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Société Publié le mercredi 26 février 2014 | Nord-Sud

Naissances en milieu carcéral Maca : Ces enfants, prisonniers au berceau

© Nord-Sud Par SIA KAMBOU
Mutinerie à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (Maca)
Mardi 23 juillet 2013. Abidjan (Yopougon)
T.F n’est pas une détenue comme les autres. Incarcérée en décembre dernier pour les faits d’abus de confiance, elle porte une grossesse qui est arrivée à son terme le 28 janvier. Ce jour-là, cette pensionnaire du bâtiment des femmes de la prison civile d’Abidjan est en travail. Elle ne porte pas de menottes au pied ou à la main, mais elle est surveillée par deux geôlières. La femme en travail est admise à la maternité du Centre hospitalier universitaire (Chu) de Yopougon. Tout se passe bien, car T.F accouche d’une jolie fillette. «C’est ma première grossesse. Dieu merci, tout s’est bien passé, même si j’avais des craintes. Nous sommes revenues à la Maca (Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan, ndlr) après l’accouchement. Ma fille se porte bien ; elle a trois semaines », nous confie-t-elle, le 18 février, lorsque nous la rencontrons, lors d’une visite à la Maca. Assise sous le préau, à l’intérieur de la cour, en compagnie d’autres détenues, elle allaite sa fille prénommée Aïcha. Notre interlocutrice ne cache pas les difficultés liées, notamment à l’alimentation, auxquelles les six autres nourrices et elle sont confrontées. «Ici, on reçoit une ration alimentaire journalière. Ce sont des aliments crus. Il s’agit du riz, de la viande, du poisson fumé et des condiments. Chacune fait sa cuisine. Mais j’avoue que c’est difficile pour nous qui avons des enfants, surtout des bébés. Les contraintes de la détention sont telles que nous sommes régulièrement angoissées. Ce n’est pas facile », lâche K.D, une autre détenue qui porte au dos son garçonnet âgé de six mois. Elle purge une peine de deux ans pour s’est rendue coupable de complicité d’escroquerie. « Je pense à ma sortie de prison. Cependant, ce qui est urgent pour moi actuellement c’est de faire sortir mon enfant d’ici. On lutte pour manger. Nous sommes une dizaine par cellule. On est angoissées par le problème récurrent d’eau; il faut se battre pour avoir de l’eau. C’est l’enfer ! Donc, je veux qu’il grandisse dans un environnement paisible. Ici, ce n’est pas bon pour lui. Le régisseur m’a dit qu’il va m’aider pour que mes parents viennent chercher l’enfant. C’est vrai qu’il a besoin de mon affection pour grandir, mais les conditions de détention ne sont pas favorables pour son développement », reconnaît-elle. Ces propos sont soutenus par DT. Pour cette nounou, l’univers carcéral n’est pas propice au développement de son fils d’un an. En rupture de banc avec sa famille et le père de son enfant depuis sa con­damnation, elle se tourne vers les autorités judiciaire et pénitentiaire pour s’occuper de son enfant jusqu’à la fin de sa punition. Selon les informations en notre possession, les dispositions légales stipulent que nul ne doit être détenu sans un titre de détention. D’après une source au bureau du procureur de la République près le tribunal d’Abidjan-Plateau, ce sont les adultes qui sont mis en détention parce que les mineurs sont exclus de détention jusqu’à un certain degré. Notre interlocutrice conclut en disant que les enfants qui naissent en prison ou qui restent auprès de leurs mamans incarcérées, n’ont pas de titre de détention. C’est-à-dire qu’ils ne sont pas considérés comme des prisonniers. Selon elle, le parquet par le truchement de la direction de l’administration pénitentiaire ne prend en charge que les adultes qui ont un titre de détention. C’est-à-dire qu’ils sont mis sous mandat de dépôt. Interrogé, l’inspecteur d’éducation spécialisée chargé de la rééducation et de la réinsertion sociale des détenus à la Direction de l’administration pénitentiaire (Dap) explique qu’il existe une disposition légale qui stipule que l’enfant peut rester auprès de sa mère jusqu’à l’âge de deux ans. «Après ce délai, il faut l’extraire de la prison pour l’envoyer en famille, en attendant que sa génitrice finisse de purger sa peine. Nous faisons l’effort pour que ces enfants passent le moins de temps à la prison. Le lien affectif entre la mère et son bébé est très fort. Psychologiquement, lors­que la mère est touchée, elle transmet sa détresse à l’enfant qu’elle allaite. Le milieu de vie est tellement délétère que le développement de l’enfant ne peut pas être harmonieux. Nous luttons pour faire en sorte que malgré les conditions de la détention, l’enfant puisse avoir un développement normal. C’est difficile, mais nous faisons des efforts pour que cela se passe dans des conditions acceptables», précise Lanciné Traoré. Cependant, le spécialiste fait remarquer qu’il faut considérer deux cas de figure. Dans le cas d’une rupture familiale, M. Traoré soutient qu’avant que l’enfant ait deux ans, il faut faire en sorte que les liens familiaux soient ressoudés. «C’est ce que nous appelons le rapprochement familial entre la détenue et sa famille. Si cela est fait, alors la famille peut venir récupérer l’enfant dès qu’il est sevré. Il est rare de voir une détenue qui est totalement en rupture familiale avec ses parents. Cependant, il peut avoir des exceptions. Nous n’avons pas encore vu de famille africaine qui refuse de prendre l’enfant de son parent qui est en conflit relationnel», dit-il. Dans le cas où la détenue n’a pas de famille, notre interlocuteur fait cette précision: « Nous mettons en pouponnière l’enfant, en attendant que la mère finisse de purger sa peine. A sa sortie de prison, elle récupère son enfant. Il n’existe pas pour le moment de disposition légale, dans ce cas de figure. Mais nous sommes en train de faire des efforts pour que nos supérieurs hiérarchiques puissent prendre le taureau par les cornes afin que des dispositions légales soient prises. Pour le moment, on le fait en tenant compte du contexte social et dans le cadre de la rééducation».

