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Économie Publié le mercredi 5 octobre 2011 | Nord-Sud

Diakité Mouhamed (président du Comité national de la finance islamique de Côte d’Ivoire) : «Voici les projets que nous allons financer»

La finance islamique peut être une alternative pour accélérer le développement économique des pays africains. Le président du Comité national de la finance islamique de Côte d’Ivoire (Cnfici), Diakité Mouhamed, diplômé en Executive master islamic finance de Paris-Dauphine et master en stratégie d’intelligence économique de l’école de guerre économique de Paris, explique, ici, ses principes et son fonctionnement.


Quelles sont les missions du Comité national de la finance islamique de Côte d’Ivoire?
Le Comité national de la finance islamique de Côte d’Ivoire (Cnfici) a été́ créé en 2009, mais sa reconnaissance officielle n’est intervenue qu’en août 2010. Le comité́ est un organisme d’appui au développement national, composé́ de promoteurs de projets et microprojets en conformité́ avec les valeurs de la finance islamique, notamment dans ses pratiques et principes. Le Cnfici rassemble une équipe pluridisciplinaire regroupant des juristes, des fiscalistes, des hommes d’affaires, des professionnels ainsi que des investisseurs. Nous voulons œuvrer aux côtés des pouvoirs publics dans la politique de promotion et le développement des produits financiers islamiques, en vue de concrétiser les grandes réformes juridiques nécessaires à̀ l’accueil de la finance islamique en Côte d’Ivoire. Le comité́ vise également le renforcement des capacités des professionnels et des populations. En effet, les populations manifestent un grand engouement en faveur de la finance islamique. Pour preuve, plusieurs initiatives et projets de finance et de micro-finance islamiques sont notés dans le pays. Enfin, nous développerons un plan d’actions en termes de formation, de renforcement de capacités et de forums pour faire connaître la finance islamique, l’assurance islamique (Takaful) et, surtout, la micro-finance islamique dans notre pays. Nous venons justement de déposer notre plan stratégique au ministère du Plan et du développement (gouverneur de la Banque islamique de développement pour la Côte d’Ivoire), qui le présentera à la Banque islamique de développement (Bid) à̀ Djeddah via le bureau régional de Dakar.

Comment mobilisez-vous les fonds?
La crise mondiale actuelle a mis en lumière la finance islamique, cette autre finance qui, grâce à̀ ses principes éthiques, a su résister à̀ la crise. Principalement basée dans le Golfe et en Malaisie, cette finance séduit les Occidentaux. Son mode de fonctionnement s’inspire de la jurisprudence islamique. Certes, elle est réduite à l’interdiction du «Riba» (intérêt ou usure), mais elle participe à la promotion d’une finance éthique, socialement responsable et ouverte à tous, sans distinction de race ni de religion. En clair, la finance islamique redynamise le secteur de la finance conventionnelle par le respect des principes tels que le partage des profits et pertes, l’interdiction de l’incertitude et des actifs illicites, la recherche de la finalité sociale… Aujourd’hui, tous les pays occidentaux, à̀ l’instar de l’Angleterre (où il existe depuis 2007 des banques islamiques) et de la France, ont créé un cadre juridique permettant l’émergence de banques et d’institutions financières basées sur les principes et les pratiques de la finance islamique. En Afrique, les premières banques islamiques ont vu le jour au Soudan, en Gambie, au Sénégal, au Niger et en Mauritanie. L’année 2010 a été́ marquée par la création, en Tunisie, de la Banque Zitouna, exclusivement islamique. Le total d’actifs de la finance islamique représente aujourd’hui, plus de 1000 milliards de dollars (plus de 500.000 milliards de Fcfa), avec une progression se situant entre 15 et̀ 20% sur les dix dernières années. Nous travaillerons aux côtés des pouvoirs publics pour la mise en place d’une stratégie dynamique entre notre pays et l’ensemble des pays-membres de la Bid, notamment les pays du Golfe. D’ailleurs, le gouvernement ivoirien, par une publication dans le Journal officiel du 2 mai 2002, déclarant son adhésion à la Bid, a marqué par cet acte la volonté des pouvoirs publics de renforcer le partenariat financier avec cette institution afin de soutenir le développement du pays. Cette diversification des sources de financement a permis à l’Etat de bénéficier de l’appui financier du Fonds kowetien pour les travaux de prolongement de l’autoroute du nord. Notre pays a formellement adhéré à l’Organisation de la conférence islamique (Oci) lors de la 28ème session de la Conférence des ministres des Affaires étrangères tenue à Bamako (Mali) le 30 juin 2001.

Qui sont vos cibles?
Le Cnfici travaillera pour toute la population ivoirienne sans distinction de religion. Il sera mis en place des programmes de lutte contre la pauvreté, tout en visant la santé, l’éducation et le genre. Sur toute l’étendue du territoire, le Cnfici créera des comités régionaux qui accompagneront les porteurs de projets et les investisseurs.

