Les rideaux sont tombés sur les Assemblées annuelles de la Banque africaine de développement (BAD). Le ministre d`Etat, ministre du Plan et du Développement, cheville ouvrière de cet évènement que la communauté continentale a reconnu comme un succès, note avec une certaine satisfaction le retour de la Côte d`Ivoire sur la scène internationale. Paul Antoine Bohoun Bouabré dévoile les secrets de l`important rendez-vous panafricain. Il se prononce aussi sur les grands sujets comme la corruption, le financement du secteur privé.
•Les Assemblées annuelles de la Banque africaine de développement (BAD) sont terminées. Pensez-vous que le plaidoyer du président de la République qui est de renvoyer le siège à Abidjan a été entendu ?
Le plaidoyer du président est venu confirmer ce qu`on savait déjà. En faisant venir la Banque africaine de développement (BAD) à Abidjan, notre ambition était de dire que nous tenions à la Banque. Le plaidoyer est une confirmation de cette volonté des Ivoiriens d`avoir leur banque. Et je pense que c`est bien entendu. Il suffit de se référer à ce que le président Donald Kabéruka lui-même a dit : « Désormais, la balle est dans le camp des Ivoiriens. Vous voulez qu`on revienne, aidez-nous à revenir. » Aider à revenir signifie créer les conditions de la paix durable. C`est une institution financière et comme le président le dit, l`argent n`aime pas le bruit. Si vous donnez la garantie que le bruit a définitivement cessé, nous revenons. Je pense que la balle est dans notre camp.
•Cela veut dire des élections mais, des élections apaisées…
Bien sûr. Il ne sert à rien de faire des élections qui débouchent sur des bruits. Pour la BAD, ça n`aura rien changé. Si nous sortons de la crise de façon durable, nous ramenons la paix de façon durable. Et, la Banque reviendra aussitôt.
•L`exigence que les bruits cessent totalement vous paraît-elle raisonnable aujourd`hui ?
Je suis gouverneur pour la Côte d`Ivoire. Notre pays qui est actionnaire de la BAD a le souci du développement de l`institution. Dans cette position de gouverneur de la Côte d`Ivoire, je suis obligé de partager le fait que la Banque soit dans un environnement stable qui favorise le développement. Et maintenant, en tant qu`Ivoirien, je défends la thèse que mon pays offre cet environnement. C`est le vœu de tous. Il faut que les bruits cessent. Il ne faut pas que la Banque revienne à Abidjan et qu`il y ait des problèmes dans les jours qui suivent. Les responsables de la Banque posent un acte de responsabilité. Mais nous, en insistant sur le retour, nous faisons notre devoir. Il s`agit de notre pays. Nous ne pouvons laisser courir le bruit pendant longtemps que notre pays n`est pas apte à accueillir une institution sérieuse. C`est le sens de notre insistance. Mais je comprends en même temps les dirigeants de la Banque qui se préoccupent de la stabilité du pays.
•Les élections sont annoncées cette année. Quand est-ce que le Comité consultatif va procéder à l`évaluation de la situation ?
Election ou pas, la règle qui a été arrêtée depuis la relocalisation, c`est que deux fois dans l`année, on fasse une évaluation de la situation. Autrement dit, tous les 6 mois. La dernière évaluation a été faite au mois d`avril. La prochaine, au mois de novembre. Si les élections ont lieu avant, il y aura une évaluation dans un environnement différent de ce que nous connaissons. Si les élections ont lieu après, il va falloir tenir compte des progrès qui auront été accomplis jusqu`à cette prochaine évaluation.
•Vous êtes donc optimiste ?
J`ai toujours été optimiste. Parce que je suis convaincu que mon pays a les capacités d`offrir à la Banque les conditions de son développement, les conditions de réalisation de ses opérations ici à Abidjan. Je sais que la crise qu`on a connue, aurait pu gêner les travaux de la BAD. Mais si on compte ces perturbations en nombre de jours, cela n`atteindrait pas une semaine. Ça veut dire que la Banque aurait pu travailler ici. Mais elle est partie et, il faut chercher à la faire revenir.
•Parlant de succès, ne pensez-vous pas que celui de l`organisation des 45èmes assemblées annuelles a été, pour vous, un moyen de solder vos comptes avec la Banque, compte tenu des conditions dans lesquelles la relocalisation a été faite à Tunis?
On y pense, mais le plus important, c`est que notre pays s`est engagé et il fallait qu`il tienne parole. Comme pour la circonstance, c`est moi qui porte la parole de la Côte d`Ivoire, il fallait que j`assume cette responsabilité. Mais je l`ai fait avec le soutien de tout le gouvernement, du président de la République et de toute la classe politique ivoirienne. Si les Ivoiriens n`avaient pas voulu qu`on ait ces assemblées, on aurait eu des difficultés.
