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Art et Culture Publié le mardi 8 mars 2011 | L’intelligent d’Abidjan

Interview / Sidiki Bakaba, cinéaste ivoirien et ‘’directeur’’ du Palais de la culture Bernard Dadié :

Sidiki Bakaba, actuel directeur du Palais de la culture Bernard B. Dadié d'Abidjan à Treichville et fondateur de l’Actor’Studio (école de formation d'acteur au sein du palais) parle du cinquantenaire du cinéma africain, du cinéma ivoirien, de l’Office national du cinéma et situe les responsabilités qui font suite à l’état de santé du cinéma en Côte d’Ivoire. Absent à la 22è édition du Fespaco, le cinéaste est à fond dans la préparation de ‘’Requiem pour un champion’’, son prochain long métrage en veilleuse parce ce qu’il avait été directeur du Palais.
2011 marque un tournant décisif pour le cinéma africain qui a 50 ans aujourd’hui. Quel bilan pouvez-vous faire ?
Mon témoignage est vivant parce que j’ai eu la chance d’avoir vécu l’aventure de ce cinéma dans son ensemble. Parce que j’ai tourné dans des films au Burkina Faso, au Mali, au Sénégal, au Tchad… et partout en Afrique. On a noté à un moment donné un peu de productions, il y a une vingtaine année. Il y avait une fougue au départ parce que les réalisateurs avaient des choses à dire. Tous ces premiers films avaient des choses à raconter. Parce que cela correspondait à une mutation de la société. On allait vers les indépendances africaines. Le constat est que le cinéma africain a beaucoup reculé. D’autres diront qu’on a avancé parce qu’il y a la technologie du numérique où il suffit d’appuyer sur un bouton d’une caméra et des individus qui gigotent devant. On dit qu’il fait du cinéma. On est dans cette ère de confusion totale où on ne sait pas faire la part entre un sit-com, des sketchs filmés, du théâtre filmé et du cinéma. Si vous demandez en Côte d’Ivoire, on vous dira qu’on a produit beaucoup de films. Mais, après ‘’Caramel’’ (sorti en 2004), il n’y a pratiquement plus eu de films. C’est-à-dire que l’évolution du cinéma est très lente en Côte d’Ivoire.

Qu’en est-il aujourd’hui de la méthode ‘’Kinoscoper’’ qui soulève encore des vagues au sein des cinéastes dans le monde ?
Force est de constater que la venue de la vidéo a crée une sorte d’arrêt. J’ai accepté de le faire. J’ai accepté de faire des fictions en vidéo. On nous a dit non ! Ce n’est pas du cinéma. Parce que ce n’est pas fait sur du support 35 mm. Il a fallu des années pour qu’on puisse admettre qu’on peut tourner en numérique et puis transférer en 35mm. C’est ce qu’on appelle ‘’kinoscoper’’. On se leurre d’illusion avec des petits téléfilms que nous faisons souvent et qui n’apportent souvent rien. Qui ne permettent pas de grandir car ce ne sont que des histoires de couples. On va finir par dire que le cinéma ivoirien n’est que le cinéma de rire.

Que dites-vous de la volonté politique en matière de promotion du cinéma africain ?
Si la volonté politique avait suivi, on ne constaterait pas un recul mais plutôt une avancée. Les cinéastes africains avaient les mains liées. Les pouvoirs politiques se sont servis d’eux pour filmer leurs activités. Ils deviennent des cinéastes fonctionnaires dont la mission commence et s’arrête. Par exemple, leur rôle était d’accompagner les 1ères Dames ou les chefs d’Etat dans leurs différentes tournées. On ne les a pas laissé faire du cinéma.

Justement, certains critiques disent de vous que vous avez arrêté de produire…
Grâce à Dieu, je ne me suis jamais arrêté de produire. Mes détracteurs qui me classent dans la catégorie des artistes qui se sont arrêtés de créer en Côte d’Ivoire, font une grave erreur. C’est une injustice ! J’ai toujours été présent et je suis témoin dans mon petit domaine. Les réalisateurs n’abandonnent pas parce qu’ils n’ont pas de moyens sur place. Il n’y a pas de politique pour accompagner le développement du cinéma. Il n’y a pas de vieux dans ce domaine. Aux Etats-Unis, il y a des personnes qui, à 89 ans, proposent des films d’une fraîcheur et d’une force extraordinaire. Le tout c’est que la flamme de la créativité ne meurt pas en lui. Mais, le désastre, c’est que certains réalisateurs comme Moustapha Diop sont à 20 millions près pour produire des films et comme ils ne l’ont pas, ils n’arrivent pas le faire.

