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Société Publié le jeudi 9 juin 2011 | Le Mandat

Enquête express/ Complexe et dérive esthétique Yamoussoukro : les femmes s’arrachent la peau

Au commencement, il y avait en Afrique Noire, des femmes au teint couleur de café grillé, des femmes couleur banane d’or, des femmes couleur terre des rizières. Aujourd’hui, lorsqu’on se promène dans la plupart des villes de la Côte d’Ivoire, surtout, dans la Cité des Lacs, on remarque que le teint noir est en voie de disparition. Nombre uses sont nos sœurs qui se dépigmentent de la peau. Il n’est donc pas étonnant de rencontrer des femmes à deux ou trois couleurs. Les plus malchanceuses se retrouvent avec un visage brûlé au second degré, des tâches et points noirs sur le corps, des vergetures sur les seins, poitrines et cuisses... Les motivations sociologiques profondes qui sous-tendent un tel phénomène, les multiples conséquences socioculturelles, économiques et surtout cliniques sont autant de prétextes qui ralentissent souvent la lutte contre la pratique de la dépigmentation. L’ampleur de ce nouveau phénomène de société nous a poussés à nous intéresser à la question.

Par définition, c'est l'usage de produits dans le but de s'éclaircir la peau. Cet éclaircissement se fait par la destruction de petites cellules existant sous la peau. Ce sont ces cellules, appelées mélanines qui produisent du pigment noir et protègent la peau contre les rayons solaires et les cancers de la peau. Alors, pourquoi cet engouement des femmes à s'éclaircir la peau et à la fragiliser ainsi ? La dépigmentation a pris tellement de l'ampleur qu'elle est devenue le troisième problème de santé publique dans notre cité après le paludisme et le Vih.

Une illusion perdue

Notre enquête montre que près de 90% des femmes de toutes tendances vivant en Côte d’Ivoire et qui utilisent des produits éclaircissants le font pour un besoin esthétique. Certaines femmes par contre font recours à cette pratique dans un but thérapeutique tandis que d’autres sont souvent guidées par l’imitation des relations. Dr S.A.E renseigne aussi que certaines femmes semblent également utiliser ces produits pour soigner des dermatoses comme l’acné. Plusieurs d’entre elles témoignent que la dépigmentation de leur peau attire le regard des hommes. C’est à se demander si cette pratique est saine. Le choix de recourir à la dépigmentation pour ces femmes, n’est pas un choix libre. Car ces femmes subissent une forte influence. Si ce ne sont pas les amies, c’est les conjoints qui les poussent à acheter le premier tube. Notre enquête nous fait remarquer qu’en effet, les femmes qui s’adonnent à la dépigmentation sont encouragées dans 74 % des cas par leurs amies qui avaient une opinion favorable au moment où 30% des conjoints ne manquent pas de se faire remarquer dans les rangs des personnes qui poussent à cette pratique.

La cause, un traumatisme pos-colonial

M. André le COUC, psychologue à Paris spécialisé dans la psychologie des communautés africaines en vacances à Yamoussoukro, donne ici, son opinion face à cette pratique « cette attitude des Noires par rapport à la couleur de leur peau, procède d’un profond traumatisme postcolonial. Le Blanc, symbolisé par sa carnation, reste inconsciemment un modèle supérieur. Pas étonnant dans ces conditions qu’un teint clair s’inscrive effectivement comme un puissant critère de valeur dans la majeure partie des sociétés africaines. D’ailleurs, ce sont les pays aux passés coloniaux les plus brutaux qui affichent le plus une attirance pour les peaux claires. Dans les deux actuels Congo, même les hommes s’y mettent et travaillent, comme leurs compagnes, à parfaire leur teint. Il faut même rajouter à cela, l’influence majeure du christianisme en Afrique. La représentation exclusivement blanche des grandes figures de la Bible a forcément affecté les peuples noirs dans leur inconscient. Cette idée est renforcée par l’allégorie des couleurs dans l’univers chrétien, basée sur des oppositions entre le clair et l’obscur, les ténèbres et les cieux, où le Noir s’oppose toujours à la pureté du Blanc. Ce phénomène est si profond qu’il va même plus loin que le simple blanchiment de la peau. On remarque beaucoup de femmes africaines qui se défrisent les cheveux, qui portent des perruques pour avoir les cheveux lisses comme les Occidentaux. Le complexe est là. C’est un peu facile de dire qu’un Noir qui se teint les cheveux en blond n’ait agi que par une simple mode. Ce qu’il y a, c’est que les Africains n’assument pas des attitudes qui sont souvent inconscientes. Toutes les sociétés noires subissent le joug d’un culte de la blancheur. Les Africains ne se sont pas affranchis d’un poids colonial qui pèse de tout son poids sur leur propre identité », a-t-il indiqué. Les femmes interrogées lors de notre vox pop, déclaraient s’adonner à la pratique de l’éclaircissement « Léral » et non au blanchiment, le « xessal ». Le dermatologue, Assane Kane remarque un clivage chez les femmes lors de certaines cérémonies familiales, en citant l’exemple des baptêmes lors desquels « les femmes qui sont claires s’assoient ensemble et mettent les femmes de teint noir de côté ».

