x Télécharger l'application mobile Abidjan.net Abidjan.net partout avec vous
Télécharger l'application
INSTALLER
PUBLICITÉ

Société Publié le jeudi 31 octobre 2013 | Nord-Sud

Cimetières de Yopougon, Abobo, etc.: La brousse “mange’’ les corps

Lieux sacrés et points de recueillement pour certains, les cimetières de Yopougon et d’Abobo sont pourtant en train de disparaître lentement, mais sûrement, sous le poids de la broussaille. Reportage.


C’est par une journée ensoleillée que la famille Koffi enterre, ce mardi, leur disparu au cimetière de Yopougon-Andokoi. Entre pleurs, cris et étreinte, la foule éplorée suit le corbillard vers un chemin tortueux qui finit par disparaître dans les hautes herbes. Soudain, on ne voit plus personne, ni même la silhouette du véhicule mortuaire. Et le son des pleurs se fait de moins en moins entendre. Un étranger s’interrogerait probablement sur la destination du cortège mortuaire, vu qu’il n’y a que la brousse qui s’étend à perte de vue. Mais ces malheureux ne font que suivre le prolongement du cimetière de Yopougon. En fait, c’est le paysage qu’offre la nécropole à ses visiteurs. Puisqu’à part quel­ques caveaux visibles à l’entrée, à peine une centaine, le reste n’est que arbres et hautes herbes. Des dizaines de kilomètres de tombes englouties par la brousse, jusqu’à un bas-fond. Autrement dit, s’il n’y avait pas eu cette espèce de bicoque qui fait office d’administration, et surtout l’entrée voûtée avec l’insigne «cimetière de Yopougon», on se serait cru dans un champ. « Depuis près de trois ans, le cimetière n’a pas reçu le moindre entretien, fustige l’un des contrôleurs postés à l’entrée sous le sceau de l’anonymat. Chaque année, la brousse avance un peu plus ». Selon cet agent du district d’Abidjan, les quelques tombes qui échappent aux herbes appartiennent à des familles chrétiennes. Ces dernières ont loué les services des nettoyeurs de tombes, comme Bernard G. et ses camarades que l’on peut voir ce matin aller de mausolée en mausolée, dabas et machettes en mains. Il ne faut surtout pas se fier à leur air désinvolte et aux vêtements de paysans qu’ils portent. Ce sont de bra­ves garçons avec un sens de la morale assez aigu. Tenez, par exem­ple, cet adolescent de seize ans harnaché d’un short déchiré qui se fait appeler Vetcho. Jamais il n’a accepté de parler prix lorsque nous nous sommes fait passer pour des personnes à la recherche de nettoyeurs de tombes. « Ici, le propriétaire donne ce qu’il peut. On ne juge jamais de prix. C’est pour respecter la mémoire des morts », expliquera-t-il plus tard. Même s’il n’est un secret pour personne que l’entretien journalier d’une tombe ici est compris entre 1.000 F et 2.000 F. Et que de nombreuses familles leur versent 30 à 50.000 F le mois pour prendre soin des caveaux. Bien que ce ne soit pas leur rôle. Car, selon les services de contrôle du cimetière, cette tâche incombe au district d’Abidjan. «Les familles payent une taxe de 15.000 F pour une location de cinq ans, 90.000 F pour 30 ans. Et 190.000 F pour 99 ans. En contrepartie, les cimetières doivent être entretenus », révèle l’un des employés. Des courriers ont été adressés au gouverneur du district d’Abidjan, mais sont restés lettres mortes. Conséquence, au cimetière d’Abobo, sur la route d’Alepé, c’est le même spectacle écœurant. La nature reprend peu à peu ses droits, et les tombes s’effacent naturellement. Le plus désolant, c’est le monument des victimes du charnier de 2000 en proie à l’avancée des hautes herbes. Contrairement à celui des morts de la crise postélectorale relativement entretenu, seul le dessus du mausolée a été négligemment sarclé. Les herbes n’ont même pas été enlevées. Et les bordures sont envahies de toutes parts par la brousse. Fait étonnant, ici, ce sont des gamins dans la dizaine qui s’échinent à nettoyer ces saillies de terre qui, à force d’avoir été abandonnées, ne font plus penser à des tombes. Dans cette ambiance morbide qui n’augure guère une Toussaint agréable pour les morts, seul le cimetière de Williamsville est parvenu à tirer son épingle du jeu. En plus de la rénovation qui a affiné son éclat, les monuments funèbres scintillent. On est parfois surpris de se prendre des reflets de soleil au visage. Mais le bon entretien dans ce village de trépassés ne suffit pas à faire oublier l’affligeant décor du cimetière de Yopougon-Andokoi et celui d’Abobo. Il urge de les assainir. Bien sûr, les morts sont morts, mais l’écrivain Amadou Koné dirait qu’ils nous regardent toujours.


Raphaël Tanoh
PUBLICITÉ
PUBLICITÉ

Playlist Société

Toutes les vidéos Société à ne pas rater, spécialement sélectionnées pour vous

PUBLICITÉ