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Politique Publié le mardi 6 décembre 2011 | Soir Info

Gbagbo, de Korhogo à la Cpi

Ce qui n'a jamais été dit sur le transfert du prisonnier le plus célèbre du monde
Les images des portes du pénitencier de Scheveningen se refermant derrière le véhicule transportant Laurent Gbagbo, ont fait le tour du monde. Comme un clap de fin. Elles marquent l'épilogue d'une folle semaine où les avocats du désormais prisonnier le plus célèbre du monde, n'ont pu empêcher son transfert à la Cour pénale internationale (Cpi). Le scénario, écrit dans le plus grand secret - notamment lors d'une rencontre à Paris le 26 novembre - par le président ivoirien Alassane Ouattara et le procureur argentin Luis Moreno-Ocampo, a parfaitement fonctionné. « Ils nous ont pris de vitesse pour nous empêcher de déposer des recours », confie, un brin amer, Me Emmanuel Altit, l'avocat français de l'ancien chef d'État. Autre son de cloche du côté d'Abidjan. « Nous avons respecté toutes les procédures légales », affirme Me Jean-Paul Benoit, avocat de l'État ivoirien.

Vendredi 25 novembre: branle-bas de combat

Vers midi, les défenseurs de Laurent Gbagbo sont informés par le palais de justice d'Abidjan, que leur client doit être entendu, le 28 novembre, par un juge ivoirien dans le cadre de l'enquête ouverte sur les crimes économiques commis durant la période post-électotale, entre novembre 2010 et avril 2011. Branle-bas de combat au sein du collectif des avocats. Il faut rejoindre, au plus vite, Korhogo, à plus de 600 km, où se tiendra l'audience. Agathe Baroan, Serge Gbougnon et Toussaint Dako prennent rapidement la route pour la cité du Poro, où est détenu l'ancien président.

Samedi 26 et dimanche 27 novembre: « Sarko m'a tué »

Leur consœur franco-camerounaise, Lucie Bourthoumieux, a également fait le voyage. Conseil stratégique de Laurent Gbagbo, elle travaille avec les ténors du barreau français, Mes Roland Dumas et Jacques Vergès. Dans la matinée du samedi, elle rend visite à l'ex-chef de l'État, dans la villa du gouverneur de Korhogo, où il est détenu. Au cours de cet entretien en tête à tête, sont abordées les questions politiques à l'approche des élections législatives du 11 décembre et les actions de lobbying. Les défenseurs ivoiriens les rejoignent ensuite pour une séance de travail visant à préparer l'audience du lundi. Leur client a le moral et se montre combatif. Reclus depuis plus de sept mois, il consacre son temps à la lecture, aux prières, et regarde aussi la télévision. Ce jour-là, il est en train de relire les Mémoires du général de Gaulle (Gallimard) après avoir avalé dernièrement Kamerun ! Une guerre cachée aux origines de la Françafrique (Éditions La Découverte), Le Visage de Dieu (Grasset), Mémoires du chef des services secrets de la France libre (Odile Jacob). Et,.surtout, Sarko m'a tué (Stock), le livre au titre évocateur des deux journalistes français Gérard Davet et Fabrice Lhomme. On lui remet aussi Le Coup d'État (Duboiris), une enquête qui lui est totalement favorable, signée du journaliste camerounais Charles Onana.. Il commande enfin à Me Bourthoumieux de nouveaux livres rares de Flavius Josèphe, historien du 1er siècle, sur les conflits entre Rome et Jérusalem. Au cours de cette visite, le Dr Christophe Blé, qui vit aux côtés de Gbagbo, est appelé pour examiner le général Bruno Dogbo Blé, l'ancien patron de la Garde républicaine, également détenu à Korhogo. Cette information, parvenue aux oreilles des partisans de l'ancien président, est à l'origine d'une rumeur qui va faire le tour de la blogosphère durant le week-end: « On retire à Gbagbo son médecin pour l'extrader. » Il n'en est rien. Le docteur est rapidement de retour. Gbagbo, avant de se séparer de ses avocats, demande encore à Me Bourthoumieux de porter des nouvelles rassurantes à sa mère, 88 ans, qui vit à Accra.

Lundi 28 novembre: piège ou diversion ?

