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Société Publié le jeudi 10 juillet 2014 | AIP

INTERVIEW : "Nous sortons d’une crise, on doit construire une Côte d’Ivoire (…) un pays de compréhensions et de compromis" (Noël Gnagno Sakalou, journaliste)

Noël Gnagnoa Sakalou est journaliste à la Télévision première chaîne (RTI1). Il est également chef de village de Dodjagnoa, dans la sous-préfecture de Gagnoa, département du même nom (centre-ouest, région du Gôh). Ses pairs du canton Paccolo lui ont confié la présidence de leur structure, le conseil des chefs du canton Paccolo. Sous ses différentes casquettes, il nous livre, dans cette interview, ses secrets, ses expériences enrichissantes. Se prononçant sur l'adoption du statut des rois et chefs traditionnels, il affiche sa satisfaction, et exhorte à une Côte d'Ivoire de "compréhension, de compromis, de rigueur et du respect de la chose publique".
AIP: Bonjour M. Noël Gnagno SaKalou, présentez-vous aux Ivoiriens, SVP?

Noël Gnagno Sakalou (NGS): Je suis à l’état civil Gnagno Sakalou Noël, connu sous le nom de Noël Gnagno, en tant que journaliste-reporter à RTI1. Je suis également chef du village de Dodjagnoa, dans la sous-préfecture de Gagnoa, précisément dans le canton Paccolo. Depuis 2006, les populations de mon village ont décidé que je devienne leur chef, mais j’ai été officiellement investi dans mes fonctions de chef du village de Dodjagnoa en 2008, lors d’une cérémonie parrainée par feu le ministre Paul Antoine Bohoun Bouabré, paix à son âme. Cette cérémonie était présidée par le préfet de région, préfet du département de Gagnoa, et au cours de celle-ci, mon arrêté de nomination m’a été remis. Depuis lors, je gère un village dont la population est estimée à près de 3.500 âmes (chiffres du dernier recensement de la population et de l’habitat, RGPH 2014).

AIP: Comment êtes-vous devenu chef de village?

NGS: Je crois que dans société que je qualifie de virile, on ne devient pas chef parce qu’on a des parents, qui étaient chefs. On devient chef parce que la communauté l’a décidé au regard d’un certain nombre de choses, notamment votre comportement dans le village, vos relations avec les villageois, en quelque sorte votre état de générosité parce qu‘en pays bété, la générosité (ce n’est pas le fait de distribuer de l’argent), mais la générosité intellectuelle, la générosité au niveau de la gestion du peu que vous avez est un facteur important pour les villageois. Le villageois, l’Homme bété aime partager, et donc il aime être géré par quelqu’un qui est généreux, généreux au sens noble du terme. Si tu ne partage pas tu ne peux pas être un chef en pays bété. Parce qu’un administré peut même être en train de manger chez toi, mais s’il n’adhère pas à ta gestion, il est capable de te reprendre sur le tort que tu lui cause même en étant en train de manger chez toi. Mais, c’est une générosité multidimensionnelle, il faut être généreux et c’est la générosité qui peut te permettre d’être chef en pays bété, un vrai chef.

AIP: Avec toutes ces explications que vous venez de donner, pour vous, c’est quoi être chef?

NGS: Etre chef, c’est difficile à définir, mais je crois que c’est être tout à la fois. Etre le père, le frère, l’ami, le parent, être tout en même temps. Etre à l’écoute de l’autre, partager avec lui ses moments de difficultés mais également ses moments de joie. Certes, tu n’y peux rien, mais le fait de l’assister c’est déjà quelque chose de très important. Et jeune, j’ai suivi une série à la télévision dont l’acteur principal était Antony Quenn, un film intitulé ‘’Antony Quenn, l’homme de la cité’’, mais franchement le film m’a marqué parce que l’acteur principal était tout, il était partout, il était à la fois le médecin, le mari, le père de famille, l’enfant, enfin un homme à tout faire dans sa cité. C’est vrai que c’était de la fiction, mais comment faire vivre cette fiction là. Dieu a fait que j’ai été mis sur ce chemin. Jeune, j’étais déjà président de ma génération. C’est comme ça que j’ai dirigé mes amis, et peut-être c’est à partir de là que les gens ont décelé en moi des qualités pour diriger le village. En classe de Terminale, j’ai été aussi chef de ma classe. Tout ceci pour dire que tout se construit, peut-être à notre insu. C’est un processus qu’on construit inconsciemment, on construit le chemin à notre insu et quand on est devant les faits on ne peut qu’embrasser les choses.

