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Société Publié le vendredi 16 décembre 2011 | Nord-Sud

ENQUÊTE / Emploi : Voici les mauvais employeurs

Non-paiement des salaires dans les délais légaux, non-respect du Smig, non-déclaration des employés à la Cnps…aujourd`hui, les droits du travailleur sont foulés aux pieds dans de nombreuses entreprises en Côte d`Ivoire. Enquête sur un phénomène à toute épreuve.

Yopougon Toit-rouge, fin 2010. Après avoir enseigné pendant deux ans dans une grande école du quartier, l`un des profs est mis à la porte. Sans préavis et sans ménagement. Sa seule faute : son contrat à durée déterminée (cdd) vient d`expirer. S`il faut le reconduire, ce sera à un contrat à durée indéterminée (Cdi) que l`école doit faire face. Chose que le fondateur évite avec ses enseignants. Cela les soumet à de coûteux droits.

Dans le même temps, l`école embauche un autre enseignant pour un cdd. Le prof licencié va saisir Yao Kouadio, secrétaire général du Syndicat national des employés de l`enseignement privé du secondaire de Côte d`Ivoire (Sneepsci). Mais,l`affaire se noie dans la masse des nombreux cas de violation de droits que le syndicaliste gère.

Fin 2011, direction opposée, même problème : Guillaume Gbato, le secrétaire général du Syndicat national de la presse privée de Côte d`Ivoire (Synapp-ci) est confronté à des cas de licenciements « abusifs » des journalistes du quotidien Notre-Voie. Ils ont été mis à la porte par la direction sans motif réel, selon le sg. Il dit avoir saisi l`Inspection générale du travail, puis la justice.

Mais tout porte à croire que c`est peine perdue d`avance. L`influence des patrons ayant toujours prévalu sur ce type de plainte. Pour justifier un licenciement, le boss peut évoquer toute sorte de raisons valables devant l`inspecteur du travail. Et si besoin en est, le soudoyer pour qu`il ferme les yeux dessus. Ces situations illustrent un peu l`atmosphère du monde du travail aujourd`hui en Côte d`Ivoire.

Lors du séminaire sur la révision du code du travail, du 05 au 09 décembre à Grand-Bassam, Bamba Nanourou, directeur général du travail s`offusquait en ces mots :« la situation des travailleurs pour la plupart n`est pas reluisante. A cause des nombreux cas de violations de leurs droits, devenus monnaie courante du fait de la crise.»

Dans une interview qu`il nous a accordée, Bamba Nanourou donne des précisions sur lesdites violations: « le non-paiement des salaires dans les délais légaux, le non-respect du Smig, la non-déclaration des travailleurs à la Cnps, la non-délivrance du bulletin des salaires et la non-délivrance du certificat de travail en cas de licenciement ou en cas de rupture du contrat de travail… »

Bien qu`il se soit arrêté à ces effractions, la liste paraît longue. Et va crescendo avec le taux de chômage galopant que les Ivoiriens connaissent avec la crise. Plus de 60% de la population active est concerné. La demande étant devenue démesurément plus forte que l`offre, les chefs d`entreprises font la loi à leur guise. De plus en plus de secteur, à cause de l`impunité, s`en donnent à cœur joie en bafouant les droits de leurs travailleurs.

Même si ces entreprises ont souvent les moyens de les respecter. « Les secteurs les plus touchés sont les secteurs agricoles, et l`industrie. A cela, s`ajoute le tourisme et l`hôtellerie », note Bamba Nanourou. Quand Guillaume Gbato pense, lui, que c`est le secteur de la presse qui est le plus sinistré. « C`est un désert syndical. Le tombeau des libertés syndicales ».

Yao Kouadio estime le contraire : le secteur le plus sinistré demeure celui de l`enseignement privé. « C`est notre quotidien. Nous recevons à tout moment des plaintes de la part des enseignants concernés par la violation de leurs droits. 90% des écoles n`appliquent pas le salaire conventionnel.

Presque la totalité des travailleurs de l`enseignement privé ne sont pas déclarés à la Cnps. Rares sont ceux qui ont des bulletins de paye ». Ce sombre tableau du monde de l`emploi soulève bien d`interrogations. Où sont passés les organes de contrôle ? Que font les travailleurs pour contraindre leurs employeurs au respect de leurs droits ?

Brou Jean, spécialiste des ressources humaines, le confesse sans ambages. Les meilleures entreprises en Côte d` Ivoire sont les françaises. « Avant d`investir en Côte d`Ivoire, l`investisseur français prend le temps de lire le code de l`investissement, le code du travail. Il fait ses prévisions en tenant compte des droits du travailleur avant de venir s`implanter.

Ce qui n`est pas le cas très souvent chez les Libanais (Ndlr : dont nous avons tenté d`avoir la chambre de commerce, en vain). C`est pour cela que leurs travailleurs sont mal payés ». Dans le domaine de l`enseignement supérieur, Yao Kouadio note que dans toute la commune de Yopougon, seul l`établissement supérieur Its respecte le droit de ses travailleurs. Et dans la presse privée ?

