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Économie Publié le samedi 21 juillet 2012 |

Les Présidents Ouattara et Kaberuka en accord pour une cooperation profitable avec la Chine / Entretien exclusif de l’Economiste en chef de la BAD

© Par DR
Addis-Abeba (Ethiopie): le Président de la BAD et une délégation américaine reçus par le chef de l’Etat
Lundi 16 Juillet 2012. Addis-Abeba (Ethiopie). Le président de la République, SEM. Alassane OUATTARA a reçu successivement en audience, M. Donald KABERUKA (photo), Président de la Banque Africaine de Développement et une délégation américaine conduite par M. Mide FROMAN, Conseiller adjoint du Président des Etats-Unis pour la Sécurité nationale.
Entretien exclusif entre Ncube, Chief Economist de la Banque Africaine de Développement et Ibrahim Magassa, l’économiste membre de la revue européenne de géopolitique.
Paru dans la revue internationale LES AFRIQUES

Le Président de la République de Côte d’Ivoire son Excellence Monsieur Alassane Ouattara, est en ce moment en voyage officiel en Chine, pour l’important sommet Chine Afrique qui se tient les 19 et 20 juillet à Beijing. Le Président entend par ce voyage en Chine, renforcer les relations bilatérales commerciales entre la Côte d’Ivoire et la Chine, mais aussi accroitre les IDE (investissement directs étrangers) chinois dans notre pays.

Il est constaté un accroissement sensible, des flux financiers et migratoires entre le continent Africain et Pékin. La question qui se pose est de savoir si les investissements chinois en Afrique relèvent d’un mythe ou d’une réalité ? En d’autres termes peut-on mesurer les investissements chinois en Afrique, quelle est la stratégie chinoise en Afrique, quel est le coût et les différents types de financements proposés?

Dans un entretien exclusif, Ibrahim Magassa économiste et membre de la revue européenne de géopolitique « Outre terre », et Mthuli Ncube chef économiste à la Banque Africaine de Développement traitent en profondeur la question de la présence chinoise en Afrique de façon enrichissante et sur divers aspects.

Ibrahim Magassa économiste, Outre Terre (I.M.) : Comment peut-on évaluer la présence Chinoise en Afrique en chiffres, investissements et réalisations ?

Mthuli Ncube Chef Economiste de la BAD (M.N.) : La présence chinoise en Afrique peut être évaluée en mesurant les impacts des flux commerciaux et d`investissement, de l`aide et d’autres activités financières d’un point de vue quantitatif et qualitatif. Par exemple, en 2008, le commerce entre la Chine et l`Afrique a atteint un pic de 100 milliards de dollars et les flux d`investissements étrangers (IDE) en Afrique ont augmenté à 5,4 milliards de dollars. Cet engagement significatif et croissant de la Chine a bénéficié de nombreux pays africains au travers d’un accroissement du volume des exportations vers la Chine, d’une augmentation des recettes commerciales et de nouvelles opportunités d`investissement dans les secteurs liés aux infrastructures. En dépit de leur accroissement, les activités économiques Chinoises en Afrique restent déséquilibrées en raison de la forte concentration des structures commerciales et des flux d`investissement chinois. En l’occurrence, 70% des exportations de l`Afrique vers la Chine sont dominées par les matières premières –le pétrole, le cuivre, le cobalt et le coton - et proviennent de pays riches en ressources minières tels que l`Angola, l`Afrique du Sud, le Soudan et la RDC. Il convient néanmoins de noter que grâce aux investissements dans les projets d’infrastructure et à la création de zones économiques spéciales, la Chine apporte son soutien à l`industrialisation et la diversification économique dans de nombreux pays africains. Par ailleurs, les biens de consommation chinois, qui sont souvent plus abordables que les produits importés d`Europe, des Etats-Unis, du Japon et d’autres pays en développement, ont bénéficié de nombreux ménages pauvres en Afrique (en contribuant à l’augmentation du pouvoir d`achat des consommateurs), et, de ce fait, ont un impact sur la pauvreté dans le continent africain. La contribution de la Chine au réapprovisionnement du Fonds africain de développement (FAD) est une autre voie par laquelle la Chine apporte son soutien au développement et aux efforts de réduction de la pauvreté en l`Afrique.

(I.M.) : Pensez-vous que la présence chinoise en Afrique corresponde à la réalité ou est elle en fait plutôt exagérée ?

