Les samedis de Biton - Par Isaïe Biton Koulibaly - De l’imagination

A l’ouverture du dernier séminaire gouvernemental ma surprise a été grande de lire à la Une de certains journaux que le Président a demandé à nos ministres de l’imagination. En fait, la phrase réelle est celle-ci : « Il importe que chaque membre du gouvernement redouble d’effort et d’imagination. » Je ne sais pas sur quel ton la phrase a été prononcée. D’ailleurs, notre Président ne varie pas de ton. Fâché ou content. Néanmoins, la charge est lourde. Sous d’autres cieux, notamment en Occident, on aurait écrit et dit beaucoup de choses sur ces mots. Heureux membres du gouvernement de voir que dans la presse et dans l’opinion ce groupe de mots est passé comme lettre à la poste. Et encore qu’une lettre à la poste fait partie, désormais, du passé. Donc la phrase est sans conséquence. Demander à ses ministres de redoubler d’effort et d’imagination est une sentence qui a une valeur pédagogique pour les uns et les autres. Pas seulement pour les ministres mais pour toutes les classes sociales. La preuve, ce groupe de mots n’a suscité aucun débat dans le pays. Il y a vraiment un triplement d’effort et d’imagination à faire. Surtout d’imagination. Le mot va prendre de l’importance en mai 1968 dans les rues de Paris. Une jeunesse se révolte contre le pouvoir dominant et vieillissant de Charles De Gaulle qui avait dit à Pétain que la vieillesse est un naufrage. Et voilà qu’en 1968, on reprenait la même phrase pour lui. Sur tous les murs on réclamait l’imagination au pouvoir. La jeunesse ne voulait plus des idées anciennes. La France devait agir autrement pour garantir l’avenir de sa jeunesse. En clair, presque toute la société française, qui va suivre sa jeunesse, voulait le changement. Et même radical. Et ce sera fait avec la montée d’une nouvelle génération qui va s’étaler sur plusieurs années. Dans le dictionnaire Larousse l’imagination c’est la faculté qu’à l’esprit de reproduire les images d’objets perçus ou de créer de nouvelles images. C’est la faculté d’inventer, de concevoir, de combiner des idées. Sur le plan pratique, on comprend aisément ce que le Président demande à son gouvernement et à son peuple de sortir des schémas éculés, proposer des schémas nouveaux, des visions nouvelles. Une nouvelle frontière. J’avais déjà prévenu, il y a plusieurs mois, dans une chronique, à l’arrivée du Président, que les ministres étaient en danger. Je démontrais qu’on avait un Président qui sortait de l’école américaine, très différente de l’école française d’où proviennent la plupart de nos cadres. D’un côté l’efficacité, la pratique. De l’autre, la théorie et le bavardage à ne pas en finir. Il y a donc contradiction entre la volonté d’aller de l’avant et celle de rester sur place. La diatribe du Président va-t-elle réveiller le pays tout entier ? J’en doute. Avoir de l’imagination nécessite un gros travail de savoir et de connaissance en permanence. Pour avoir de l’imagination le premier impératif c’est la méditation à l’aube, voir en images ce qu’on veut réaliser. C’est aussi et surtout la comparaison. Elle exige de suivre au jour le jour ce qui se fait ailleurs. Ministre en Côte d’Ivoire signifie qu’il faut suivre, au quotidien, ce qui se passe dans les pays du monde entier en matière de réussite gouvernementale. Ce n’est pas suivre des journaux télévisés ou des flashs d’information. Mais, c’est aller en profondeur par les articles de journaux, suivre des débats sur les chaines satellitaires. L’imagination vient de ce qu’on a vu, lu, entendu. Ce n’est pas une mince affaire. La formation de l’élite américaine et même des cadres français, formés à l’Ecole Nationale d’Administration, donne ce pouvoir de connaissance. On demande aux uns et aux autres de parler de la politique économique de l’Afghanistan ou du peuplement de la Mongolie, sans parler des causes du succès de l’économie brésilienne ou des difficultés dans le transport urbain en Bolivie. L’imagination naît principalement de la lecture. Rien que de la lecture. Pour le comprendre, il faut absolument lire mon petit ouvrage intitulé : « La puissance de la lecture. » Une vraie puissance que la lecture. Tout membre du gouvernement, tout cadre supérieur ou inférieur doit pouvoir lire chaque semaine, en entier, des hebdomadaires africains et européens. Une spécialiste française disait qu’un pied cassé se répare plus facilement qu’une lecture ratée dès l’enfance ou l’adolescence. Redoubler d’effort se comprend plus aisément. Travailler plus. Il ne s’agit pas de travailler huit heures par jour. Mais, au moins seize heures ou plus. Travailler c’est ça. Plus d’heures à la tâche par rapport à soi et aux autres. Et cela paie toujours. Ce n’est pas fortuit si le coq appelle au réveil en chantant à quatre heures du matin. L’avenir appartient à ceux qui se réveillent tôt. Le leadership, la réussite, proviennent de l’imagination que seule la lecture des cinq genres permet d’acquérir. Pour redoubler d’effort et d’imagination, il est bon que chacun fasse de son livre de chevet celui écrit par Steven B Sample intitulé : « Devenir un grand leader. » Ainsi va l’Afrique.

A la semaine prochaine.