•Nous avons assisté à des échanges. Vous défendiez votre pays, mais la BAD mettait aussi en avant les conditions minimales de fonctionnement, et cela n`a pas toujours été facile. Aujourd`hui, avec du recul, vous ne vous dites pas que si le dossier avait été géré de telle ou telle manière, on aurait pu éviter la relocalisation à Tunis…
La relocalisation aurait pu être évitée s`il n`y avait pas eu la crise. Or, c`est justement l`évaluation par les Nations Unies du niveau de sécurité qui a amené la Banque à décider de la relocalisation. Rappelez-vous qu`en décembre 2002 quand il y a eu la première réunion du Comité consultatif des Gouverneurs à Accra, le niveau d`insécurité, ce moment, était évalué à la phase 3. Nous avons fait cette première réunion au cours de laquelle nous n`avons pas décidé. Les perspectives de calme en Côte d`Ivoire semblaient bonnes, mais nous nous sommes donné rendez-vous en janvier 2003. Malheureusement, pour nous, à cette date, l`indice de sécurité est monté à la phase 4 par les Nations Unies parce que, justement, la situation, au lieu de s`améliorer, s`est dégradée. C`est cela qui a amené la décision. Est-ce qu`on aurait pu l`éviter ? Je dirai oui. D`autant que si nous n`avions pas fait la crise, on n`en serait pas là. Mais dès l`instant où on est rentré dans la crise, il n`y avait plus rien à faire. Mon combat, à moi, était de limiter les dégâts. Ce qui signifiait une relocalisation définitive du siège de la Banque. C`est ce que nous avons fait.
•Tout de même, le processus avait commencé depuis le coup d`Etat de 1999. Mais à voir le niveau de relation que vous avez avec Donald Kaberuka, l`on est tenté de dire que vous ne regrettez pas son prédécesseur, le Marocain Omar Kabbaj…
Je veux vous parler franchement. Non, je ne regrette pas Omar Kabbaj. Je pense qu`il nous a fait beaucoup de torts. Sincèrement, il nous a causé beaucoup de torts. Il était même déjà parti avant qu`on ne prenne la décision de la relocalisation. Cela, je le lui ai reproché à la réunion d`Accra. Donc, pour être franc, je ne le regrette pas.
•Au terme de ces assemblées, d`importantes décisions ont été prises dont le triplement du capital opérationnel. Le fait que de telles décisions aient été prises à Abidjan, au bord de la lagune Ebrié, a-t-il une symbolique pour vous ? En d`autres termes, y a-t-il un avant et un après 45 èmes Assemblées annuelles ?
Vous savez, personne n`agit au hasard dans ce milieu. La Côte d`Ivoire a demandé l`organisation des assemblées annuelles 2010. Un, parce que c`est l`année de la célébration du cinquantenaire des pays africains. Donc, je voulais absolument, en cette année de célébration, que ce soit en Côte d`Ivoire que se tiennent les Assemblées annuelles de la BAD. Une façon pour moi de dire que la communauté financière vient célébrer le cinquantenaire avec nous. Cela aurait pu être un autre pays et on y serait allé.
Deux, le Fonds africain de développement (FAD) doit se reconstituer en 2010 et je voulais que cette décision de reconstitution du FAD soit prise en Côte d`Ivoire. De même, je savais que 2010 était une année électorale et je voulais que le président de la BAD soit reconduit pour son second mandat ici à Abidjan. Et puis, il y a eu la question de l`augmentation du capital et l`élargissement du conseil. En réalité, l`élargissement était centré sur la question de faire une place à l`Afrique du Sud. Et depuis 8 ans, nous avions ce débat. Comment faire une place à l`Afrique du Sud ? Quand, en tant que président du conseil, j`ai hérité de ce dossier, j`ai mis un point d`honneur à donner une réponse à ce problème.
•Qu`est-ce qui bloquait à ce niveau?
Les non-régionaux évoquaient la question du coût. Pour eux, si on prenait un siège supplémentaire, on passe de 18 à 19 ou à 20. Cela va entraîner un coût de fonctionnement à l`institution. Et on n`est pas certain, que cette augmentation de coût se justifie par une augmentation d`efficacité. Voilà la thèse des non-régionaux. Que fallait-il faire alors ? On pouvait prendre une chaise déjà occupée par une circonscription et la donner à l`Afrique du Sud. Cela veut dire qu`on supprimait une chaise déjà occupée. Les Africains ne pouvaient pas l`accepter. En y mettant la manière, nous avons réussi à créer un groupe de contact qui est composé de gouverneurs africains et de non-Africains et nous avons bâti le consensus autour de l`élargissement. C`est ce qui a été accepté. Pour nous, 2010, c`était une façon de dire que le siège est encore en Côte d`Ivoire et les décisions les plus importantes doivent être prises ici-même.
•Etait-il important de créer un siège pour l`Afrique du Sud ?
Bien sûr. Je l`ai déjà dit, la Banque africaine de développement (BAD) est devenue un porte-parole de l`Afrique. Vous remarquerez que quand on parle du G20, on invite la BAD en même temps, que l`Afrique du Sud. Voilà un pays qui est le plus important en termes de puissance économique en Afrique au sud du Sahara et qui parle au nom de l`Afrique dans les fora internationaux. Et au sein de notre Banque, il se trouve que ce pays est représenté par quelqu`un d`autre. C`est une situation incongrue qu`il fallait régler.
•L`ouverture du conseil à l`Afrique du Sud était-elle une exigence de Pretoria ou est-ce vous qui en avez senti la nécessité ?
