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Afrique Publié le samedi 15 octobre 2011 | Le Patriote

Boukary Kabore dit « le Lion » : “La mort de Thomas a été un suicide politique”

L’homme a joué un rôle clé sur le terrain pour l’ascension de Sankara au pouvoir. Mais avant, la guerre Mali-Burkina l’aura révélé comme un soldat intrépide. En dépit du temps passé, l’ex-commandant du bataillon d’infanterie aéroportée (BIA) continue de faire parler de lui. Le Lion du Boulkiémdé, a accepté de nous livrer ses sentiments à l’occasion du 24 é anniversaire de la mort de Thomas Sankara.
Le Patriote : Vous avez été un compagnon de lutte du président Thomas Sankara, quel souvenir le 15 octobre 87 vous rappelle-t-il?
Boukary Kaboré : A l’investiture du président Compaoré en août 2010 comme candidat du CDP, on a cherché encore à justifier le 15 octobre 87, 23 ans après. Allez y comprendre vous-même qu’il ya quelque chose qui ne va pas. Si après 24 ans, l’on est encore à se justifier, c’est plus grave. Le comble est que chaque fois que les parents du défunt veulent organiser l’anniversaire de sa mort, le pouvoir fait perturber le requiem. De quoi a-t-on peur ? Thomas est mort il y a 24 ans. La vérité, c’est qu’ils sont hantés par le fantôme de l’homme. Alors pourquoi ne pas reconnaître une bonne fois sa grandeur et avoir la paix du cœur. Après avoir assassiné le type on a l’impression qu’ils sont encore contre son cadavre. On met combien de temps pour oublier un mort ? C’est que de par son charisme, Thomas s’impose dans l’histoire de l’humanité. Sankara a été une grande perte pour le Burkina et l’Afrique. Je pense que tous ceux qui l’ont aimé doivent toujours prier pour son âme et laisser les fautifs avec leurs responsabilités devant Dieu. On dit que ce sont les vivants qui règlent les problèmes des morts. Nous allons donc toujours prier pour lui.

LP : Beaucoup de raisons ont été avancées sur le mobile qui a valu son assassinat. Quelle est votre version des faits ?
BK : En tant qu’acteur de la révolution, je peux dire que le vrai mobile est la guerre entre la droite et la gauche. C’est la manifestation du néo-colonialisme français. Le reste, n’est que des détails. La France n’a jamais souhaité qu’un éclairé soit à la tête d’un Etat Africain. Et voilà qu’un éclairé ne se contente pas seulement d’être à la tête d’un Etat mais, diffuse des idées à l’échelle continentale qui n’arrangent pas la France. On a donc trouvé quelqu’un pour commettre l’acte. Je peux vous affirmer qu’il n’était pas possible que Sankara soit attaqué de l’extérieur parce que j’étais au cœur de la sécurité et je sais ce dont nous étions capables en dépit de nos maigres moyens. Aucun mercenaire ne pouvait entrer sur le territoire burkinabé et assassiner Sankara, nous l’aurions enterré ici. Mais ceux qui en voulaient à Sankara ont été plus malins que nous en utilisant des éléments internes.

LP : On dit pourtant que Thomas n’avait pas été surpris par sa mort et que vous-même l’auriez prévenu de ce qui se tramait contre lui?
BK : Oui, je dirai même que la mort de Thomas a été un suicide politique. Parce qu’il n’a pas été surpris par la trahison de son ami. Mais sa loyauté et le sens qu’il avait de l’amitié ont fait qu’il avait refusé de prendre des mesures conservatoires. Il m’avait confié qu’il ne souhaitait pas voir verser le sang et si le sang devrait être versé, il préférait que ce soit le sien. Et c’est ce qui s’est passé le 15 octobre 87.

LP : Pourquoi selon vous, n’a-t-il rien fait pour conjurer le sort?
BK : Cette tragédie était évitable. Si Sankara l’avait voulu nous aurions pu réagir lorsque nous sentions venir la menace mais, il n’a jamais voulu qu’on le fasse. C’était lui le chef et nous étions tenus à ses ordres.

LP : Des observateurs redoutaient pourtant une réplique militaire de votre part. L’idée vous a-t-il traversé l’esprit le soir du 15 octobre 87?
BK : Sincèrement, l’idée ne m’a pas traversé l’esprit parce que pendant qu’il était possible d’éviter la situation, Sankara avait opposé un refus. Je ne vois pas pourquoi Koudougou serait entré en rébellion après sa mort. Non, Koudougou n’a jamais été en rébellion, ni en alerte.

