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Société Publié le jeudi 7 juillet 2011 | L’intelligent d’Abidjan

Interview / Danho Pierre, Professeur de Droit et de Sciences politiques à l’Université de Cocody : ‘’Dissoudre la Fesci sera une mauvaise approche…’’

La Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (Fesci) a vu
le jour dans les années 1990 avec pour mission de défendre l’intérêt
des élèves et étudiants. Mais très vite, ce mouvement va épouser
la violence. Plongeant ainsi, l’école ivoirienne dans l’impasse.
Aujourd’hui, nombreux sont favorables à une dissolution pure et
simple de la Fesci. Car selon eux, c’est la seule alternative pour que
l’école ivoirienne retrouve ses lettres de noblesse. Ce n’est pas le
cas du vice-doyen de la faculté de Droit de l’université en charge des
questions pédagogiques, le Professeur Danho Pierre, qui estime que
plutôt que de faire disparaître la Fesci, il faut la réformer pour qu’elle
continue d’être parmi les acteurs de l’école ivoirienne. Interview.

En tant qu’enseignant vous cohabitez avec la FESCI depuis plusieurs
années. Alors, personnellement quel bilan faites-vous de ce syndicat ?

La Fesci intervient normalement à l’Université pour régler les
questions d’ordre matériel et moral des étudiants. En terme de bilan,
je dirai pour ma part, que pour une organisation syndicale, c’est
une faillite. Parce que la Fesci en quelque sorte, s’est déroutée elle-
même des objectifs initiaux pour lesquels elle a été créée, à savoir,
faire en sorte que les étudiants puissent vivre dignement dans cet
espace universitaire. Aussi pouvons-nous ajouter que la Fesci a été
outrancièrement instrumentalisée. En effet, elle a fini par devenir
un instrument au service d’un pouvoir qui s’est malheureusement
effondré avec les conséquences que nous connaissons aujourd’hui.
De plus, la Fesci ne respecte pas les maîtres que nous sommes. Parce
que nous vivons effectivement jadis dans un Etat d’impunité. Et
la Fesci avait un tel pouvoir que les enseignants ne pouvaient rien
dire. Puisqu’on ne pouvait porter plainte contre aucun membre de la
Fesci. On connaît l’utilisation de la Fesci dans les marches, les casses
partout. Nous vivions dans un circuit où la Fesci a plus de pouvoir que

le maître lui-même. Donc à partir de là, les conséquences on les voit.

N’est-ce pas là, une manière d’exprimer votre impuissance devant la
Fesci dont les militants sont aussi vos étudiants ?

Une plainte déposée contre la Fesci n’irait nulle part. Quelquefois, on
voit ses militants en train de racketter. Aujourd’hui, aux abords des
campus ou des cités universitaires, ce syndicat a un tel droit régalien
qui lui permet effectivement d’investir dans les bistrots, de créer de
petites sociétés à son profit et tout ça, avec le soutien des autorités
elles-mêmes. C’est un réseau qui régnait avant la crise en maître
absolu sur l’espace universitaire. Et la raison en est que la Fesci était
utilisée par le régime d’alors, pour une stratégie qui ne disait pas son
nom. En même temps, quand le pouvoir voulait sortir ou quand il avait
envie d’entreprendre quelque chose, la personne morale requise pour
atteindre son objectif, c’était la Fesci. La Fesci était un instrument
séculier au service d’un pouvoir. De là, que pouvait le pauvre
enseignant par rapport à la Fesci ? Quand je venais dispenser un cours
et que les gens de la Fesci venaient pour diffuser une information, je
les laissais faire sans la moindre résistance. Quand il s’agissait d’une
revendication d’ordre syndicale, je quittais la salle parce que la Fesci
était une armée bien organisée. Nous vivons dans une zone qui est
bien close. Donc, nous nous connaissons à peu près. Ça ne servait à
rien d’avoir des problèmes avec la Fesci. On a vu des enseignants qui
ont été tabassés. Ça n’a nulle part été. Aujourd’hui, la Fesci a fait que
le maître lui-même n’est ni respecté ni considéré à l’université. Avec
la nouvelle donne, il va falloir mettre de l’ordre de telle sorte que la
Fesci revienne à la case de départ. C’est-à-dire, aux objectifs pour
lesquels elle a été créée.