Quelle place occupe le cinéma africain sur le plan international ?
S’il s’agit du cinéma du sud Sahara, ce n’est pas brillant. C’est même alarmant ! Ce que j’ai remarqué au Festival de Khouribga, au Maroc, dans un pays où le cinéma a véritablement sa place, où on produit 15 longs métrages par an et 100 courts métrages annuellement. Des jeunes qui sortent des écoles et qui ayant appris leurs métiers, peuvent avoir la chance de réaliser leurs films. Aussi, les films marocains ont-ils participé pour l’année dernière (Ndlr ; 2010) à 90 festivals dans le monde entier. Parfois, ils y font des productions qui n’ont rien à envier des productions américaines. Sur place, il y a un laboratoire, on se dote de moyens et d’hommes aussi formés, des professionnels. Je constate que dans les pays d’Afrique du Nord, le cinéma avance. Je signale qu’il y a 52 festivals cinématographiques sur le sol marocain. Par exemple, au Festival de Canne (Ndlr ; en France), l’Afrique n’est plus présente. Parce que les Africains ont fait un cinéma de Ghetto. On a fait un cinéma africain, un cinéma enfermé sur nous-mêmes.

Qu’est-ce que le cinéma africain a-t-il apporté au vieux continent ?
Ce que le cinéma devait apporter, l’Afrique l’a refusé. Tout simplement parce qu’il apportait une réflexion critique aux dirigeants africains. Ayant été marginalisés, les réalisateurs ont été empêchés de jouer leur rôle. Ou quand ils ont joué leur partition, les pouvoirs politiques africains ont marginalisé leurs films. Même ceux qui ont apporté un peu de réflexion à leur divertissement, combien d’entre eux sont passés à travers les mailles du filet ? C’est très peu ! Si les cinéastes avaient plus joué leur partition, si les Etats avaient suffisamment de démocratie pour laisser à ceux-là le temps de faire du grand cinéma, l’Afrique aurait pu éviter beaucoup de choses. Les scénarii qui ont été écrits pour permettre à nos Etats d’éviter les conflits et les guerres civiles ont été jetés. L’Afrique a été victime de beaucoup de mal. Nous toisons souvent les politiciens, mais, on ne regarde pas les artistes, les journalistes et les critiques d’art qui ont des responsabilités dans tout ce qui se passe.

Après 42 ans d’existence du Fespaco, seulement deux films ivoiriens ont été lauréats du prix Etalon du Yennenga. Kramo Lanciné Fadika en 1981 avec ‘’Djéli’’ et Roger Gnoan M’balla en 1993 avec ‘’Au nom du christ’’. (Ndlr ; l’interview a eu lieu avant la 22è édition). N’est-ce pas une moisson bien maigre au regard du talent ivoirien ?
Oui mais ! Le premier Etalon du Yennenga qu’on a eu date de quand ? Combien d’années ont suffi pour faire ’’Wariko’’ (Ndlr ; de Fadiga Kramo) ? Je peux dire plus de 10 ans. Plus tard, Gnoan M’balla a eu le sien. Moi, j’ai eu le prix ‘’Voix d’espoir’’ avec mon long métrage ‘’Les guérisseurs’’ au Fespaco. Mais entre ces moments-là et aujourd’hui, combien de films ont été produits ? On revient au fait que l’on n’a pas voulu que le cinéma existe réellement en Côte d’Ivoire. Plutôt que d’incriminer les cinéastes, il faut incriminer les régimes qui se sont succédé en Côte d’Ivoire. Finalement, personne n’a pas pensé à développer ce secteur. Tous les films de notre aîné Désiré Ecaré ont été primés. Son premier film a été sélectionné à Cannes (France), puis, primé à Haier (France). Son dernier film a eu le prix de la critique internationale à Cannes. Ce n’est pas n’importe quoi. C’était la première fois dans notre cinéma. C’est pareil avec notre compatriote Gnoan M’balla.

