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Politique Publié le lundi 2 avril 2012 | L’intelligent d’Abidjan

Interview exclusive accordée à la RTI et à Fraternité-Matin / Alassane Ouattara : ‘’Pour la réconciliation nationale, je suis prêt à aller le plus loin possible’’

© L’intelligent d’Abidjan Par Aristide
Communication: le Président Alassane Ouattara face à la presse nationale
Vendredi 30 Mars 2012. Abidjan. Photo: le chef de l`Etat, lors de l`interview radiodiffusée et télévisée qu`il a accordée aux journalites de la presse nationale
Le président de la République de Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara, a fait le bilan de sa gestion, depuis plus d’un an. Les nouveaux défis concernant la relance de l’économie ivoirienne, la stabilité de la sous-région ouest-africaine, son mandat à la tête de la CEDEAO, font partie des sujets abordés par Alassane Ouattara.

Nous allons commencer par l’actualité sous-régionale, ce coup d’Etat au Mali. La CEDEAO que vous dirigez a répondu par la fermeté. Pourquoi ?

D’abord je voudrais vous remercier, Agnès et Pascal pour cette opportunité, parce que vous l’avez dit, cela fait un peu plus d’un an que j’ai été élu au suffrage universel par mes compatriotes. C’est un honneur, une charge. Je pense que le moment est venu de parler à mes compatriotes et de leur dire un peu comment j’ai trouvé la Côte d’Ivoire, ce que nous avons pu faire depuis un an et surtout indiquer où est-ce que nous allons et comment nous allons y arriver. C’est une opportunité et je m’en réjouis personnellement. Je dois signaler que j’avais souhaité le faire depuis plusieurs mois, mais à maintes occasions nous avons été obligé, d’en faire un report. Mais, ce soir je parlerai vrai. Le Mali est un pays voisin de la Côte d’Ivoire, c’est un grand pays, un pays fondateur de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest. C’est un pays qui a toujours eu d’excellentes relations avec la Côte d’Ivoire. Je dirai même, au plan personnel, que quand ma mère qui a été exfiltrée pendant la grave crise en 2002, c’est au Mali qu’elle a trouvé refuge. Donc, ceci crée des liens. Nous sommes préoccupés par la situation au Mali pour deux raisons : la première, ce qui s’est passé est un coup d’Etat contre la démocratie. Le Mali était une fierté pour nous tous, tous les démocrates, qui a fait vingt années d’élections normales, paisibles, un environnement d’état de droit ; un pays qui, malgré ses difficultés, allait de l’avant, faisait des progrès. Mais ce processus a été interrompu par un coup de force. Cela est inacceptable d’autant plus que c’est un mauvais exemple. Nous étions fiers, il y a quelques mois, de dire qu’en Afrique de l’Ouest, des régimes démocratiques sont maintenant en majorité et que les quelques cas qui nous restent, que je ne citerai pas, sont des cas que nous allons traiter à l’occasion du mandat que mes pairs ont bien voulu me confier. Et nous voilà devant ce drame. La deuxième raison, le Mali est menacé de partition. Nous ne pouvons pas accepter cela ni au niveau de la CEDEAO ni au niveau du continent africain. Nous devons préserver à tout prix l’intégrité territoriale du Mali. Je m’emploie personnellement à faire cela avec mes pairs de la CEDEAO et nous devons réussir parce que si le Mali est divisé, morcelé, c’est un mauvais exemple. Je considère que cette fermeté, c’est dans l’intérêt du Mali et des Maliens.

Evidemment, nous souhaitons tous qu’on n’en arrive pas à l’application des sanctions. Mais vous savez, c’est très simple de ne pas y arriver. La junte militaire qui a fait un coup de force doit rendre le pouvoir aux autorités constitutionnelles et qu’ensemble nous puissions trouver les voies et moyens de faire en sorte que la légitimité soit installée, que nous puissions nous consacrer au problème de développement du Mali et que nous puissions régler le problème de préserver l’intégrité territoriale du Mali.

Vous dites légitimité, que ce soit le retour de ATT, soit le président de l’Assemblée nationale pour assurer l’intérim ?

Pour moi l’analyse est simple. Les Maliens ont élu un président après avoir mis en place une Constitution. Les Maliens ont également élu un député et dans la Constitution, les choses sont claires : le président de la République va au terme de son mandat. Il reste deux mois de mandat à ATT, il devrait être remis en selle pour terminer ces deux mois. Maintenant il lui appartient, compte tenu des circonstances, de dire et il l’a dit sur les radios, que sa personne importe peu. En ce moment-là, le jeu constitutionnel doit se mettre en œuvre et cela s’est produit dans d’autres pays. Une fois que ce problème est réglé, il faut effectivement un gouvernement d’union nationale qui permette à tous d’avoir confiance et de faire en sorte que les élections aient lieu dans des délais rapprochés. La Constitution malienne est à peu près comme la nôtre : en cas de vacance du pouvoir, de démission du chef de l’Etat, des élections doivent être organisées 21 jours au moins et 40 jours au plus. Il appartiendra à la classe politique de voir si cela est possible, autrement la CEDEAO sera disponible pour donner un délai supplémentaire, mais pas de très longue durée.

Aujourd’hui, Kidal est tombée entre les mains de la rébellion touareg. Personne ne peut prédire jusqu’où ira cette rébellion, mais ce que nous voulons savoir avec vous, c’est ce que ferait la CEDEAO pour empêcher l’avancée de cette rébellion ?

Nous avons mis en alerte les forces d’attente au sein de la CEDEAO. Nous avons 2000 hommes dans cette force, nous avons des équipements, nous avons demandé à la communauté internationale de nous appuyer, d’appuyer le Mali et les soldats maliens. Notre souhait, c’est d’éviter la guerre. Si la légitimité est rétablie et que ces mouvements armés se rendent compte qu’il y a une mobilisation régionale et internationale, ils quitteront Kidal tout de suite, parce qu’ils connaissent les conséquences de ce qui pourrait leur arriver.

Est-ce que vous pouvez rassurer les Maliens que demain l’armée ouest africaine pourrait venir à leur secours ?

L’armée ouest africaine doit venir au secours des Maliens. Ce qui arrive au Mali nous arrive à tous. Un dérapage au Mali va atteindre nécessairement tous les pays voisins. Regardez le nombre de réfugiés déjà au Burkina et au Niger et même en Mauritanie. Nous devons tout faire pour préserver l’intégrité territoriale du Mali et en tant que président en exercice de la CEDEAO, je mettrai tout en œuvre pour réussir cet objectif. Bien entendu, cela va de pair avec le retour à l’ordre constitutionnel.

D’après les décisions que la CEDEAO a prises, hier (jeudi 29 mars 2012, ndlr) contre les putschistes, si jusqu’à lundi ils ne rendent pas le pouvoir de manière constitutionnelle, vous appliquerez un embargo à la fois diplomatique et financier. Le risque dans ce genre de décisions, ce sont les populations qui sont les victimes…

C’est vrai. Je pense que ces jeunes gens de la junte doivent comprendre. Qu’est-ce qu’ils nous ont dit, qu’est-ce qu’ils ont dit à nos ministres et à nos chefs d’état-major ? «Nous avons fait ce coup de force parce que les populations souffrent. Parce que nous sommes humiliés de voir qu’une partie de notre territoire est en proie à être détachée du Mali, le coût de la vie est très cher, etc.» Vous savez, nous, nous sommes soucieux d’alléger les souffrances des populations. Ces jeunes gens qui disent qu’ils aiment tant le Mali doivent rentrer dans l’ordre constitutionnel. C’est une obligation pour eux s’ils sont sincères dans ce qu’ils disent. ATT devrait partir dans deux mois, le 08 juin. Qu’est-ce que cela leur apporte de rester à la tête d’un Etat et de faire souffrir les Maliens ? Je souhaite pour ma part, et j’ai eu l’occasion de parler au capitaine Sanogo. Je lui ai dit que c’est très dangereux, c’est très grave, intolérable et inacceptable. La place des militaires est dans les casernes. Ce n’est pas au palais présidentiel et je crois que nous nous sommes compris.

La rébellion au nord du Mali, le coup d’Etat à Bamako, des attentats au Nigeria, quelle est la parade de la CEDEAO par rapport à toutes ces violences qui secouent notre région ?
Vous pouvez ajouter des menaces ailleurs, en Guinée-Bissau, etc. La CEDEAO est un espace communautaire. Et mon mandat, je le place sous le sceau de la paix et de la sécurité et également bien sûr, du développement. Le problème de Boko Haram par exemple, le Nigéria a déployé des mesures très fortes. Cette lutte contre le terrorisme est en train de réussir au Nigeria. Nous devons réussir ce qui se passe au Mali et c’est ce que nous sommes en train de faire. Demain (aujourd’hui, ndlr) j’envoie une mission en Guinée-Bissau dirigée par le président de la commission de la CEDEAO, avec le chef d’état-major de Côte d’Ivoire et celui du Nigéria pour faire le point. Egalement en Guinée-Bissau, nous allons agir.