Non. En toute chose, le problème doit être toujours posé par quelqu`un. Donc, c`est l`Afrique australe qui a réclamé une meilleure représentation. C`est le gouverneur pour l`Afrique du Sud qui nous a écrit, mais appuyé par le gouverneur pour le Mozambique au nom de l`Afrique australe. Et nous avons estimé que c`était légitime que l`Afrique australe réclame une meilleure représentation. Au regard de l`histoire, ce n`est qu`en 1996 que l`Afrique du Sud a rejoint la Banque compte tenu de sa situation politique. Ayant ainsi rejoint la Banque sur le tard, pour la plupart des actionnaires, l`Afrique du Sud ne pouvait pas être devant. Mais après quelques années, nous avons estimé qu`il fallait apporter une réponse.
•Revenons à l`augmentation du capital opérationnel. 50.000 milliards Fcfa, cela fait rêver. Comment la Côte d`Ivoire pourra-t-elle faire pour avoir une part importante dans les moyens supplémentaires qui en découleront en vue de faire face à la lutte contre la pauvreté ?
La BAD, c`est une banque. Elle ne peut agir ou réagir qu`à la sollicitation des pays membres bénéficiaires de ses prestations. Ce qui est important est que les pays s`organisent pour proposer les meilleurs projets qui entrent dans le cadre des interventions de la Banque. Donc, si nous voulons participer au partage de la cagnotte, il faut qu`on propose les meilleurs projets qui sont soutenables par la Banque.
•Mais est-ce que la Côte d`Ivoire prévoit déjà un cadre pour organiser tout cela même s`il y a déjà un guichet pour les Pme et d`autres porteurs de petits projets.
A ce forum d`Abidjan, tous les gouverneurs ont insisté sur l`urgence pour la Banque d`intervenir au profit du secteur privé. Si vous regardez la structure des économies, du moins au niveau de la sous-région, la Côte d`Ivoire n`est pas mal lotie en termes de présence d`un secteur privé. Il n`est peut-être pas aussi dynamique qu`on l`aurait souhaité, mais il est présent. Malheureusement, ce secteur privé n`est pas très présent sur la scène internationale, en tout cas en matière de mobilisation de financements. Notre responsabilité, aujourd`hui, c`est d`aider le secteur privé à solliciter davantage la Banque africaine de développement parce qu`il y a un guichet qui va soutenir les programmes et les projets du secteur privé. C`est la voie. Et puis, pour le financement de notre programme de lutte contre la pauvreté, le gouvernement a besoin d`être financé. Et nous nous adressons, en tout cas, sur certains volets de cette stratégie, à tous les partenaires y compris à la BAD.
•Par rapport à l`augmentation du capital de la BAD, la Côte d`Ivoire doit libérer 44 milliards Fcfa. Avons-nous les moyens de notre politique ?
Les 44 milliards Fcfa constituent la souscription globale de la Côte d`Ivoire dans le cadre de l`augmentation générale du capital. Mais, il y a des modalités. Dans l`immédiat, il y a seulement 6% de cette augmentation qui va être appelé. Cela veut dire que le capital appelé va être de 6%. Donc chacun va libérer sur les 12 années à venir, 6 % de sa souscription. Pour la Côte d`Ivoire, 6 % de 44 milliards Fcfa, ce n`est pas la mer à boire. Notre pays peut le faire. Mais en même temps, je dis au ministre de l`Economie et des Finances, restons éveillés parce qu`il peut arriver que certains pays ne soient pas capables de libérer leur souscription. En ce moment, ces actions vont tomber dans une cagnotte commune qu`on appelle les actions déchues. La priorité va être accordée aux pays du groupe des régionaux. Dans ce cas, si nous restons éveillés et qu`on s`en donne les moyens, nous pouvons consolider notre position. Pour les pays qui pourraient avoir des difficultés à libérer leurs fonds, nous avons demandé la création d`un fonds fiduciaire. Parce qu`il ne faut pas que des pays disparaissent. Nous cherchons à mobiliser les partenaires pour alimenter ce fonds. Mais, nous avons souhaité que les pays africains donnent l`exemple.
•Les appuis que la Banque va apporter aux opérateurs économiques seront-ils soumis à des conditionnalités comme le font les banques classiques ? En d`autres termes, y aura-t-il des nécessités de garanties des Etats ?
Dans les prêts que la Banque accorde au secteur privé, on n`a pas besoin de garantie de l`Etat. Il suffit que les opérateurs du secteur privé proposent des projets qui assurent que les initiateurs du projet ont parfaitement conscience que les ressources empruntées doivent être remboursées. C`est comme cela que les banques fonctionnent. Les banques ne prêtent qu`à ceux qui sont capables de rembourser. Donc, si nos opérateurs économiques proposent des projets rentables, il n`y a pas de raison que la banque ne vienne pas les soutenir. Je dois dire que ce n`est pas une structure de philanthropie. C`est à notre secteur privé de lui proposer des programmes et des projets qui sont viables.
