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Art et Culture Publié le jeudi 18 avril 2013 | Le Patriote

Interview / Sam Fan Thomas (artiste musicien) : “Ce qu’A’salfo et ses camarades font est fabuleux”

Musicien camerounais, Sam Fan Thomas s’est révélé au monde entier en 1984 avec son tube « African Typic Collection», qui fut un grand succès international. Quelques années plus tard, il cartonnait de nouveau avec « Mandela », en hommage à l’ancien président sud-africain, symbole de la lutte contre l’apartheid dans son pays. A la faveur de la 6ème édition du Festival des musiques urbaines d’Anoumabo (Femua), le guitariste s’est produit, avec son orchestre, à Anoumabo et à Abobo. Entre deux sollicitations, il a bien voulu, le temps d’une pause, se confier au Patriote. Entretien.
Le Patriote : Qu’est-ce qui vous a motivé à accepter l’invitation du Femua ?
Sam Fan Thomas : D’abord il faut savoir qu’A’salfo (ndlr, Commissaire général du Femua) est un jeune frère que j’aime beaucoup. Il mène une bonne carrière musicale et est vraiment professionnel dans ce qu’il fait. Ensuite, derrière le fait de venir jouer sur scène et faire rire les gens, il y a un caractère social. J’ai donc accepté de participer à ce festival, parce que je voulais apporter ma petite pierre à l’édifice du Femua. C’est pourquoi je suis venu pour aider A’salfo à continuer à aider ceux qui sont moins nantis que nous. Nous avons la chance d’exercer un métier depuis plus de 20 ans. C’est une grâce de Dieu. Donc, nous ne pouvons pas ne pas savoir d’où nous sortons. Je suis exactement comme lui. Je suis parti d’un quartier difficile pour arriver là où je suis aujourd’hui.

LP : Justement que vous inspirent les actions sociales qui accompagnent les spectacles du Femua ?
SFT : Construire une école primaire pour un quartier défavorisé où les parents n’ont pas en général les moyens de payer la scolarité de leurs enfants et en plus leur faire des dons, cela est extraordinaire. Et si on y ajoute une école maternelle, comme cela est prévu, ce sera fabuleux. Ce qu’A’salfo et ses camarades font, est immense. A’salfo est béni de Dieu. D’ailleurs, il ne fait pas ça pour lui, mais plutôt pour tous les autres artistes. Aussi donne t-il l’espoir aux jeunes en les amenant à croire en ce qu’ils font. Je suis sûr que ce festival va franchir les frontières de la Côte d’Ivoire. Déjà, partir d’Anoumabo pour Abobo est un pas vers les autres contrées.

LP : Avant de monter sur les scènes d’Anoumabo et d’Abobo, aviez-vous des appréhensions quant à affronter un public aussi jeune qui n’a pas forcément connu vos succès ?
SFT : Non, je n’avais pas d’appréhensions. Car j’étais persuadé qu’Asalfo ne se trompait pas d’invités. Déjà, avant mes prestations, lors de l’émission de RFI (ndlr, Couleurs tropicales), j’ai joué « Mandela », et quand la chanson a été coupée, le public a réclamé qu’on revienne sur scène. Pour moi, c’était les prémices de ce qui m’attendait. Et comme, j’ai la chance d’avoir des chansons qui traversent des générations, ça s’est bien passé et j’ai aimé la réaction du public qui a chanté et dansé avec moi.

L.P : Comment est née, à propos, l’inspiration de votre titre culte « African Typic Collection » ?
SFT : Je n’ai pas exprès de faire cette chanson comme cela. Pour moi, l’Afrique doit s’unir à travers la musique, et je voulais faire quelque chose qui passe un peu partout sur le continent. Je ne voulais pas que ça ressemble au makossa typique. Je voulais faire quelque chose de différent.

L.P : Ne pensez-vous pas que c’était un risque à une période où le makossa surfait sur la vague du succès ?
SFT : Effectivement, c’était risqué. Mais, il fallait faire comme ça pour être Sam Fan Thomas, sinon je serais resté un artiste qui fait du makossa comme les autres. Aujourd’hui, je suis un peu différent, parce que je fais un rythme qui me ressemble. Et je m’y sens bien. Je ne regrette donc pas d’avoir choisi cette voie, car cela m’a rendu très populaire. Il faut aussi savoir que je fais de la musique par passion. J’ai appris le BA-BA de cet art, ce qui me permet d’orienter ma musique comme je le veux. J’ai eu la chance d’avoir un très grand professeur de musique dans mon enfance. Avec la passion et le respect de l’art, on peut aller très loin.

