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Art et Culture Publié le samedi 20 juillet 2013 | Le Patriote

Interview / Roland Dagher (Ecrivain et opérateur économique) : “Nous sommes condamnées à nous entendre”

Passionné de l'Art en général et de la Littérature, en particulier, Roland Dagher, après une première œuvre intitulée " Si je me permets", a publié récemment "Devoir de réconciliation". Dans cette publication, l'opérateur économique, qui vit intensément sa passion pour l'écriture, souligne l'impérieuse nécessité, pour les Ivoiriens et tous ceux qui habitent ce pays, de se pardonner et de se donner la main pour rebâtir une Côte d'Ivoire nouvelle où règnent l'harmonie et la concorde. Socle, à ses yeux, de l'émergence à l'horizon 2020 que le Président de la République, Alassane Ouattara, appelle de tous ses vœux.

LP : Vous écrivez dans "Devoir de réconciliation" que « les Ivoiriens ont un impérieux devoir de se réconcilier ; sinon la sentence sera implacable : un suicide collectif». Pourquoi tirez-vous cette conclusion ?
RD : C'est une sonnette d'alarme que je tire ! Souvenez-vous de cette phrase prémonitoire du président Félix Houphouët-Boigny : « Nous sommes une poussière d'ethnies condamnées à nous entendre ou à disparaître ». Cette phrase prophétique doit retentir dans la pensée de chaque Ivoirien et nous savons tous la satisfaction morale, spirituelle et la force que l'on tire d'une réconciliation. Retenez le préfixe « Ré », si l'on parle de réconciliation c'est qu'il y avait auparavant conciliation. Alors pourquoi ne pas redevenir ce que nous fumes pour nous-mêmes et pour les générations à venir, à qui nous sommes condamnés à laisser plus que ne nous ont légué nos devanciers. Nous en avons les capacités morales et intellectuelles.

Le Patriote : Pourquoi pensez- vous que la réconciliation doit être un devoir pour les Ivoiriens?
Roland Dagher : Connaissez-vous une communauté qui se plaît dans un conflit perpétuel ? Que gagnerions-nous à ne pas nous réconcilier ? Si nous avons pour objectif réel de développer notre pays et d'en tirer, nous mêmes à la fois, les dividendes et une fierté légitime, je pense qu'il nous faut accorder de la place à ce vieil adage qui dit simplement que l'union fait la force. Et surtout que notre devise commence par "Union", ne l'oublions pas !

LP : Vous êtes un opérateur économique qui devrait être un mécène pour impulser l'art dans son ensemble. Pourquoi décidez-vous d'écrire ?
RD : D'abord pour réaliser, il faut écrire. C'est vrai, j'aime l'art dans son ensemble, j'essaie d'apporter ma petite touche à d'autres domaines de l'art, mais je me focalise sur l'écriture qui est pour moi la mère génératrice de tous les autres arts. Que pouvez-vous réaliser sans d'abord avoir couché l'ossature ou du moins l'esquisse sur un bout de papier ? Puis, il faut bien mettre l'accent sur une partie de l'art pour être plus utile car « qui trop embrasse mal étreint ».

LP : Avant votre dernier livre en date, vous avez écrit " Si je peux me permettre". Pour le public, quelle était la trame de cette œuvre ?
RD : « Ce qui est important, ce n'est pas le temps que vous restez sur cette terre. C'est la qualité de ce que vous faites qui importe », disait Martin Luther King. Je l'ai cité à la page 11 de "Si je peux me le permettre" pour bien montrer à quoi doit servir notre vie, surtout pour les générations à venir. Vous l'avez sûrement lu, j'ai soulevé des interrogations sur ce que nous avons fait de l'immense héritage du père fondateur de la Côte d'Ivoire moderne. Je ne dis pas « j'accuse » mais si l'histoire doit aider à bâtir le futur, alors tenons en compte.

LP : Le Chef de l'Etat, lors de sa dernière visite dans le District des Savanes, s'est adressé aux dirigeants du Front Populaire Ivoirien (FPI) afin qu'ils demandent humblement pardon aux Ivoiriens, surtout aux victimes de la crise postélectorale. En réponse, le FPI dit qu'il ne le fera pas tant que certains de ses dirigeants en détention préventive ne seront pas libérés. Quelle est votre analyse ?
RD : Vous savez, contrairement à l'imagination populaire, je ne suis pas un homme politique. Je suis un citoyen normal, j'ai été coopté au Conseil Economique et Social de Côte d'Ivoire au titre de la Société civile. Ceci dit, je pense personnellement que c'est dans ces cas que je peux me permettre d'appeler dilemmes pareils, que doivent intervenir les structures mises en place pour la réconciliation afin de rapprocher les différents points de vue aux fins d'en tirer une substantifique moelle au bénéfice de tous les Ivoiriens. Je suis républicain, j'ai mal de voir mon pays déchiré en lambeaux. Que de l'eau soit mise au vin pour le rendre plus digeste.

LP : Vous dites que le pardon est la clef pour parvenir à ce que vous appelez « le miracle de la réconciliation ». Quelles sont vos recettes pour que les Ivoiriens s'approprient le pardon ?
RD : Tout est dans le livre. Moins que des recettes, ce ne sont que des suggestions. Je ne peux pas prétendre disposer de la science infuse. Je ne fais sûrement pas partie des sachant en matière de pardon, par contre ce que je sais, c'est que dans toutes nos langues, le mot pardon a sa place et le pardon grandit celui qui l'accorde sans rabaisser celui qui le reçoit. Oh! Je sais, il y a sûrement bien d'autres propositions mais que chacun apporte un peu d'eau au moulin pour fournir la farine qui servira au pain de tous.

