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Société Publié le mercredi 6 juin 2012 | Débats Courrier d’Afrique

La protection des civils : Entre nécessité et realpolitik

Dans les conflits armés contemporains, les civils en plus d’être les premières victimes, sont souvent pris pour cibles et le nombre de ces victimes a atteint des niveaux consternants. Un des enjeux majeurs de ces affrontements est le contrôle d’un territoire par intimidation de la population. Ce qui permet aux combattants d’éviter une lutte armée conventionnelle au mépris de la dignité humaine et des règles fondamentales de la guerre. En réaction, la communauté internationale a décidé de prendre des mesures énergiques pour réagir contre cette agression toujours croissante contre les civils en adoptant le principe de la Protection des Civils (PdC). La PdC vise à assurer que les autorités et autres groupes armés non étatiques constitués se conforment à leurs obligations prévues par le Droit International Humanitaire (DIH) et le Droit International des Droits de l’Homme (DIDH). Mais aujourd’hui, l’action ou l’inaction de la communauté internationale en matière de protection des populations civiles dans un contexte de conflit armé laisse à penser que la PdC est plus déterminée par la realpolitik1 que par des besoins humanitaires.

Du génocide rwandais à la crise libyenne : du principe à l’action de protection des civils

L’évolution du principe. Mentionné pour la première fois en 1995, plus de dix-huit mois après le génocide rwandais2, le principe de la Protection des Civils (PdC) n’est consacré qu’en 1999 par une première résolution de l’ONU (Rés. 1265)3. Il incombe désormais aux gouvernements d’éviter et d’enrayer les génocides, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et les nettoyages ethniques. Le 11 novembre 2009 est adoptée à l’unanimité la résolution 1894 sur la PdC4.
Mais, on peut considérer que le premier mandat officiel de protection des civils remonte à 1960 au Congo (RDC), lorsque le secrétaire général des Nations Unies, Dag Hammarskjöld, a autorisé les soldats de l’ONU à assurer la « protection contre des actes de violence ...de tous les habitants, blancs et noirs ». Cette décision était fondée sur l’idée que « l’interdiction d’intervenir dans les conflits internes ne peut être comprise dans le cas de massacres insensés de civils ou de combats dus aux hostilités entre tribus ». « C’était aussi dans l’esprit de la Déclaration universelle des droits de l’homme et de la Convention sur le génocide »5. Suivant ces instructions, des zones sécurisées ont été instaurées en vue de l’interposition entre les civils et les combattants et de la riposte contre les attaques. Depuis lors, les soldats de l’ONU en Afrique ont souvent été confrontés aux massacres de civils, d’Abyei à Aro Sharow (Soudan), de Bunia à Byarenga (RD Congo), de Kigali (Rwanda) à Kiwanja (RDC), de Makeni (Sierra Leone) à Makombo (RDC) ; la liste des lieux des massacres est longue et s’allonge encore avec la Côte d’Ivoire et la Libye.
L’adoption de la résolution 1973 du 13 mars 2011 sur la situation en Libye a constitué une nouvelle donne dans la mise en œuvre de la protection des civils par le Conseil de sécurité. C’est la première fois qu’un mandat général était donné pour l’utilisation de la force pour protéger les civils. Certes, le droit de protéger les civils représente un enjeu élevé pour l’idée même de maintien de la paix, mais l’opérationnalisation de la PdC et l’ambiguïté même du dessein de l’opération de protection a pour conséquence la politisation du thème de la PdC.