Laurent Gbagbo est informé, dans la matinée, que le président de la chambre d'accusation d'Abidjan viendra examiner, le lendemain, ses conditions de détention. Une bonne nouvelle. Depuis plusieurs mois, il demande à pouvoir sortir dans la cour de sa résidence pour faire de l'exercice. Enfermé sept jours sur sept, il souffre de problèmes d'arthrose aux poignets et à l'épaule. Vers 15 heures, il rejoint ses avocats au tribunal d'instance de Korhogo pour répondre aux questions de la doyenne des juges d'instruction, Delphine Makoueni Cissé, dans le cadre de l'enquête sur les crimes économiques. Depuis les premières lueurs du jour, le bâtiment est fortement gardé par des militaires. Sur la porte principale, une affiche indique « fermeture au public jusqu'au 30 novembre ». L'interrogatoire va durer près de quatre heures avant que l'ex-président regagne sa villa. « Il a accepté de répondre aux questions », explique Me Gbougnon sans plus de détails. Gbagbo a rendez-vous le lendemain matin pour la poursuite de l'audition. Il ne se doute pas encore, qu'il passe alors sa dernière nuit en Côte d'Ivoire.

Mardi 29 novembre: la nasse

À 7 heures du matin, le tribunal d'instance est bouclé par les hommes du commandant Fofié Kouakou, à la tête de la Compagnie territoriale de Korhogo (Ctk). Le personnel est mis en congé jusqu'au lendemain. Les avocats de Gbagbo se rendent au palais de justice pour la poursuite de l'audience. Accompagné de magistrats ivoiriens et des greffiers de la Cpi arrivés d'Abidjan, le procureur de la République, Simplice Koffi Kouadio, entre alors en scène. Il notifie à Gbagbo son mandat d'arrêt à 13 h 35', avant de procéder à la vérification de son identité et de transmettre aussitôt le dossier à la chambre d'accusation, qui doit statuer sur l'extradition. Les avocats veulent s'y opposer en déposant un recours pour « arrestation, détention et transfèrement illégaux ». Refus catégorique. Après des discussions animées, Gbagbo met fin aux débats. Pour lui, c'est une décision politique et il ne sert à rien de la retarder. « Il était préparé psychologiquement. Depuis le mois de mai, il explique que Ouattara ne peut gouverner tant qu'il réside sur le territoire national », explique Me Gbougnon. « Cette nouvelle épreuve n'est pas la fin de sa carrière politique. Il nous répète souvent que la prison est un chemin pour aller à la présidence. » Vêtu d'un pantalon de couleur kaki et d'une chemise blanche, l'ex-président quitte alors le tribunal vers 18 heures au milieu d'un cortège de voitures aux vitres teintées escortées par les militaires ivoiriens et les Casques bleus. Direction: l'aéroport de Korhogo, où l'attend un Grumman de l'État de Côte d'Ivoire. Le site est entièrement quadrillé et impossible d'accès. À 18h21', l'avion décolle pour un vol à destination d'Abidjan. Durant une brève escale, le temps de faire le plein de carburant, certains prétendent avoir vu Gbagbo menotté au salon d'honneur de l'aéroport. Une version démentie par les autorités ivoiriennes, qui assurent l'avoir traité «avec dignité ». Accompagné des greffiers et du personnel de sécurité de la Cpi, et des représentants de l'État ivoirien, il remonte à bord du même Grumman. Sa prochaine destination: La Haye, aux Pays-Bas.
Mercredi 30 novembre : premières formalités
Arrivé un peu après 4 h du matin à l'aéroport de Rotterdam, Gbagbo est ensuite conduit à bord d'un van gris métallisé, escorté par une voiture de la police néerlandaise, au centre de détention de Scheveningen, dans la banlieue de La Haye. Le nouveau pensionnaire y prend ses quartiers. Dans la matinée, il subit un examen médical, se voit signifier le règlement intérieur et se prête aux formalités administratives. Son avocat français, Me Emmanuel Altit, saute alors dans le premier avion pour Rotterdam. Lui aussi, passe sa journée à la Cpi afin de régler les détails liés à la procédure judiciaire et aux visites. « La comparution initiale de Laurent Gbagbo est programmée pour le lundi 5 décembre à 14h » annonce la Cpi dans un communiqué.
Source : Jeune Afrique
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