les élections, c’est vraiment dommage.
Sem Gnamien Yao : On peut même aller au-delà des maquis. C’est vrai que le "moi" est haïssable, mais puisqu’on est à la tribune de citoyen, je peux en parler. Ma tante s’appelle Bobi Emilienne, elle est député de Dimbokro commune, elle est Rhdp, moi, j’ai choisi d’être Lmp, mais le ciel ne nous est pas tombé dessus.

Vous vous parlez ?
Nous nous parlons et n’allez pas dire à ma tante de venir me frapper, moi, vice versa. Voilà. C’est la raison pour laquelle je rejette catégoriquement l’idée selon laquelle il peut avoir la guerre en Côte d’Ivoire au motif qu’on n’arrive pas à s’entendre sur le plan politique. Quand vous allez dans toutes les familles de Côte d’Ivoire, ce n’est plus un combat Nord-Sud, ce n’est plus un combat Est-Ouest au sein des communautés. Si vous prenez la communauté Gouro d’Abidjan, celle-ci a son Rhdp et son Lmp. Comment allez-vous donc opposer cette communauté ? Les Bété d’Issia, par exemple, ont leur Lmp et leur Rhdp. A Sinfra, c’est la même chose, de même à Dimbokro d’où je suis originaire.
Je plaide pour que les Ivoiriens comprennent que tous ceux qui nous incitent à la violence ne nous aiment pas du tout. Imaginez que le Président Laurent Gbagbo, à partir d’ici, dise aux Togolais, parce qu’ils ont des élections controversées, je vous envoie des machettes, découpez-vous ! Cela n’a pas de sens. A l’échelle internationale, chaque pays doit être un vecteur de paix. C’est-à-dire, que s’il y a un problème dans un pays voisin, tout ce que vous pouvez faire, c’est d’appeler les uns et les autres au règlement pacifique des différends qui les ont opposés. Nous avons été nourris à la sève de cette politique-là avec feu le Président Félix Houphouët-Boigny. Combien de contradictions n’ont pas été réconciliées sur les bords de la lagune Ebrié et à Yamoussoukro ? On était jeune, on voyait les opposants, on voyait les tenants du pouvoir venir à l’Hôtel Président, réunis autour du Président Félix Houphouët-Boigny, même en sa résidence, quelquefois à des heures tardives. Donc, le plaidoyer que je fais ici à cette tribune de Radio Côte d’Ivoire qui est une radio de paix, qui est une radio au service du renforcement de la cohésion nationale, c’est que, rien ne doit justifier qu’on prenne une machette ou un gourdin pour attaquer son voisin au motif qu’il y a une crise politique en Côte d’Ivoire. Cela n’a pas de sens. Et très souvent, quand les uns et les autres, à l’issue de cette bataille se blessent, on ne voit aucun leader de parti aller faire face à leurs ordonnances. En démocratie, il y a plusieurs manières de dire non. Il y a des marches, il y a des contributions dans les journaux. Vraiment, ce sont des débats d’idées. Donc, les machettes doivent servir à accroître la production cacaoyère ou caféière en Côte d’Ivoire ou pour qu’on atteigne l’autosuffisance en riz…

Monsieur le ministre, les Ivoiriens sont pressés, alors qu’on le sait, ce genre de chose-là prend du temps. Ils souhaitent voir rapidement Gbagbo-Ouattara ensemble se parler et dénouer rapidement le conflit. Est-ce que c’est possible ?
Qu’est ce que vous en savez ! La Côte d’Ivoire, c’est une terre du dialogue. Et moi qui vous parle, grâce à vos prières et vos bénédictions, j’ai la qualité d’Ambassadeur. Laissez la diplomatie jouer son rôle, les électeurs ont déjà joué leur rôle d’arbitre en allant dire qui est Président de la République de la Côte d’Ivoire. Maintenant, ce qui suit, appartient au monde de la diplomatie. Et donc, je suis convaincu qu’au nom de ce que nous appartenons tous à un pays qui a fait du dialogue, un élément structurant de sa politique nationale et internationale, il n’y a pas de raison à ce que tout le monde puisse s’entendre sur l’essentiel. L’essentiel, c’est la Côte d’Ivoire. La Côte d’Ivoire doit survivre à l’élection présidentielle de 2010 comme la Côte d’Ivoire a survécu à la mort du Président Félix Houphouët-Boigny (paix à son âme), comme la Côte d’Ivoire a survécu à l’élection de 1995 avec le boycott actif, comme la Côte d’Ivoire a survécu au coup d’Etat militaire du Général Robert Guéi, comme la Côte d’Ivoire a survécu à l’élection de 2000 au moment où on a rejeté la candidature du Président Bédié, la candidature de Monsieur Ouattara, comme la Côte d’Ivoire a survécu quand après le premier tour, le Président Henri Konan Bédié a été débouté par le Conseil constitutionnel. Le Président Bédié s’est incliné devant la décision du Conseil constitutionnel, et pourtant…

Dieu seul sait qu’il avait des militants…
Des militants prêts à descendre dans la rue pour tout casser.

Ce n’était pas la solution ?
Non. Nous devons être reconnaissants au Président Henri Konan Bédié qui a su s’incliner devant la décision du Conseil constitutionnel.

Ça, c’est aussi un comportement démocratique !
Non seulement un comportement démocratique, mais un comportement de vrai patriote, un comportement de quelqu’un qui sait ce qui est important, c’est la Nation. Un comportement de quelqu’un qui sait mettre au-dessus de son intérêt, l’intérêt de la collectivité. Cela devrait pouvoir faire école. Nul n’est au-dessus de la loi.

Vous avez été invité à La Tribune du citoyen par votre expérience, par votre qualité d’intellectuel, aussi par votre qualité d’homme politique et par votre qualité de diplomate. Je voudrais vous permettre de conclure cet entretien, parce que de nombreux Ivoiriens vous écoutent.
Ce que je voudrais dire, c’est que nous sommes des enfants de l’indépendance, je le dis chaque fois, nous sommes nés dans les années 1960. Et ceux qui dirigent aujourd’hui, les pays qu’on appelle grandes puissances ont le même âge que nous. Et la chance que nous avons eu, c’est d’avoir eu à la tête de ce pays le premier Président qui s’appelle Félix Houphouët-Boigny qui a cru que les seuls outils pour que nous puissions discuter d’égal à égal avec le monde, c’est la formation. Et cela a commencé avec l’aventure 1946, et, nous autres, avec les grandes écoles qui ont été créées en Côte d’Ivoire ici. Donc, nous avons les outils dits intellectuels pour pouvoir discuter d’égal à égal avec le monde. Donc, ce n’est pas la peine d’apprendre à se faire peur. Aucune mesure coercitive ne peut être prise contre la Côte d’Ivoire sans un débat préalable. Et puis, vous avez suivi l’élection présidentielle au Gabon, l’élection au Togo… c’étaient des élections controversées aussi. La Côte d’Ivoire n’est jamais allée féliciter quelqu’un tant que la crise ne s’était pas résorbée par les Gabonais, par les Togolais. Tout récemment au Burkina Faso, il y a eu des élections. C’est le Conseil constitutionnel qui a tranché conformément aux lois burkinabè. Je demande donc à la Côte d’Ivoire et aux Ivoiriens de croire en leur génie, de savoir qu’ils peuvent être les échos des autres peuples dits évolués de la terre, et que le moment venu, ils ont les hommes nécessaires pour discuter d’égal à égal avec tous ceux que nous appelons les grands de ce monde.

Source Radio-Côte d’Ivoire
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