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Editorial Publié le vendredi 7 mars 2014 | Le Patriote

Violence à l’Université Félix Houphouët-Boigny: Qui veut réveiller le monstre Fesci ?

Depuis quelques semaines, l’université Félix Houphouët-Boigny, la plus grande en Côte d’Ivoire, est secouée par une crise, dont la conséquence directe est l’arrêt des cours puis leur suspension officielle – dans toutes les universités publiques d’Abidjan (au nombre de deux) –, le 25 février dernier. La décision fait suite à des heurts survenus entre les étudiants et la Police universitaire, une structure mise en place le 5 mars 2013, par décision du conseil des ministres du même jour, qui a ainsi concédé à la Société d’Infrastructure Moderne pour le développement de la Côte d’Ivoire (SIMDCI), les prestations de service d’entretien et de sécurité de toutes les universités publiques et les centres régionaux des œuvres universitaires (CROU) du pays. Les missions assignées à la SIMDCI, promotrice de la Police universitaire, sont la protection sur les campus des autorités académiques et administratives, le maintien de l’ordre, le contrôle aux entrées et sorties, la surveillance des administrations, l’anticipation par le renseignement et la sensibilisation sur tous les mouvements, la sécurisation des infrastructures et équipements et enfin la protection des aires et de l’environnement. Un challenge dont on ne peut pas dire que le directeur général, Salif Ouédraogo, ne mesure pas toute la portée, lui dont une lettre-circulaire datée du 13 novembre 2013 et adressée aux autorités universitaires ne cache pas sa détermination, aux travers d’un faisceau de dispositions drastiques (voir encadré), à réussir pleinement sa mission de restauration d’une institution universitaire dont l’image a été profondément ternie par une décennie de gestion chaotique et où le désordre et la violence ont été érigés en système de fonctionnement.

Mais voilà, le 17 février dernier, un coup de Trafalgar a-t-il été porté aux nobles ambitions de la CIMDCI et sa police universitaire ? En tout cas, suite à une manifestation d’étudiants dans l’enceinte de l’université Félix Houphouët-Boigny contre la mise en place annoncée, le 14 février 2014, par le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, d’un Conseil estudiantin dans chaque université publique du pays, cela pour mieux coordonner les activités interuniversitaires, les manifestants se sont heurtés à l’intervention musclée de la Police universitaire, qui entendait rétablir l’ordre et qui s’est soldé par quelques blessés de part et d’autre. Même quand par la suite les choses rentrent dans l’ordre, une nouvelle flambée de violence ressurgit trois jours plus tard, le 20 février.

La Police universitaire, le bouc-émissaire

Cette fois, selon la version la plus plausible, ce serait la Police universitaire qui, pour mettre le grappin sur des étudiants identifiés comme issus de la Fédération estudiantine et scolaire, la fameuse Fesci, arrivés par dizaines et par bus sur le campus, en provenance de Yopougon, dans le dessein de déloger la PU, aurait été pourchassés par celle-ci une fois l’attaque échouée, jusqu’à la faculté de médecine où les agresseurs se seraient réfugiés dans leur débandade. Cette fois, le bilan de la bagarre rangée qui s’en suit est beaucoup plus corsé.

Plusieurs blessés, dont certains grièvement, sont hospitalisés au chu de Cocody. Très vite, l’agitation gagne du terrain et l’université Nangui Abrogoua entre dans la danse. C’est que, profitant de la situation de confusion, des éléments de la Fesci, selon plusieurs témoignages concordants, entreprennent d’y semer le désordre en s’adonnant au saccage et au vol du matériel, parvenant ainsi à leurs fins : l’arrêt des cours dans une université qui s’était jusque-là tenu loin du vacarme de sa sœur ainée de Cocody. Le lendemain, les choses s’empirent quand une nuée d’étudiants de la Fesci, armés cette fois de gourdins, de pierres voire de machettes, prennent d’assaut l’université FHB où ils s’attaquent directement aux locaux de la Police universitaire, dont les occupants n’ont d’autres choix que de prendre leurs jambes à leur cou, laissant libre court à la furia destructrice des assaillants, qui vandalisent proprement les installations des agents de gardiennage. La Compagnie républicaine de sécurité (Crs) qui accourt, suivie par la Brigade anti-émeute et le Ccdo, dont le commandant en personne, Issiaka Wattao, tente de calmer l’ardeur des manifestants, n’ont que leurs yeux pour constater les dégâts. Et Dieu seul sait qu’ils sont importants, les casseurs n’ayant pas que cassé du matériel, plus de 20 agents de la Police universitaire ont failli y laisser leur peau. Malgré les assurances du ministre de la Défense, Paul Koffi Koffi, qui s’est rendu sur les lieux le 25 février dernier, la paralysie de l’université FHB reste totale. C’est ce même jour du reste que la coordination des enseignants-chercheurs de Côte d’Ivoire, alléguant une menace qui plane sur l’intégrité physique de ses membres, a décidé un arrêt de travail.

Mais cette version des faits pèse-t-elle un clou devant les responsables de l’institution, avec à sa tête la présidente de l’université FHB ? Pa si sûr. Car, le 27 février, alors que la crise est à son paroxysme et que les positions sont tranchées, le Pr Ly Ramata convoque une réunion extraordinaire du Conseil de l’université Félix Houphouët-Boigny. Réunion à l’issue de laquelle plusieurs décisions sont prises, dont celle notamment de « la suspension des activités de la Police universitaire sur le campus ». Elle ne manque pas à l’occasion de « condamner avec fermeté les actes de violence inqualifiables à l’encontre des étudiants », à qui elle exprime sa compassion et sa solidarité, avant de promettre que l’institution qu’elle dirige portera plainte « contre toutes les personnes qui se sont rendues coupables de violence contre les étudiants ».