(N.M.) : L`étendue de la présence chinoise en Afrique n`est pas ne doit pas être sous-estimée. Le volume du commerce Chine-Afrique (100 milliards de dollars en 2008), les flux de portefeuille et d’investissements directs ainsi que les investissements dans les projets d’infrastructure en provenance de la Chine et à destination de l’Afrique sont considérables. En 2008, les flux d`IDE s`élevaient notamment à 875 millions de dollars et les investissements de portefeuille à 7,8 milliards de dollars en 2008 tandis qu’en 2009, le total des engagements chinois dans des projets d’infrastructures s’établissait à plus de 38,4 milliards de dollars.

(I.M.) : Quelle est la stratégie d’investissement et de financement des chinois en Afrique? Quelles sont les approches, démarches et collaborations ?

(N.M.) : Les activités financières de la Chine en Afrique consistent principalement en l’octroi de crédits à l`exportation et de subventions de la part des entreprises d`État Chinois, l’utilisation de prêts concessionnels ainsi que d’une aide financière aux gouvernements africains. Les entreprises d`État Chinois financent en outre les projets en Afrique par le biais de la Banque chinoise d`import-export (La EximBank). La EximBanque, qui fournit 90% de ses crédits d`exportation à des entreprises chinoises et à leurs clients étrangers gère également les prêts concessionnels du gouvernement chinois aux gouvernements étrangers. Cette institution poursuit la stratégie "go global" de la Chine ainsi que la stratégie Africaine de la Chine dont les objectifs clefs sont l`extraction de ressources naturelles, l`expansion des échanges commerciaux et financiers avec les pays africains, et la promotion des sociétés chinoises en Afrique. La Chine poursuit également une stratégie d’investissement et de finance au travers du «package financial mode », qui est octroyé par le ministère du Commerce et la EximBank. Ce package combine des prêts concessionnels, des crédits aux vendeurs et aux acheteurs ainsi que des garanties bancaires à l`appui de grands projets d`infrastructure en Afrique.

En dépit du manque de données statistiques précises sur l`engagement financier de la Chine en Afrique, nous estimons que l`aide de la Chine au développement s’élevait à hauteur de 2,5 milliards de dollars en 2009, et que les prêts approuvés par la EximBankse sont établis à plus de 100 milliards de renminbi pour le financement de plus de 300 projets en Afrique. La création du Fonds de développement Chine-Afrique en 2007 a favorisé les placements d’actions chinois dans des projets dans les secteurs de l`infrastructure, de l`agriculture et de l’industrie en Afrique. En termes de collaborations, la EximBanket le gouvernement chinois coopèrent de plus en plus avec les organisations financières internationales telles que la Banque mondiale, le FMI et la Banque africaine de développement dans la poursuite de cette stratégie africaine.

(I.M.) : Quelles en sont les caractéristiques en termes de coûts, de durée, et de garantie s’il en existe ?

(N.M.) : Les informations sur les conditions de prêt des investissements de la Chine à l`étranger sont incomplètes. Il est vrai que la majeure partie du soutien financier du gouvernement chinois se dirige vers les secteurs pétrolier et minier en Afrique. Néanmoins, la variété des flux financiers Chinois (prêts concessionnels, crédits, prêts sans intérêts, allègement de la dette, subventions et assistance technique) et le large éventail des ministères et organismes (23) impliqués dans l`administration des fonds et des projets, rendent très difficile la détermination, avec précision, des coûts réels, de la durée et de la valeur des garanties associées aux investissements de la Chine en Afrique. Ce dont nous sommes certains c`est que la plus part des prêts concessionnels et des crédits octroyés par la Chine sont directement accordés à des entreprises chinoises qui financent des projets et/ou des contrats en Afrique. Les taux d’intérêts de ces prêts et crédits sont déterminés à partir des taux internationaux de marché (LIBOR) et remboursables sur une période de 10 à 20 ans.

(I.M.) : La Chine s’adapte t’elle aux contraintes locales des pays Africains dans lesquelles elle opère?

(N.M.) : La stratégie de la Chine d’investir dans le secteur de l’énergie et dans de grands projets d`infrastructure, sa politique étrangère de non-ingérence dans les affaires des gouvernements africains, et sa pratique qui consiste à traiter les affaires d`abord (les risques politiques et les préoccupations de financement étant reléguées au plan secondaire) au prix de faire face à la critique internationale (les entreprises chinoises étant prêtes à payer des pots de vin), lui ont permis de faire ses marques en Afrique et de mieux s`adapter à certaines contraintes locales (notamment les problématiques liés à la bonne gouvernance et à l’environnement des affaires).

(I.M.) : Que pensez-vous de la coopération Chinoise actuelle par rapport aux coopérations existantes avec des pays tels la France ou les Etats Unis ?

