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Société Publié le vendredi 15 juillet 2011 | Nord-Sud

Mécaniciens, ferrailleurs : Attention à ces mariages incroyables…

L’approche du Ramadan est généralement une période propice pour convoler en justes noces chez les musulmans. Il convient, à quelques jours de ce grand moment spirituel, de méditer sur un nouveau genre de mariage qui a vu le jour.


D’abord, les spectateurs croient à une scène de bagarre entre jeunes. Mais un type au torse nu, complètement noirci à l’huile de moteur se détache de la foule de jeunes surexcités et court pour leur échapper. Les autres le poursuivent. C’est peut-être un voleur…Mais non, le type qui fait semblant de fuir se laisse rattraper facilement au niveau du « feu tricolore de Williamsville », c’est-à-dire au « carrefour Djéni Kobenan ». Ses poursuivants qui apparaissent maintenant comme ses amis, lui versent de l’eau au visage ou le couvrent de sable en rigolant. Les passants se plaignent. Décidément, ils ne manquent pas du culot, ces mécaniciens ! Ça ne leur suffit plus de se salir à longueur de journée avec de l’huile de moteur, il faut qu’ils viennent importuner les braves gens en dehors de leur métier. Tout le monde évite d’approcher l’homme devenu si noir qu’il ressemble à une silhouette. Mais à quoi jouent ces jeunes?
Ils ne jouent pas, nous l’apprendrons plus tard. Ce que nous voyons-là, est un rituel de mariage assez singulier qui se pratique chez des ferrailleurs, des garagistes et des mécaniciens. Le jeune marié est l’homme qu’on torture comme un voleur et qui essaye d’échapper à ses « bourreaux ».
Un mariage…Drôle de façon de célébrer le plus grand bonheur dont Dieu a fait cadeau à l’homme. Le paradoxe est si frappant qu’on ne peut échapper à l’envie de connaître, de comprendre les raisons d’une telle pratique.

Une pratique de ferrailleurs…

Ce mercredi, Koné Issa, le président des garagistes d’Abobo ne montre aucun signe de surprise lorsqu’il entend parler de la scène de mariage. Dans son garage, au Plateau-Dokui, il indique que la dernière fois qu’il a vu ce type de mariage, c’était il y a deux ans. A la question de savoir si son mariage a été pareil, le quinquagénaire esquisse un sourire en précisant: « cette pratique n’est pas le fait des garagistes. Il n’y a qu’à la ferraille d’Abobo qu’on voit cela fréquemment.» Koné Issa va jusqu’à dire que la pratique est d’origine guinéenne.
A la ferraille d’Abobo, c’est plutôt un sentiment ambivalent qui anime les gens de ce métier lorsqu’ils entendent parler de ce mariage : sourire d’abord, puis, méfiance. Ils sont occupés à monter des pièces de voiture dans l’effervescence de l’activité qui règne sur le lieu, au bord de l’autoroute. Beaucoup préfèrent s’éclipser. Jusqu’à ce que Sidimé Souleymane, âgé de 25 ans, accepte de nous accueillir dans son garage noirci de toutes parts à l’huile de moteur et bourré de pièces démontées de voitures accrochées au mur ou traînant au sol. Ils sont plusieurs dans le petit atelier surchauffé. Sidimé, d’un teint clair et plutôt charmant garçon, est le premier à témoigner. Ah, son mariage, comment ne pas s’en souvenir… C’était en 2008, dans l’ambiance d’un jeudi plein de péripéties. Il avait déjà rencontré sa dulcinée. Les colas et les complets de pagnes, tout avait été remis aux parents de la femme. Le Jour J, chaque ami se charge de l’aider. L’un d’eux se fait appeler « monsieur Omo », parce que c’est lui qui se charge d’acheter les sachets de poudre de savons pour laver le marié, après le mariage. Un autre décide de prendre en charge la barrique d’eau. Il se fait appeler « monsieur barrique d’eau »...

