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Politique Publié le mercredi 26 janvier 2011 | Le Patriote

Reportage / Affrontements interethniques à Lakota - Ce qui s’est réellement passé

Le voyageur qui arrive pour la première fois au carrefour Lakota ces derniers temps, sait qu’il s’est passé quelque chose-là. Ce célèbre endroit, grand carrefour d’échanges qui grouillait de monde et qui a donné à la ville ses lettres de noblesse et sa renommée, ressemblait, à notre passage dimanche dernier, à un rai cimetière. Ici, seule une poignée de femmes, encore courageuses, ont été aperçues vendant quelques régimes de bananes plantains. Là, des marchandises recouvertes de grands sachets noirs poussiéreux, attendent d’hypothétiques propriétaires. Plus loin, des éléments des Forces de défense et de sécurité (FDS), comme à leur habitude, procèdent au contrôle de routine des rares véhicules qui s’aventurent encore dans les parages. Il s’agit de quelques cars et des mini cars en partance pour Gagnoa ou Soubré. Pour le reste, tout est parti en fumée. Magasins, kiosques, étalages, boutiques qui y avaient été construits soit en bois, soit en tôle, ont été consumés. La désolation grandit au fur et à mesure que le voyageur se dirige vers la ville. Les garages qui jonchent la voie depuis le carrefour ou le corridor jusqu’a ‘à la ville ont été incendiée. Les véhicules calcinés. Pire, la mosquée où les mécaniciens et autres travailleurs du secteur musulmans se rendaient pour implorer la miséricorde et la clémence d’Allah a été pillée. Une fois dans la ville, la désolation et l’amertume atteignent leur summum. Avec des quartiers entiers pillés et détruits. Les traces des pneus incendiés sont encore visibles sur l’asphalte.
Tout est parti du mercredi 12 janvier dernier. Une banale affaire de gestion du ‘’carrefour Lakota’’ justement a tourné à des affrontements interethniques. Les attaques ont tourné au drame et finit dans le sang. Le bilan, tel que communiqué par le préfet de la ville, Joseph Kpan Droh est lourd. Huit morts du côté de la communauté malinké et trois du côté dida. Soit au bas mot, onze morts. Deux personnes portées disparues jusqu’à aujourd’hui et de nombreux blessés. Parmi les victimes se trouve, tenez-vous bien, un bébé de deux jours. Sa mère, une burkinabé a été surprise par le feu lors des affrontements qui ont opposé les deux communautés. Elle s’est enfuie oubliant, dans la précipitation de prendre avec elle son bébé qui venait de voir le jour l’avant-veille. Le bout de chou a été brûlé.
En plus des dégâts matériels et des pertes en vies humaines, l’on dénombre aussi beaucoup de blessés. Dont les plus nombreux se trouvent dans le camp de la communauté malinké. Pendant que les blessés de la communauté Dida ont été transférés à Gagnoa et bénéficient de soins intenses dans une clinique dont nous taisons volontairement le nom, les blessés de la communauté malinké sont soignés chez eux, à la maison, de façon traditionnelle.

De nombreux blessés

Si ce ne sont quelques bonnes volontés qui se cotisent pour venir en aide à leurs familles. Pourtant, il y en a qui sont atteints par balles réelles tirées par des éléments de la Police présents sur les lieux le jour des affrontements. Coulibaly Zoumana, un des blessés revient de loin. Il a été atteint de 7 balles. 5 à la poitrine et 2 dans la tête. C’est, il faut le dire, un miraculé. Ces balles ont été extraites et l’infortuné jeune homme traverse une période de convalescence. Un autre blessé par balles est Fofana Ahmed. Lui, a pris 4 balles. Toutes au pied. Deux ont été extraites et il en reste encore deux autres. Quant à Fofana Alassane et Fofana Moussa, dit ‘’Tchéba’’, ils ont été blessés par machettes à la tête. Selon le porte-parole de la jeunesse malinké, Touré Djakaria, c’est cette action commune des policiers et des jeunes dida qui a entraîné leur réaction. Les quartiers ‘’Sans loi’’ et ‘’Dogohiri’’ ont été alors attaqués. «Mais contrairement à ceux qui ont pillé une de nos mosquées, nous n’avons touché à aucun édifice religieux. On n’a pas attaqué l’Eglise catholique, ni la Mairie, encore moins le siège du FPI et la résidence du DDC de Gbagbo. Pourtant tous ces symboles étaient à notre portée,» précise Touré.
Et pourtant, rien ne présageait de tels affrontements entre les communautés allogènes et leurs tuteurs, les autochtones dida. Le démon de la violence s’est invitée dans le débat à l’issue d’incompréhensions nées de la gestion de la gare routière située notamment au corridor, communément appelé ‘’Carrefour Lakota’’. Il ne s’agit nullement selon le doyen des transporteurs de Lakota, Koné Soumaila, d’un problème politique, comme veulent le faire croire certaines personnes. C’est que les jeunes du village d’Akabréboua, gros village qui en regroupe cinq et dont le chef central est Gaza Gazo, ont interdit aux transporteurs d’exercer désormais à la gare. Pour trouver un terrain d’entente, des rencontres ont eu lieu avec le préfet et même avec les villageois. Ces derniers ont demandé, aux transporteurs qui, selon eux, avaient blessés trois des leurs, de payer une amende de 60 mille F.CFA, en raison de 30 mille par blessé. Ce que les ‘’mis en cause’’ ont accepté sans condition. A cette somme s’est ajoutée une bouteille de liqueur remise à Gaza Gazo, comme l’exige la tradition. Sur ces faits, les hôtes des populations d’Akabreboua demandent à prendre congé d’eux.