LP : Votre livre parait à un moment où la Côte d'Ivoire se trouve à la croisée des chemins après une grave crise postélectorale. Quelle place accordez- vous aux notions de justice, dialogue, vérité etc., dans la trame de votre œuvre?
RD : Ne me faites pas reprendre le livre, même si ce n'est pas à but lucratif que je l'ai écrit, je pense tout de même que ce sont des notions qui, appliquées dans un contexte, rassurent, redonnent la dignité à chaque être. Qui de nous n'aimerait pas savoir la vérité sur un sujet qui le concerne ? Dans quelle société aimerait-on ne pas privilégier le dialogue? Quelle est cette société qui n'aimerait pas jouir d'une justice équitable ? Ce sont donc des notions qui ont des valeurs sacerdotales auxquelles je tiens comme vous aussi je pense pour un meilleur équilibre de notre société.

LP : Vous citez des exemples de pays qui ont connu la même situation de crise que la Côte d'Ivoire. Pensez- vous que ces exemples- là serviront de point d'appui, quand d'un côté on parle de « justice des vainqueurs » et de l'autre, « les vaincus doivent assumer » ?
RD : Vous savez, les exemples ne font que nous éclairer. Je me suis toujours demandé pourquoi donnons-nous nous-mêmes un qualificatif au mot justice? Presque de façon péjorative, je l'ai dit tantôt, nous devons tous opter pour une justice qui rend à l'homme sa dignité et le rapproche de l'autre. Dans ces pays que j'ai cités, la justice s'est adaptée à leurs réalités socioculturelles et les résultats ont été probants et révélateurs. Je pense que cela peut être possible chez nous à notre manière, selon nos propres réalités. Pourquoi ne pas essayer cela ?

LP : Vous avez connu tous les chefs d'Etat de Côte d'Ivoire. Quels sont vos rapports avec l'actuel, Alassane Ouattara ?
RD : Oui, j'ai connu tous les chefs d'Etat, d'Houphouët-Boigny à Ouattara. Avec le président Houphouët-Boigny, c'était les rapports de père à fils. Il me faisait l'immense honneur de me recevoir pour discuter de certains sujets. Je raconte toujours cette anecdote où il m'a reçu à une heure très matinale. Avec le président Bédié, nous avons des rapports cordiaux, je suis membre fondateur de CNB (Cercle National Bédié) alors comprenez que nos rapports sont bons.
Laurent Gbagbo, j'ai connu l'homme quand il n'était pas encore au pouvoir. Une fois chef d'Etat, ses charges ont fait que je n'avais plus accès à lui directement mais nous avons gardé cette amitié. Je vous ai dit que je suis rentré au CES au compte de la société civile, ça veut tout dire. Le président Ouattara, j'avais le privilège de le côtoyer alors qu'il était Premier ministre. Aujourd'hui chef d'Etat, je ne peux pas jouir des mêmes facilités, ce que je comprends. Mais, quand j'ai une idée qui, je pense, peut apporter un plus à l'édification nationale, j'essaie de la lui suggérer par écrit. Bref, pour le Nationaliste que je tiens à être, je pense que si nous voulons que les autres adorent notre fétiche, il faut commencer à l'adorer nous-mêmes. C'est ce que j'essaie de faire à mon modeste niveau.

LP : Au moment où Laurent Gbagbo s'entêtait à confisquer le pouvoir, quelles étaient vos réactions ?
RD : Vous savez en matière de politique, lorsque vous n'êtes pas au cœur des instances décisionnelles, il est sage de garder votre jugement. Je pense qu'à cette période, des voix beaucoup plus influentes que la mienne sont intervenues à tous les niveaux pour trouver une solution consensuelle. Que pouvais-je moi ?

LP : Comment voyez-vous l'avenir de l'art et de la Côte d'Ivoire avec l'émergence à l'horizon 2020 ?
RD : La Côte d'Ivoire est un scandale de potentialités artistiques à tous points de vue. Ce qui, à mon avis, manque, c'est le creuset dans lequel tous ces artistes doivent exprimer leurs talents. Je suis très heureux du retour du MASA (Marché des Arts du Spectacle Africain). Nous avons une école artistique ici à Abidjan. Mais voyez, le Burida me donne l'impression d'une boîte à musique dissonante. Le cinéma ivoirien, qui nous a gratifiés de tant de beaux jours, vu de loin, me semble à l'agonie, alors que partout ailleurs, les festivals ravivent les capitales. Je souhaite vivement que nous nous penchions sur le devenir de l'art en général. Ne dit-on pas que l'art c'est la nourriture du cerveau?

LP : Vous étiez un fervent défenseur des Libanais. Qu'est-ce qui explique que l'on vous voit de moins en moins ?
RD : Je suis Ivoirien certes, mais je ne renie plus ma culture libanaise. C'est à ce titre qu'à un moment donné j'ai été au devant de la scène. Mais il faut savoir passer la main. Aujourd'hui, je joue le même rôle, peut-être moins voyant aux côtés de mes compatriotes qui n'ont jamais lâché la Côte d'Ivoire, même au cœur de ses difficultés. Bon nombre se retrouvent toujours dans mes actions et cette majorité apparemment silencieuse contribue pleinement au développement économique de ce pays par une intégration socio-économico-culturelle accomplie.
Réalisée par Jean-Antoine Doudou
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