L’objectif de la CEDEAO, c’est d’élargir la démocratie et de l’installer de manière définitive dans notre sous-région. Nous voulons être fiers de constater que notre sous-région a fait un bond spectaculaire en matière de démocratie et d’Etat de droit. Mon mandat est placé sous cet auspice et je ferais tout pour que nous puissions réussir. J’ai le soutien des autres chefs d’Etat pour le faire.

De ce point de vue, ce qui s’est passé au Sénégal vous réjouit-il Monsieur le Président ?
Bien sûr, c’est une fierté ! Heureusement que ces derniers jours, il y a eu le Sénégal.

D’abord, ces élections qui ont été paisibles se sont passées dans une ambiance de tranquillité. Je salue le peuple sénégalais. Je ne suis pas surpris. Je salue le Président Wade qui a été très élégant et qui, avant même la publication des résultats provisoires, a appelé Macky Sall pour lui dire : «Jeune frère, vous avez gagné et c’est vous le président». Dix minutes après qu’il eut parlé à Macky Sall, je lui ai parlé et je peux vous dire que j’ai parlé à Macky Sall également. Je crois que la transition va se passer de manière exemplaire. Nous en sommes très fiers. Je félicite le président Wade, je félicite le président Macky Sall. Les liens entre le Sénégal et la Côte d’Ivoire sont des liens historiques. Nous sommes très proches, très liés et le Sénégal peut compter sur la Côte d’Ivoire et les Ivoiriens.

Revenons un moment sur la crise ivoirienne. On vous voit très impliqué dans la recherche de solutions. C’est vraiment le retour de la diplomatie ivoirienne ?

Tout à fait ! La Côte d’Ivoire a un rôle moteur à jouer dans la sous- région. Et nous devons nous ouvrir. Vous constaterez que depuis le mois de mai que j’ai été effectivement en fonction, j’ai visité douze des quinze pays de la CEDEAO. Pourquoi je l’ai fait ? Pour d’abord indiquer à ces Etats, à ces peuples que la Côte d’Ivoire est un pays d’hospitalité, que nous sommes un peuple hospitalier et que ce qui s’est passé est dépassé. Et que nous voulons nous tourner vers l’avenir. Parce que certains de leurs concitoyens ont été brutalisés, ont été tués durant cette crise postélectorale. Ce n’était pas facile au début. Maintenant que ces Etats, à l’unanimité, m’aient demandé d’assurer la présidence de la CEDEAO, montre que ces voyages ont contribué à donner à la Côte d’Ivoire, la place qu’elle mérite. Je continuerai.

La Côte d’Ivoire a des liens non seulement privilégiés mais également la CEDEAO est un marché pour la Côte d’Ivoire. Si nous voulons avoir une extension économique très forte, il faut des marchés d’exportation. Donc il y a un aspect diplomatique, un aspect économique mais surtout, il y a notre volonté de créer une CEDEAO des peuples. Il faut que toutes ces institutions travaillent pour les citoyens des Etats. Il ne faut plus qu’il y ait des difficultés pour un Ivoirien de se rendre au Ghana ou de se rendre au Nigéria avec toutes sortes de paperasseries, d’obstacles. Quand il a son petit commerce, des barrages à tout point de vue. Il faut abolir tout cela pour que nous ayons un espace ouvert comme en Europe. Et c’est comme cela que nous rendrons service à nos peuples.

Monsieur le président, parlons de l’Union africaine, blocage constaté des capacités des chefs d’Etat à choisir un président de la Commission. Où est-ce que vous allez dans ces dissensions ?

Nous n’en sommes pas fiers. Je pense que nous aurions dû élire le président de la commission de l’Union africaine à Addis-Abeba. Beaucoup de choses se sont passées, je ne reviendrai pas là-dessus. Pour moi, la démocratie, c’est 50 % + 1 vote. Jean Ping a gagné trois fois de suite les scrutins qui se sont déroulés. Il y a eu un blocage parce que les textes de l’Union africaine sont très compliqués. Nous nous sommes réunis récemment à Cotonou et nous avons trouvé une solution. J’espère qu’au mois de juillet, nous allons pouvoir élire le président de la Commission de l’Union africaine. Nous avons demandé aux deux pays qui avaient des candidats notamment, le Gabon et l’Afrique du Sud, de se retrouver et de nous faire des propositions. Nous pensons qu’ils sont en train de se concerter. Ils nous ont promis de venir vers nous avec une proposition de solutions.

M. le Président, il y a de l’insécurité en Afrique de l’Ouest. La Côte d’Ivoire est concernée. Dans le nouveau Gouvernement, vous avez pris vous-même en main, le ministère de la Défense. Qu’est-ce que cela induit?
D’abord, permettez-moi de vous rappeler que je suis le chef suprême des Armées, selon notre Constitution.

En tant que président de la République, vous l’êtes…
En tant que président de la République, je le suis.

Cela n’était pas suffisant ?
Je ne suis pas à la recherche de pouvoirs exceptionnels. Maintenant, j’avais un Premier ministre qui avait réussi à tisser des rapports très étroits avec les deux armées qui se sont battues. Parce que je suis un homme d’engagement et de parole, j’ai cédé le poste de Premier ministre au PDCI. Et Guillaume Soro est maintenant président de l’Assemblée nationale. Et nous avons une importante restructuration à faire au niveau des forces de défense et de sécurité. La question de la sécurité s’améliore. Mais, je veux construire une armée forte. Une armée professionnelle, une armée dont nous serons fiers, une armée républicaine comme son nom l’indique d’ailleurs. Et à partir de là, ce n’est pas seulement la protection de la Côte d’Ivoire et des Ivoiriens. Je veux aller au-delà. Je veux que notre armée par exemple, vous parlez de la situation au Mali, que notre armée puisse aller aider les Maliens quand ils ont des difficultés avec ce qui se passe avec les mouvements armés. Je veux qu’à l’avenir, notre armée puisse donner des soldats, des sous-officiers et même des officiers y compris des officiers généraux pour les forces de maintien de la paix dans d’autres pays, sur d’autres continents. Je veux que la Côte d’Ivoire rayonne, qu’on sente que la Côte d’ivoire est un pays qui compte. Je ne dis pas que c’est par l’armée que cela se fait mais nous devons restructurer le système. J’ai réglé le problème économique, le PPTE nous en parlerons car c’est dans quelques semaines, je pense que les grands travaux sont lancés. Je pense que nous avons encore quelques chantiers importants, c’est vrai. Mais la défense est un point où je veux m’impliquer, donner les orientations. Je veux présider moi-même la restructuration. Je veux connaître tous les échelons dans l’armée. Que ce soit les généraux, les colonels, les commandants, etc. Je veux pouvoir faire les promotions dans l’armée. Que l’armée se dise : voilà, nous avons maintenant un chef suprême qui est juste, qui tient compte de la compétence, du mérite, de l’ancienneté avant de promouvoir les uns et les autres. Je veux donner confiance à l’armée.

M. le Président de la République, dans votre posture de ministre de la Défense, est-ce que vous ne désavouez pas un peu la hiérarchie militaire ? Vous avez dit à un confrère étranger et je vous cite : « j’ai convoqué, il y a peu tous les généraux pour leur dire ceci : s’il n’y a pas d’amélioration en la matière d’ici trois mois, parlant de sécurité, je mets un terme à vos fonctions». Est-ce que ce n’est pas pour mettre un terme à leurs fonctions que vous avez décidé de porter vous-même le costume de ministre de la Défense ?

Non ! Point du tout. La preuve, il y a une amélioration. C’était exactement le 19 décembre. J’ai eu cette réunion dans ce bureau même. J’étais tout à fait choqué par ce qui est arrivé à Vavoua. C’était la suite de plusieurs événements. Et j’ai indiqué aux responsables que leurs responsabilités étaient engagées. Comme la mienne. En allant vers nos compatriotes pour devenir président de la République, je leur ai dit que je les protégerais. Alors, je ne peux pas accepter une situation de désordre, de tueries et autres par rapport à nos concitoyens et à d’autres personnes qui vivent sur notre territoire. J’ai considéré que c’était leurs responsabilités, ils l’exercent très bien. Je suis satisfait de mes responsables et les choses se passent très bien. Mais vous savez, il y a eu deux armées qui se sont combattues. Nous devons restructurer l’armée. Vous savez, restructurer une armée, cela veut dire les intégrer, leur trouver du matériel, des avions, des bateaux, toutes sortes de munitions et ainsi de suite. Et ceci demande aussi un programme économique en réalité. Donc, si je prends en charge le ministère de la Défense ce n’est pas par défiance des responsables militaires bien au contraire, c’est pour les appuyer. C’est pour les aider à faire en sorte que très rapidement, notre armée soit une armée moderne.

