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Société Publié le mercredi 26 février 2014 | AFP

En Côte d’Ivoire, le cheveu crépu a trouvé ses avocates (MAGAZINE)

© AFP Par Olivier Monnier
Zé Bi Kassi Fleur, Directrice générale de Feymie`s, Centre de traitement capillaire et promotrice de cheveu crépu
ABIDJAN - Abidjan, sa lagune, sa douceur de vivre et... ses rajouts capillaires : en Côte d’Ivoire, le cheveu naturel, crépu, est une rareté, pour laquelle quelques milliers de jeunes femmes, les Nappy de Babi, ont décidé de se battre.

Début février, un forum d’un nouveau genre se tient à Cocody, un quartier huppé de la capitale économique ivoirienne : ses participants sont tous des femmes, à une exception près. L’heure est aux conseils de beauté, à la splendeur africaine.

Les "Nappy", un mélange de "naturel" et de "happy", de "Babi", un surnom
d’Abidjan, se veulent une édition 2.0 des réunions entre filles. Les
convocations se font via facebook - le groupe, créé il y a plus de deux ans,
compte 2.400 membres - dans un endroit public, une fois tous les deux mois
environ.

L’on y échange ses trucs et astuces, ses petits secrets, ses inconforts capillaires. Des stands vendent des produits ethniques, traditionnels,
naturels... Des ateliers pratiques sont organisés, à l’ombre d’une tonnelle.
- "Comment fais-tu pour savoir si tes cheveux sont hydratés ?", demande une
jeune participante à Bibi Gagno, une juriste américano-ivoirienne de 29 ans,
dont la très longue chevelure, non coupée depuis cinq ans, est savamment
enroulée au sommet de son crâne.

- "Et bien... quand ils sont durs et secs, ça veut dire qu’ils ne le sont
pas du tout", lui répond-elle, sérieuse. Avant de proposer ses propres
produits cosmétiques, à base de "beurre de karité, d’huile de coco et de
jojoba", aux vertus curatives.

La discussion peut sembler lunaire vue d’ailleurs. Elle revêt pourtant un
intérêt crucial en Côte d’Ivoire, où le cheveu disparaît à l’adolescence sous
rajouts et perruques, fréquemment changés.

Du coup, les femmes africaines "ne savent pas s’occuper", de "leurs cheveux
crépus", qu’elles ont "des problèmes" à "sublimer", observe Miriam Diaby,
l’une des fondatrices des Nappy de Babi.

Autre problèmes, de taille, pour les libérées de l’épi : "la société n’aime
pas les cheveux afros qui débordent de partout", poursuit-elle. La gente
féminine est donc "obligée" d’"aborder des coiffures un peu plus
conventionnelles", soit "défriser ou se tisser les cheveux", pour des
questions d’emploi.
Si "black is beautiful" fut le cri de ralliement des américain(e)s noir(e)s
dans les années 1960, leurs soeurs africaines doivent encore s’émanciper du
modèle blanc dominant, estiment les Nappy.

"Quand je suis arrivée à Abidjan (après une jeunesse passée aux Etats-Unis
et quelques années en Europe), j’ai remarqué, et ça m’a marquée, que toutes
les pubs montraient des femmes au teint clair avec les cheveux longs et
lisses. Pourtant, ici les femmes ont le teint noir chocolat", observe Bibi
Gagno, qui à force de se faire complimenter, en anglais, pour son
impressionnante toison, a créé un site, omgiloveyourhair.com (pour OMG - Oh my
God, oh mon Dieu - J’aime tes cheveux.com).

La peau claire, notamment grâce aux produits de dépigmentation,
cancérigènes, est "synonyme de réussite", regrette la néo-businesswoman. Le
cheveu lisse itou.

Aller à l’encontre de la tendance dominante provoque des réaction
inattendues. "Les gens ont du mal. Quand ils voient vos cheveux naturels, ils
vous regardent comme si vous étiez une paria, comme s’il y avait un souci,
alors que ça devrait être normal", s’étonne Liliana Lambert.
Et cette métisse européenne de 27 ans, d’origine ivoirienne, à la chevelure
fournie encerclée de fleurs, de raconter les gens "qui veulent tout le temps
toucher (ses) cheveux", "parce qu’ils ne connaissent pas". "C’est juste de
l’ignorance", sourit-elle.
Seul Nappy-boy présent à la rencontre, Ange-Dady Akre-Loba, styliste de 28
ans à la coupe mi-long, plaide également pour la lutte contre la pensée unique
capillaire.

"Ici, à partir de cinq centimètres, c’est trop long. Le fait même de ne pas
se coiffer, de ne pas avoir les cheveux très ras, c’est considéré comme avoir
(...) trop de cheveux. On va dire que j’ai un peu trop de cheveux pour
beaucoup", ironise-t-il.

Les hommes moins conformistes doivent ainsi "rester discrets", constate
Ange-Dady, qui explique avoir pu se laisser pousser les cheveux à la faveur de
la violente crise post-électorale ayant secoué son pays en 2010-2011.
Depuis lors, le Nappy-boy, qui dit "ne pas vraiment se préoccuper du
regard" d’autrui, vit sa différence sereinement. "J’essaie de passer outre et
d’être moi-même."

jf/jr
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