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Art et Culture Publié le jeudi 19 avril 2012 | Le Patriote

Interview / Dr. Soupé Lou Jacqueline (Spécialiste du théâtre de Zadi Zaourou) : “Son théâtre met en scène la femme, symbole de la liberté”

C'est une disciple du Pr Bernard Zadi Zaourou. Dans cet entretien, Dr Soipé Lou Jacqueline revient sur la vie et l'œuvre de son Maître.
Le Patriote : Comment l'histoire de travailler sur le théâtre de Zadi Zaourou est née ?
Soupé Lou Jacqueline : Cela s'est fait par étape. En année de maîtrise, je me suis inscrite au séminaire du professeur sur la dialectique matérialiste. En ce moment là, il était Ministre de la Culture. Mais il n'avait pas pris comme prétexte ses importantes occupations ministérielles pour sacrifier toute une promotion d'étudiants. Mieux, il venait dispenser ses cours à un moment où les grèves étaient récurrentes au campus. Quand il était impossible d'aller à l'université, il conviait tous ses étudiants dans un restaurant situé à l'époque aux Deux-Plateaux pour continuer son cours. Pour nous, c'était tout simplement «didigaeste» de sorte que même ceux qui n'étaient pas inscrits à son cours ne manquaient pas à l'appel. Ce séminaire a été un déclencheur pour moi. J'ai vu un homme simple, généreux, expliquant et réexpliquant son cours. Il n'était pas préoccupé par le fait de terminer son programme mais par l'obsession de faire comprendre ses enseignements. Le Pr. Zadi Zaourou photocopiait ses cours sur fonds propres et nous les distribuait gracieusement tandis qu'ailleurs, certains nous les vendaient. Il ne se contentait pas non plus de nous recommander une bibliographie. Il envoyait les documents nécessaires à une meilleure compréhension de son propos et nous demandait de les photocopier. Il était juste conscient du fait qu'il serait difficile de nous procurer ces ouvrages. C'était la première rencontre, la rencontre avec l'enseignant, le pédagogue et dans une certaine mesure, la rencontre avec l'homme politique.

L.P : Pendant vos recherches sur le théâtre de Zadi, quelle a été la contribution de l'auteur ?
S.L J : C'est avant tout l'homme qui m'a aidée. Il a mis sa bibliothèque à ma disposition. Il a été là chaque fois que j'ai eu besoin de lui pour avancer dans mes réflexions, pour m'encourager à ne pas renoncer. Un après-midi de mercredi, j'arrive au GRTO (Groupe de Recherche sur la Tradition Orale). Pendant que j'étais au secrétariat, le professeur rentre. On lui explique que la jeune dame est venue prendre un rendez-vous dans le cadre de sa thèse. Quelle ne fut ma surprise quand tout de suite, il m'a demandé de patienter, le temps pour lui de recevoir les personnes qui l'accompagnaient. Au bout d'une quinzaine de minutes plus tard, je suis devant le Pr. Zadi Zaourou dont j'ai tellement entendu parler. J'ai bredouillé quelques mots quand il a posé des questions sur le thème de mon travail, le corpus choisi et mon directeur de thèse. J'étais si surprise et admirative que je me demandais comment faire pour ne pas le perturber. Toute silencieuse, je l'ai regardé aller et venir dans son bureau, tirant un tiroir, dépoussiérant un livre. Je n'en revenais pas. Zadi Zaourou, le professeur, le leader politique, l'ancien ministre, le poète, le dramaturge, là debout dans son bureau à la recherche de documents pour moi. Il m'a même donné son cahier de philosophie de la classe de terminale. C'est dire combien la documentation qu'il a mis à ma disposition a été utile et déterminant dans la compréhension de mon sujet et dans l'orientation de mes recherches.