C’est vrai qu’en général, lorsque le Président prend le ministère de la Défense, c’est que le pays est en situation d’exception…

Non ! Point du tout. J’ai été élu démocratiquement. On ne peut pas parler d’exception en Côte d’Ivoire. Ce n’est pas du tout le cas.

Nous avons compris, la sécurité s’améliore. M le Président, beaucoup d’Ivoiriens ne sont pas rassurés par des actes de certaines FRCI qui ressemblent à de la défiance. Comment mettre fin à cela ? Comment les ramener dans le droit chemin ?

Vous savez, je comprends les questions d’insécurité, même si ça s’améliore, il y en a toujours, surtout dans les grandes villes. Qu’est-ce que nous avons fait ? J’indiquais tout à l’heure à Agnès, la réunion que nous avons tenue ici le 19 décembre. Et en quelques semaines, nous avons amélioré la situation à Abidjan. Certaines de ces personnes que vous appelez FRCI, mais qui sont de faux FRCI, quelquefois, ce sont des combattants, il y a des miliciens, il y a des anciens prisonniers etc. qui se sont déportés à l’intérieur. Nous avons également mis en place un programme. Et quand ils ont vu que les grands axes routiers étaient protégés, qu’est-ce qu’ils ont fait ? Ils ont pris les routes latérales. Après les routes latérales, c’était les pistes. Et nous allons faire en sorte que les Ivoiriens soient protégés et soient tranquilles. Il y a des améliorations même à l’intérieur et cela continuera avec la restructuration des Forces, de défense qui est en cours.

Je m’adresse au ministre de la Défense que vous êtes. Comment reconnaît-on un faux FRCI d’un vrai ?

Pour le moment, je ne peux pas le faire, parce que les uniformes ont été volés pendant la crise. On a donné des numéros matricules aux vrais FRCI, en tout cas ceux qui ont été recrutés, ceux qui étaient déjà au niveau des FANCI. C’est pour cela que des unités ont été constituées pour vérifier l’identité de ceux qui sont arrêtés. Ce système m’a permis de retirer plus de 400 personnes qui se faisaient passer pour des FRCI alors qu’ils n’étaient pas de vrais FRCI. Bien entendu, nous avons les quotas additionnels pour recruter un certain nombre de jeunes combattants parce qu’ils ont participé tout de même à la crise. Certains ont pu être recrutés, à peu près 1000. Mais, la difficulté, c’est que beaucoup ont dépassé l’âge pour devenir militaire. D’autres n’ont pas le niveau intellectuel nécessaire pour être recrutés. Il y a des règles à mettre en place. Et en fonction de celles-ci, nous continuerons le recrutement. Et nous ferons en sorte que ces combattants ou anciens combattants qui ont contribué à la sortie de crise, puissent avoir un avenir. Cela ne veut pas dire qu’ils vont tous entrer dans l’armée. Il faut que ces jeunes gens comprennent qu’il n’y a pas que l’armée, il y aura beaucoup de grands projets. Nous avons enregistré beaucoup d’entre eux dans les projets spécifiques et nous continuerons de le faire pour qu’ils aient un avenir et qu’ils abandonnent les armes. Parce que, ne doivent porter les armes que ceux qui en ont le droit, c`est-à-dire les militaires. Nous allons désarmer tous ceux qui ne doivent pas avoir des armes.

Pourquoi la nouvelle armée tant attendue tarde à voir le jour ?

Ce sont des questions complexes, il faut le temps pour bien les régler. Si vous ne le faites pas, vous créez une situation d’instabilité. Quand j’ai véritablement pris fonction, les anciens responsables de l’armée sont venus faire allégeance et depuis, ils se comportent de façon totalement républicaine. Je viens de proposer au président Ali Bongo d’accréditer le général Mangou comme ambassadeur au Gabon, il l’a accepté. J’ai proposé à Wade que le général Kassaraté soit l’ambassadeur de la Côte d’Ivoire au Sénégal, il l’a accepté. D’ailleurs, il voyage avec moi ce week-end pour aller à l’investiture du nouveau président. Ces généraux, après le 11 avril, je les ai reçus individuellement, j’ai parlé avec eux. Ils m’ont dit des choses que je garde pour moi. J’ai été ému pour beaucoup, j’avais beaucoup de contraintes. Ce sont des hommes bien pour la plupart d’entre eux. Mais, vous savez, si on vous menace pas vous-mêmes, parce que vous êtes militaires, et vous êtes censés vous battre mais on menace votre femme, vos enfants, vos filles. Pardonnez-moi de le dire Madame, mais, on menace de violer vos enfants, des choses comme ça. A un moment donné, vous craquez.

Donc, je ne voudrais pas revenir sur cette crise qui nous a tant traumatisés. Mais je veux faire la part des choses. J’ai reçu près de 200 chefs militaires avant de procéder aux nominations dans l’armée, y compris d’ailleurs les anciens commandants de zone en présence du Premier ministre Guillaume Soro en son temps. Parce que je voulais leur dire des choses concernant notre pays. Je leur ai dit ceci : ‘‘Moi, je ne suis pas le président d’un groupe, j’ai été élu démocratiquement avec un score important. Je suis le président de tous les Ivoiriens. Vous avez servi un autre président, mais c’était votre devoir. Maintenant, il y a un nouveau président, vous devez le servir avec loyauté’’. Et je suis satisfait de leur comportement.

Vous êtes en train de caser certains généraux, d’autres sont en train de s’interroger sur leur avenir, je pense aux commandants de zone. La CPI est en train de mener ses enquêtes. Si demain certains Commandants de zone sont mis en cause, est-ce que cela ne présentera pas une menace pour votre régime ?
Pas du tout ! Je considère que c’est un faux procès que certaines de ces structures de

Droits de l’Homme font. J’ai montré ma détermination à respecter l’Etat de droit. Nous avons créé une commission nationale d’enquête qui est à pied d’œuvre, qui va terminer son travail dans deux ou trois mois. Et à l’issue de son travail, le document sera rendu public. Si certaines personnes ont commis des crimes, ces personnes iront devant le juge.

Justement, vous venez de nommer la présidente de cette Commission comme ministre déléguée à la Justice. Est-ce qu’il n’y a pas de raison d’avoir un doute sur l’objectivité de cette commission ?

Point du tout, moi je cherche le meilleur à chaque fois que je dois nommer une personne en donnant d’ailleurs la préférence aux femmes. Je connais les reproches qu’on me fait et je m’améliore puisque le nouveau Garde des sceaux est une femme. Qu’est-ce qui s’est passé ? La Commission nationale d’enquête a été mise en place. Le ministre de la Justice est venu nous proposer une liste de magistrats, elle était la plus gradée. Elle est, je crois, hors hiérarchie, impeccable par son travail, son objectivité, sa compétence et elle a été nommée à ce poste. A l’occasion du changement du gouvernement avec Maître Ahoussou comme Premier ministre, je souhaitais qu’il continue de garder la Justice parce qu’il y fait du bon travail. Et nous avons des dossiers importants à gérer. Je lui ai dit donc : ‘‘cherchons un Garde des sceaux, de préférence une femme’’. Et notre choix s’est porté sur elle. J’attends qu’il (le Premier ministre, ndlr) me fasse des propositions à nouveau pour la présidence de la Commission d’enquête.

Les populations empruntent les routes ivoiriennes la peur au ventre. Les jours passent, nous voyons des drames, des morts par la faute des coupeurs de route…

Cela est vrai, nous y travaillons. Et il y a des résultats. Tous les matins, je reçois des rapports de la gendarmerie, de l’état-major me disant qu’il y a eu tel nombre de braquages, de coupeurs de routes. Je peux vous dire, depuis une dizaine de jours, je n’ai quasiment plus d’éléments sur les coupeurs de route. Il y a trois semaines, c’était 10 par jour.

Peut-être un repli stratégique de leur part ?

Non, nous sommes déterminés à éradiquer ce phénomène et nous allons le faire. Mais, s’il y a quelque chose qui nous gêne, c’est le problème de l’embargo. Pour régler ces problèmes, il faut des armes aussi. Quelquefois, ces coupeurs de route sont mieux armés que l’armée elle-même ou la gendarmerie. Nous allons faire des démarches auprès de l’ONU pour avoir ce qu’il faut. Je pense que les choses vont se régler rapidement. Nous montons en puissance et nous allons régler ce problème. Je peux en donner l’assurance à mes compatriotes.

On va parler du problème des moyens de la police et de la gendarmerie chargées de la sécurité des Ivoiriens. Mais, il y a aussi le problème de logement qui revient de manière récurrente. Des policiers qui sont mal logés, qui sont menacés d’être vidés de leur logement.