(N.M.) : La coopération chinoise et la coopération des pays occidentaux visent toutes deux à favoriser le développement économique en Afrique au travers du tissage de liens politiques, économiques, sociaux et culturels plus étroits avec les pays africains, tout en assurant la stabilité politique et la sécurité. Le boom économique de la Chine ainsi que la forte croissance de sa demande pour le pétrole ainsi que d’autres ressources naturelles sont des facteurs clés qui encouragent la Chine à s`engager davantage avec les pays africains dans les domaines du commerce, de l`agriculture, de la construction d`infrastructures, et des mines. L’élargissement du champ de coopération Chine-Afrique tels que la banque, le tourisme, l`aviation civile et la protection de l`environnement et, par tant, l’adoption d’une approche multidimensionnelle de la coopération devrait contribuer à la croissance et au développement de l`Afrique.

(I.M.) : Existe-t-il selon vous une concurrence en Afrique entre les grandes puissances France / USA/ Chine ? Quelle en n’est votre perception et comment voyez-vous cette compétition dans le futur ?

(N.M.) : La coopération et l`engagement de la Chine en Afrique ont pris de l`ampleur ces dernières années, éveillant préoccupations et scepticisme dans les milieux Européens et américains. La principale source d’inquiétude serait de voir la Chine devenir le partenaire de développement préféré de l`Afrique, et d’assister par conséquent à la réduction de l`influence exercée par ces partenaires traditionnels au développement dans les affaires africaines. Pour ma part, je vois plutôt cette soi-disant «concurrence» comme une opportunité pour l`Afrique, qui dispose désormais de nouveaux marchés offrant des perspectives attrayantes en termes d’échanges commerciaux et de flux d`investissements, ainsi que de nouveaux partenaires émergents qui sont un complément à la coopération que les pays africains entretiennent avec leurs partenaires traditionnels au développement.

(I.M.) : Comment intégrer l’approche des investissements chinois dans les programmes des bailleurs de fonds Internationaux tels le FMI, la BM, la BAD qui accompagnent les pays Africains dans leur développement?

(N.M.) : Les projets de développement des infrastructures, les programmes d`énergie verte, la transformation agricole, et le partage des connaissances sont autant de programmes mis en œuvre par les bailleurs de fonds internationaux auxquels les investissements chinois pourraient être intégrés.. La Chine pourrait également coopérer avec des institutions financières internationales telles que la Banque africaine de développement en canalisant son aide au travers de la Banque ou en s`engageant dans des joint-ventures et/ou dans le co-financement de projets d`infrastructure et du secteur privé. La Banque africaine de développement a d’ores et déjà signé deux protocoles d`entente avec la EximBank et avec lala Banque chinoise de développement dans le but d’optimiser les avantages comparatifs de la BAD et de la Chine ainsi que les instruments financiers utilisés afin de favoriser le développement de l`Afrique.

(I.M.) : Comment la BAfD choisit-elle ses partenaires, en particulier les groupements d`ONG avec lesquels elle collabore ?

(N.M.) : La BAD a un large réseau de partenaires, et tous soutiennent le programme de développement de l`Afrique.

(I.M.) : Qui propose des projets et comment fonctionne la procédure de soumission? Quel est le rôle des actionnaires dans le choix des projets ?

(N.M.) : Les projets financés par la BAD sont préparés en consultation avec toutes les parties prenantes, à savoir les gouvernements africains, la société civile, les organisations régionales (si la nature du projet est multinationale) et les autres partenaires au développement. Les actionnaires de la Banque jouent un rôle essentiel dans le choix et la mise en œuvre des projets qu’elle finance.

(I.M.) : Comment sont financés les projets retenus ? Est-il notamment possible que les fonds servant à rémunérer l`entreprise d`un pays A puissent être avancé par un pays B, même si aucune entreprise du pays B n`est impliquée dans le projet?

(N.M.) : Les projets retenus pour financement par la BAD sont financés à travers les fenêtres des secteurs public et privé de la Banque. Les projets du secteur public sont financés soit par des subventions, dans ce cas de figure les fonds proviennent du Fonds africain de développement ou Fonds Spécial du Nigeria, ou par des prêts concessionnels, les financements étant dans ce cas accordés via le Fonds africain de développement ou la Banque africaine de développement. Les projets du secteur privé sont en revanche financés via l’octroi de prêts non souverains (prêts bonifiés). Pour revenir à la seconde partie de votre question, il est effectivement possible que des fonds employés pour payer une compagnie dans un pays A soient payés par un pays B.