L.P : Celui que vous avez côtoyé pendant longtemps, aujourd'hui n'est plus de ce monde qu'est-ce vous retenez de l'homme et de sa production dramatique ?
S.LJ : Je retiens le courage des opinions de l'intellectuel, la lucidité de l'homme politique, la liberté d'esprit et la force du mot de l'artiste, créateur du didiga, théâtre de l'impensable qui rompt avec le conformisme. Son théâtre a dénoncé les dérives des pouvoirs dictatoriaux comme celui de l'Empereur Edoukou dans Le secret des dieux. Son théâtre a représenté Samory Touré, un exemple de résistance atypique. Son théâtre a mis en scène la femme symbole de la lutte pour la liberté avec la révolte de Bintu, avec Mahié, l'esprit de la résistance, avec Shéhérazade la libératrice ainsi qu'avec Niobé la révolutionnaire. Son théâtre a produit Karamoko à la fois héros et anti héros, L'initié, combattant de la liberté et j'en passe. Au niveau de l'esthétique, son théâtre exploite la circulation de la parole à trois notamment dans Les Sofas avec Mory Fin'Djan, le griot qui joue le rôle d'agent rythmique. Son théâtre redéfinit le parcours initiatique et le rôle joué par l'initié en l'entourant des phénomènes extraordinaires tels que le merveilleux, les métamorphoses, les obstacles à franchir. Son théâtre réinvente la construction des personnages comme L'homme sans visage, L'initié, Ouga, Woudigô, Le Doozi sorti tout droit des rites initiatiques et assistant de masque, qui joue ici un rôle subversif. On a aussi des personnages qui sont le prolongement d'autres personnages comme c'est le cas de Shéhérazade, l'incarnation de Mahié, Mamie Wata et Gôbô. La symbolique des instruments de musique comme le tambour parleur, des danses comme la danse parlante exécutée par Edoukou-roi l'empereur donnent à son théâtre un cachet spécial. De Les Sofas à La guerre des femmes, le théâtre du maître peut être lu comme un cheminement, une quête de liberté, d'identité mais en même temps un théâtre ouvert sur la culture et la dramaturgie du monde.

L.P : Quel anecdote pouvez- vous partager aujourd'hui ?
S.L.J : Il y en a eu pas mal. Mais comme celle-là a fait rire mon époux et mes amies je vous la propose. J'espère qu'elle vous fera sourire. Bien, je voulais interviewer le maître après notre première rencontre dont j'ai parlé plus haut. Mon mari a remué ciel et terre pour avoir un micro et un magnétophone performants. Ma tâche dans cette affaire était d'écrire un questionnaire impressionnant. Vous imaginez que j'ai joué la scène préalablement avec lui à la maison. Alors j'arrive au bureau du maître. A peine installée, je « sors mon matos ». Calmement, le maître me demande : « que vas-tu faire avec tout ça »: « j'ai fait beaucoup d'interviews que tu pourrais lire. Mais bon qu'est-ce que tu voulais savoir » ? Et ma première question est : «Quelle est la problématique de la liberté dans votre théâtre ? » l'exact intitulé de mon sujet de recherche. Avec son sourire légendaire, il dit : « Mais tu es marrante toi. C'est toi qui dois trouver la réponse à cette question. Moi je ne peux pas le dire, je n'en sais rien». Nous avons ri et à la suite de cela, il m'a ouvert sa bibliothèque pour que j'y trouve les réponses à cette question de néophyte. Zadi Zaourou était un grand homme. Aujourd'hui, je me rends compte qu'être grand ne veut pas forcément dire être ministre, président ou grand leader politique mais simplement avoir une relation particulière avec chacune des personnes qui vous entourent et qui s'en rappellent au moment venu. Chacun de nous pensait qu'il était enfant unique parce que le maître accordait de l'importance à chacun. Mais là, ceux qui pensaient ainsi ont dû découvrir sans doute parfois avec amertume que le maître avait beaucoup d'enfants intellectuels qui, j'espère, perpétueront son œuvre immense.

Réalisée par Moussa Keita
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