On leur demande d’assurer la sécurité. Ce n’est pas évident…

Ce problème de baux administratifs, je l’avais réglé il y a 20 ans. Il y a beaucoup de malversations, il y a beaucoup de choses qui ne sont pas claires là-dedans. Nous, nous réglerons ce problème, mais, nous voulons faire un audit. Nous voulons savoir si des maisons qui sont censées être baillées, sont véritablement baillées. Quelquefois, il y a des adresses qui sont vides et pourtant l’Etat paye des millions à des personnes pour cela. Une fois cet audit sera terminé, et que nous saurons que tant de policiers logent dans tant de maisons, ces baux seront régulièrement réglés et les arriérés seront également payés sur une certaine période comme nous le faisons dans tous les secteurs. Nous voulons assurer les policiers que c’est important qu’ils aient un minimum de confort quand ils rentrent chez eux. Ces gens font un travail difficile. Ils sont debout pratiquement toute la journée. Quand ils rentrent chez eux et qu’ils ont des problèmes avec leur propriétaire, ce n’est pas normal. Ça veut dire que l’Etat n’a pas fait son travail. Je n’ai pas voulu rentrer dans une série de considérations. Mais, vous savez, j’ai trouvé un Etat déliquescent. La Côte d’Ivoire était en faillite économique. Je dirai même en faillite morale. Je n’ai pas besoin de décrire les choses. Je n’ai pas besoin de donner des exemples, tout le monde le sait, c’était la honte pour mon pays. La manière dont certains dirigeants se comportaient, la Côte d’Ivoire était divisée du fait des autorités elles-mêmes. La Côte d’Ivoire s’était repliée sur elle-même. Il fallait ouvrir la Côte d’Ivoire. Il fallait rassurer nos compatriotes. Il fallait montrer des choses qui n’ont pas été faites que nous pouvons faire. Que nous pouvons reconstruire, réhabiliter les universités, les routes. Qu’il y a des emplois qui seront créés et ainsi de suite. C’est à partir de là que les Ivoiriens seront certains que l’avenir de leurs enfants est quelque chose dont ils auront des fruits.

On reviendra largement sur ce que vous avez fait. Nous allons maintenant passer à un volet qui est la sécurité. Nous savons que l’insécurité règne dans notre pays et certaines régions ont beaucoup plus souffert que d’autres. Notamment l’Ouest que vous allez bientôt visiter. Quel message allez-vous délivrer aux populations de cette région ? D’autant que beaucoup pensent que la déstabilisation viendra de cette région…

Non, vous savez cette question de déstabilisation de la Côte d’Ivoire, je la lis de temps en temps dans la presse. Mais considérez que la Côte d’Ivoire est stable maintenant et qu’il n’y a pas de risque de déstabilisation. Mais certains peuvent se faire des illusions. Maintenant comme le dit le président Félix Houphouët-Boigny, on ne peut pas empêcher quelqu’un de rêver debout. Ceci étant, à l’Ouest, il y a eu des problèmes sérieux. Il y a eu des massacres.

La Commission nationale d’enquête a fait un travail important là-bas. Je n’ai pas voulu y aller en visite d’Etat il y a six mois parce que je ne voulais pas aller à l’Ouest pour me faire applaudir. Ce n’est pas comme cela que je vois ma fonction. J’ai demandé au Premier ministre d’alors de mettre en place un fonds spécial pour réhabiliter les écoles, les dispensaires, mettre les médicaments dans les dispensaires, reprofiler les routes, acheter des véhicules pour les préfets, reconstruire les préfectures. C’est tout ce qui est en train d’être fait et cela est quasiment bouclé. Donc j’irai dans l’Ouest dans la période du 21 au 24 avril. Mais que vais-je dire à mes compatriotes de l’Ouest ? Je vais leur dire qu’ils ont été pris dans un traquenard et manipulés. Certains politiciens les ont utilisés. Mais que cela est derrière nous et que nous sommes tous Ivoiriens et nous devons maintenant nous mettre ensemble pour reconstruire notre pays. Et que j’ai commencé à l’Ouest. J’ai fait plus d’investissements à l’Ouest que nulle part ailleurs depuis que je suis président. Et que je continuerai. D’ailleurs le nombre de réfugiés qui étaient plus de 220 mille est maintenant à moins de 90 mille. C’est que les Ivoiriens reviennent et commencent à avoir confiance. Mais je vais leur dire aussi que certes, tout cela est très dur, mais il faut se réconcilier pour vivre ensemble. Si nous n’arrivons pas à nous mettre cela psychologiquement comme objectif, nous n`allons pas pouvoir aller de l’avant. La réconciliation doit être une priorité. Pour la réconciliation, il faut le pardon et pouvoir exprimer des regrets. Ceux qui ont commis des actes criminels ou semi-criminels doivent pouvoir exprimer des regrets et demander pardon.

Ceux qui ont été des victimes doivent accepter les pardons. Je vais leur dire que la priorité pour moi, sera les victimes. Quand j’ai reçu le président de la Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation, je lui ai dit : « Commencez par le recensement des victimes. S’il faut que je mette pour les années à venir, 50 ou 100 milliards de FCFA, dans un compte spécial pour dédommager les victimes, je vais le faire. Parce que c’est une priorité ».

La réconciliation, vous l’avez dit, est une priorité. Un an après votre avènement au pouvoir, où en sommes-nous ?

Mais nous en sommes au point où la Commission a commencé à faire un travail depuis son installation en septembre, elle fait du bon travail. Parce qu’elle fait un travail d’organisation, de recensement et d’implantation. Mais je vais plus loin…

Mais ce n’est pas le sentiment des Ivoiriens. Pour eux, on n’avance pas beaucoup…
Vous savez, nos compatriotes sont impatients, parce qu’il y a des choses qui se font. C’est cela qu’il faut remarquer. Parce que si rien n’était, on dirait : « De toutes les façons, comme toujours, ça ne va pas changer ». Mais quand ça bouge, les gens veulent que ça bouge plus vite. Mais moi, je ne dirai pas que très sincèrement la réconciliation n’est pas l’affaire de la seule commission. C’est notre affaire à tous. C’est l’affaire de chaque citoyen Ivoirien, du gouvernement, de toutes les institutions. Et nous devons nous y mettre. Parce que si nous ne nous réconcilions pas, dans un pays de 22 ou 23 millions d’habitants, quel rôle voulez-vous que nous jouions avec une population où d’autres Africains sont venus s’installer, comment voulez-vous que nous soyons crédibles dans nos relations avec les autres ? Donc la réconciliation est une priorité. Il y a une Commission qui a été mise en place. Vous dites que ce n’est pas assez. Mais cela va s’accélérer. Nous mettrons les moyens à la disposition de cette Commission et j’en appelle à nos concitoyens pour dire que la réconciliation, c’est chacun de nous.

Justement, on ne voit pas beaucoup de signes de réconciliation. L’opposition est campée sur sa position. Est-ce que le transfèrement de l’ancien président à La Haye ne constitue pas le plus gros obstacle ?

Vraiment, je vois là tellement de contradictions. Voici une situation où il y a eu 3000 morts. Nous avions nous-mêmes, pendant la crise, dit qu’il y a eu des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. Nous n’avions pas les outils pour le faire au plan juridique. Nous n’avions pas les juges, les tribunaux, les greffiers. Enfin, j’en passe. Et même, on nous accusait d’avoir une justice des vainqueurs. Alors maintenant qu’il y a le transfèrement à La Haye, il est clair que la justice ne peut pas être considérée comme étant partiale. Les gens devraient s’en réjouir. En plus de cela, pour montrer qu’elle est impartiale, nous avions demandé à la justice que la période d’examen soit seulement la période postélectorale. C’est-à-dire après le 28 novembre 2010. Mais la Cour pénale internationale a décidé que cette période s’étende jusqu’en 2002 pour montrer l’impartialité de la Cour. Je considère donc qu’il ne faut pas mélanger les choses. Quand on commet des crimes, on doit être jugé. Ma préférence, c’est de juger mes compatriotes ici en Côte d’Ivoire. L’ancien président avait juré sur la Constitution de défendre les Ivoiriens, de défendre la Côte d’Ivoire. Il ne l’a pas fait. De son fait, 3000 personnes ont été tuées au minimum. Et vous voulez que cela reste impuni ? Je ne le pense pas.

M. le Président, la réconciliation ne peut se faire sans justice et pardon. Mais pour l’heure, ne sont arrêtés et recherchés que des membres de l’opposition. Un an après donc la guerre, aucun des soldats qui ont combattu pour vous n’a été arrêté. Les crimes dont font état les enquêtes ne sont-ils que l’œuvre d’un seul camp et vous ne voyez pas là, une justice des vainqueurs ?

Oui, Agnès, vous me dites la justice. Mais vous avez qu’il y a des procédures. J’ai indiqué qu’il y a une commission nationale d’enquête qui a fini son travail et vous voulez qu’on aille, qu’on attrape quelqu’un et qu’on le mette en prison. Ce n’est pas cela, l’Etat de droit. L’Etat de droit veut dire qu’il faut faire des enquêtes et ce sont les enquêtes préliminaires qui ont conduit au transfèrement de l’ancien président. Moi je suis tout à fait à l’aise pour dire que je suis un démocrate et je suis fier de dire que mon pays sera considéré comme un Etat de droit et que la justice sera la même pour tous. Il n’y aura pas de discrimination.