•Cela pose quand même quelques défis à l`Etat au niveau des conditions et surtout de l`environnement des affaires. Le rapport de la Banque mondiale sur l`environnement des affaires, le «Doing Business » démontre quelques faiblesses. Y aura-t-il des initiatives dans le sens de l`amélioration?
Si vous écoutez la plupart des candidats aux élections présidentielles, en tout cas, les plus significatifs, la question de l`environnement des affaires occupe une bonne place. Ce qui laisse croire que quels que soient les résultats des élections présidentielles, les autorités ivoiriennes vont s`engager dans la voie de l`amélioration significative de l`environnement des affaires. J`ai parlé avec notre compatriote Thierry Tanoh qui est à la Société financière internationale (SFI). Quand vous regardez un pays comme le Ghana, pour la seule année 2010, la SFI, soit par elle-même, soit en se syndiquant avec d`autres partenaires, va investir près de 1 milliard de dollars dans ce pays dans les projets publics comme privés. Mais la plupart, dans les programmes publics. Ce n`est pas rien d`autant que pour d`autres pays africains, c`est seulement 10 millions de dollars ou 20 millions de dollars.
Quelle est la clé du succès du Ghana auprès des bailleurs de fonds?
Depuis l`époque Jerry Rawlings, le Ghana est entré dans un cycle de promotion de la démocratie qui est apprécié par l`ensemble de la communauté internationale. Il y a aussi les réformes économiques qui ont été faites au Ghana qui rassurent davantage la communauté internationale. Il faut le savoir que dans la communauté internationale, on a toujours besoin d`avoir un bon élève quelque part et il se trouve que cette fois, c`est le Ghana. Il y a des décennies, c`était la Côte d`Ivoire. Aujourd`hui, c`est le voisin. Donc, il faut aller dans ce sens parce que le marché est ouvert. Celui qui donne les meilleures garanties, qui est le meilleur promoteur de la bonne gouvernance, des meilleures réformes économiques, qui offre le meilleur environnement pour le développement des affaires, bien sûr que c`est lui qui va attirer l`épargne internationale. Et, je vous assure que l`épargne internationale existe. La question est de savoir comment faire pour qu`elle vienne chez nous. Pour le moment, c`est le Ghana qui propose les meilleures garanties.
•Votre département est en charge des stratégies de réduction de la pauvreté. Il se trouve qu`aujourd`hui près de 49,5 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. Quel plan pouvez-vous proposer pour inverser la tendance ?
Nous avons élaboré le Document de stratégie pour la réduction de la pauvreté (DRSP). Qui a eu l`aval du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale. Avec son adoption par les deux conseils d`administration, notre pays a atteint le point de décision de l`initiative en faveur des Pays pauvres très endettés (PPTE). Le programme économique et financier élaboré en partenariat avec le FMI par le ministre de l`Economie et des Finances est en cours d`exécution. Jusqu`à maintenant, il se déroule sans accroc majeur. Si on le met en œuvre avec succès, cela va aider à améliorer nos performances en termes de croissance économique. Parce que je le répète et beaucoup de gens se trompent là-dessus, la meilleure façon de lutter contre la pauvreté, c`est la création de richesses. C`est-à-dire la croissance économique. Ce programme économique et financier qu`on met œuvre, si on le fait avec succès, il va nous amener à améliorer notre taux de croissance économique et donc créer les meilleures conditions possibles de réduction de la pauvreté. Sans croissance, on ne peut pas réduire la pauvreté. Celui qui vous propose autre chose, à mon avis, est en train de vendre du rêve. Ainsi, le DRSP et le programme économique et financier élaborés et soutenus par le Fonds monétaire international, la mise en œuvre de ces deux documents, va, à terme, nous amener à réduire significativement la pauvreté pour le bien de notre pays.
Nous sommes à un niveau de croissance estimé à 3,8 % contre un taux de croissance démographique qui a atteint les 3,5 %. Il faut reconnaître que la faiblesse du ratio rend marginal, l`effort du gouvernement. Dans ces conditions, on peut penser que l`avenir se dessine en pointillés. Quel est le niveau de croissance pour que les populations ressentent effectivement la croissance et dans leur quotidien, et dans leurs assiettes ?
C`est clair que notre taux de croissance reste marginal. Mais il ne faut pas regarder les évolutions économiques en statique. C`est une question dynamique. Aujourd`hui, nous avons un taux de croissance positif. C`est déjà bien mais il faut aller plus loin parce que toutes les statistiques montrent que pour que les pays africains atteignent les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), il faut en moyenne un taux de croissance de 7 %. Nous sommes encore loin de là. Et plus on approchera ce taux, mieux ce sera pour nous. C`est clair qu`on ne va pas atteindre les objectifs à l`horizon 2015. Mais au moins, on aura fait des progrès. Au lieu de 49 % aujourd`hui pour notre pays, on va ramener l`indice de pauvreté à un niveau beaucoup plus bas. Mais si nous voulons arriver à des taux supportables, c`est pendant plusieurs années qu`il faudra poursuivre les efforts. Il ne sert à rien d`avoir un taux de croissance de 5 % aujourd`hui, 2 % demain et 10 % après-demain. Ce n`est pas cela le développement. Il faut supporter la croissance sur la durée.
