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Région Publié le mercredi 31 octobre 2012 | Nord-Sud

Foncier rural, expropriation de biens, chasse à l’homme…à N’Douci : Autochtones et allogènes au bord de l’affrontement

Les prémices d’un conflit profond se dessinent à N’Douci. Pour comprendre la situation, nous nous sommes rendus mardi dernier dans le village de Broubrou, foyer de la tension.

S’achemine-t-on vers un conflit intercommunautaire à N’Douci ? Une tension est latente entre populations de Broubrou, à 22 km de N’Douci et 122 km d’Abidjan. Pour cause, autochtones Abidji-Agni d’une part et allogènes d’autre part ont maintes fois eu des accrocs. Traoré Tiécoura, planteur de cacao témoigne, par exemple, qu’il a échappé à la mort le 16 octobre. «Ce jour-là, se souvient-il, Augustin Yobouet et une quinzaine de jeunes gens conduits par un certain Olivier, armés de faucilles, de machettes et de gourdins, sont venus m’attaquer à mon domicile. J’ai pu m’échapper pour me refugier chez le chef de village. Ma famille a pu se mettre à l’abri. Mais ils ont tout cassé chez moi. Ils ont détruit tous mes biens.

Ils ont emporté la somme de 500.000 Fcfa. Et l’une de mes femmes a perdu la somme de 217.000Fcfa », raconte dépité le planteur de cacao. Selon lui, ils se sont ensuite dirigés vers le domicile du chef de village. Là-bas, ils rouent de coups ce dernier. « Ils m’ont bastonné à sang et laissé pour mort. Il a fallu l’intervention de ma femme pour me tirer des griffes de mes agresseurs. Le voisinage n’a pas volé à mon secours. Ils ne se sont pas arrêtés-là », ajoute Tiécoura. A l’en croire, ses agresseurs se sont dirigés chez un autre allogène, Mamadou Ouattara qu’ils ont aussi passé à tabac. «C’est ainsi que nous avons fait appel aux dozos basés à N’Douci pour nous secourir. Ils sont arrivés et nous ont fait sortir du village pour nous envoyer à N’Douci », confie le même interlocuteur.

Il nous montre ses blessures à la tête, aux pieds et dans le dos. Pour comprendre les raisons d’une telle violence, il faut remonter à 2006. M. Traoré, allochtone sénoufo exploite une portion de terre de 5 ha que lui a cédée Augustin Yobouet Kobenan. «Nous nous sommes rendus sur la parcelle en question et il m’a dit de l’exploiter. Ce que j’ai fait en plantant du cacao. Nous avons signé un document qui atteste qu’il m’a cédé la terre. J’ai rempli toutes les conditions qu’il m’a posées. Je lui ai remis la somme de 21.000 Fcfa comme droit coutumier », précise-t-il. Et d’en venir au début des ennuis : « En 2009, la plantation a commencé à produire. Et c’est lui qui a pris les premières récoltes. Il est allé les vendre sans me donner ma part. Je me suis plaint, mais il a continué ainsi plusieurs fois. Je l’ai convoqué chez le chef de village. Mais rien n’a changé.

Alors, j’ai porté plainte contre lui à la brigade de gendarmerie de Tiassalé. Je lui ai envoyé trois convocations auxquelles il a refusé de répondre. Nous nous sommes rendus à Gboloville chez le sous-préfet. Il a été confondu. Le sous-préfet avait décidé que la parcelle soit partagée équitablement ». Interrogé, le mis en cause dit autre chose : «Nous disons que notre terre nous a été léguée par nos ancêtres. C’est notre terre. Et nous ne voulons pas que d’autres personnes viennent nous imposer leur loi. Les dozos ont envahi notre forêt. Cela n’est pas normal. Ici, c’est chez nous».

Réunion de crise à la sous-préfecture

Benoît Yao, notable de la chefferie de Broubrou, confirme l’agression de Tiécoura et des autres membres de sa famille. «Traoré a été agressé par les jeunes gens. Sa maison a été pillée. Je me suis rendu à son domicile pour constater les faits », atteste-t-il. Cependant, le notable dénonce l’attitude des chasseurs traditionnels qui, s’offusque-t-il, sont arrivés sans l’informer de la nature de leur mission. « Les dozos sont arrivés au village pour prendre Yobouet Sémou. Nous n’étions pas informés de cette descente. Lorsque l’affaire est arrivée à la gendarmerie, nous avons été conduits à la sous-préfecture de Gboloville dont nous dépendons.

Le sous-préfet a indiqué qu’il fallait procéder à la délimitation de la plantation. J’ai envoyé des jeunes pour faire ce travail. Et ce jour-là, Traoré Tiécoura s’est aussi rendu au champ. Les choses ne se sont pas bien passées. Et il y a eu des palabres au champ entre Tiécoura et les jeunes. Il m’en a parlé et j’ai informé le sous-préfet. Comme ce dernier était en congé, alors il nous a mis en contact avec le sous-préfet de N’Douci. Le calme est revenu au village. Nous sommes en train de calmer les jeunes gens pour faciliter le retour de Traoré et de tous les frères Malinké, Sénoufo et Lobi qui ont dû quitter le village craignant pour leur vie », promet-il. Mais les choses ne sont pas si simples. Paul Amani Koffi, président de la jeunesse, émet des réserves : « Lors de l’intervention des dozos, ils ont tiré des coups de feu en l’air. Dans notre tradition, cela n’est pas normal. Donc, la famille de Yobouet exige qu’une cérémonie soit organisée au cours de laquelle les parents de Traoré viendront demander pardon. C’est à partir de là que ce dernier peut revenir au village.

Je ne suis pas opposé à son retour et à celui de tous ceux qui sont partis du village à cause de cette situation». Dans tous les cas, Mme Christelle Koné Kina, sous-préfet de N’Douci, assurant l’intérim de son collègue de Gboloville, nous indique que force reste à la loi. : « J’ai dit aux deux parties que nul n’a le droit de se faire justice. Il existe la gendarmerie et la police qui sont des forces légales. Pour ce qui est de la portion de terre en question, nous avons demandé à Tiécoura de laisser la partie litigieuse, et de procéder à une levée topographique par les agents du ministère de l’Agriculture.

A partir de ce plan, nous allons définir les contours de la parcelle qui doit lui revenir en collaboration avec la communauté villageoise. Selon l’accord convenu, l’usufruit sera partagé en deux parties égales. Par exemple, s’ils ont récolté six sacs de cacao. Chacun prend trois sacs pour aller le vendre lui-même. Contrairement à l’ancien accord où c’est Yobouet qui partait vendre la récolte pour empocher tout l’argent, ils ont accepté ce nouvel accord ». D’après l’autorité préfectorale, dans les jours à venir, une mission de sensibilisation va se rendre dans le village pour inviter les uns et les autres à une cohabitation pacifique.

Ouattara Moussa, envoyé spécial à N’Douci
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