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Société Publié le vendredi 4 février 2011 | Nord-Sud

Deux mois de grève sans salaire - Enseignants : les secrets d’une résistance

Dans des conditions diverses, mais pour une cause unique, les enseignants de Côte d’Ivoire réussissent depuis deux mois à paralyser l’école ivoirienne.


Ils n’ont pas changé de discours depuis deux mois. Les enseignants, on peut le dire, ont été jusque-là, les plus constants et les plus déterminés dans la fronde contre la confiscation du pouvoir par Laurent Gbagbo. Surtout ceux du secondaire public. Pour protester contre le hold-up électoral, la majorité d’entre eux n’a pas mis les pieds en classe durant toutes ces semaines. Résultat, plus de 60% des lycées et collèges restent paralysés. Même la suspension de salaires infligée à des dizaines de profs à la fin du mois de janvier n’a pas fait fléchir le mouvement. Alinga Konan Frédéric, professeur d’Arts plastiques au lycée moderne de Daoukro, fait partie des formateurs privés de salaires par le gouvernement putschiste. Malgré cette mesure qui touche une dizaine de personnes dans son établissement, celui-ci ne fonctionne pas. Le lycée moderne de Daoukro, c’est trois établissements en un avec plus de 10.000 élèves.

La solidarité comme
arme de combat

Bien que peiné par le préjudice que le boycott des cours cause à ses apprenants, le corps enseignant local à décidé de ne pas reprendre le travail. Craignant des représailles de la part des milices locales du régime Gbagbo, certains ont quitté la ville avec leurs familles. D’autres ont mis leurs proches à l’abri et sont revenus à Daoukro. Ici, la clé de l’endurance, c’est la solidarité. Au plan national, la lutte est endossée par le Syndicat des enseignants du second degré(Synesci) dont le bureau a engagé des démarches pour que tous les salaires suspendus soient rétablis. En attendant, sur place, ceux qui ont été rémunérés soutiennent matériellement leurs collègues dont la solde est retenue par Gbagbo et son groupe.
On résiste aussi parce qu’on ne veut pas accepter une injustice dont tous les Ivoiriens sont témoins, et particulièrement les enseignants de Daoukro. « Gbagbo a été proclamé vainqueur de l’élection par la cour constitutionnelle après l’annulation d’une partie des votes du pays au motif qu’il y a eu des incidents. Ce que nous avons vécu à Daoukro nous permet de déduire que l’élection s’est bien déroulée dans l’ensemble du pays et que les incidents qui se sont produits çà et là n’ont pas eu d’impact sur le résultat », explique le pédagogue. Il est encore révolté par le montage de la télévision nationale qui a présenté Henriette Lagou, membre de ‘’La majorité présidentielle’’et originaire de la même ville, avec des blessures attribuées à des partisans du camp adverse qui l’aurait empêchée de voter. « C’est trop gros. Elle n’a nullement été empêchée de voter. C’est en revenant du bureau de vote qu’elle s’est retrouvée sur le lieu d’un accrochage entre partisans des deux camps. Et elle n’a eu qu’une égratignure. Nous avons des sources à l’hôpital de Daoukro qui ont révélé que c’est à sa propre demande qu’un gros pansement lui a été placé sur la tête pour amplifier son mal et falsifier les faits. C’est injuste », fulmine-t-il. Pour lui, quel que soit son bord politique ou sa corporation, tout citoyen témoin d’une manipulation aussi flagrante ne peut qu’avoir la réaction qui est la sienne et celle de millions d’Ivoiriens.

Résister pour enseigner la vérité

Pour Gbané Tidiane, prof de lettres au lycée municipal de Port-Bouët, tous pouvaient se permettre un silence devant ce tournant de l’histoire du pays sauf les enseignants premiers repères de toute société. « Nous sommes les éducateurs du peuple. Nous avons la responsabilité morale, intellectuelle et historique de défendre la vérité quoi que cela nous coûte », soutient-il. Aussi bien pour ses collègues de Port-Bouët que pour tous ceux qui l’appellent de l’intérieur du pays, il constitue une grande source d’informations et de motivation. Littéraire averti, il a choisi, comme par prémonition, un texte sur les problèmes post-électoraux, comme première leçon de l’année dans sa classe de 2nd A : « Nous avons parcouru des exemples à travers le monde et j’ai expliqué à mes élèves qu’il serait grave qu’une jeune démocratie comme la nôtre connaisse le même sort ». Il n’a pas eu tort de s’inquiéter.
Les rares établissements secondaires publics où quelques enseignants continuent d’aller en classe se trouvent en zone gouvernementale. Dans les zones Centre, Nord et Ouest(Cno), c’est la paralysie totale. Inutile d’insister sur la facilité avec laquelle les formateurs pouvaient mener leur combat dans ces zones où ils agissent le plus librement possible. C’est pourquoi nous reviendrons dans les parties du pays où Laurent Gbagbo continue d’imposer son diktat. Même là encore, le constat n’est pas très différent.

Gagnoa, le signe de Dieu

A Gagnoa, ville de naissance de l’ex-chef de l’Etat, tous les responsables de l’école sont non seulement originaires de la région, mais aussi militants soumis du Front populaire ivoirien(Fpi). Pour ces raisons, l’exé­cution du mot d’ordre de grève a connu un début timide. Les enseignants étaient régulièrement menacés par leurs responsables. Mais aujourd’hui, tous les établissements publics du Fromager sont paralysés. Le blocage des cours à Gagnoa est principalement dû à une implosion de la section locale de la Fédération estudiantine et scolaire(Fesci). Cette crise aux relents ethniques vient du fait que le secrétaire général local par intérim est un élève originaire du Nord. Il a pour nom de famille Diarra. Il était l’adjoint au 1er secrétaire, Dosso, lui aussi originaire du Nord. Lorsque la crise post-électorale a éclaté, le 3e secrétaire général adjoint du nom de Kpatchi et visiblement soutenu par les responsables éducatifs, a engagé un bras de fer avec l’intérimaire, au motif que celui-ci, nordiste, pourrait amener le syndicat à faire appliquer les mots d’ordre de désobéissance civile lancés par le Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix(Rhdp). Le bicéphalisme entraîne des affrontements sanglants entre les partisans des deux camps. Finalement, les intrigues qui avaient pour but de sauver les cours ont été la principale cause de leur interruption. N’est-ce pas un signe de Dieu ?


Cissé Sindou

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