Que souhaiteriez-vous à la réouverture prochaine des amphithéâtres

et des résidences universitaires, une dissolution ou une réforme de la
Fesci ?

Je ne conçois pas une dissolution de la Fesci. Je pense que, ce sera
une mauvaise approche. Il faut laisser la Fesci vivre mais en même
temps, il faut revoir les textes qui la régissent. Même s’il faut amender
certaines dispositions. Ensuite, il faut aussi surveiller de près les
ressources financières et autres de la Fesci. La question que je me
pose, est de savoir comment une association d’étudiants puissent
avoir de tels moyens. Même dans le bureau national de la Fesci, il
y a des étudiants qui, seulement en deuxième année ou en année de
licence, ont des voitures. Alors que le maître lui-même n’en a pas.
D’où provenaient tous ces moyens ? Il faut rentrer également dans
le tréfonds de la Fesci pour savoir réellement ce qu’il y a à faire.
Donc faire un toilettage de certaines dispositions des textes ; ramener
la Fesci à ses objectifs initiaux ; couper toutes les prérogatives et
privilèges que le pouvoir d’antan accordait à cette structure. C’est ce
pouvoir qui a fait de la Fesci une puissance incontrôlable en milieu
universitaire.

Pendant la campagne électorale, la Fesci a empêché le Président
Alassane Ouattara d’animer un meeting au campus de Cocody. Est-ce
que pensez-vous la Fesci et le nouveau régime feront bon ménage ?

Avec une Fesci toilettée et la possibilité à d’autres syndicats d’être
créés et mener librement leurs activités, je ne pense qu’il n’y aurait
pas de problèmes. Sachez que la Fesci a toujours été un obstacle à la
création d’autres syndicats d’étudiants. Ou vous adhérez à la Fesci ou
rien du tout. Les structures qui arrivent à se mettre en place, exercent
dans la clandestinité. Il faut que d’autres syndicats naissent et que la
Fesci n’ait plus le monopole sur l’attribution des chambres en cité.
Et que les membres de la Fesci ne dispose pas, par devers eux des
chambres qu’eux-mêmes sous-louent aux autres étudiants. C’est une

situation totalement intolérable. Lorsque nous étions encore étudiants
en France, il y avait des structures qui s’occupaient de l’attribution et
du contrôle des chambres. Aucun mouvement d’étudiants ne contrôlait
l’accès aux chambres. Il faut mettre de l’ordre à l’université et faire
en sorte qu’aucun syndicat ou mouvement d’étudiants n’ait plus la
caution du parti au pouvoir. Avec l’avènement du Docteur Alassane
Ouattara, la Fesci n’aura plus la caution du parti au pouvoir. Au
moment du changement, il y aura des pluralités de candidatures au
sein de la Fesci et toutes les vieilles gardes seront balayées. Et plus
tard, n’ayant pas de réseau permettant à la Fesci d’être forte, elle sera
elle-même réduite à sa propre expression. A partir de là, je pense
qu’elle va s’incliner sur les objectifs pour lesquels elle a été créée.

Faut-il forcement garder une image négative de la Fesci ?

Avoir une image négative de la Fesci, c’est trop dit. Je préfère plutôt
m’exprimer en termes de bilan. Le bilan de la Fesci est négatif.
Logiquement, il doit avoir des enquêtes sur ce qu’a fait la Fesci
dans les campus universitaires. Il y a beaucoup de choses que les
étudiants nous ont confié qui permettront de savoir, s’il n’y a pas une
implication supposée de ce mouvement dans tout ce qui est arrivé à
l’université. Dans les amphithéâtres, on a découvert des armes. Nous
avons été plusieurs fois interpellés par les étudiants. Parlant de bilan,
une structure qui a été créée pour faire en sorte que les revendications
des étudiants soient traduites en termes d’efficacité, si elle est acquise
à la cause d’un pouvoir, alors le bilan ne peut-être négatif.