(I.M.) : Quelle est l`importance du rôle de la BAfD rapporté à celui de la Banque Mondiale (par exemple)?

La BAD et la Banque mondiale sont toutes deux des partenaires de premier plan pour l’Afrique, chaque partenaire au développement de l`Afrique a son rôle propre à jouer.

(I.M.) : Quel regard la BAfD porte-t-elle sur les zones économiques spéciales chinoises en Afrique vu les attentes africaines, en termes de transfert de technologies (de la Chine vers l`Afrique) et de montée en gamme de la production à exporter (Les ZES produisent surtout des produits manufacturés destinés à l`exportation) ?

(N.M.) : Les zones économiques spéciales (ZES) chinoises en Afrique constituent un faisceau d’opportunités pour les pays africains. Tout d’abord, en termes de capital, au travers des investissements chinois dans le développement et la mise en œuvre de ces zones, ensuite parce qu’elles occasionnent des transferts de connaissances. Les pays africains bénéficient d’effets d’apprentissage qui découlent de l`expérience et de l’expertise de la Chine dans le développement et la gestion de ces zones économiques spéciales. Finalement, ces zones ont également des effets majeurs sur l’`industrialisation, la diversification ainsi que la compétitivité aux plans international et régional des pays africains qui les hébergent.

L`objectif principal des zones économiques spéciales est de stimuler l`agglomération d’activités économiques nouvelles dans un domaine particulier - la plupart du temps dans les zones rurales -par le développement d’infrastructures et d’autres installations, et en créant un environnement favorable et propice aux investissements étrangers ainsi qu’à la compétitivité du secteur manufacturier. Ces zones cherchent à atteindre cet objectif en apportant leur contribution à la diversification de la production et l`exportation de biens manufacturés, ce qui revient en définitive à promouvoir la transformation industrielle des économies Africaines.

(I.M.) : Il est souvent fait état d`accords "ressources naturelles africaines contre infrastructures réalisées par la Chine"; ce type d`arrangement semble susciter des réprobations dans la communauté de la recherche. Au-delà de ce point de vue restrictif, est ce que la BAfD à mis en place des mécanismes, notamment juridiques, pour renforcer les capacités de contractualisation des États, pour la réalisation des infrastructures ?

(N.M.) : Oui en effet, la BAD a mis en place des mécanismes pour renforcer la capacité de contractualisation des Etats africains. Il s’agit notamment de la Facilité africaine de soutien juridique.

(I.M.) : En conclusion ?

(N.M.) : La Chine est l`un des nouveaux partenaires émergents de l’Afrique. Les autres sont notamment l`Inde, le Brésil, la Turquie, l`Afrique du Sud, la Corée du Sud et la Russie. Ces nouveaux partenaires contribuent à l’apport de flux d`IDE, à l`activité commerciale et au partage des connaissances. Tout cela vient en complément de l`activité des partenaires traditionnels de l’Afrique tels que l`Europe, les Etats-Unis, le Canada et le Japon ?


Source : Chine Afrique, Revue européenne de géopolitique « Outre-Terre » Février 2011.



Bio Express Mthuli Ncube

Mthuli est le chef économiste de la Banque Africaine de développement, titulaire d`un doctorat (PhD) de l`Université de Cambridge (Royaume-Uni), auteur de nombreuses publications dans les domaines de l`économie et de la finance, Président du Conseil d`administration du Consortium pour la recherche économique en Afrique, ancien doyen de la Faculté de commerce, droit et gestion à l’Université du Witwatersrand, à Johannesburg, et ancien enseignant à la London School of Economics et à l’Institut de recherche du Fonds monétaire international à Washington.

Bio Express Ibrahim Magassa

Ibrahim est consultant financier au sein du cabinet international de conseil en stratégies et en financement Algest Consulting, après plusieurs expériences chez les Big 4 en audit, chez Accenture en conseil et en Banques d’Affaires. Diplômé du programme grandes écoles des classes préparatoires HEC de l’Ecole Supérieure de Commerce de Paris (ESCP- Europe) major finance, titulaire du diplôme d’expertise comptable. Doctorant en économie à l’université Paris-la Sorbonne aux côtés du professeur Korinman, il travaille actuellement sur une thèse portant sur les stratégies innovantes et adéquates de développement des pays africains.

Il est également fondateur et président du Conseil d’Administration de (l’African Business Club), club d’affaires réunissant tous les étudiants et les cadres africains issus des grandes écoles Françaises ( (Polytechnique, Centrale, Nîme, HEC,ESCP-EUROPE, ESSEC etc..).
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