La responsabilité des hommes

A Yamoussoukro, ce sont les hommes qui tacitement ou directement encouragent cette pratique. Certains le financent même, car ils veulent des femmes claires. C’est le cas d’un époux qui a commencé par faire la fugue. L’épouse qui cherche à savoir ce qui attire son homme à l’extérieur en dépit des soins qu’elle lui apporte, s’est retrouvée en face de la réponse suivante : « En plus de cette beauté, si seulement tu étais claire, je n’allais plus rien chercher dehors ». C’est un constat. La responsabilité des hommes vis-à-vis de cette pratique est évidente. Cette beauté fatale tant appréciée par les hommes est la raison d’être.

Ceci étant, les hommes ont la lourde responsabilité d’éradiquer le mal par une réorientation ou redéfinition de leurs critères objectifs ou subjectifs de beauté. Mais le veulent-ils réellement ? Les femmes accepteront-elles un jour que le noir soit la couleur de tous les jours ? Selon les races, l’épaisseur de l’épiderme, la structure du derme et sa vascularisation, la distribution de la pigmentation, la richesse et la qualité des annexes, la densité des poils et l’équilibre écologique de surface varient considérablement. D’où l’importance des paramètres sociaux, environnementaux et dermatologiques dans la couleur de chaque individu. Si la peau humaine possède ces qualités universellement reconnues, l’on se pose la question de savoir, pourquoi de nos jours, des individus désirent-ils à la modifier au risque de rompre cet équilibre naturel si indispensable ?

Les procédés

Selon Mademoiselle Alice, Esthéticienne Cosméticienne à Morofé, « plusieurs procédés sont utilisés pour s’éclaircir la peau : du bricolage aux méthodes les plus raffinées. Généralement, les femmes et de plus en plus, les hommes se rabattent sur les produits bon marché compte tenu du faible revenu des habitants. Ces produits qui n’ont pas la même composition et les mêmes effets que les produits originaux imités, occupent une place non négligeable dans les activités économiques. Les utilisatrices se procurent ces produits sur les marchés où ils circulent sans aucun contrôle et sont proposés par des revendeurs dépourvus de toute compétence officinale. Les produits cosmétiques utilisés contiennent des corticoïdes (anti-inflammatoire), hydroquinone (antiseptique) détournés des circuits pharmaceutiques officiels, des crèmes éclaircissantes importées par divers réseaux parallèles, à la composition rarement précisée, et des préparations artisanales confectionnées sur place par mélanges comprenant plusieurs ingrédients (eau de javel, sels de mercure, etc.). Les utilisatrices recourent souvent à plusieurs produits et en changent dans le temps », a-t-elle indiqué. A l’évidence, à en croire notre interlocutrice, ce sont des produits à la qualité douteuse. Ils proviennent généralement d’Asie du Sud-Est, du Nigeria, d’Afrique du Sud. Leur composition chimique, aux dires des esthéticiennes ne respecte pas les normes. L’hydroquinone - substance qui colorie la peau - est supérieure au seuil tolérable de 2 %. Le Quinacore, un produit destiné à soigner les rhumatismes est aussi utilisé. La particularité de ce produit, est l’effet secondaire produit. Il blanchit la peau du patient. Des femmes se font aussi injecter du Quinacore, pour obtenir une peau claire harmonisée. Pourtant, estiment les spécialistes, toutes ces pratiques sont très dangereuses pour la santé. L’injection de Quinacore blanchit la peau certes, mais de sources médicales, il affaiblit le système immunitaire, au point de le rendre vulnérable aux agressions externes. Même les plus bénignes. L’utilisation régulière des corticoïdes favorise les mycoses (maladies de la peau dues aux champignons). « A la longue, la peau devient hypersensible, elle dégage une odeur de poisson frais ». Pire, nous confie une esthéticienne, la destruction de la mélanine, cette protection naturelle contre les rayons X du soleil peut être fatale. Privée ainsi de la vitamine D, la peau est vulnérable à toutes les agressions solaires. Voilà qui, selon Madame Banga ouvre la voie au cancer de la peau, voire aux leucémies (les cancers de sang). La cicatrisation des blessures devient compliquée, ce qui peut être fatale après une opération chirurgicale.