AIP: Comment gérez-vous les charges de chef de village avec les exigences du métier de journaliste professionnel?

Le métier de journaliste est un métier que j’ai découvert, d’abord en 1980 avec Jean Marie Cavada, à l’élection du président français, M. François Mitterrand, j’ai découvert un journaliste alerte, tellement à l’aise dans cet événement, donc je me suis dit quel est ce métier aussi extraordinaire. Et puis dans les années 90, l’ouverture internationale des média, il y avait une émission qui passait sur France 2, intitulée ‘’L’heure de vérité’’, j’ai vu dans cette émission le journaliste Alain Duhamel, il m’a fasciné. A l’issu de ça, j’ai organisé moi-même ma venue dans ce métier, je suis allé me former, et c’est ainsi qu’en 1995, j’ai embrassé ce métier de journaliste. Je suis devenu journaliste à RT1, mais c’est un métier qui demande chaque jour que l’on se remette en cause tout comme la fonction de chef, ce qui s’est passé hier, n’est pas forcément ce qui va se passer demain et non plus ce qui va se passer aujourd’hui, donc il faut être tout le temps en train de se remettre en cause, parce que la personne que vous avez reçue hier, à qui vous avez certainement rendu service, ou que vous avez soulagée, demain cette personne là peut être votre adversaire mais le plus farouche, mais il faut réussir à l’emmener vers vous, il faut demeurer toujours constant. C’est vrai que la personne a été désagréable aujourd’hui, mais rien ne dit que demain il ne va pas être l’homme le plus beau du monde. Donc il faut tous les jours une reconversion, et c’est cette qualité là que je retrouve dans le métier de journalisme. Dans le métier de journalisme, il faut tout le temps se demander est-ce que ma journée d’aujourd’hui va ressembler à celle d’hier, mais non pas forcément. Même ce jour, vous pouvez ne pas savoir par où commencer, c’est comme dans la gestion de la chefferie, une situation impossible peut se présenter à vous, mais vous devez avoir la capacité de rassurer, de passer le bon message, parce que je travaille dans un média extrêmement sensible, je fais attention à tout ce que je fais, à tout ce que je dis. Je ne suis pas Dieu, il peut se trouver qu’il y ait des erreurs, des failles, oui, mais je me force toujours et je crois que ça va pour le moment. Seulement dans ce métier, si on ne te fait pas de reproches, ce n’est pas ce qu’il y a de mieux, parce que nous (journalistes) sommes faits pour déranger, mais pour déranger il faut savoir bien déranger.

AIP: Dites nous quelles sont les exigences de la fonction de chef, surtout que nous aurons à évoquer dans cette interview la nouvelle loi portant statut des rois et chefs traditionnels ?

NGS: Les exigences de la fonction de chef de village veulent que l’homme qui est oint par ses administrés et l’administration publique soit sincère, responsable, intègre, rigoureux. Moi je suis un peu dubitatif, c’est vrai en 1990, j’ai découvert un mot qu’on appelle ‘’démocratie’’, à la pratique je me suis rendu compte s’il ne faut pas reconnaître que le président français Jacques Chirac avait raison de dire et je cite : ‘’La démocratie est un luxe pour les Africains’’. En Afrique, les émotions tuent la démocratie, et je crois qu’il n’a pas eu tort. Car chez les occidentaux c’est quand on a tout fait, quand on a tout eu qu’on met une touche sur le mot démocratie, En Afrique on ne sait pas ce qu’est la gestion de la chose publique. La démocratie c’est une consécration pour la civilisation occidentale, parce que les occidentaux sont passés par plusieurs étapes: il y a eu la période des despotes, du despotisme éclairé, il y a eu celle des intellectuels qui ont apporté leurs contributions à l’évolution de la société. Donc petit à petit, chez les occidentaux la société s’est construite autour d'une somme de valeurs, alors qu’en Afrique nous sommes pour le moment au populisme rampant, on est tribaliste, on est populiste, on est très peu courageux. Or, la démocratie a horreur des personnes très peu courageuses, la démocratie a horreur du populisme, de petites gens, a horreur de gens qui ne sont pas capables de tenir parole.