Enjeu humanitaire ou géostratégie

Parce qu’elle fait intervenir dans sa nouvelle acception le conceprt de Responsabilité de protéger, la PdC ne fait pas l’unanimité dans sa pratique tant au niveau du consensus international concernant la réponse intégrée que dans la cohérence face au défi qu’il soulève.
• Manque de doctrine dans l’interprétation des mandats sur le terrain : Même si le Conseil de Sécurité a explicitement demandé aux dirigeants des opérations de paix de faire en sorte « que la priorité soit accordée à la protection des civils dans les décisions concernant l’utilisation des capacités et des ressources disponibles »6, la PdC est diversement appréciée sur le terrain. D’autant plus que l’expression «menace imminente» se comprend de différentes manières, notamment au niveau de la nature de la menace et du terrain de la PdC, de la pratique, des circonstances, et du degré de la force militaire à employer. À l’heure actuelle, les mandats de protection sont interprétés et exécutés de différentes façons. Il n’existe toujours pas de doctrine sur la façon d’assurer la protection des civils. Souvent, le personnel de maintien de la paix est contraint d’improviser ses interventions. Mais on est encore loin de voir du même œil en quoi consiste exactement cette protection, c’est-à-dire à quoi elle ressemble en pratique, quelles circonstances nécessitent une intervention et, s’il y a lieu, quel degré de force militaire il faudrait employer.
• Ambiguïté sur le dessein de la PdC : Il existe une ambiguïté sur le dessein même de l’opération de protection. Les réactions en Libye et en Syrie illustrent bien celle-ci et on peut les qualifier de deux poids deux mesures. Si en Libye et en Côte d’Ivoire, la communauté internationale a promptement réagi face « à l’utilisation des armes lourdes contre les civils »7 son hésitation en Syrie semble laisser apparaître un agenda caché des puissances occidentales qui est souvent déterminé par la realpolitik (pétrole, géopolitique ou géostratégie).
• La politisation du thème de la PdC : En fait, la PdC touche à des principes de la Charte des Nations Unies, comme la souveraineté et la non-ingérence dans les affaires d’un pays8. La PdC incombant en premier au pays hôte9, le rôle des intervenants externes en cas de manquement d’un gouvernement à cette protection des citoyens par omission ou par menace directe des civils ne fait pas l’unanimité. Le mandat de l’OTAN en Libye était de protéger les civils à Bengazi par une zone d’exclusion aérienne et l’utilisation de tous les moyens nécessaires pour y parvenir. Mais l’OTAN est allée plus loin en prenant part au conflit aux côtés des rebelles du Conseil National de Transition : bombardement, largage d’armes aux rebelles dans la région du Djebel Nafusa, mort de Kadhafi après le bombardement de son convoi10. Ce soutien a été déterminant pour le renversement de Kadhafi. La robustesse de l’action ainsi que les violations constatées ont créé un malaise au sein des pays défendant la thèse souverainiste (Russie, Chine et Inde), jetant un discrédit sur le bien-fondé de la protection des civils. Ces pays ont le sentiment d’avoir été bernés en autorisant ces frappes. Les occidentaux sont accusés d’outrepasser le mandat onusien et de se servir de la responsabilité de protéger pour intervenir dans les affaires intérieures de pays qu’ils souhaitent contrôler11. Dès lors, ils comptent tirer les leçons de ces événements passés. Cette situation est à l’origine de l’enlisement de la situation en Syrie et justifie certainement le double veto russes et chinois. Pour la Russie, la Chine et l’Inde, il n’est pas question de voir se reproduire le scénario libyen en Syrie. Car il est « inacceptable » qu’à Paris, Washington ou Londres soit décidé de la légitimité des dirigeants dans le monde arabe ou ailleurs. […] Nous avons vu cela en Côte d’Ivoire, puis en Libye et maintenant une nouvelle fois en Syrie »12. Ces arguments sont des paravents non dénués de fondements.
• Enjeux géostratégiques : une longue histoire de relations fortes lie la Russie à la Syrie (40 ans), tant au plan économique qu’au plan stratégique. La Syrie est un très bon client de la Russie qui n’exporte que des matières premières et des armes dont le volume est passé de 2004 à 2008 de 220 millions à 2 milliards de dollars. Les deux pays ont en outre mis en route ou planifié nombre de projets de collaboration. Il y a une volonté pour Moscou de garder son dernier partenaire dans la région du Proche-Orient. Ainsi, Moscou veut maintenir sa base militaire à Tartous sur les côtes syriennes, qui lui confère un point stratégique crucial pour l’accès aux « mers chaudes » et qui permet à Moscou d’éviter, pour les rejoindre, de passer par les détroits contrôlés par la Turquie, membre de l’OTAN. N’étant donc pas sûre du successeur de Bachar el-Assad qui pourrait garantir la préservation de ses intérêts et la pérennité de sa présence dans la région, la Russie joue la carte de la prudence. Le jour où des garanties seront accordées à celle-ci, peut-être que la situation pourrait basculer en faveur de la protection effective des civils. Mais cela est moins sûr dans la mesure où la Russie « ne sait pas ce qu’elle peut attendre des opposants, mais elle sait quoi attendre d’el-Assad ». La Chine quant à elle veut avant tout garder des relations privilégiées avec l’ensemble des pays de la région pour des raisons économiques, donc elle ne prendra pas le risque de se désolidariser ».13 Elle ne peut faire cavalier seule. C’est pourquoi les Occidentaux se concentrent sur la Russie, et jouent la carte de son intérêt, quitte à lui faire quelques concessions dans la région. Tout en condamnant la répression, ils tentent certainement de placer leurs pions dans la Syrie de l’après el-Assad. Bref, la protection des civils demeure un concept nébuleux que les climats politiques instables ne font que brouiller davantage. C’est un concept universellement accepté mais particulièrement contesté.