•Vous l`avez noté, les conditions d`une croissance durable, c`est la bonne gouvernance et, des efforts ont été faits. Et nous avons vu des actions de lutte contre le racket. Malheureusement, sur le front de la lutte contre la corruption, on attend toujours. La non-résolution de ces dysfonctionnements n`est-elle pas de nature à saper les bases du travail accompli ?
Sur cette question de la corruption, nous avons beaucoup de chemin à parcourir. Mais, les solutions existent et il faut avoir le courage de les mettre en œuvre. Il ne suffit pas de dénoncer la corruption. Il faut la sanctionner. C`est ainsi qu`on va arriver à endiguer ce mal. Mais, il faut savoir que, dans notre société, le mal est profond. Il n`y a pratiquement plus d`administration où on ne vend pas le service. C`est un mal réel. Pourquoi est-ce qu`on ne parle que des policiers ? C`est parce que pour eux, c`est spectaculaire. Il est sur la route et normalement vous ne le sollicitez pas. Généralement, vous êtes sur votre chemin et c`est lui qui décide de vous arrêter et vous êtes obligé de le payer avant de passer. Mais tous les autres fonctionnaires qu`on sollicite, que ce soit l`agent de la sous-préfecture à qui on s`adresse pour se faire établir une copie de son acte de naissance ou de son jugement supplétif, que ce soit le haut-cadre de l`administration à qui on s`adresse pour avoir une signature, ceux-là on les sollicite. Et là, ce n`est pas spectaculaire. Cela se passe entre quatre murs. Cela dit, l`Etat doit se donner les moyens pour traquer cette corruption. Généralement, les exemples portent des fruits. Parce que tant qu`on ne sanctionne pas, chacun pense qu`il est protégé. L`impunité est le meilleur moyen d`encourager la pauvreté. Il faut donc y mettre fin. Soit en dénonçant, soit en sanctionnant.
•Avec ce que vous dites, la preuve est presque faite qu`il y a une sorte de privatisation du service public. En dehors du secteur du café-cacao où on a vu quelques interpellations, tous les autres secteurs d`activités ne sont pas inquiétés. A quand la phase de répression effective ?
J`ai lu la dernière interview du président Gbagbo où il disait qu`on a vu des actions dans le secteur du café-cacao mais qu`il y a d`autres secteurs auxquels il faudra s`attaquer. A mon avis, il faut lui faire confiance et s`attaquer aux autres secteurs. C`est vrai que le secteur du café-cacao est le plus spectaculaire, le plus visible, le plus sensible. Si j`en crois ce qu`affirme le président, il ne faut pas que les secteurs qui ne sont pas concernés, pour le moment, continuent de se la couler douce. Ils seront tous visités.
Interview réalisée par Kesy B. Jacob et Lanciné Bakayoko
•Les Assemblées annuelles de la Banque africaine de développement (BAD) sont terminées. Pensez-vous que le plaidoyer du président de la République qui est de renvoyer le siège à Abidjan a été entendu ?
Le plaidoyer du président est venu confirmer ce qu`on savait déjà. En faisant venir la Banque africaine de développement (BAD) à Abidjan, notre ambition était de dire que nous tenions à la Banque. Le plaidoyer est une confirmation de cette volonté des Ivoiriens d`avoir leur banque. Et je pense que c`est bien entendu. Il suffit de se référer à ce que le président Donald Kabéruka lui-même a dit : « Désormais, la balle est dans le camp des Ivoiriens. Vous voulez qu`on revienne, aidez-nous à revenir. » Aider à revenir signifie créer les conditions de la paix durable. C`est une institution financière et comme le président le dit, l`argent n`aime pas le bruit. Si vous donnez la garantie que le bruit a définitivement cessé, nous revenons. Je pense que la balle est dans notre camp.
•Cela veut dire des élections mais, des élections apaisées…
Bien sûr. Il ne sert à rien de faire des élections qui débouchent sur des bruits. Pour la BAD, ça n`aura rien changé. Si nous sortons de la crise de façon durable, nous ramenons la paix de façon durable. Et, la Banque reviendra aussitôt.
•L`exigence que les bruits cessent totalement vous paraît-elle raisonnable aujourd`hui ?
Je suis gouverneur pour la Côte d`Ivoire. Notre pays qui est actionnaire de la BAD a le souci du développement de l`institution. Dans cette position de gouverneur de la Côte d`Ivoire, je suis obligé de partager le fait que la Banque soit dans un environnement stable qui favorise le développement. Et maintenant, en tant qu`Ivoirien, je défends la thèse que mon pays offre cet environnement. C`est le vœu de tous. Il faut que les bruits cessent. Il ne faut pas que la Banque revienne à Abidjan et qu`il y ait des problèmes dans les jours qui suivent. Les responsables de la Banque posent un acte de responsabilité. Mais nous, en insistant sur le retour, nous faisons notre devoir. Il s`agit de notre pays. Nous ne pouvons laisser courir le bruit pendant longtemps que notre pays n`est pas apte à accueillir une institution sérieuse. C`est le sens de notre insistance. Mais je comprends en même temps les dirigeants de la Banque qui se préoccupent de la stabilité du pays.
