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Politique Publié le vendredi 24 août 2012 | Le Patriote

Fuite du Cacao vers le Ghana : Voici les pistes utilisées par les trafiquants

© Le Patriote Par DR
Photo d`illustration : Manutention et transport du cacao ivoirien.
L’écoulement du cacao ivoirien au Ghana est devenu dans l’est du pays, une gangrène face à laquelle les moyens de lutte mis en oeuvre ne parviennent pas encore à enrayer le fléau. Nous avons sillonné quelques pistes pour toucher du doigt la complexité de la lutte. Reportage.
« Il n’y a pas mille façons d’expliquer la fuite du Cacao vers le Ghana. Les paysans veulent vivre de leur labeur et pour l’heure, les acheteurs ghanéens proposent mieux ». Ces propos désinvoltes sont de Ano Kouassi, un vieux planteur de la localité d’Abengourou que nous avons rencontré en mai dernier, dans ce département. Nous étions dans cette région, à l’est de la Côte d’Ivoire où la fuite du cacao vers le Ghana voisin laisse songeur. Le vieux Kouassi n’a donc éprouvé aucune difficulté à nous expliquer qu’il a eu à écouler plusieurs tonnes de fèves brunes au Ghana l’an dernier. Et qu’il a fait meilleur profit qu’il n’en aurait eu en acheminant son stock vers Abidjan. En fait, alors que les acheteurs violaient les prix bord-champ en achetant au paysan le kilo de cacao entre 800 et 900 FCFA, les Ghanéens proposaient entre 900 à 975 FCFA le kilogramme. C’était bien avant que l’Etat ne prenne les mesures pour contrer cette fuite qui devenait massive. En effet, entre septembre 2011 et février 2012, la direction régionale de la douane d’Abengourou a stoppé plusieurs camions, notamment des KIA et des remorques en partance pour le Ghana, chargés de cacao. A l’est, nous nous sommes intéressés aux nombreuses pistes qu’empruntent les trafiquants. Nous en avons sillonnées quelques unes, à motos. Et pour le seul département d’Abengourou, nous avons dénombré une vingtaine d’issues frauduleuses du cacao. Et une demi-dizaine de pistes dans le département d’Agnibilékro. Mais les pistes les plus empruntées par les trafiquants sont celles de Zaranou, Zoukouzoukou, Akati dans la sous préfecture d’Ebillasokro, Attiékro dans le département de Béttié, et Niablé. Toutes ces pistes permettent de rallier facilement la frontière ghanéenne sans être repéré. En dépit du déploiement de la brigarde mobile de la douane, les trafiquants parviennent toujours à passer entre les mailles du filet.
Le non respect du prix bord-champ…
Selon les informations que nous avons pu glaner sur leurs pratiques, les trafiquants auraient plus d’un tour dans leur sac. Ils utilisent des espions qui parcourent les différentes pistes à motos sans but précis, à l’effet de repérer les positions de la douane avant leurs expéditions. «C’est sur l’éclairage de ces espions, gracieusement entretenus, que les camions Kia entrent en scène », dévoile Salif Diallo, notre informateur. Celui-ci précise que lorsque les espions donnent le feu vert, ce sont des colonnes entières de camions Kia qui se lancent sur les pistes, dégageant des nuées de poussière pendant la traversée. « C’est la nuit que les opérations sont menées et ceux qui font sortir le cacao sont très bien organisés. Ils savent comment et quand il faut opérer, ce, avec généralement la complicité des forces de sécurité», précise Diallo, comme pour prévenir du sens de planification des sorties. A la direction régionale de la douane d’Abengourou, nous avons été rassurés lors de notre passage, sur les moyens de mobilité dont dispose cette force pour la traque aux fraudeurs. « Nous couvrons toutes les zones mais nous faisons face à plusieurs pistes qui compliquent la répression », avoue le Capitaine Do. Des acteurs de la filière évoquent une quarantaine de pistes de sorties frauduleuses du cacao entre Abengourou, Agnibilékro et Aboisso. Selon Boa Bonzou, membre du Conseil café-cacao, ce sont plus de 300 mille tonnes de Cacao de la production nationale qui, chaque année, quittent illicitement la Côte d’Ivoire pour le Ghana à travers ces pistes. Des statistiques qui donnent une certaine idée de l’ampleur du trafic qui prospère au détriment de l’économie ivoirienne. «En 2011, le Ghana qui n’avait pas récolté plus de 600. 