La réconciliation, M. le président, ce sont vos terme, c’est l’affaire de tous les Ivoiriens. Je vous lis ici le message d’un grand intellectuel ivoirien qui disait ceci : « il n’y a jamais eu et ne saurait avoir de réconciliation par procuration ou par contumace. Les sujets à réconcilier doivent être tous présents dans l’espace national et libre pour se parler, sourire les uns aux autres, vivre personnellement et en direct leurs échanges de flux humains et fraternels… ».

Pour cela, il demande que la commission Banny fasse du mieux qu’elle peut pour que reviennent au pays les milliers d’exilés, pour que soient libérés ceux qui sont actuellement détenus. Celui qui a écrit ses phrases, c’est le professeur Zadi Zaourou qui nous a quitté le 20 mars dernier…

C’était un grand homme et un grand ami à moi.

Et si cette phrase était vraiment la dernière volonté d’un disparu ?

Mais moi, je suis d’abord d’accord avec lui que les exilés doivent rentrer. J’ai parlé tout à l’heure du tour que j’ai fait dans tous les pays en moins d’un an. Je suis allé au Bénin, au Ghana et au Togo. Pourquoi, j’ai choisi ces pays en priorité ? C’était pour aller à nos compatriotes qui y sont. Je les ai rassurés. Je leur ai dit : «rentrez !, une fois que vous serez là, la justice sera la même pour tous». Beaucoup sont rentrés. D’ailleurs, je ne voudrais pas citer de noms, il y a des gardes du corps qui sont rentrés avec un colonel. Mais le colonel lui-même, se promène en ville parce qu’il n’y a pas de procès à son endroit. Ses gardes du corps ont été intégrés dans l’armée. Je fais de mon mieux, mais certains, parce qu’ils considèrent qu’ils ont commis des crimes très graves et qu’ils ne peuvent pas faire face à la justice restent à l’extérieur. Je ne peux pas les forcer à rentrer. Je vais plus loin, pour reprendre ce que disait mon ami Zadi Zaourou. Je veux que les Ivoiriens soient jugés en Côte d’Ivoire. Mais le transfèrement de Laurent Gbagbo, je l’ai di, relève de son propre comportement. Tout le monde a dit, quand il avait encore le pouvoir, que ce qu’il faisait serait un crime de guerre et crime contre l’humanité. Il a été mis en garde pour cela. Je ne voudrais pas revenir sur le passé. Peut-être maintenant, parlons des autres : Simone Gbagbo, Blé Goudé. Mais vous savez que des mandats d’arrêt ont été émis contre eux. La procédure est en cours, peut-être ça dépendra d’eux. Nous allons prendre nos responsabilités en tant que gouvernement. Moi je préfère les juger ici, peut-être qu’eux, ils voudront aller à La Haye. En disant que la justice est plus équitable à La Haye. Si c’est leur volonté d’aller à La Haye, est-ce que je peux les en empêcher ? C’est pour vous dire que je suis tout à fait à l’aise sur ces questions. Je veux protéger les Ivoiriens même «ceux qui ne le méritent pas».

Une dernière question sur la réconciliation nationale. Vous avez mandaté votre Premier ministre sur pour renouer le dialogue. Jusqu’où M. le Président êtes vous prêt à aller pour faire bouger les lignes?

Je suis prêt à aller le plus loin possible et je l’ai déjà démontré. Quand j’ai formé le gouvernement, j’ai proposé au FPI de venir, ils ont dit oui, ils ont dit non. Ils ont hésité. Après, ils ne sont pas venus. Au niveau des élections législatives également, je les ai reçus et je leur ai dit : «Venez. Le RDR a fait une erreur en n’allant pas aux élections législatives de 2000. Ne faites pas la même erreur ». Mais ils ont préféré ne pas venir. J’espère que pour les élections régionales, ils viendront. Ils ne peuvent pas poser de pré-conditions. Ça, je ne l’accepterais pas parce que moi, je n’en pose pas. Pourquoi, eux devaient poser des conditions alors que c’est eux qui ont conduit les pays dans la situation où il se trouve. Le dialogue doit être un dialogue ouvert où chacun exprime sa position et je souhaite que le Premier ministre réussisse mieux que moi à les convaincre que c’est dans leur intérêt qu’on se retrouve et que tous les fils et filles de ce pays travaillent et contribuent à l’essor de la Côte d’Ivoire. Parce que les choses iront très vite. On parlera de l’économie tout à l’heure. La Côte d’Ivoire va rebondir et le train va partir à 120 KM à l’heure. Alors s’ils ne le prennent pas…

Alors votre parti va participer aux élections à venir. Dans votre camp, comment vous comptez aborder ces élections, en RHDP ? On a vu qu’il y a eu quelques tiraillements lors des législatives, qu’est-ce que vous souhaitez, vous ?

Vous avez remarqué que je ne participe plus à des réunions du RHDP. Je respecte la constitution, je suis au-dessus des partis. Le président Bédié est le président du RHDP. Je n’ai pas de choix, il appartient au RDR, au PDCI et autres de discuter de cette question et qu’ils prennent la décision qui leur convient. Ce qui m’intéresse, ce sont les affaires de l’Etat et c’est faire en sorte que chaque jour, en allant à la maison à 20 heures ou à 21 heures, je me dise que j’ai passé une bonne journée et que j’ai rendu service à mes concitoyens.

Parlant des affaires de l’Etat, vous avez récemment nommé un Premier ministre et les Ivoiriens s’attendaient à un nouveau gouvernement. Finalement, le gouvernement a été reconduit. On se dit alors que vous êtes certainement satisfait de tous vos ministres. Mais ce qui est étonnant, dès le premier conseil des ministres avec ce gouvernement nouveau mais ancien, vous les menacez…

Non,je ne les menace pas. Vous trouvez que je les ai menacés ? Non je ne le pense pas. Ce n’est pas ma nature.

Vous êtes encore très satisfait de vos ministres ?

Vous savez que j’ai eu une philosophie très simple. Peut-être parce que je suis allé aux Etats-Unis à l’âge de 20 ans. Je préfère avoir une équipe et travailler avec cette équipe pendant un axe de temps. J’ai été élu pour 5 ans et j’avais promis à mes compatriotes que je ferai un gouvernement de 25 ministres maximum. Mais quand j’ai vu l’état de délabrement du pays, je me suis dit que ça ne peut pas marcher. J’ai des priorités que j’ai indiquées, le logement par exemple. Je ne peux pas laisser le logement dans un grand ministère de la construction, de l’urbanisme et de l’assainissement ; l’emploi pour la jeunesse, la salubrité… vous vous souvenez dans quel état était à Abidjan, il y a six mois ou un an ? Parlons en substance ! Je dirai que ma philosophie, c’est de garder la même équipe pendant mon mandat parce que c’est cette équipe qui sera jugée. Et je n’ai pas changé de philosophie.

Maintenant je me retrouve avec 35 ministres en raison de l’état de délabrement de la Côte d’Ivoire. Mais si j’ai dit aux ministres ce que j’ai dit, cela ne veut pas dire que durant la période je ne pourrai pas enlever un ou deux ou trois ou même dix ministres du gouvernement. Si à un moment donné, je constate qu’un ministre ne donne pas satisfaction, le ministre sera remplacé en accord avec le Premier ministre. Ce que je ne veux pas, c’est l’injustice. Voici des femmes et des hommes qui ont été nommés pour la plupart le 1er juin, le gouvernement a été mis en place après les différentes attributions. Vous savez que c’est tout un travail, l’organisation des cabinets. Quand ils sont arrivés, il n’y avait même pas de chaises, de tables, ils ont quelquefois passé quatre mois à remettre en place un immeuble ou des bureaux pour s’y installer. Ils commencent à travailler en octobre, novembre. A peine six mois et je dois les changer. Pour quelles raisons ? Non, il faut qu’ils aient leurs chances, qu’ils puissent faire du travail. Si j’avais changé il y a deux semaines, on aurait encore recommencé à refaire les cabinets, à nommer de nouvelles personnes. Alors que maintenant, ils ont donné des chronogrammes par rapport aux projets qui sont en cours, ils ont obtenu des financements. Tout est en place. Le taux de croissance cette année sera de 8%. L’année dernière on a eu une chute de 5%. C`est-à-dire que la Côte d’Ivoire a reculé de 5%. Et cette année, nous allons augmenter de 8%. C’est vous dire qu’ils ont commencé à faire du bon travail et donc il n’y a aucune raison de les changer. Et s’ils continuent de travailler comme ça, ils iront au bout de mon mandat. Et à l’issue de mon mandat, si je décide de me représenter, les Ivoiriens jugeront sur le travail qui a été fait. Mais je ne veux pas faire de la politique politicienne.