•Les élections sont annoncées cette année. Quand est-ce que le Comité consultatif va procéder à l`évaluation de la situation ?
Election ou pas, la règle qui a été arrêtée depuis la relocalisation, c`est que deux fois dans l`année, on fasse une évaluation de la situation. Autrement dit, tous les 6 mois. La dernière évaluation a été faite au mois d`avril. La prochaine, au mois de novembre. Si les élections ont lieu avant, il y aura une évaluation dans un environnement différent de ce que nous connaissons. Si les élections ont lieu après, il va falloir tenir compte des progrès qui auront été accomplis jusqu`à cette prochaine évaluation.
•Vous êtes donc optimiste ?
J`ai toujours été optimiste. Parce que je suis convaincu que mon pays a les capacités d`offrir à la Banque les conditions de son développement, les conditions de réalisation de ses opérations ici à Abidjan. Je sais que la crise qu`on a connue, aurait pu gêner les travaux de la BAD. Mais si on compte ces perturbations en nombre de jours, cela n`atteindrait pas une semaine. Ça veut dire que la Banque aurait pu travailler ici. Mais elle est partie et, il faut chercher à la faire revenir.
•Parlant de succès, ne pensez-vous pas que celui de l`organisation des 45èmes assemblées annuelles a été, pour vous, un moyen de solder vos comptes avec la Banque, compte tenu des conditions dans lesquelles la relocalisation a été faite à Tunis?
On y pense, mais le plus important, c`est que notre pays s`est engagé et il fallait qu`il tienne parole. Comme pour la circonstance, c`est moi qui porte la parole de la Côte d`Ivoire, il fallait que j`assume cette responsabilité. Mais je l`ai fait avec le soutien de tout le gouvernement, du président de la République et de toute la classe politique ivoirienne. Si les Ivoiriens n`avaient pas voulu qu`on ait ces assemblées, on aurait eu des difficultés.
•Nous avons assisté à des échanges. Vous défendiez votre pays, mais la BAD mettait aussi en avant les conditions minimales de fonctionnement, et cela n`a pas toujours été facile. Aujourd`hui, avec du recul, vous ne vous dites pas que si le dossier avait été géré de telle ou telle manière, on aurait pu éviter la relocalisation à Tunis…
La relocalisation aurait pu être évitée s`il n`y avait pas eu la crise. Or, c`est justement l`évaluation par les Nations Unies du niveau de sécurité qui a amené la Banque à décider de la relocalisation. Rappelez-vous qu`en décembre 2002 quand il y a eu la première réunion du Comité consultatif des Gouverneurs à Accra, le niveau d`insécurité, ce moment, était évalué à la phase 3. Nous avons fait cette première réunion au cours de laquelle nous n`avons pas décidé. Les perspectives de calme en Côte d`Ivoire semblaient bonnes, mais nous nous sommes donné rendez-vous en janvier 2003. Malheureusement, pour nous, à cette date, l`indice de sécurité est monté à la phase 4 par les Nations Unies parce que, justement, la situation, au lieu de s`améliorer, s`est dégradée. C`est cela qui a amené la décision. Est-ce qu`on aurait pu l`éviter ? Je dirai oui. D`autant que si nous n`avions pas fait la crise, on n`en serait pas là. Mais dès l`instant où on est rentré dans la crise, il n`y avait plus rien à faire. Mon combat, à moi, était de limiter les dégâts. Ce qui signifiait une relocalisation définitive du siège de la Banque. C`est ce que nous avons fait.
•Tout de même, le processus avait commencé depuis le coup d`Etat de 1999. Mais à voir le niveau de relation que vous avez avec Donald Kaberuka, l`on est tenté de dire que vous ne regrettez pas son prédécesseur, le Marocain Omar Kabbaj…
Je veux vous parler franchement. Non, je ne regrette pas Omar Kabbaj. Je pense qu`il nous a fait beaucoup de torts. Sincèrement, il nous a causé beaucoup de torts. Il était même déjà parti avant qu`on ne prenne la décision de la relocalisation. Cela, je le lui ai reproché à la réunion d`Accra. Donc, pour être franc, je ne le regrette pas.
•Au terme de ces assemblées, d`importantes décisions ont été prises dont le triplement du capital opérationnel. Le fait que de telles décisions aient été prises à Abidjan, au bord de la lagune Ebrié, a-t-il une symbolique pour vous ? En d`autres termes, y a-t-il un avant et un après 45 èmes Assemblées annuelles ?
Vous savez, personne n`agit au hasard dans ce milieu. La Côte d`Ivoire a demandé l`organisation des assemblées annuelles 2010. Un, parce que c`est l`année de la célébration du cinquantenaire des pays africains. Donc, je voulais absolument, en cette année de célébration, que ce soit en Côte d`Ivoire que se tiennent les Assemblées annuelles de la BAD. Une façon pour moi de dire que la communauté financière vient célébrer le cinquantenaire avec nous. Cela aurait pu être un autre pays et on y serait allé.