000 tonnes en a déclaré un million. D’où est venu le complément ? C’est bien de la Côte d’Ivoire », fait remarquer Boa Bonzou. En fait, la multiplicité des pistes donnent du fil à retordre à la douane qui, bien qu’outillée en moyens de mobilité, ne parvient pas à les contrôler toutes à la fois. D’où l’entrée en scène au niveau d’Abengourou d’un groupe de jeunes volontaires qui se sont donné pour mission de traquer les fraudeurs aux côtés de la douane, en empêchant la sortie du Cacao. Mais la tâche n’est pas aussi facile pour cette «force parallèle », qui se veut républicaine. Car autant la douane a recourt à des indics autant sa position à elle est également donnée aux trafiquants par leurs réseaux de renseignement. A en croire Diallo Lacina, chef du groupe de jeunes volontaires, la lutte contre les fraudeurs nécessite de gros moyens. “Nous connaissons ceux qui font sortir le Cacao. Les autorités locales les connaissent aussi bien que nous. Mais pourquoi la saignée continue ?” s’interroge t-il. Et d’asséner aussitôt : “C’est la corruption qui fait ici le lit de la fraude.» Diallo Lacina ne s’explique donc pas le fait que la douane, la gendarmerie et la police soient présentes sur tout le long de la frontière avec le Ghana et que l’évasion du Cacao se poursuive. Avec donc son petit groupe, les nuits, ils sillonnent eux aussi quelques pistes pour repérer d’éventuels convois suspects. “Nous avons déjà aidé la douane à stopper beaucoup de camions », explique t-il. Mais l’exercice selon lui, n’est pas sans danger. Car les trafiquants sont toujours prêts à désintéresser tous ceux qui se mettent en travers de leur chemin. « Si vous êtes seul ou à deux, ils peuvent vous tuer et poursuivre leur chemin si vous refusez leur offre », rapporte Diallo.
…Cause principale de la fuite du cacao
Notre périple nous a conduits à Niablé où notre curiosité dans cette petite ville a été attirée par le nombre impressionnant de motos taxis. Selon notre guide, derrière cette activité, se cache une méthode que bien de producteurs de la zone utilisent pour faire sortir leurs produits. « Vous constaterez pendant la journée que des magasins sont approvisionnés. Une fois la nuit tombée, ces sacs prennent la direction du Ghana sur des motos taxis », nous apprend Coulibaly Soumaïla. A Niablé, c’est à partir d’engins à deux roues que le cacao se retrouve au Ghana, situé seulement à 3 kilomètres. Mais pour Coulibaly, le cacao qui rentre au Ghana à partir de l’est ivoirien ne provient pas uniquement d’Abengourou ou d’Agnibilékro. « Les produits viennent parfois de très loin, de l’ouest mais également des zones de grandes productions comme San-Pedro ou Duékoué », dénonce t-il. Une fois que ces produits atteignent Bonahouin, les camions empruntent d’autres pistes, puis traversent le fleuve Comoé pour atteindre le village de Prompron. « C’est un circuit par lequel les produits qui viennent d’ailleurs passent pour regagner le Ghana», révèle Coulibaly. Pour ce patriote bénévole, il faut tout simplement créer une unité spéciale pour lutter contre l’évasion du cacao. Le phénomène est si préoccupant qu’un comité de lutte contre la fuite du cacao a été mis sur pied à Abengourou. Il est présidé par le Préfet Fadi Ouattara que nous avons rencontré. Selon lui, le comité dispose de points focaux de supervision dans les villages. L’avènement de cette structure, loin d’avoir endigué la fraude, a quand même eu le mérite de réduire le volume des sorties. M. Ouattara croit que tout réside dans le respect du prix bord-champ fixé par le gouvernement. En effet, cette année, le gouvernement ivoirien a fixé le prix du cacao à 1000F/Kg. Un prix qui n’a pas été respecté l’année dernière et pas plus que les années précédentes par les acheteurs. « Tant que le prix bord-champ fixé par le gouvernement n’est pas respecté sur le terrain, nous ferons toujours face à des tentatives d’évasion du cacao vers d’autres pays », s’inquiète le préfet. Selon lui, il faudra aussi prendre des dispositions juridiques contre les acheteurs qui payent en deçà des prix fixés. « Je dispose ici à Abengourou d’un bataillon qui peut faire respecter ces décisions », renchérit t-il. Le président du Conseil d’Administration du Café Cacao, M. Lambert Kouassi Konan promet quant à lui que les prix du café-cacao seront stabilisés dès la campagne prochaine qui s’ouvre en octobre. En attendant cette réalité, la corruption, le non respect des prix bord-champ continuent de favoriser la fuite de la fève brune ivoirienne vers son principal rival, le Ghana. Faut-il le rappeler, le commerce international du cacao représente environ 13 milliards de dollars américains, soit environ 6 500 milliards FCFA par an. La Côte d’Ivoire, premier producteur mondial, représente plus de 40% de la production sur le marché international. Si rien n’est fait pour contrer la fuite de ces produits, il faut craindre que le Ghana ne détrône la Côte d’Ivoire.

Alexandre Lebel Ilboudo
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