Combien de francs la finance islamique a-t-elle injecté à ce jour en faveur du développement en Afrique?
La Bid vient de créer un programme spécial pour le développement en Afrique (Psda). Ce fonds doté de plusieurs milliards de dollars a pour vocation de financer les projets structurés par ses pays-membres. A ce jour, le niveau d’investissement de la finance islamique en Afrique est bas, non pas par manque de liquidité, mais surtout par le fait que les pays africains peinent à se doter de stratégies et de cadre juridique permettant l’investissement conformément aux pratiques et principes de la finance islamique.`

Est-ce que la Côte d’Ivoire, en pleine reconstruction après la grave crise post-électorale, peut mieux bénéficier de ces fonds ?
La Côte d’Ivoire, comme n’importe quel autre pays, doit financer son économie. L’épargne nationale n’y suffira pas, en particulier dans la période qui suit immédiatement l’épisode de conflit duquel nous sortons à peine. Par conséquent, ce sera une partie de l’épargne internationale qui servira à̀ relancer l’investissement dans notre pays. Les besoins sont immenses. Dans cette perspective, et comme la Côte d’Ivoire est membre de l’Organisation de la conférence islamique depuis 2001 et de la Banque islamique de développement depuis 2002, il est tout à̀ fait légitime de penser que l’industrie financière islamique pourrait servir de canal de transmission des financements internationaux, tant en fonds propres qu’en dettes, vers l’économie ivoirienne.

Dans quels domaines pouvez-vous agir dans l’urgence ? Un plan existe-t-il pour le financement du secteur privé très affaibli par ce conflit ?
Le Cnfici a défini une stratégie autour de certains domaines: la réduction de la pauvreté, le renforcement des capacités, la santé, l’éducation et la création d’emplois. Nous offrirons aux opérateurs des solutions de financement conformément aux principes et pratiques de la finance islamique. Donc, ils bénéficieront d’un soutien non-financier à travers la facilitation des accords de partenariat d’une part et d’autre part, d’un soutien financier pour leur permettre de développer leurs affaires et contribuer à la croissance économique dans notre pays. Nous comptons améliorer les services bancaires et relever également le taux de bancarisation.

Quelle place accordez-vous à l’émergence de la micro-finance dans notre pays?
Il n’est un secret pour personne que la micro-finance conventionnelle connaît des limites sérieuses. La micro-finance islamique proposera des services financiers et non-financiers totalement en dehors de la pratique du taux d’intérêt. Les profits des institutions de micro-finance islamique seront réalisés à partir de la rentabilité des projets financés.

On a le sentiment que les mécanismes de financement islamiques sont encore méconnus des pays de la sous-région. Les textes de l’Uemoa et de la Bceao ne constituent-ils pas un obstacle? Des réformes sont-elles envisageables ?
Depuis 1985, il existe deux banques islamiques (au Niger et au Sénégal). Dans le principe, rien ne s’oppose au développement de la finance islamique; cependant, il est à constater des obstacles qui sont essentiellement juridiques et fiscaux. Ainsi donc, la loi bancaire doit être aménagée et la loi sur la micro-finance doit intégrer certaines règles prudentielles. Il faut également prévoir la création d’un haut-conseil de surveillance (charia board). Nous osons espérer qu’avant fin 2011, la zone Uemoa sera dotée de textes en cohérence avec les principes et pratiques de la finance islamique puisque les négociations avancent bien.

Compte tenu de la rigueur du droit musulman,  est-ce que l’Etat et le secteur privé ivoiriens peuvent-ils lever des fonds sur le marché des Sukuks (obligations islamiques) ?
Absolument ! Bien sûr, de telles émissions sont tributaires d’un certain nombre de conditions. Au premier rang des conditions inhérentes à̀ une émission de Sukuk, on note conformément au sens du droit musulman, des actifs sous-jacents. L’activité́ d’une entreprise comme le port d’Abidjan est parfaitement licite. Ensuite, il faut clairement différencier les Sukuks garantis (dits «asset-based» ou «unsecured») des sukuks de titrisation (dits «asset-bac-ked» ou «secured»). Les premiers bénéficient de mécanismes de rehaussement de crédits inhérents à̀ la qualité́ de crédit de l’émetteur, c’est-à̀-dire de sa notation par les agences de ratings ; les seconds, en revanche, fournissent au marché́ des Sukuks qui reflètent la qualité́ des sous-jacents, et supposent au préalable un cadre juridique autorisant les titrisations islamiques. Si le second scenario nécessite encore du temps et une certaine maturité́, le premier est tout à̀ fait envisageable. Par ailleurs, en dehors du port d’Abidjan, il y a de grands projets comme la construction d’une autoroute entre Abidjan et San Pedro (qui est une ville touristique), et une ligne rapide de train entre Abidjan, la capitale économique et Yamoussoukro, la capitale politique.

Interview réalisée par Cissé Cheick Ely
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