L.P : Malheureusement, on ne trouve les CD de vos anciens succès que chez les pirates. Comment expliquez-vous que les orignaux ne soient pas visibles ?
SFT : Je ne suis pas le producteur de ces œuvres. De plus, les pirates ont hélas pris le marché. Moi-même quand j’ai besoin d’un album, c’est chez les pirates que je vais l’acheter. Le piratage des œuvres de l’esprit est un phénomène mondial. Tant que les politiques ne mettront pas en place un système qui permet de réduire à une proportion acceptable la piraterie, les artistes seront à la merci du premier qui leur donnera de l’argent. Et c’est comme ça que nous allons nous prostituer en faisant n’importe quoi.

L.P: Comment expliquez-vous que les politiques ne soient pas fermes devant la piraterie ?
SFT : Les politiciens n’ont pas l’habitude d’être en face d’une foule nombreuse. En général, ce sont des gens qui ont été nommés dans un bureau. Pour moi, il faut au-delà du discours, passer aux actes. Il n’y a que des discours creux et non des actes concrets. Je ne sais vraiment pas ce qui se passe. Et cela est valable pour les pays en Afrique, que ce soit le Cameroun ou la Côte d’Ivoire. Cela dit, j’ai aimé lors de la cérémonie d’ouverture l’intervention du ministre Hamed Bakayoko qui a dit que le ministre de la culture en Côte d’Ivoire est un artiste. Si un artiste est à ce poste de responsabilité et qu’il n’arrive pas à aider ses collègues, c’est une catastrophe. Je pense qu’on doit le mettre sous pression ce monsieur. J’aimerais avec A’salfo le rencontrer. Parce que s’il est artiste, il connaît les difficultés des artistes. Il doit donc pouvoir les aider.

LP : Que fait Sam Fan Thomas, quand il n’est pas en spectacle, au Cameroun ?
SFT : Je suis dans mon studio d’enregistrement qui existe depuis 20 ans. Je l’ai appelé Makassi ( en référence à son album le plus célèbre. Ce studio est très connu à Douala. Tous les vedettes de la musique au Cameroun sont passées par ce studio : Lady Ponce, André-Marie Tala, etc. Même David Tayorault y a enregistré des chansons ainsi que Annie-Flore Batchiellilys du Gabon. J’y ai accueilli aussi des musiciens venus du Canada pour enregistrer des sons du Cameroun.

LP : Il semble que vous avez un album en vue ?
SFT : C’est exact. Il va sortir au maximum dans un mois. J’avoue que je n’ai pas encore trouvé le titre. Mais ce n’est pas le plus important pour moi. Car, c’est quand un enfant vient au monde, qu’on donne son nom. On ne donne pas le nom avant.

LP : Combien de titres va-t-il comporter ?
SFT : Je vais d’abord faire un single ensuite l’album va suivre avec une dizaine de titres. Je n’ai pas encore arrêté le nombre exact. Mais ce qui est sûr, je fais une dédicace à James Brown dans cet album.

LP : En comparant votre génération des années 80 à celle d’aujourd’hui. Quelle différence notable relevez-vous ?
SFT : La différence se situe au niveau de la compréhension musicale. Nous, on s’inscrivait dans une vraie logique de carrière. On apprenait sérieusement la musique, avant de sortir des albums. Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui, où beaucoup de jeunes sont des vedettes de la chanson, alors qu’ils devraient être plutôt celles de la musique. Ils doivent faire de la musique pour s’exprimer et pour non pour se faire voir à la télé. Ce que je remarque, c’est qu’ils font beaucoup de bruits. Que ce soit au Cameroun, en Côte d’Ivoire ou au Gabon. Ils ont envie de parler des habits qu’ils ont achetés, des chaussures qu’ils portent. Cela n’a rien à voir avec la musique. Il faut faire des séminaires pour expliquer ce que c’est qu’un pentatonique, la verticale dans la musique. C’est de ça qu’il s’agit. Je lis beaucoup d’interviews des artistes dans la presse. Tous les jeunes qui arrivent, veulent être des vedettes de la chanson. Après, on se rend compte qu’ils ont une carrière éphémère. Certains, après un disque, n’existent plus. Tout simplement parce qu’ils n’ont pas compris que la musique est un métier. Et quand on le choisit, on doit l’assumer. C’est à ce prix que vous serez respectés. Martin Luther King l’a dit : « Balayeur, il faut balayer de tel sorte que quand quelqu’un arrive, il sache qu’un balayeur a vécu ici». Le problème, ce n’est pas d’être riche, car la richesse est un état d’esprit. On l’est d’abord dans la tête, avant de l’être physiquement. Quand tu n’as pas compris cela, c’est que tu n’as rien compris.

Réalisée par Y. Sangaré
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