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Politique Publié le samedi 28 septembre 2013 | Le Patriote

Epiphane Zoro : “J’ai signé le certificat de Ouattara en connaissance de cause”

«…Quand on dénie une nationalité à un groupe de personnes, c’est toujours et constamment la première étape d’un signal. Lorsqu’on commence à dire, telle personne, telle catégorie de personnes n’est pas ivoirienne, c’est un signal qui indique qu’un massacre est en train de se préparer, de se mettre en place. Le dénie de nationalité aboutit à une chosification, l’homme devient un être banal, une chose jetable. Cela s’est vu ici à travers tous les charniers que nous avons connus. Mon témoignage va porter sur la question de la nationalité. La question de la nationalité du président du RDR, aujourd’hui Président de la République et partant la question de la nationalité de l’ensemble de ses militants et de toutes les personnes qui lui étaient assimilées. J’étais encore jeune magistrat à la section du tribunal de Dimbokro. J’ai suivi l’arrivée triomphale du président du RDR. J’ai suivi également, comme tout le monde, le congrès extraordinaire, alors que j’étais à l’intérieur du pays. Et puis, j’ai suivi avec beaucoup d’intérêt et de curiosité tout le débat politique sur la nationalité du président du RDR : Il n’est pas ivoirien et pourtant il dit qu’il l’est. On dit qu’il n’est pas Ivoirien et pourtant il a produit toutes les pièces. Je sais qu’à l’époque, il y a eu un conclave initié par le Garde des Sceaux. J’ai appris plus tard qu’il y a eu ce conclave où il a été demandé à tous les membres – ce sont nos chefs qui ont assisté à ce conclave – de se serrer les coudes parce que l’heure était grave en Côte d’Ivoire. Alors, je revenais d’une audience foraine, nous avions sillonné pas mal de régions, c’était les audiences foraines pour l’établissement des cartes d’identité et des certificats de nationalité, quand mon greffier m’a dit : «monsieur le président, il y a quelqu’un qui est passé et qui dit être venu déposer des documents assez sensibles, ceux d’Alassane Ouattara. Nous ne les avons pas réceptionnés, nous attendions que vous soyez là pour les instructions nécessaires ». Bien avant, j’avais été appelé par la chancellerie à Abidjan, qui m’a signifié qu’il y a des rumeurs faisant état de ce que des gens viendraient vers moi pour des documents. Ils n’en n’ont pas précisé la nature. Mais, on m’a invité à faire preuve de vigilance. Lorsque j’ai reçu ces documents, le lendemain – des mains de Cissé Bacongo – comme tout Ivoirien et à titre personnel, j’étais curieux de savoir si les documents qui m’étaient présentés mettraient définitivement fin à ce sulfureux débat sur la nationalité du président du RDR. J’ai les ai donc réceptionnés. Il y en avait d’autres. Par exemple, l’actuel Ambassadeur Abdou Touré avait également son acte de naissance. Il y avait à peu près 5 ou 6 demandes de certificat de nationalité. Je les regarde donc : «Acte de naissance, ok ; né à Dimbokro, ok ; acte de naissance de la mère, c’est bon ; passeport ordinaire du père, c’est bon ; carte d’identité ivoirienne du pétitionnaire, c’est bon. Je prends les documents par devers moi et je me dis : « mais c’est quoi donc tout ce débat politique ? » Il faut dire que je n’ai pas pris la décision immédiatement. J’étais conscient que c’était une décision assez grave qui m’engageait et qui engageait également la vie de la nation. J’ai attendu de dormir. Cette nuit-là, évidemment, je n’ai pas fermé l’œil. J’avais mis les dossiers en lieu sûr. Le lendemain, j’ai signé le document et je l’ai remis à Cissé Bacongo. J’attendais la réaction, le retour de la hiérarchie. Si je vous dis que j’attendais cette réaction de façon imperturbable, ce serait vous mentir. Je m’étais dit que comme ils sont au pouvoir, peut-être avait-ils des éléments de preuves que je n’ai pas pu obtenir. Peut-être que je n’avais pas rendu la bonne décision. Peut-être que je n’ai pas fait suffisamment de vérification. J’attendais donc cette réaction. Cela n’a pas trainé. Quelques jours plus tard, je suis convoqué par le ministre de la Justice. C’est là que j’ai compris qu’il ne s’agissait pas d’une affaire ordinaire. Parce que tous les chefs de juridiction étaient présents. Tous ceux d’Abidjan : Cour d’appel, Tribunaux de première instance. Tout le monde était présent. La première personne à prendre la parole était soit le directeur de cabinet soit, le directeur des affaires civiles. Il me dit : «monsieur Zoro, installez-vous, merci d’être venu. Nous avons ici un document, il semble que c’est vous qui l’avez signé, mais à y regarder de près, il nous semble qu’il y a un des greffiers qui a imité votre signature. Parce qu’on a le spécimen de votre signature ici et sur le document, la signature est légèrement différente, nous croyons que c’est une imitation ». J’ai répondu qu’à cette période, j’avais délivré à peu près 12000 certificats de nationalité, parce qu’il y avait les audiences foraines et qu’à force de signer il pourrait y avoir une légère différence. Je leur ai donc dis, que c’était bien moi qui avait signé. Ils m’ont dit : « C’est vous qui avez signé, mais nous sommes convaincus que quelqu’un à imité votre signature. En plus, le greffier ne vous a pas expliqué à qui appartenaient ces documents. C’est sans doute pour cela que vous avez signé. Ces documents sont ceux du Premier ministre, Alassane Ouattara, président du RDR. On ne vous l’a pas dit et par erreur vous avez signé ». J’ai répondu que le greffier m’avait bien expliqué. J’ai dit que j’avais signé en connaissance de cause. Tout le monde était abattu. C’est en ce moment que j’ai commencé à souffler. Parce que je me suis dit qu’en face, il n’y avait aucun élément contradictoire. J’ai commencé à souffler. Ils se sont concertés, en m’ignorant totalement. Ils ont dit qu’ils vont accuser un greffier, parce qu’il est plus facile de poursuivre un greffier en pénal pour faux en écriture. Ils se sont mis à me donner des conseils d’usage. Du genre : «vous comprenez, c’est pour vous que nous luttons. C’est pour la postérité que nous luttons ». A cette époque, j’ai bénéficié du soutien de certains collègues. J’aimerais citer particulièrement le magistrat François GuéÏ, qui, à l’époque, était le directeur des affaires civiles et pénales. Il m’a appelé à son bureau. Il m’a dit : « jeune collègue, est-ce que tu regrettes ce que tu as fais ? » J’ai dit : «non, Monsieur le directeur, je l’ai fait en connaissance de cause. Et je suis prêt à le refaire ». Il m’a dit : « collègue, va en paix ».

Recueillis par TL
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