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International Publié le vendredi 29 novembre 2013 | Nord-Sud

19 ans après le génocide rwandais Arusha : une journée dans les cellules du Tpir

19 ans après le génocide rwandais, 81 personnes sont toujours détenues. 16 attendent leur procès en appel à la prison du Tribunal international pour le Rwanda (Tpir), à Arusha, en Tanzanie. 6 autres mis en cause sont activement recherchés.


C’est écrit en noir sur fond rouge, «Wanted for genocide» ou «recherchés pour génocide» en français. Six présumés coupables sont toujours en cavale sur les dix personnes activement recherchées. Ils sont cités par les enquêtes liées au génocide au Rwanda, en 1994 qui a fait 800 000 morts selon l’Onu. Leurs têtes sont mises à prix. 5 millions de dollars Us soit 2,5 milliards de FCFA de récompense, par fugitif, à celui qui les retrouverait. Leurs photos sont placardées dans le bureau de Saidou Guindo, un Malien, chef de la sécurité et commandant du centre de détention du Tribunal pénal international pour le Rwanda (Tpir), à Arusha, en Tanzanie. Le pénitencier est situé non loin d’Arusha domestic airport. L’entrée est protégée par des barbelés. Trois agents en assurent la garde. Un mirador donne une vue panoramique sur l’établissement. Créé en 1996, la prison du Tpir a vocation d’assurer de bonnes conditions carcérales aux personnes en détention préventive. Lorsque leurs procès sont programmés, l’établissement s’assure que ces individus sont transférés dans de meilleures conditions vers le tribunal situé au centre de la capitale politique tanzanienne. Ce mercredi 20 novembre, nous sommes accueillis par le service de sécurité. Dictaphone, appareil photo, et autres téléphones portables ne sont pas autorisés à l’intérieur. Après les formalités d’usage, nous sommes conduits au bureau de l’administrateur, Ellis Msi. Il ne parle que l’anglais. Heureusement, Franck, notre traducteur d’origine togolaise, est présent. Les prisonniers sont pour la plupart d’anciens ministres, des directeurs de cabinet, et de hauts cadres de l’administration rwandaise. Ils sont accusés d’avoir orchestré et planifié l’holocauste de 94. Ils ont tous été arrêtés dans d’autres pays, en Europe comme en Afrique où ils s’étaient refugiés. Certains ont été transférés dans d’autres geôles des pays africains. 5 décès ont été enregistrés dans leur rang. 10 personnes ont purgé leur peine, et 13 autres ont été acquittées. Les 16 détenus actuels, dont une seule femme, Pauline Nyramasuhuko, ont tous fait appel après avoir été condamnés en première instance. Les peines vont de 10 ans à la prison à vie. Le régisseur souligne qu’en gardant les prisonniers, le Tpir s’assure qu’ils sont incarcérés dans les normes fixées par la Convention de Genève en matière de détention.