AIP: Comment conciliez-vous les exigences de la fonction de chef avec le métier de journaliste-reporter?

NGS: Dans le métier de journalisme, il y a une espèce de dictature qui ne dit pas son nom. En effet, quelqu’un parle, fait son discours qui dure 30 minutes, et toi le journaliste tu dois en tirer 30 secondes, tu décides seul, personne n’est là pour te dire c’est ce morceau de parole ou de phrase tu dois choisir, mais tu dois écouter et voir toi-même si le morceau choisi cadre avec l’idée générale qu’a voulue exprimer l’orateur. Si tu passe les 30 secondes et que ton commentaire ne rencontre pas la désapprobation de celui qui a parlé, là oui ton choix a rencontré l’idée qu’il a exprimée, tu as fait du bon travail. Mais tu décides seul, tu ne demandes pas son opinion, là aussi c’est une forme de dictature qui ne dit pas son nom. Et c’est comme ça que chaque jour, tu décides seul soit de faire parler l’orateur dans ton compte rendu ou de ne pas le faire, mais en tenant compte d’un certain nombre de choses, notamment est-ce qu’en le faisant, je lui rends service ou non…etc. C’est comme dans la gestion quotidienne des hommes, le chef doit être toujours amené à ramener la paix. C’est tellement délicat que souvent le chef est obligé de se priver lui-même de beaucoup de choses. Voilà quelques éléments qui rentrent en ligne de compte…

AIP: Dites-nous, M. Gnagno, depuis 2013, vous êtes le chef des chefs de votre canton, cela voudrait-il dire que vous êtes chef canton?

NGS: Je vais partir du passé, en son temps c’est l’administration coloniale qui désignait le chef canton. A ce temps-là, au regard d’un certain nombre de choses, on choisissait un parmi les chefs pour servir de liens entre tous les chefs. A notre époque, les 22 chefs de village du canton Paccolo m’ont désigné en me disant on te choisit, et pendant quatre ans, tu vas être le coordonnateur, tu vas être le lien, le rassembleur de tous les chefs, le rassembleur entre les chefs et les populations. Là où quelques fois on a des problèmes entre populations et chefs, il faut une troisième personne pour réconcilier, donc tu vas jouer ce rôle là. Tout ça mis ensemble, ce n’est pas loin du chef de canton de jadis. Et comme nous sommes désormais dans le modernisme ce sont les chefs de villages qui m’ont choisi. Ce qui est différent de ce qui se passait au temps colonial. Cela fait donc bientôt un an, que mes pairs m’ont désigné comme président des chefs du canton Paccolo, pour présider à la destinée de notre canton. J’essaye tant bien que mal, d’assumer ma tâche, d’animer le canton en terme de rencontres d’échanges trimestriels pour construire son avenir. Ces échanges permettent aussi de renforcer la capacité des chefs de notre canton. Mais nos débats sont ouverts aux jeunes et aux femmes, car si les trois parties prenantes, que sont la jeunesse, les femmes et les hommes, sont partie prenante dans la gestion des affaires dans un village, les choses vont à merveille.

Un homme multidimensionnel
AIP: Vous avez trois casquettes, vous êtes journaliste, chef de village et chef canton. Avec toutes ces charges, quelqu’un ou une entité ne se trouve-t-il pas pénalisé dans la gestion quotidienne de vos agendas?