Pour la 22è édition, les organisateurs ont initié un concours des écoles de cinéma africain notamment de l’Afrique du Sud, du Burkina Faso, du Maroc et du Bénin. Quel commentaire ?
C’est bien ! Ça participe de tout ce rêve, que les prédécesseurs, avaient déjà posé. Créer un festival et au fil des éditions innover. Au cours de l’édition précédente (Ndlr ; 2009), ils ont donné en marge du festival, des représentations théâtrales avec une pièce venue du Bénin. C’est une bonne chose ! Mais, il ne faut pas que l’étudiant sorte avec son film de Ouagadougou, qu’il rentre dans son pays, et qu’il aille le mettre dans un coin de sa case. Et aussi qu’il n’y ait pas de possibilité pour lui de tourner.

La Côte d’Ivoire mérite-t-elle d’avoir une école de cinéma ?
C’est une nécessité ! C’est même indispensable ! Ça veut dire qu’il faut former les hommes. Quand tu parles de cinéma au Maroc, il y a des vrais techniciens qui y sont formés. Il y a de vraies écoles. Dès l’instant qu’on parle d’Office national du cinéma, pensons aussi à la formation, donc à une école de cinéma.

Selon vous, que doit-on attendre de l’Office national du cinéma en Côte d’Ivoire ?
Si la côte d’Ivoire met en place l’Office national du cinéma, il faut qu’on fasse tout de façon sérieuse. Qu’on se dise qu’on doit atteindre des objectifs comme ceux des pays tels que l’Afrique du Sud ou le Maroc. Il faut qu’on investisse réellement et qu’un budget alloué soit conséquent. Et il faut aussi une bonne politique de promotion qui se matérialise pour l’ouverture des salles, la mise en place des commodités, la meilleure technologie et atteindre les attentes des populations comme en Europe. Il faut créer un festival de longs métrages en Côte d’Ivoire pour présenter les productions de cinéastes nationaux.

Quel avenir pour les acteurs et réalisateurs en Côte d’Ivoire ?
Je suis au Palais de la culture Bernard Dadié. En 10 ans, j’ai continué à faire des spectacles, à former des acteurs et à jouer. A aller jouer dans tel ou tel pays. Combien d’acteurs ont eu cette chance-là ? Si vous prenez le cas des acteurs, je suis l’un des mieux placés avec mon aîné le burkinabé Sotigui Kouyaté (Ndlr ; décédé en 2010) et mon compatriote Isaac de Bankolé à vivre de notre métier. En Côte d’Ivoire, les acteurs ne peuvent pas vivre de leur métier. Grâce à la possibilité qui leur a été faite au Palais de la culture Bernard Dadié, aujourd’hui, certains humoristes arrivent à gagner un peu d’argent. Mais, l’acteur de cinéma en tant que tel peut vivre de quoi ? De quels films ? Même si on admettait qu’on réalisait un film tous les 10 ans, pendant que d’autres font 15 films en un an, de quoi va vivre le réalisateur en Côte d’Ivoire ? Il va vendre jusqu’à la peau de ses fesses pour finir un film. Ce qui lui est donné est tellement petit pour gérer et faire ce film qu’il galère des années pour finir ce film.

L’un de vos poulains en l’occurrence Gbessi Adji (comédien et acteur) a reçu en Egypte une distinction, en 2010. Une fierté ?
Gbessi Adji a eu le Prix du meilleur acteur du théâtre expérimental au Caire, en Egypte. Les gens ne peuvent pas s’imaginer l’importance de cette distinction. Quel acteur ne rêverait-il pas au Caire où les acteurs sont déifiés de recevoir ce Prix ? C’est un festival de théâtre expérimental. C’est la première fois qu’un africain noir du Sud Sahara obtienne ce Prix du meilleur acteur. C’est passé inaperçu.

Le Fica (festival international du court métrage) peut-être en miniature ?
Hanny Tchelley a eu une bonne initiative en créant un festival de court métrage en Côte d’Ivoire. Qui a la qualité des créations de premières œuvres et de réalisateurs talentueux. Mais, il ne peut en aucun cas être un festival dans un premier temps qui puisse rapporter de l’argent à la Côte d’Ivoire. Si on prend le cas du Fespaco, les gens viennent pour acheter des longs métrages. On ne peut pas acheter des courts métrages. C’est rare ! Ce qui rapporte, c’est l’essor économique et touristique dans un festival. Le Fespaco draine du beau monde de toute la sous-région. C’est ça un grand festival.
Réalisée par Krou Patrick
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