Rien ne vaut la liberté
Ainsi ont-ils droit aux visites de leurs parents et de leurs avocats. Cinq minutes de communication leur sont accordées par semaine avec leur famille, et quinze autres avec leurs avocats. Les prisonniers reçoivent également la visite d’organismes humanitaires notamment le Comité international de la Croix-Rouge (Cicr) dont le dernier passage remonte à juillet de cette année. La maison de détention comprend 78 cellules reparties dans 18 bâtiments. Il y a cinq cours communes, à raison de 4 détenus par enceinte qui se partagent un téléviseur. Chacun d’entre eux a droit à un ordinateur. Mais pas de connexion internet, ni de port Usb ou de Cd «douteux». Les contrevenants à cette mesure, s’ils sont pris, nous confie-t-on, se voient confisquer le matériel mis en cause. Des caméras de surveillance sont installées à l’intérieur de l’établissement pour suivre les mouvements des bagnards. Ils ont accès à des aires de jeux et à une bibliothèque. Un professeur d’anglais leur dispense des cours, pour une meilleure réinsertion sociale en cas de relaxe. Le Rwanda est un pays francophone qui s’est mis radicalement à l’anglais, dans les programmes scolaires et universitaires, à l’avènement au pouvoir de Paul Kagamé. Côté restaurant, les prisonniers ont le choix du menu. Un comité de nutrition composé d’un diététicien, du chef cuisinier et d’un chef de cour veille au respect des choix des détenus. Le diététicien se rassure que les aliments choisis sont en conformité avec les conditions de détention. Les nourritures trop grasses sont proscrites. Toujours selon nos guides, pendant les périodes de fête, l’opportunité est offerte aux détenus de préparer eux-mêmes leur repas, notamment les barbecues. Au plan sanitaire, un infirmier et un médecin permanents contrôlent leur état de santé. Les détenus sont tous soumis à un règlement intérieur qui leur interdit notamment l’accès aux cellules de personnes du sexe opposé. Toutes les infractions et les sanctions encourues sont contenues dans le règlement intérieur, dont ils ont pris connaissance, assure-t-on. Cependant les contrevenants ont le droit de faire appel de leur punition. L’usage de la violence sur les pensionnaires est proscrit. Néanmoins tout recours à la force par les geôliers doit faire l’objet d’un rapport systématique qui doit être transmis le même jour au commandant du centre de détention. Après ce briefing avec M. Msi, s’ensuit une visite guidée de la prison. Nous entrons d’abord dans une cellule témoin pour nous préparer à rencontrer les prévenus. C’est une pièce de 5,22 mètres de long, sur 2,15 mètres de large. Le mur est d’un blanc défraîchi. Sur un petit lit d’une place sont disposés des draps et une couverture en damier bicolore (rouge et bleu nuit). Un mur sépare la chambre à coucher de la douche. C’est une salle d’eau avec un lavabo, un WC et un robinet. M. Msi explique que les prisonniers sont approvisionnés en eau chaude par un chauffage alimenté par l’énergie solaire. Après cette étape, le guide nous conduits vers un portail qui donne sur un couloir de plus de 20 mètres. Il est protégé de part et d’autre par de grandes tôles peintes en blanc. Ce passage mène à ‘’la salle intime’’. C’est une cellule, comme son nom l’indique, qui est réservée pour assurer une intimité des détenus avec leurs conjoints, en vue de préserver leur union. «Nous faisons en sorte de protéger le foyer des détenus parce que la femme n’a rien à voir avec les actes posés par son mari», explique notre interlocuteur. Il nous ouvre par la suite un portail vert. C’est la porte d’entrée des bâtiments où se trouvent les cellules des hommes. Il informe qu’il est formellement interdit de parler aux prisonniers. Puis, il ouvre la première cellule. Un octogénaire occupe la pièce. Il accueille le groupe avec un petit sourire. La bienveillance nous pousse à le saluer : «Bonjour, comment allez-vous ?». «Je vais bien, mais c’est difficile la prison», répond-il, avec une voix tremblotante à peine audible. Il semblait si fragile ! Le détenu nous montre aussitôt les photos, fixées au mur, de son épouse, sa fille et l’époux de celle-ci ainsi que ses petits-enfants. La conversation est interrompue par le régisseur qui rappelle l’interdiction de converser avec les prisonniers. Sur des étagères, sont disposées des provisions : du riz, des morceaux de savon, des bouteilles d’huile, du papier hygiénique… Joseph Kanyabashi, ainsi se nomme le pensionnaire, est incarcéré depuis le 7 novembre 1996. Arrêté en Belgique le 28 juin 1995, il a été condamné à 35 ans de prison le 24 juin 2011. Il a fait appel et attend son procès. Dans la cour commune aux prisonniers de ce bâtiment, un autre vieil homme est assis devant une télévision. Il nous fait un geste de la main. Il a le même regard triste que son co-détenu, et marmonne des mots difficilement audibles. Les cours communes sont séparées les unes des autres par une clôture métallique en grille peinte en vert clair d’une hauteur de près de 2 mètres. Nous poursuivons notre chemin quand un homme d’environ une quarantaine d’années nous dépasse dans le couloir. De teint clair, il est beau et élégant, avec une démarche sûre. Une fois à notre niveau, il échange des civilités avec le maître des lieux. Il a l’air de tout sauf d’un prisonnier. «Les conditions de détention sont bonnes. Cela permet aux personnalités détenues ici d’avoir un niveau de vie acceptable et d’avoir fière allure», explique le guide. L’homme en question, Nsabimana Sylvain, ex-baron de l’ancien régime rwandais a été arrêté au Kenya le 18 juillet 1997. Comme les autres, il est poursuivi pour tuerie massive. M. Msi annonce que nous ne pouvons pas visiter toutes les cellules de la prison. Nous quittons ces lieux pour continuer la visite à partir de l’administration, au niveau supérieur du bâtiment. De là-haut, nous observons les cellules des femmes. Une seule pensionnaire s’y trouve en ce moment. Pauline Nyaramasuhuko. Elle a été mise aux arrêts au Kenya le 18 juillet 1997 et admise le même jour à la prison du Tpir. Pauline a été condamnée à vie le 24 juin 2011. Elle a fait appel. De cet étage, ont peut voir les bureaux des avocats des détenus et l’infirmerie ouverte en permanence. Elle est tenue par une jeune dame. Nous insistons pour être autorisée à faire des prises de vue de l’entrée du pénitencier. Mais M. Msi y oppose encore un refus poli. «Il est interdit de prendre des photos ici», signe-t-il. Cela est d’autant vrai que lors de notre visite au centre-ville d’Arusha, des agents de la sécurité du Tpir nous avaient prévenue de ce que les photos sont interdites parce que la ville abrite de nombreuses institutions internationales.

Danielle Tagro, envoyée spéciale à Arusha
(Tanzanie)
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