NGS: Forcément, il y a quelqu’un qui paye quelque part. Mais qui perd, je ne sais pas pour le moment. Mais au niveau du canton, avec l’avènement des technologies de l’information et de la communication (TIC), notamment le portable, je parviens à gérer même de loin les affaires avec mes collègues chefs de village et mes collaborateurs membres du bureau du conseil des chefs du canton Paccolo. Pour le moment comme le canton est calme, j’ai l’impression que les choses s’améliorent. Mes pairs me facilitent les choses. Au niveau de mon village, là aussi je suis très écouté, ce qui fait la force d’un chef c’est sa crédibilité, et pour le moment mes administrés m’écoutent, quand je dis quelque chose, les gens écoutent, font attention, ça me facilite la tâche. Rien n’est figé dans la vie, mais quand tu sais gérer les différentes séquences d’une journée, tu arrives à amortir les chocs et mener à bien ta barque. Quant à mon métier de journaliste, je m’y consacre entièrement du lundi au vendredi, avant de me rendre au village les week-ends, pour gérer les affaires du village de Dodjagnoa et de canton Paccolo.

Le statut des rois et chefs traditionnels, historique. Reconnaissance au président Ouattara, son principal artisan
AIP: Nous arrivons au terme de notre entretien, pouvez-vous nous livrer vos impressions concernant le vote par le Parlement de la loi portant statut des rois et chefs traditionnels, étant entendu que vous en faites partie?

SGN: Déjà pour l’histoire, on retient qu’en 2014, le gouvernement dirigé par le Premier ministre Daniel Kablan Duncan, gouvernement nommé par le président Alassane Ouattara, a décidé de proposer à l’Assemblée nationale (AN), une loi portant statut des rois et chefs traditionnels de Côte d’Ivoire, et cette loi a été votée. Dernier maillon de l’administration publique, il nous fallait un statut et l’histoire retiendra que c’est sous le président Alassane Ouattara, que les chefs traditionnels ont eu un statut. Je remercie le président Ouattara par qui cette loi a vu le jour. Et ça c’est déjà un acquis. Maintenant on va voir son contenu ses tenants et aboutissants, parce que désormais notre comportement va s’aligner sur cette loi, parce que nous sommes dans une République et dans la République, c’est la loi qui gère le comportement des uns et des autres. Certainement que cette loi va nous donner un pouvoir. C’est vrai nous avons déjà des supérieurs hiérarchiques, nous sommes le dernier maillon de l’administration, nous allons voir comment gérer avec l’avènement de cette loi, nos villages respectifs, nos différentes localités pour que la paix soit préservée en tout temps et en tout lieu, c’est ça qui doit être notre cheval de bataille.

AIP: Quel appel avez-vous à lancer à toutes les têtes couronnées du pays, au regard du vote de la loi portant statut des rois et chefs traditionnels?

NGS: Je ne peux pas lancer un appel à toutes les têtes couronnées de Côte d’Ivoire, c’est me donner trop de pouvoir. A mon humble niveau, je vais m’en tenir à mon canton. Donc je dirai que quand la loi sera promulguée par le président de la République, et qu’on aura accès au texte, c’est de réunir mes pairs du canton Paccolo, dans le cadre d’une table-ronde, de lire la loi et de la comprendre. Savoir qu’est qu’elle nous offre comme droit et qu’est-ce qu’elle exige de nous comme devoir. Car, c’est parce cette loi sera bien comprise, bien murie, bien gérée, qu’elle fera de nous de vrais collaborateurs de l’administration publique. Pour ce faire, je vais faire venir un technicien en la matière, qui va nous expliquer son contenu, ce que cette loi nous donne comme pouvoir. Evidemment, si on ne maîtrise pas cette loi, on fera n’importe quoi, et c’est souvent dans ce n’importe quoi que surviennent les mauvaises choses. Nous sortons d’une crise, aujourd’hui on doit construire une autre Côte d’Ivoire. Une Côte d’Ivoire qui doit être un pays des compréhensions, des compromis, mais pas des compromissions. Nous devons tous être rigoureux, respectueux du bien public, de la chose publique. En somme, au niveau de mon canton, c’est rassembler mes pairs autour d’une table et faire venir des personnes ressources qui vont nous expliquer cette loi dans toutes ses dimensions, afin qu’on puisse faire en sorte que nos villages, mais surtout nos populations se portent de mieux en mieux et participent au développement local et par ricochet au développement du pays, au devenir de la Côte d’Ivoire. Cela doit être désormais la préoccupation majeure des têtes couronnées.

Interview, réalisée par Joseph Agness ABOUO, chef du bureau de l’AIP Gagnoa (centre-ouest, région du Gôh).

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