Deux, le Fonds africain de développement (FAD) doit se reconstituer en 2010 et je voulais que cette décision de reconstitution du FAD soit prise en Côte d`Ivoire. De même, je savais que 2010 était une année électorale et je voulais que le président de la BAD soit reconduit pour son second mandat ici à Abidjan. Et puis, il y a eu la question de l`augmentation du capital et l`élargissement du conseil. En réalité, l`élargissement était centré sur la question de faire une place à l`Afrique du Sud. Et depuis 8 ans, nous avions ce débat. Comment faire une place à l`Afrique du Sud ? Quand, en tant que président du conseil, j`ai hérité de ce dossier, j`ai mis un point d`honneur à donner une réponse à ce problème.
•Qu`est-ce qui bloquait à ce niveau?
Les non-régionaux évoquaient la question du coût. Pour eux, si on prenait un siège supplémentaire, on passe de 18 à 19 ou à 20. Cela va entraîner un coût de fonctionnement à l`institution. Et on n`est pas certain, que cette augmentation de coût se justifie par une augmentation d`efficacité. Voilà la thèse des non-régionaux. Que fallait-il faire alors ? On pouvait prendre une chaise déjà occupée par une circonscription et la donner à l`Afrique du Sud. Cela veut dire qu`on supprimait une chaise déjà occupée. Les Africains ne pouvaient pas l`accepter. En y mettant la manière, nous avons réussi à créer un groupe de contact qui est composé de gouverneurs africains et de non-Africains et nous avons bâti le consensus autour de l`élargissement. C`est ce qui a été accepté. Pour nous, 2010, c`était une façon de dire que le siège est encore en Côte d`Ivoire et les décisions les plus importantes doivent être prises ici-même.
•Etait-il important de créer un siège pour l`Afrique du Sud ?
Bien sûr. Je l`ai déjà dit, la Banque africaine de développement (BAD) est devenue un porte-parole de l`Afrique. Vous remarquerez que quand on parle du G20, on invite la BAD en même temps, que l`Afrique du Sud. Voilà un pays qui est le plus important en termes de puissance économique en Afrique au sud du Sahara et qui parle au nom de l`Afrique dans les fora internationaux. Et au sein de notre Banque, il se trouve que ce pays est représenté par quelqu`un d`autre. C`est une situation incongrue qu`il fallait régler.
•L`ouverture du conseil à l`Afrique du Sud était-elle une exigence de Pretoria ou est-ce vous qui en avez senti la nécessité ?
Non. En toute chose, le problème doit être toujours posé par quelqu`un. Donc, c`est l`Afrique australe qui a réclamé une meilleure représentation. C`est le gouverneur pour l`Afrique du Sud qui nous a écrit, mais appuyé par le gouverneur pour le Mozambique au nom de l`Afrique australe. Et nous avons estimé que c`était légitime que l`Afrique australe réclame une meilleure représentation. Au regard de l`histoire, ce n`est qu`en 1996 que l`Afrique du Sud a rejoint la Banque compte tenu de sa situation politique. Ayant ainsi rejoint la Banque sur le tard, pour la plupart des actionnaires, l`Afrique du Sud ne pouvait pas être devant. Mais après quelques années, nous avons estimé qu`il fallait apporter une réponse.
•Revenons à l`augmentation du capital opérationnel. 50.000 milliards Fcfa, cela fait rêver. Comment la Côte d`Ivoire pourra-t-elle faire pour avoir une part importante dans les moyens supplémentaires qui en découleront en vue de faire face à la lutte contre la pauvreté ?
La BAD, c`est une banque. Elle ne peut agir ou réagir qu`à la sollicitation des pays membres bénéficiaires de ses prestations. Ce qui est important est que les pays s`organisent pour proposer les meilleurs projets qui entrent dans le cadre des interventions de la Banque. Donc, si nous voulons participer au partage de la cagnotte, il faut qu`on propose les meilleurs projets qui sont soutenables par la Banque.
•Mais est-ce que la Côte d`Ivoire prévoit déjà un cadre pour organiser tout cela même s`il y a déjà un guichet pour les Pme et d`autres porteurs de petits projets.
A ce forum d`Abidjan, tous les gouverneurs ont insisté sur l`urgence pour la Banque d`intervenir au profit du secteur privé. Si vous regardez la structure des économies, du moins au niveau de la sous-région, la Côte d`Ivoire n`est pas mal lotie en termes de présence d`un secteur privé. Il n`est peut-être pas aussi dynamique qu`on l`aurait souhaité, mais il est présent. Malheureusement, ce secteur privé n`est pas très présent sur la scène internationale, en tout cas en matière de mobilisation de financements. Notre responsabilité, aujourd`hui, c`est d`aider le secteur privé à solliciter davantage la Banque africaine de développement parce qu`il y a un guichet qui va soutenir les programmes et les projets du secteur privé. C`est la voie. Et puis, pour le financement de notre programme de lutte contre la pauvreté, le gouvernement a besoin d`être financé. Et nous nous adressons, en tout cas, sur certains volets de cette stratégie, à tous les partenaires y compris à la BAD.
•Par rapport à l`augmentation du capital de la BAD, la Côte d`Ivoire doit libérer 44 milliards Fcfa. Avons-nous les moyens de notre politique ?