Personne n’aime ça

Les amis de Souleymane le récupèrent après la cérémonie de mariage pour, disent-ils, enlever sur lui l’odeur de célibataire. On l’asperge d’eau, puis de mousse de savon. Chaque main le lave, dans une ambiance de plaisanteries, de rigolade et de taquinerie…Alors que le marié a fini de se laver, d’autres amis arrivent en retard. « Ils m’ont dit, tiens, tu t’es déjà lavé, mais tu n’es pas encore propre. Il y a un qui a versé du sable sur moi pour me salir afin d’avoir l’occasion de me laver à son tour », raconte-t-il. Quand celui-ci a fini, un autre est arrivé avec de l’huile de moteur, au moins un litre, et a badigeonné « Soul » avec. C’était juste pour rire. Mais personne n’aime ça. « J’ai essayé de fuir, ils m’ont rattrapé », ajoute-t-il. Cette petite cérémonie qu’on peut interpréter comme un rituel, n’est en réalité qu’une ambiance festive entre ferrailleurs. Une pratique qu’ils se sont imposée, mais qui n’est pas obligatoire en réalité. Seulement voilà. Quand vous faites ça à un ami, à votre mariage, il vous le rembourse… Pour échapper à cette blague pendant son mariage en 2004, Fofana Ladji a donné 2.000 Fcfa à ses camarades ferrailleurs. Il a même payé de la nourriture pour eux. Mais l’occasion était trop belle. « Ils m’ont attrapé après le mariage et m’ont aspergé d’eau et de savon», se sou­vient-il. Ladji réussit à se sauver grâce à l’aide d’un de ses amis du groupe, juste au moment où quelqu’un allait verser de l’huile de moteur sur lui. Celui qui lui a prêté main forte est lavé à la place de Ladji pour le punir. Le pauvre... Selon Ladji, ses amis n’ont pas été symphas, ce jour-là.
Alors qu’il raconte la scène, un de ses amis qui travaille avec lui dans l’atelier de ferraille, rétorque : « quand je me mariais, tu m’as lavé, ça t’a bien plu, pourquoi à ton tour tu voudrais qu’on ne te lave pas ?» Un autre lance dans la foulée en élevant les bras au ciel: « à mon mariage gare à celui qui osera me laver ». Celui-là s’appelle Losséni. « C’est ce qu’on verra », lui répondent ses amis avec fermeté.

Le décès…un mariage censuré

Mais revenons-en au sujet. S’il faut laver le marié, pourquoi ne pas éviter de le salir? La question ne les embarrasse pas. « C’est une ambiance bon enfant chez nous les ferrailleurs. Quand on ne le fait pas pendant ton mariage, alors tu l’as raté », répondent-ils. C’est le signe que le futur marié est en odeur de sainteté avec ses amis. La pratique est née ici, à la ferraille, indique Sidimé. Par la suite, les garagistes, les mécaniciens ont commencé à les imiter. « Des gens viennent nous voir pour qu’on les lave après la cérémonie de mariage », ajoute Fofana Ladji. Cependant, la pratique n’est pas pour autant prisée. En 2004, un ferrailleur a trouvé subitement la mort le lendemain de son mariage. Les parents du défunt ont estimé que ses camarades ferrailleurs l’avaient trop lavé et que cela avait provoqué un gros rhume chez lui. Lequel rhume a entraîné sa mort. « On n’a jamais pu le prouver. Il est mort d’un rhume, on ne peut pas dire que c’est parce que nous l’avions lavé », expliquent Souleymane et ses amis. Mais qu’arrive-t-il quand le marié boit accidentellement de l’huile de moteur ? « Nous buvons tous les jours de l’huile de moteur, ça ne fait rien. Quand nous mangeons, il y a toujours de l’huile sur nos mains et nous la consommons sans problème», se défend Ladji. Déjà que cette pratique était dénigrée en leur sein, cet incident va ancrer la division. A la ferraille, un groupe a interdit carrément que les amis du marié le lavent. Kaba Kabinet, l’un des responsables du garage « Innocent », explique : « il arrive plusieurs fois que le futur marié soit blessé pendant qu’on le lave ou quand ils le salissent avec du sable, du savon ou de l’huile de moteur. » Il déplore le fait que ces mariages sont bruyants. Il y a toujours un tintamarre de voitures et un concert de motos, après. De plus en plus de ferrailleurs raisonnent comme lui. Il y a surtout une autre réalité. La plupart d’entre eux sont musulmans. A l’approche du Ramadan, beaucoup vont convoler en justes noces. Conscient de cela, les
hommes religieux ont débité des mises en garde. Parmi eux, Traoré Yaya, imam de la mosquée «Fitiya», à «Pétroivoire» d’Abobo. «Cette pratique n’est pas recommandée par l’islam. Pendant qu’ils lavent le futur marié, ces jeunes importunent les passants et le voisinage, cela ne sert pas leur cause », explique-t-il. Plutôt que d’être un jour béni, le mariage devient alors un jour de péchés. Surtout que quand le marié rentre à la maison, il doit donner des explications à madame.

Raphaël Tanoh
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