Les conséquences

Toujours selon les dermatologues, les conséquences sont multiples et sont fonction du produit utilisé. Pour ce qui est des conséquences locales, (sur la peau) on a d'abord les brûlures de la peau qui laissent de grosses cicatrices sur les parties touchées. Elles sont surtout dues à l'application en grande quantité de pommade ou à l'injection de corticoïdes très puissants. Il y a ensuite des allergies qui se manifestent par l'apparition de boutons sur tout le corps, des noirceurs des parties de la peau exposées au soleil. Dans certains cas, la gravité de ces allergies peut entraîner la mort. On a également les nombreuses vergetures sur tout le corps qui sont dues à la destruction des fibres élastiques de la peau qui se relâche. La peau devient mince et très fragile, ce qui empêche une intervention chirurgicale au cas où la personne a un problème. Le cas le plus désastreux, est celui des femmes enceintes qui doivent subir une césarienne. Après l'intervention, les sutures ne tiennent pas et cela peut entraîner la mort. Les utilisateurs de ces produits deviennent progressivement multicolores. Elles dégagent une odeur nauséabonde. Les défenses de la peau étant affaiblies, elles auront tout le temps des furoncles, des dartres, des mycoses, la gale et toutes sortes d'infections de la peau. L'usage des dépigmentants combiné aux rayons ultra-violets du soleil entraîne également un vieillissement prématuré de la peau qui se manifeste par des rides et des plis sur tout le corps. Quant aux conséquences générales, ce sont surtout les effets secondaires des corticoïdes injectables. Ces produits qui sont directement envoyés dans le sang entraînent l'hypertension, le diabète, les cancers de la peau, les insuffisances rénales, la perturbation du cycle menstruel, le risque de mettre au monde un enfant dont la croissance sera très lente, les problèmes osseux parce que les corticoïdes empêchent la consolidation des articulations, la cécité. Ces conséquences ne se voient pas dès les premiers moments de l'utilisation. C'est un long processus qui s'installe progressivement et détruit la personne à petit feu. A la question de savoir si l'utilisation de ces produits entraîne une situation de non retour pour la peau ou si elle peut redevenir normale, les professionnels de la santé de la peau, répondent qu'un arrêt à temps peut éviter certaines conséquences lointaines et minimiser les séquelles déjà installées sur la peau puisqu'on ne peut pas les supprimer totalement. Il y a toujours un grand bénéfice à arrêter ces produits et le plus tôt est le mieux. Seulement cet arrêt doit se faire progressivement pour un meilleur rétablissement de la peau. Et la personne qui décide d'arrêter doit avoir un accompagnement psychologique convaincant pour ne pas y retomber.

Complexe d’infériorité ?

Toute personne de race noire qui se dépigmente la peau est un grand complexé, qui a complètement honte d’être né noir quand bien même personne au monde ne choisit son lieu de naissance, ses parents biologiques, sa couleur de peau et surtout son sexe. Il serait vraiment temps que les Africains et particulièrement nos sœurs africaines se reprennent et soient fières de leur peau afin de mieux revendiquer leur identité culturelle. Tout est devenu matière à imitation sans souci de sélection préalable. Nous devons apprendre à ne puiser chez l’autre que ce qui nous paraît utile à notre développement. Si cela n’est pas, nous nous acheminons vers une auto-extermination de la race noire. A une crise d’identité et à la dépravation des mœurs. Aujourd’hui, l’Africain n’a plus de repères pour s’orienter. Tous nos actes et pensées sont mimés sur l’Occident et l’Amérique. Il est clair que l’intérêt d’être Noir sur la terre des hommes existe. Il appartient à chacun d’engager une recherche personnelle afin de se découvrir, c’est-à-dire, de savoir pourquoi il est Noir. Pour tout dire, la dépigmentation de la peau soit-elle à outrance ou pas est une véritable aliénation culturelle qui mérite d’être combattue avec beaucoup d’énergie par le biais de l’éducation et la religion.

Toujours est-il qu’il appartient aux parents, aux enseignants et aux hommes de Dieu d’apprendre aux jeunes Noirs à s’aimer tels qu’ils sont, de façon à éviter cette gratuite crise d’identité. Il convient en tout cas de ne pas se laisser influencer par un complexe ou un sentiment d’infériorité qui n’a aucune raison d’être. Il est tout à fait déplacé d’associer de quelque manière que ce soit, la notion du laid ou du beau, avec le Noir ou le Blanc.

Réalisée Par
Olivier Yao
(Correspondant régional)
yaoblandin@gmail.com
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