Quand vous parlez de 8% de taux de croissance, est-ce que c’est conditionné par le PPTE ?
Non, pas du tout. Ça n’a rien à voir. C’est nos efforts, c’est l’effort des Ivoiriens, c’est l’organisation de l’Etat. C’est la reconstruction, c’est la réhabilitation, c’est parce que maintenant l’Etat est géré ; c’est parce que vous êtes à l’heure tous les jours, c’est parce que les employés sont maintenant conscients que s’ils ne font pas bien leur travail, il y aura des sanctions. Ainsi de suite… C’est pour toutes ces raisons que l’économie repart.

Vous fondez beaucoup d’espoirs sur le PPTE ?

Ah oui le PPTE. Bien sûr, j’ai eu des assurances de la dernière mission qu’au plus tard en juin, nous aurons l’allègement de la dette. Ceci permettra de donner plus d’espaces mais j’aime bien l’investissement public, c`est-à-dire tout ce qui est fait par le gouvernement, les aides extérieures et autres mais ce qui m’intéresse, c’est le travail des Ivoiriens. Il faut que les Ivoiriens travaillent plus pour avoir plus d’impôts, pour avoir plus de recettes douanières.

En deuxième lieu, moi je suis un libéral, c’est l’investissement privé, les partenariats avec le secteur privé. De grosses entreprises, des entreprises sérieuses, qui viendront en Côte d’Ivoire investir 100 millions d’Euros, 500 milliards d’Euros, 1 milliard d’Euros, 2 milliards d’Euros… Et je peux vous dire, sur les deux derniers mois, il y a trois entreprises qui sont venues et qui vont investir sur les trois ans à venir, 3 milliards d’Euros. Ce sera dans le gaz, ce sera dans le pétrole, le chemin de fer, sur les routes. Mon programme de 15 milliards de FCFA, prévoyait à peu près le quart. Nous avons déjà dépassé ce chiffre donc la Côte d’Ivoire va aller très vite. C’est ce que je disais tout à l’heure, il y aura un regain de croissance. L’opposition a intérêt à se joindre à cette reconstruction.

Quelle sera la nouvelle politique d’endettement de la Côte d’Ivoire pour ne pas que les futurs enfants ivoiriens héritent d’une dette colossale… ?

Vous avez raison mais la dette aujourd’hui… je n’insiste pas la-dessus. Mais vous savez que nous avons moins de dettes que disons la France ou l’Allemagne… Mais vous savez avec l’affaissement de la dette par le PPTE, nous allons tomber à peu près à 15%, 20%, 25%... Et après cela, moi je n’irai plus emprunter dans les institutions publiques. Je voudrais en ce moment-là, faire en sorte d’aller sur les marchés financiers. J’ai une vision pour la Côte d’Ivoire. Si j’ai besoin d’un milliard d’Euro, j’irai parce que j’ai de bonne signatures, parce que j’ai un déficit quasiment nul, parce que le taux d’inflation est bas, parce que le pays est bien géré, j’irai emprunter sur les marchés financiers internationaux. Ce ne sera plus nécessaire d’aller à la Banque Mondiale ou au FMI. C’est ce que j’avais comme ambition en 1990 quand j’étais Premier ministre. Je suis content qu’avant la fin de mon mandat, nous allons le faire. Et ceci veut dire que ce sont des prêts qui sont affectés à des projets. Et ces projets financent le remboursement des prêts, ce n’est donc plus un endettement pour les Ivoiriens, pour nos enfants. Nous ne voulons plus mettre des fardeaux sur la tête de nos enfants dans quinze ans, dans vingt ans comme la souffrance que les uns et les autres ont vécue.

Maintenant si vous permettez, nous allons parler de la vie des Ivoiriens au quotidien. La cherté de la vie, le moral des familles ivoiriennes est au plus bas, le sac de riz qui coûtait hier, 8500FCFA coûte aujourd’hui 11500FCFA. Le kilogramme de viande est passé de 1800FCFA à 2000 ou 2400FCFA selon les marchés…

Je connais les réalités. Ce n’est pas acceptable. Vous savez que le taux de pauvreté, s’est accéléré ces dix dernières années que la moitié des Ivoiriens n’a pas plus d’un dollar par jour, c`est-à-dire 500FCFA par jour. Si la femme et l’époux travaillent, ça veut dire qu’ils ont 1000FCFA par jour soit 30000FCFA par mois. Donc ce que vous venez de dire, moi je le partage totalement.

Qu’est-ce que vous faites ?

Je fais d’abord un constat comme vous l’avez dit vous-même, que les prix varient d’un marché à un autre. Ça veut dire que la surveillance des prix n’a pas marché. Ça veut dire qu’il y a eu beaucoup de corruption dans l’administration et que certains de ces commerçants sont protégés par les cadres de l’administration. Si vous prenez la viande, il y a tous ces rackets, ces barrages, ces surcharges d’un point à un autre qui ont été tolérées pendant des années. On est en train d’y travailler, nous allons réussir à les enlever. Nous avons donc des intermédiaires qui prennent des marges inacceptables. Donc il y a toute une série de mesures à prendre, y compris à augmenter ce que les économistes appellent l’offre. Pourquoi les prix augmentent ? C’est parce qu’il n’y a pas suffisamment de produits.

Il y a peut-être trop de taxes aussi…

Mais les taxes, je vais les baisser. Moi, je ne crois pas du tout à la taxation. Souvenez-vous, c’est quand j’étais Premier ministre que nous avons baissé la TVA, que nous avons baissé les droits de douanes. Si je peux convaincre les autres pays de l’UEMOA à continuer de baisser la TVA, moi je vois à long terme, peut-être pas au cours de mon mandat, à ramener les taux de douanes à 10%. Pourquoi, on doit faire payer 20% à quelqu’un ? Mais vous ne pouvez faire cela que si l’économie elle-même marche à tel point que les impôts directs peuvent donner la substance des recettes. J’ai les recettes pour cela. Je comprends que les Ivoiriens souffrent. Ces prix qui galopent tout le temps, même si c’est mieux que dans d’autres pays, ce n’est pas ça mon problème. C’est ce que les Ivoiriens vivent au quotidien qui m’intéresse et nous devons tout faire. Le Premier ministre a pris les engagements, il a fait le tour des marchés et nous avons identifié les problèmes. Nous avons même identifié certains des secteurs et certains des commerçants qui pratiquent ces prix et nous allons sévir.

Le Premier ministre a pris des engagements et avant lui, son prédécesseur a fait aussi le tour des marchés, a pris des engagements et les choses n’ont pas changé. Comment les Ivoiriens peuvent-ils croire ?

Vous savez, donnons-nous un peu de temps. C’est ce que je disais tout à l’heure. Il y a eu tellement de problèmes, tellement de fronts en un an que les gens pensent que tous les drames doivent être résolus en un mois ou deux mois. Quand il y a des stocks de riz qui ont été livrés, il va sans dire que ces stocks de riz vont être écoulés sur une certaine période. Et maintenant, nous allons commencer à vérifier tout cela dès le départ en Europe. A l’arrivée ici, le paiement de douanes, les frais des intermédiaires, tout ça se fera sur une période. Et nous verrons les conséquences.

Quand est-ce que les Ivoiriens pourront apprécier l’impact d’une telle politique ?
Le Premier ministre m’a dit dans les trois mois et c’est un dossier que je suivrai de près.

Trois mois c’est long…

C’est très long pour nous tous et je le regrette. Mais je veux que mes compatriotes comprennent que je trouve que la question de la cherté du coût de la vie est quelque chose que j’ai combattue quand j’étais dans l’opposition, pendant toutes mes tournées. Je disais déjà que le coût de la vie était trop élevé, ça demeure trop élevé. Nous avons fait des réformes, mais ces réformes ne peuvent pas avoir un impact immédiat mais nous aurons des résultats. Parce qu’au moins, vous pouvez reconnaître que nous travaillons pour que ça marche. Peut-être que ça ne marche pas aussi vite que nous le souhaitons nous-mêmes.

Une des réformes, c’est le SMIG qui passe à 60.000FCFA en 2012 pour le niveau de vie de la Côte d’Ivoire. Je ne dirai pas ridicule mais ça ne peut pas aider les gens à changer de niveau de vie dans la qualité…

Oui, c’est vrai mais c’est pourquoi il faut faire croître l’économie. On ne peut payer que ce que l’on a. Vous savez, l’économie que l’on voit au plan international, national avec les indicateurs tels que le PIB…ça s’applique au ménage, à l’entreprise d’abord. Une entreprise ne peut payer que 60000FCFA. Si vous l’obligez à payer 100.000FCFA, mais l’entreprise va faire faillite, les employés n’auront même plus 60.000FCFA parce qu’il n’y aura plus d’entreprises. Alors tout ceci doit être géré avec délicatesse. On doit tout faire pour améliorer le quotidien des Ivoiriens. Et je m’emploierai à continuer à le faire mais je ne veux pas faire de la démagogie. Et je considère que les entreprises qui sont en Côte d’Ivoire font beaucoup et l’aspect social également que les gens ignorent dans beaucoup d’entreprises, il y a tout de même des indemnités, les frais spéciaux, il y a certains nombres d’avantages qui sont faits pour soulager les employés. Ce n’est pas assez, vous me direz. Et d’ailleurs, c’est mieux d’avoir un salaire conséquent que d’avoir des cadeaux de son entrepreneur.