« Si on tient compte de la déclaration à la Cnps, il y a le Nouveau-réveil, Nord-sud, le Patriote, Notre-voie, Soir info, l`Expression. Si l`on doit tenir compte du respect du smig, il ne reste que Notre-voie, Nord-sud, l`Expression, le Patriote. Mais s`il faut aussi tenir compte des libertés syndicales, alors il ne reste que Notre-voie », soutient Guillaume Gbato..

Raphaël Tanoh

Travailleurs , voici la procédure à suivre

Selon M. Brou Jean, responsable des ressources humaines, on fait souvent une mauvaise lecture de la vie de l`entreprise. « En tant que ressource humaine, quand un travailleur interpelle mon patron pour lui dire que cela ne se fait pas, soit je démissionne ou j`organise ce qu`il va faire. Ensuite, j`expose ses exigences au patron ». L`entreprise n`est pas une prison, dit-il. Bien au contraire, ce sont les travailleurs qui se mettent en situation de prison. A l`entendre, ils préfèrent gérer leurs problèmes avec les collègues au lieu d`en parler à la direction des ressources humaines.

Ce manque de procédure l`a conduit à expulser plusieurs membres de son personnel. Le phénomène, selon lui, peut être attribué à un manque de formation du travailleur. « Il faut que les syndicalistes et les centrales syndicales s`impliquent dans la formation de leurs membres », conseille-t-il. Au-delà, si le travailleur constate une faute lourde de la part de son employeur, mauvais traitement salarial ou non-déclaration à la Cnps, il doit saisir l`inspection générale, pour le premier cas et la Cnps pour le second cas.

M. Brou reconnaît toutefois que certains travailleurs ne veulent pas saisir ces organes de peur de se voir licencier. Alors, il conseille la discrétion. « Vous pouvez aller voir ces organes sans que personne ne soit au courant ». Mais il faut le faire preuve à l`appui. Exemple : «quand est-ce qu`on dit qu`un employé est mal payé ? Lorsque les travailleurs et les employeurs se retrouvent pour définir le niveau du salaire, ils le définissent en fonction de la moyenne globale des entreprises.

Les secteurs décident de payer leurs travailleurs à telle somme, selon tel poste. Si l`employeur le respecte, on ne peut pas dire qu`il paye mal. Mais s`il ne le respecte pas, alors, il y a problème ». Il faut saisir qui de droit. Mais les organes sont-ils fiables ?

R.T

Les patrons s`expliquent

Erigé en défenseur des patrons d`entreprises, Mamadou Sarr, directeur général de la Chambre de Commerce et d`Industrie de Côte d`Ivoire (CCI-CI) balaie du revers de la main les accusations. Selon lui, la problématique des droits des travailleurs est une sous-composante de leurs missions. « Comment faire prospérer nos entreprises qui contribuent à la richesse de la nation ivoirienne, si ceux-là mêmes qui sont les travailleurs et qui contribuent par leur labeur quotidien à l`édification des piliers de cette prospérité, voient leurs droits bafouer et sont exploités ?

Comment pourraient-ils être motivés pour accomplir leurs tâches et contribuer à la création de richesses ? », s`interroge-t-il. En plus de ce souci, ils plaident, selon lui, auprès de l`administration pour accroître le renforcement des capacités des inspecteurs du travail, de même que les élus syndicaux qui doivent avoir un rôle d`éducateurs auprès de leurs collègues. Et d`ajouter que ces syndicalistes doivent également promouvoir la mise en place de règlement intérieur adapté ou de charte au sein des entreprises.

« C`est pourquoi à la CCI-CI, nous avons des programmes de sensibilisation de nos membres au respect des textes en vigueur à travers des tables-rondes, des séminaires, et également par l`organisation de rencontres thématiques entre l`inspection du travail et les employeurs ». Pour M. Sarr, ces rencontres établissent les fondements du partenariat gagnant-gagnant entre employeurs et employés.

R.T.

La défaillance des organes de contrôle

« L`inspection générale de l`emploi, c`est le nez défaillant du système », note Yao Kouadio, le sg du Syneepsci. Il explique que lorsque qu`ils saisissent l`inspection générale du travail pour décrier les abus du fondateur, celle-ci le convoque. Mais la plupart des inspecteurs font la part belle à ces patrons d`école. « Ils prennent des pots-de-vin. Ce qui tue la confian­ce que nous devons placer en eux ».

Les inspecteurs, s`ils ne se laissent pas manipuler, sont de connivence avec les fondateurs. « L`inspection de travail d`Adjamé est réputée pour cela. Tous les travailleurs du collège d`Anador d`Abobo ont été renvoyés pour rien. Et c`est l`inspecteur d`Adjamé qui en a donné l`autorisation. Ces enseignants ont aussitôt été remplacés par d`autres». Selon les syndicalistes, seule la direction générale du travail arrive à leur donner espoir.

« Quand l`inspection du travail fait un travail abusif, on saisit cette instance. La direction du travail nous a toujours aidés en annulant les décisions abusives de l`inspection du travail». Pour Guillaume Gbato, cette défaillance doit être attribuée à la faiblesse du code du travail. « Les agents de l`inspection générale de l`emploi font eux-même la grève contre leurs dirigeants », signifie-t-il. Quand Brou Jean demande une plus forte implication de l`Etat.

R.T.
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