Protection des civils : la nécessité d’une réforme générale

• A l’ONU : plutôt que d’assurer l’obligation de protéger les populations civiles, c’est précisément l’ONU qui constitue le blocage avec les veto russes et chinois. Cette situation relance avec acuité la question de la réforme de l’ONU ; plus particulièrement le droit de veto, la représentation régionale ainsi que la taille d’un Conseil de sécurité élargi, les méthodes de travail du Conseil et les relations entre le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale. Sans entrer dans les détails, cette réforme pourra faire face aux enjeux mondiaux comme exposé par le Conseil de sécurité dans sa résolution 1674 sur la protection des civils. A défaut, la communauté internationale devrait relever le défi politique évident : résoudre le conflit qui engendre les problèmes de protection au moyen d’un processus de paix performant. Les opérations de paix peuvent faciliter ce processus de diverses manières, notamment offrir ses bons services aux partisants d’un accord de paix, faciliter le processus politique grâce à la médiation, soutenir le processus de réconciliation, etc. Certes, la tâche n’est pas facile mais le recours à la médiation et à la diplomatie pour négocier la fin de la guerre est bien compris même s’il n’est pas toujours bien exécuté. La médiation de Kofi Annan en Syrie, quoique entachée de violation, ne semble pas être moins efficace.
• En Afrique, la protection des civils devrait être plus énergique, dans la mesure où l’obligation de protection occupe une place centrale dans la nouvelle architecture de paix et de sécurité de l’Afrique, comme l’énonce l’article 4 (h) de la loi constitutive de l’Union Africaine (UA). Il faut se rappeler l’impuissance de l’UA en Sierra Leone face aux rebelles du RUF de Foday Sankoh. L’issue heureuse n’a été possible que grâce à la fermeté des Etats-Unis, qui ont pu faire partir Charles Taylor et par l’envoi de troupes d’élite par la Grande-Bretagne, l’ancienne puissance colonisatrice. Dans le domaine des Droits de l’homme, après l’échec de la médiation de l’Union Africaine (UA), acceptée la veille par Mouammar Kadhafi14, l’UA est restée sans mots lors des bombardements de Kadhafi sur son propre peuple. Quoiqu’ayant réussi à obtenir un accord partiel au Darfour, elle a manqué de fermeté vis-à-vis du gouvernement soudanais dans ce conflit qui sévit au nord-ouest du Soudan depuis 2003, etc. Plutôt que de conforter son état de faiblesse, l’UA doit tout mettre en œuvre pour éviter de continuer de faire de la figuration. Ainsi que l’a confessé Jean Ping en mars 2011 au sujet de la Libye: « Lorsque l’Union Européenne et les autres préparaient la résolution 1973 et son application, personne n’a demandé notre avis. Madame Catherine Ashton et Alain Juppé sont allés au Caire, mais pas à Addis-Abeba. C’est la raison pour laquelle nous ne sommes pas venus non plus au sommet international Union européenne-Union africaine-Ligue Arabe sur la Libye, organisée à Paris le 19 mars dernier. Nous ne voulions pas. »15 Aujourd’hui, l’Afrique est en proie à des conflits qui perdurent, l’UA ou les Communauté économiques régionales doivent faire de la PdC leur cheval de bataille. La situation au Mali et aussi en Guinée-Bissau devrait constituer un baromètre. C’est pourquoi elle doit se départir de sa lourdeur ; et les chefs d’Etat doivent faire montre d’une volonté politique (situation au Togo en 2005).

La protection des civils est décisive pour la sécurité partout dans le monde. En raison du coût humain énorme des guerres, du nombre croissant de résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies qui l’exige, enfin du fait qu’elle constitue aussi un élément crucial d’une paix politique durable dans la tolérance. La protection des civils suscite beaucoup d’espoir mais aussi des déceptions car il se pose un problème de crédibilité dans les réactions. Les insuffisances structurelles ainsi que la forte politisation de la question sont des obstacles à la mise en œuvre d’un mandat de protection et démontrent certainement une ambivalence profonde des Nations Unies quant à l’utilisation de la force pour instaurer la paix. Bien que des progrès importants aient été accomplis, des réformes du système de sécurité internationale doivent être réalisées pour faire respecter ces règles, arrêter et punir les auteurs des crimes contre les civils, particulièrement en Afrique. Mais l’« enchainement d’actions » dans un cadre plus inclusif et de réforme est-il possible sans préjudice des intérêts des grandes puissances ? C’est bien là l’enjeu et le défi que doit relever l’ensemble de la communauté internationale.

Didier Semien
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