M. Le président, comment peut on expliquer les difficultés dans la distribution de l’eau et de l’électricité ?

Quand même, dites-moi que ça va mieux. Quand j’ai pris fonction, le déficit en eau, à Abidjan était quasiment de 45%. C`est-à-dire en réalité, c’est un ménage sur deux qui avait de l’eau potable. Et maintenant, nous avons réduit le déficit de moitié. Dans 18 mois, nous n’aurons plus de déficit d’eau potable à Abidjan. A l’intérieur du pays, c’était pire. Le déficit atteignait 70%. Vous savez, j’ai trouvé un pays, à terre. Un pays délabré, un pays qui n’a pas été géré pendant 10 ans, pendant 11ans. Attendez la fin de mon mandat. En un an, pardonnez-moi, je peux vous dire que j’ai fait plus qu’en dix ans. Ça se voit au quotidien partout et dans tous les secteurs. Je continuerai. Je veux que chaque jour soit un jour de rendement, de productivité.

Je veux que chaque semaine, je puisse dire, c’est ma dernière semaine comme chef de l’Etat et que j’ai eu la satisfaction d’avoir aidé mon pays. Que chaque mois, je sois content de ce que j’ai pu faire. Si j’ai voulu être président, c’est pour apporter une contribution à mon pays. Je n’avais pas besoin d’être président. Je l’ai dit dans ma campagne partout et croyez-moi, c’est bien le cas. Quand vous devez travailler 14 heures, 15 heures par jour, vous n’avez plus de vie de famille, vous travaillez samedi et dimanche, vous savez à 70 ans… !

Je pourrai me reposer hein ! Je tiens à sortir mon pays des difficultés et je vais réussir parce que j’ai prêté serment d’aider et de soulager les Ivoiriens, de protéger les Ivoiriens et je continuerai jusqu’à ce que je n’aie plus la force de le faire. Et j’ai beaucoup de force pour continuer de le faire.

Aujourd’hui, beaucoup d’Ivoiriens perdent leur emploi. Quelle politique d’accompagnement pour les licenciés ?

Vous savez, une entreprise privée et même publique se gère selon les règles de la bonne gestion. Je le disais tout à l’heure, si vous payez des salaires que l’entreprise ne peut pas supporter, vous faites faillite. Il y a eu des licenciements. Mais nous n’avons pas demandé de licencier qui que ce soit. Maintenant, si le Directeur général de la société se rend compte que la société ne peut pas continuer avec le nombre d’employés qu’elle a, elle réduit ses effectifs.

L’Etat décide de réduire son train de vie quand nous n’avons plus les moyens de payer telle ou telle chose. C’est ce qui se passe. Vous n’allez pas tout de même me rendre responsable des licenciements qui sont faits dans telle ou telle entreprise. Je ne suis pas le Directeur général.

Vous n’êtes pas responsable, mais vous êtes tout de même le président de la République ?

Tout à fait ! Et le rôle du président de la République, c’est de créer des emplois. C’est ce que je suis en train de faire. J’ai créé un ministère de l’Emploi (…) J’ai trouvé un pays complètement dégradé où il fallait remettre les choses en place. Et malgré cela, j’ai réussi à créer près de 50 000 emplois. Et ça va monter très vite. Je ne suis pas sûr d’atteindre le million d’emplois que j’avais promis. Parce que quand je faisais la campagne, je ne savais pas que la Côte d’Ivoire était dans un tel état. Je découvre un pays qui était dans le gouffre. Il faut le sortir du gouffre d’abord. C’est après ça qu’on peut commencer à avoir des résultats. Vous savez, les 50 000 emplois que j’ai créés, les autres ne l’ont pas fait en 10 ans.

Ces emplois sont aussi pour des jeunes formés, pour rebondir sur les problèmes de l’Université de Cocody, d’Abobo… L’Université est annoncée pour rouvrir le 3 septembre prochain. La date sera-t-elle tenue ?

Les travaux se terminent fin mai.

La fermeture de l’Université était-elle nécessaire ?

Ah oui, mais c’était indispensable. Vous êtes allé sur le campus, il y a 2 ans ? Mais ce n’était pas un campus. Même dans les écoles primaires. Moi je suis allé à Bouna et ailleurs, il y avait des écoles sans toits. Le professeur est venu me dire un jour que lorsqu’il pleut, on ne peut plus s’asseoir à terre parce qu’il n’y avait d’ailleurs pas de tables-bancs. Maintenant toutes ces écoles ont des toits et des bancs. Ces élèves n’ont plus la crainte que s’il pleut, ils ne pourront pas avoir cours. J’ai mis le programme présidentiel d’urgence en place. Je peux vous donner les chiffres de ce que nous avons fait. Ce sont des choses spectaculaires.

Nous avons réhabilité 32 hôpitaux généraux pendant une période de 6 mois. Nous avons livré 14 ambulances sur 15 ; 22 groupes électrogènes dans plusieurs villes; 30 postes de dialyse neufs ont été livrés au Samu ; 3 milliards de FCFA de médicaments ; 2500 pompes ont été réparés ; 7 systèmes d’hydrolytiques villageoises ; 44 bornes fontaines et ainsi de suite. Nous sommes tous ivoiriens. Est-ce que vous pensez que cela a été fait en 10 ans ? Moi je l’ai fait en 6 mois. Multipliez cela par 12 et vous verrez ce que sera la Côte d’Ivoire à l’horizon 2015.

L’Université de Cocody, ce sont des milliers d’étudiants qui attendent pour reprendre les chemins de l’Université. A Abobo, il y en a 7000, à Bouaké, il y en a 20 000. A l’ouverture, celle de Bouaké ne pourra accueillir que 12 000 étudiants. Il y en aura donc 8000 étudiants sur les carreaux. Les conditions vont-elles être créées pour que les étudiants puissent être casés ?

Ce sera difficile mais on va le faire. Ce que nous prévoyons, c’est d’élargir Korhogo et Daloa dès septembre 2013. On va faire en 2014 les universités de San Pedro, de Bondoukou et d’Abengourou. J’espère qu’avant la fin de mon mandat, j’aurai au moins 5 universités. C’est vrai, il y aura un problème pendant quelques années. Je suis désolé pour tous ces jeunes qui pendant des années n’ont pas eu d’environnements universitaires nécessaires. Ils n’avaient pas eu de structures normales pour faire leur travail. Et je signale qua malgré la réhabilitation, je continue de payer les professeurs. On aurait dû dire : on arrête, on paie la moitié des salaires. Mais j’ai dit non ; il faut qu’on paie leurs salaires. Tous les jeunes gens étaient là, qui se débrouillaient un tout petit peu, avaient une bourse et qui n’ont plus de bourse. La rentrée académique, quand je l’avais fait il y a 20 ans, c’était sur le mérite, la capacité des familles. Si quelqu’un est ministre, son fils ne doit pas avoir une bourse et ainsi de suite. Il faut des critères pour tenir compte du rééquilibrage social. Que nous puissions faire preuve de solidarité et que nous devons laisser les bourses aux personnes qui n’ont pas les moyens. Il faut montrer à nos concitoyens que les bourses doivent revenir à ceux qui n’ont pas les moyens. Pour la rentrée universitaire prochaine, vous connaissez bien nos chiffres. Je suis confiant, on va faire 5 universités avant la fin de mon mandat.

Monsieur le président ! Et la question du rattrapage ?

J’ai lu cela dans la presse.

Je vous cite et j’espère que je ne me trompe pas. «Il s’agit, auriez-vous dit, d’un simple rattrapage. Les peuples du Nord (soit 40%) étaient exclus des postes de responsabilités ».

Vous parliez aussi de l’armée) et vous avez dit : « Sur ce terrain là, on ne peut rien me reprocher »

Ecoutez, d’abord ce n’était pas moi qui ai utilisé le terme. Mais je ne vais pas faire de la polémique. Qu’est-ce que j’ai dit au journaliste ? Moi, j’ai comme philosophie que c’est la compétence qui doit être la base des recrutements. Et quand, dans un département, on trouve des gens incompétents, il faut les virer. Et qu’est-ce qu’on fait ? On fait des appels à candidatures et on recrute les plus méritants. Parce que le système antérieur avait délibérément exclu une certaine catégorie de gens, pas seulement du Nord, mais aussi du Centre, qui ont été exclus du système. Maintenant, ils ont l’opportunité de se faire écouter. Et cela fait que peut-être les gens considèrent qu’il y a un déséquilibre. Voilà ce que je lui ai dit.