L’origine du conflit

C’est alors que les villageois font savoir à la délégation des transporteurs qu’il reste encore une autre exigence à leur soumettre. Laquelle? Les villageois demandent aux transporteurs de recruter les jeunes du village pour travailler à la gare routière. En raison de deux, par village et par jour. Refus poli des transporteurs. Ceux-ci ne peuvent pas mettre leurs véhicules achetés très chers à la disposition de personnes qui n’ont aucune notion de la chose. C’est alors que Gaza Gazo, le chef du village propose en retour le recrutement de six jeunes. Dont un par village plus un qui va être son représentant à la gare. Un autre refus tout aussi poli des transporteurs. Mais qui, ne voulant pas être à la base de quoi que ce soit, proposent, par la voix de leur porte-parole, Touré Adama, en retour de travailler avec quatre jeunes du village. Une offre qui ne rencontre pas l’assentiment des populations, qui font une contre-proposition consistant à travailler quatre jours dans la semaine. Toute chose que les transporteurs ont refusée eux aussi. Et la sentence est tombée. Les villageois demandent aux transporteurs de rester à Lakota et de ne pas se rendre à la gare routière.

Après la pluie, le beau temps

Pendant ce temps, l’endroit est désormais aux mains des jeunes villageois. « On ne pouvait pas rester les bras croisés, parce que nous vivons de ça», fait savoir le doyen Koné Soumaila. C’est alors que le 12 janvier, après des semaines passées à la maison, les transporteurs décident de retourner sur les lieux. Dix jeunes allogènes se rendent donc à la gare. «A leur vue, les jeunes dida ont crié faisant savoir à leurs parents que les Dioula viennent les attaquer», nous rapporte M. Koné. Un appel qui a fait sortir de nombreux jeunes des villages, armés, dit-on, de gourdins, machettes et de fusils, qui prennent en otages les dix transporteurs. Ils s’en prennent, selon le récit du doyen Koné, à tout ce qui est et appartient aux Dioula. C’est le début des attaques. Djénéba Traoré qui revenait de Gagnoa et qui est tombée dans ‘’l’embuscade’’ est tuée. Sa main coupée. Il en est de même pour un vigile qui gardait certains magasins de la gare routière. Ce dernier du nom de Djibril est abattu. Un mécanicien Soumaila Konaté, est pourchassé et battu. Il a le crâne fracturé. La situation dégénère.
A quelques mètres de là, c’est-à-dire dans la ville de Lakota, c’est l’ébullition. Les affrontements gagnent les quartiers et se transforment en un conflit interethnique. Le bilan est déplorable. Près d’une douzaine de personnes sont mortes. Près de deux semaines après ces affrontements, la ville se réveille lentement certes, mais sûrement, de son coma. Lakota renait de ses cendres. Le marché qui a été délocalisé en plein cœur de la ville, commence à retrouver son affluence. Dans un beau désordre, dans un vacarme et un tohu bohu indescriptibles, une foule disparate y afflue chaque jour. Situé non loin de la grande mosquée, les clameurs et autres cris en provenance du marché couvrent presque les appels du muezzin aux heures de la prière. En attendant que le démon de la violence qui a endeuillé de nombreuses familles soit extirpé de cette cité jadis paisible et citée en exemple dans la cohabitation entre allogènes et autochtones, Lakota se remet de son traumatisme.
Yves-M. ABIET
Envoyé spécial à Lakota
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