LP : Pourtant, il y a eu une descente militaire sur vos bases le 27 octobre 87 et vous avez dû partir en exil au Ghana pendant de longues années?
BK : J’ai dû partir parce que ceux qui ont tué Sankara me redoutaient et voulaient me tuer comme ils l’ont fait pour ses collaborateurs qui se trouvaient avec lui à Ouaga. Il fallait inventer un motif. J’aurais pu rester pour combattre jusqu’à ma dernière cartouche mais, nous n’étions pas dans le cas d’une défense de l’intégrité du territoire mais d’un problème interne. Me fallait-il combattre toute une armée, des militaires venant de Bobo Dioulasso, de Ouaga et de Pô qu’on avait lancés à mes trousses à Koudougou? Ça n’aurait pas été la solution. Du moment où le chef d’Etat avait déjà été tué, une réaction militaire n’aurait pas été sensée. En revanche, si Thomas avait été arrêté et mis en prison, je serai allé le libérer au péril de ma vie. Et croyez-moi, je sais de quoi je parle.

LP : On note cependant que votre départ qualifié de fuite par certains, n’a pas empêché l’exécution de certains de vos éléments restés sur place ?
BK : Je voudrais préciser que je n’ai pas fui. J’ai opté de partir en pensant que cela allait épargner des vies. Ceux qui avaient été envoyés venaient pour moi et j’ai cru qu’en ne me trouvant pas, personne ne serait mort. Malheureusement, ils ont fait un carnage. Onze de mes éléments ont été abattus alors qu’ils n’avaient pas d’armes en main. C’était les meilleurs à l’époque du Burkina. Ils n’étaient pas originaires de Koudougou et n’avaient pas non plus l’intention de combattre. C’est avec ces éléments que je suis allé faire la guerre au Mali et nous sommes revenus sans subir aucune perte en vie humaine. C’était des éléments comme on n’en a pas aujourd’hui. De vrais guerriers.

LP : S’ils étaient de vrais guerriers, comment ont-ils pu se faire tous tuer ce 27 octobre?
BK : Je vous ai dit qu’ils n’ont pas combattu. Ils n’avaient pas les armes à la main. Cependant, je voudrais vous épargner les circonstances dans lesquelles ils ont été tués. C’était une atrocité parce qu’ils ont été brûlés vifs.

LP : Pourquoi étiez vous si redouté ?
BK : C’est la bonne formation militaire. Vous voyez bien que je pète la pleine forme. Je suis un guerrier et un guerrier ne recule devant rien.

LP : Mais on vous présente aussi comme un homme aux pouvoirs mystiques, invulnérable ?
BK : (Rire) Le wac (fétiche ndlr) fait partie de notre patrimoine culturel au Burkina Faso . Mais en dehors du wac, je suis avant tout un bon militaire. J’ai été professeur d’éducation physique et sportive (EPS).

LP : Justement, on rapporte aussi que vous auriez la capacité de disparaître et de prendre une forme animale. Mythe ou réalité ?
BK : Je sais qu’après mon départ de Koudougou et après avoir tué mes hommes, les gens ont tué beaucoup de chats, de chiens et des oiseaux, croyants m’avoir. Ça c’est une réalité qui s’est passée à Koudougou. Mais, je ne peux vous en dire davantage parce que je ne suis pas encore certain de ne pas subir d’autres attaques. Mais, croyez-moi, celui qui me cherche me trouve d’une manière ou d’une autre. Et au Burkina ici tout le monde le sait, à commencer par le régime en place. Je ne suis ni méchant ni complaisant. Je garde tout simplement ma rigueur militaire c’est à ça que je dois ma survie, depuis mon retour d’exil.

LP : Il y a eu entre-temps, la journée du pardon au Burkina. Pensez-vous que cette parenthèse est définitivement tournée ?
BK : Cette journée de pardon était en soi une bonne chose. Blaise Compaoré a très bien été inspiré de le faire. Mais vous conviendrez avec moi qu’elle a eu lieu sur la pression populaire. Pour moi, le pouvoir ne l’a pas faite de gaieté de cœur. Dès lors, je considère cela comme une parodie.

LP : 24 ans après la mort du père du Faso, Boukary Kaboré dit Le Lion a-t-il pardonné pour tout ce qui s’est passé?
BK : Je ne suis qu’un humain comme vous. Je ne suis contre personne, je suis croyant et j’ai tout pardonné. Mais comme je vous l’ai dit, je garderai jusqu’à ma mort ma rigueur militaire qui n’est pas signe de méchanceté.

Entretien réalisé par
Alexandre Lebel Ilboudo à Ouaga
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