Nombreux sont les étudiants qui ne sont pas pour un maintien de la
Fesci. Ne pensez-vous pas que la maintenir pourrait encore engendrer
d’autres problèmes ?

Sans vouloir la défendre, je pense que la Fesci doit exister. Si on

permet la création d’autres syndicats de revendications estudiantines,
progressivement, elle perdra du poids puisqu’il y a beaucoup qui ne
veulent plus se reconnaître en la Fesci. Ces derniers ont été contraints
par la force des choses. Quand la Fesci appelait par exemple, à des
rassemblements, c’était par la force puisqu’elle était une armée bien
organisée avec des chefs. Le pouvoir qui la soutenait étant tombé, la
Fesci perdra certainement le monopole et tout finira par rentrer dans
l’ordre.

Est-ce que le silence des enseignants et l’administration ne sont pas
coupables de ce qui est arrivé aujourd’hui à la Fesci ?

C’est ça le dilemme de ce pays. Ceux qu’on appelle les « savants »,
c’est-à-dire les enseignants d’université, sont moins écoutés. Je
pense que le nouveau Président de la République SEM Alassane
Ouattara prendra son temps pour écouter les éminences grises que
nous sommes. Avant, quand il y avait des actes que posait la Fesci
et que nous intervenions dans les journaux, où on dévoilait les
agissements de la Fesci, lesquels agissements pourraient avoir des
conséquences sur la société, nous n’avons jamais été écoutés. La Fesci
faisait rarement des revendications estudiantines. Bons nombres de
ses revendications étaient politiques. Et elles étaient saisies par le
pouvoir en place. Nous sommes des maîtres appelés à diffuser nos
connaissances. Malheureusement, face à un réseau aussi organisé
nos propos ou interpellations n’ont jamais été prises en compte. A
un moment donné, nous avions pris du recul parce que nous nous
sentions menacés. Cette menace s’étendait jusqu’à nos familles.
Je pense qu’il fallait éviter d’exposer nos familles dans un pays où
baignait une situation d’impunité.

Ne pensez-vous pas que ces jeunes se laissent manipuler par les

hommes politiques ?

Il ne faut mettre l’égarement de la Fesci au compte de la pauvreté ou
du manque d’insertion socioprofessionnelle. A l’époque, quand nous
allions à l’école, nos parents étaient aussi pauvres. Aujourd’hui, les
militants de la Fesci ont beaucoup d’avantages. Le problème réel est
que la politique a pris le dessus sur tout. Et militer dans la Fesci,
donnait des droits et des privilèges d’impunité. Je peux dire que la
société a failli et la Fesci n’est que le produit de cette faillite. Une
société d’impunité ou des étudiants vont jusqu’à porter main à leurs
enseignants. En son temps, un élément de la Fesci a eu à porter main à
une dame âgée de plus de cinquante ans, si bien que le personnel
administratif s’est mis en grève. Au temps jadis, je n’ai jamais vu un
étudiant porter main à une personne âgée. La société a failli, il n’y a
plus de repère. Le Président Alassane Ouattara a décidé de faire de la
Côte d’Ivoire une société respectueuse de ses institutions. Je pense
que la Fesci en s’inscrivant dans cette logique, deviendra une structure
conciliante qui aura plus d’égard pour ses maîtres. Elle gagnera donc
à s’inscrire dans cette nouvelle dynamique. Si par imprudence, un
militant de la Fesci porte main à l’un de ses maîtres, elle sera
poursuivie et répondra de ses actes. Aucun commanditaire de l’acte ne
sera épargné. Il faut une nouvelle Fesci qui soit inscrite dans la
nouvelle dynamique, qui réponde aux souhaits des étudiants ; qui se
batte pour des bibliothèques garnies à l’université et pour que les
étudiants puissent avoir des bourses; pour avoir des bus disponibles.
Nous voulons une Fesci respectueuse des institutions, des maîtres et
des autorités ; une Fesci qui ne prenne pas de machettes et de
Kalachnikov. C’est cette Fesci que nous voulons dorénavant dans la
sphère universitaire.

Koné Y.
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