Un projet pour aider les mères en détention

En attendant l’élaboration des dispositions légales, la Dap a initié, depuis février dernier, le projet dénommé «soutien à la maternité en prison». «Depuis cette date, on a eu une trentaine d’enfants nés à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (Maca). Mais à la date du 11 février, nous avons sept enfants à la Maca. Ce nombre fluctue parce que pendant que des mamans sortent, d’autres entrent soit enceintes, soit avec leurs bébés», clarifie l’adjoint du chef du service socio-éducatif en milieu carcéral (Sersoe-Mc). D’après M. Traoré, c’est un programme qui a plusieurs branches d’activités. «On a les volets rééducatif, scolarisation, sanitaire, éveil précoce des enfants, développement psychomoteur. Le projet prend en compte aussi la mère.  On s’est rendu compte que dans la prise en charge de la détention, les enfants qui viennent avec leurs mamans incarcérées ou qui naissent en prison, sont abandonnés. La plupart des femmes qui viennent avec une grossesse ou un enfant, le père les abandonne. Selon nos données statistiques, la majorité des femmes en détention avec leurs enfants sont abandonnées par leurs maris. Cette femme qui vit dans un milieu difficile n’a pas le temps matériel nécessaire pour s’occuper de son enfant. Le bébé est totalement dépendant de son entourage, en premier, de sa mère. Si celle-ci est psychologiquement très faible, mentalement touchée et si physiquement elle ne répond pas, il va sans dire que la prison sera pour l’enfant comme un berceau destructif. Alors qu’on sait que les premières années de l’enfant sont très importantes pour son développement futur. On a décidé de mettre sur pied ce projet dans la mesure où l’administration pénitentiaire ne prend pas entièrement en charge ces enfants. Nous bénéficions de l’appui de certaines Ong», se satisfait-il.
Ouattara Moussa
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