Mais ceci étant, je vais vous dire que je ne connais pas ça. Et je crois que je l’ai démontré quand j’étais Premier ministre. Le tribalisme, je ne le connais pas. Et je vais plus loin pour dire : quelles sont les nominations qui ont eu lieu ? Ce sont les présidents d’Institutions, regardez-les ! Il y a des gens issus du Nord, de l’Est, etc. Je tiens compte de cette catégorie géopolitique. Je n’avais pas besoin de nommer quelqu’un comme Francis Wodié. Il n’est pas de mon parti. Il n’a jamais travaillé avec moi. Mais je l’ai nommé président du Conseil constitutionnel. Je n’avais pas besoin de prendre Zadi Kessi. Mais c’est quelqu’un que je connais, qui a apporté de bonnes contributions dans le secteur économique. Alors, je ne regarde pas l’ethnie, la religion. Ce n’est pas mon problème. Pour ce qui concerne le gouvernement, j’ai décidé de le former sur des critères très simples. J’ai gagné ces élections grâce au Pdci, à l’Udpci. La seule chose que je regrette, je vous l’ai dit, il n’y a pas assez de femmes. Vous pouvez me faire ce reproche, je l’admets, mais nous avons fait ce que nous pouvions faire. Encore la corruption dans le système. Ce pays a eu un problème général de moralité dans tous les secteurs. Donc le système devrait être cher et je suis revenu à ce que j’avais prévu dès le départ. C’est-à-dire les enfants de 0 à 5 ans qui doivent être soignés gratuitement. Les femmes, sur un certain nombre de soin, c’est gratuit pour toutes.

Après cela, de manière concomitante, nous mettrons en place la couverture médicale universelle. Et cette fois ci, c’est un système qui va marcher parce que c’est un système qui sera financé et qui permettra avec une contribution modique de se soigner à moindre coût. Les techniciens travaillent là-dessus. J’aurais souhaité que ce soit fait dans les meilleurs délais, mais on me dit que ça va prendre encore quelques mois. Mais j’espère que d’ici à la fin de l’année, nous pourrons mettre en place une couverture médicale universelle. C’est essentiel parce que si vous n’avez pas une société en bonne santé, l’efficacité et la productivité de l’économie sont faibles. L’enseignement et la santé sont les meilleurs investissements. Nous avons commencé la réhabilitation. J’ai dit que dans les 2 ans à venir, nous allons réhabiliter tous les Chu et les Chr. Et je respecterai ce que j’ai promis dans mon programme. Je vais mettre des centres de santé dans toutes les localités où se trouvent 2000 habitants. Nous avons trouvé une partie des ressources et avec le PPTE, je réussirai à donner un soutien très remarqué au social. C’est-à-dire à la santé. La santé doit être une priorité. Nous devons augmenter le montant que nous consacrons aux investissements de santé.

Monsieur le Président, revenons sur vos grands travaux qui figurent en bonne place, notamment, le pont Henri Konan Bédié, l’autoroute du nord, le train à l’est. On voit quelques machines sur le troisième pont. Et les autres, où en sommes-nous aujourd’hui ?

Vous êtes sévère quand même ! On voit quelques machines, avec tous les investissements réalisés, avec 160 milliards d’investissements ?

Pensez-vous que tous les projets seront réalisés ?

Ce n’est pas moi, ce sont les ministres. Si ces projets ne sont pas réalisés dans les délais, ces ministres ne seront plus en fonction. C’est la culture des résultats. Je ne changerai pas de gouvernement. Les ministres sont en place, je leur fais confiance. Les cinq années de mon mandat, je n’attendrai pas de remaniement ministériel. Ils partiront, je proposerai d’autres personnes.

M. le Président, un pays qui se projette dans le futur est un pays capable d’affronter son passé. Et ce passé-là est porté par des hommes. Chacun est acteur à son niveau de ce qui s’est passé et de ce qui se passera demain. Si nous revenons avant de finir cet entretien sur ce qui a pu se passer. Nous nous interrogeons sur ce que chacun a pu faire. La question que chacun de nous, en tant que citoyen ordinaire, devrait pouvoir poser à chacun de vous, en tant que leader politique et acteur de premier ordre de la scène politique ivoirienne, est celle-ci : quelle est votre part de responsabilité dans ce qui a été ?

Je crois que chacun de nous, quelque part, s’est senti victime. Et la démocratie est difficile à construire. Je pense qu’il y a eu de l’impatience pour ma part, de la part de certains qui m’ont accompagné. Il y a eu des sentiments de graves injustices qui ont provoqué des colères, qui ont conduit à des manifestations qui ont débouché sur des morts. Ce n’est pas comme ça que je vois la Côte d’Ivoire, que je voyais mon combat. Moi, j’ai été aux États-Unis à 20 ans pendant qu’il y avait le mouvement de Martin Luther King. J’ai admiré cet homme. J’ai un rêve, comme le disait Kennedy. Mon rêve, c’est que l’Ivoirien nouveau que nous devons aider à créer, soit un homme serein, qui se sente bien avec lui-même, avec son prochain et qui sait travailler. J’ai bien connu Mandela. Je sais que c’est avec la paix, l’humilité et le pardon qu’on peut renforcer les liens entre les peuples. Il faut tirer les leçons de ce qui s’est passé. Je considère qu’en tant qu’homme politique, j’ai commis des torts à mes concitoyens et je demande pardon. Parce que si vous n’avez pas le courage de le faire, le pays n’avancera pas. Nous devons nous dire, demander pardon n’est pas suffisant. Il faut se dire que ça ne va plus jamais se recommencer. Ce qui s’est passé ne doit plus jamais se reproduire. Nous le devons à notre pays. Nous avons un grand pays. Et le sens de patriote, c’est celui qui aime le bien de son pays. Le pays doit être au dessus de chacun de nous. Et souvenez-vous, nous l’avons dit, le président Bédié et moi, beaucoup de gens ont pensé que nous n’allions jamais nous réconcilier. Mais nous l’avons fait parce que nous aimons la Côte d’Ivoire. Donc ce que je voudrais dire mes concitoyens, faisons preuve d’humilité.

Demandons pardon. Disons que la réconciliation est quelque chose que nous devons obtenir à tout prix. Et que c’est en chacun de nous ; c’est dans chaque famille ; c’est dans chaque village ; c’est dans toutes les villes que nous devons nous prendre la main dans la main.

Nous devons nous dire que nous avons un rêve pour notre pays. Je crois qu’il faut rêver pour réussir. Nous devons nous dire, nous avons un pays qui a un tel potentiel, mais pourquoi nous ne devons pas être parmi les premiers d’Afrique ? Il faut que nous le fassions.

Et il faut se mettre au travail. D’ailleurs, je vais vous dire que mon logo, c’est Rti. C’est rassemblement, travail, initiative. Les jeunes doivent prendre des initiatives. Ça été difficile mais ils doivent tourner la page. Ils doivent se dire qu’ils ont pu être trompés ici et là, mais ce n’est pas important. Si on veut se réconcilier, on ne revient pas sur le passé. On va de l’avant. Et il faut qu’ils aillent de l’avant.

Cet entretien, Monsieur le président, est le premier que vous accordez à la presse nationale sur le territoire national. Qu’est-ce que vous pensez de la presse ivoirienne ? Et quelle garantie de sécurité pour la liberté de la presse sous votre pouvoir ?

Je crois que nous faisons tout ce que nous pouvons. Moi, je pense d’abord que notre presse a joué d’abord un rôle aussi… Les journalistes doivent demander pardon aux Ivoiriens parce que cette presse a été quelquefois terrible. Je ne suis pas le seul en avoir été victime.

Beaucoup ont vécu les mensonges, les insultes. Je souhaite vraiment que la presse s’améliore. D’ailleurs, on a tout un programme de formation des journalistes. Mais il y a eu de la manipulation aussi des hommes politiques. La presse doit être libre de tous, libre des hommes politiques, libre des hommes d’argent. Et la presse, les journalistes doivent être protégés également ; ils doivent être responsables. Il y a dans la République des lois et ces lois doivent être appliquées à tous. Les journalistes ne font pas exception. Un journaliste est d’abord un citoyen. Certains journalistes ne font que du journalisme. Mais d’autres font autre chose que le journalisme. Alors s’ils sont pris sur le terrain qui n’est pas le journalisme, c’est trop facile de dire nous sommes journalistes, donc nous ne devons pas être condamnés. Ça, je ne l’accepterai pas. L’Etat de droit, c’est assumer ses responsabilités. Donc, je résume pour dire que nous avons une presse qui a une lourde responsabilité dans la crise que nous avons vécue. Nous devons faire en sorte qu’elle s’améliore. C’est un peu notre responsabilité en tant qu’autorité publique de leur donner des opportunités d’aller en stage, d’alimenter le Fonds de développement et de soutien à la presse. Tout ça, je le fais. Je suis en train de le financer. Mais il faut que les journalistes se disent qu’ils sont d’abord des citoyens et que la loi de la République leur sera appliquée.
Monsieur le président, ce sera le mot de la fin.

Merci d’avoir répondu à nos questions.

Retranscrits par O. Dion, T. Abdoulaye, K. Hyacinthe et D. Yala
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