Le jeu trouble du conseil de l’université

Visiblement donc, la position du Conseil de l’Université et de sa présidente est claire : les violences qui ont paralysé l’université sont le fait, exclusif, de la Police universitaire. D’autant que le communiqué issu de la session extraordinaire et rendu public le lendemain 28 février 2014, mentionne que « selon le rapport du Doyen de l’UFR des Sciences Médicales, des éléments de la Police universitaire, dont certains étaient armées, ont attaqué les étudiants qui assistaient à des cours dans les amphithéâtres. Le bilan médical a fait état de 51 blessés, dont un (1) dans un état très grave. Celui-ci a été admis en réanimation au chu de Cocody pour des soins intensifs. » Et le communiqué de poursuivre que « les scènes de violence se sont étendues aux autres UFR, notamment à l’UFR Science de l’Homme et de la Société où un étudiant a été agressé et deux autres entraînés dans la broussaille et laissés pour mort».Traduction : Des éléments de la police universitaire, pourtant reputés non armés auraient kidnappé, en plein campus, des étudiants pour s’en aller les trucider dans un coin perdu de l’université. Pour le reste, le rapport indique que de nombreuses démarches de solidarité à l’endroit des étudiants blessés ont été entreprises par la présidente et son équipe, qui auraient rendu visite et apporté diverses aides aux suppliciés. Qu’en a-t-il été pour les victimes issues de la Police universitaire ? Le communiqué est muet à ce sujet. Ce qui laisse supposer qu’aux yeux du Conseil de l’université FHB, les bourreaux sont du côté de les éléments de la PU, qui ont déclenché les violences, massacré les étudiants et n’ont eu après leur forfait qu’à dépoussiérer leur uniforme et nettoyer leur arsenal de répression.

Du coup, le couperet de la sanction – de suspension temporaire (en attendant qu’une solution consensuelle soit trouvée, dixit le rapport) – qui plane sur la tête des hommes de Salif Ouédraogo, ne peut en cacher que les intentions profondes : la suppression pure et simple de la Police universitaire. Ly Ramata et son Conseil universitaire ne veulent plus de la Police universitaire. C’est à peine si pour eux, la décision de la mise sur pied de cette unité, proposée au gouvernement, qui en a donné son aval, par le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, Cissé Bacongo, et qui est appliquée sans problème depuis près de deux ans sur toutes les universités publiques du pays, est une aberration en ce qui concerne le cas spécifique de l’université Félix Houphouët-Boigny. Pourquoi la Police universitaire devrait-elle disparaître à Cocody et pas dans les quatre autres institutions universitaires du pays ? Si tant est que, comme le laisse clairement croire le Conseil de l’université FHB dans son rapport, la violence est le fait exclusif de la Police universitaire, qui n’est ni armée ni militarisée, comment expliquer que le ministre Cissé Bacongo lui-même ait été pris à partie, le 13 mai 2013, par une meute d’étudiants qui a manqué de peu de le lyncher ? Est-ce la Police universitaire qui a actionné ce jour-là les émeutiers ? Est-ce encore cette même unité qui s’en est prise à ses propres locaux, littéralement dévastés, et qui a molesté jusqu’au sang une bonne trentaine de ses membres, comme n’a pas eu le courage de le notifier les autorités universitaires dans leur rapport, visiblement escamoté ?
Quel est donc le sens de ce jeu trouble auquel semble s’adonner le Conseil de l’université ? Qui donc veut cacher avec une seule main l’immense et dangereuse forêt du retour palpable des vieux démons de la violence estudiantine sur nos campus ? Car c’est bien de cela qu’il s’agit. La Fecsi, dont du reste certains dirigeants ont été aperçus sur le théâtre des dernières émeutes, semble jouer son va-tout, trois ans après la réouverture des universités, pour reprendre la main sur un monde dont elle a perdu tout contrôle. Et dans cette quête, il n’est pas superflu de croire que des mains obscures, tapies dans les bureaux feutrés de certains décanats, elles-mêmes (ces mains) téléguidées par des officines politisées – suivez mon regard – travaillent sournoisement à cela. C’est tout le sens de cette répulsion observée chez certaines organisations syndicales de l’acabit de la Fesci, vis-à-vis du Conseil estudiantin, qui est soupçonné de vouloir asphyxier les anciens seigneurs de l’université, si ce n’est à tout le moins de leur faire de l’ombre.

Il est clair, de ce point de vue, que la Police universitaire apparaît comme le bouc-émissaire tout trouvé pour détourner l’attention de l’opinion publique sur ce noir dessein. Celui que compromet si obstinément le projet du « départ nouveau » prôné par le ministre Cissé Bacongo, sous le bienveillant regard du président de la République, Alassane Ouattara, et dont la face visible reste la spectaculaire réhabilitation des universités ivoiriennes à hauteur de plus de 100 milliards de nos francs. Mais surtout, le challenge quotidien, certes ardu, qui est de chasser définitivement de cet espace de constitution par excellence de l’élite ivoirienne, l’ordre ancien incarné par cette « mafia universitaire » qui a gangrené une décennie durant le Temple du savoir, à travers des chefs tout puissants, des businessmen déguisés en étudiants, mais aussi de véritables promoteurs d’idéologie et d’intérêts politiques, au profit de l’ancien régime du Fpi, essentiellement pourvu de « profs ».

Nul n’est donc dupe, tout le tintamarre qui a cours en ce moment à l’université tire son origine de l’amertume des ex-barons de la Fesci face à la perte de leurs privilèges, mais aussi à la réelle difficulté qu’éprouvent leurs commanditaires de la Refondation à contrôler cette importante frange de la population.

KORE EMMANUEL
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