Les 44 milliards Fcfa constituent la souscription globale de la Côte d`Ivoire dans le cadre de l`augmentation générale du capital. Mais, il y a des modalités. Dans l`immédiat, il y a seulement 6% de cette augmentation qui va être appelé. Cela veut dire que le capital appelé va être de 6%. Donc chacun va libérer sur les 12 années à venir, 6 % de sa souscription. Pour la Côte d`Ivoire, 6 % de 44 milliards Fcfa, ce n`est pas la mer à boire. Notre pays peut le faire. Mais en même temps, je dis au ministre de l`Economie et des Finances, restons éveillés parce qu`il peut arriver que certains pays ne soient pas capables de libérer leur souscription. En ce moment, ces actions vont tomber dans une cagnotte commune qu`on appelle les actions déchues. La priorité va être accordée aux pays du groupe des régionaux. Dans ce cas, si nous restons éveillés et qu`on s`en donne les moyens, nous pouvons consolider notre position. Pour les pays qui pourraient avoir des difficultés à libérer leurs fonds, nous avons demandé la création d`un fonds fiduciaire. Parce qu`il ne faut pas que des pays disparaissent. Nous cherchons à mobiliser les partenaires pour alimenter ce fonds. Mais, nous avons souhaité que les pays africains donnent l`exemple.
•Les appuis que la Banque va apporter aux opérateurs économiques seront-ils soumis à des conditionnalités comme le font les banques classiques ? En d`autres termes, y aura-t-il des nécessités de garanties des Etats ?
Dans les prêts que la Banque accorde au secteur privé, on n`a pas besoin de garantie de l`Etat. Il suffit que les opérateurs du secteur privé proposent des projets qui assurent que les initiateurs du projet ont parfaitement conscience que les ressources empruntées doivent être remboursées. C`est comme cela que les banques fonctionnent. Les banques ne prêtent qu`à ceux qui sont capables de rembourser. Donc, si nos opérateurs économiques proposent des projets rentables, il n`y a pas de raison que la banque ne vienne pas les soutenir. Je dois dire que ce n`est pas une structure de philanthropie. C`est à notre secteur privé de lui proposer des programmes et des projets qui sont viables.
•Cela pose quand même quelques défis à l`Etat au niveau des conditions et surtout de l`environnement des affaires. Le rapport de la Banque mondiale sur l`environnement des affaires, le «Doing Business » démontre quelques faiblesses. Y aura-t-il des initiatives dans le sens de l`amélioration?
Si vous écoutez la plupart des candidats aux élections présidentielles, en tout cas, les plus significatifs, la question de l`environnement des affaires occupe une bonne place. Ce qui laisse croire que quels que soient les résultats des élections présidentielles, les autorités ivoiriennes vont s`engager dans la voie de l`amélioration significative de l`environnement des affaires. J`ai parlé avec notre compatriote Thierry Tanoh qui est à la Société financière internationale (SFI). Quand vous regardez un pays comme le Ghana, pour la seule année 2010, la SFI, soit par elle-même, soit en se syndiquant avec d`autres partenaires, va investir près de 1 milliard de dollars dans ce pays dans les projets publics comme privés. Mais la plupart, dans les programmes publics. Ce n`est pas rien d`autant que pour d`autres pays africains, c`est seulement 10 millions de dollars ou 20 millions de dollars.
Quelle est la clé du succès du Ghana auprès des bailleurs de fonds?
Depuis l`époque Jerry Rawlings, le Ghana est entré dans un cycle de promotion de la démocratie qui est apprécié par l`ensemble de la communauté internationale. Il y a aussi les réformes économiques qui ont été faites au Ghana qui rassurent davantage la communauté internationale. Il faut le savoir que dans la communauté internationale, on a toujours besoin d`avoir un bon élève quelque part et il se trouve que cette fois, c`est le Ghana. Il y a des décennies, c`était la Côte d`Ivoire. Aujourd`hui, c`est le voisin. Donc, il faut aller dans ce sens parce que le marché est ouvert. Celui qui donne les meilleures garanties, qui est le meilleur promoteur de la bonne gouvernance, des meilleures réformes économiques, qui offre le meilleur environnement pour le développement des affaires, bien sûr que c`est lui qui va attirer l`épargne internationale. Et, je vous assure que l`épargne internationale existe. La question est de savoir comment faire pour qu`elle vienne chez nous. Pour le moment, c`est le Ghana qui propose les meilleures garanties.
•Votre département est en charge des stratégies de réduction de la pauvreté. Il se trouve qu`aujourd`hui près de 49,5 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. Quel plan pouvez-vous proposer pour inverser la tendance ?
Nous avons élaboré le Document de stratégie pour la réduction de la pauvreté (DRSP). Qui a eu l`aval du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale. Avec son adoption par les deux conseils d`administration, notre pays a atteint le point de décision de l`initiative en faveur des Pays pauvres très endettés (PPTE). Le programme économique et financier élaboré en partenariat avec le FMI par le ministre de l`Economie et des Finances est en cours d`exécution. Jusqu`à maintenant, il se déroule sans accroc majeur. Si on le met en œuvre avec succès, cela va aider à améliorer nos performances en termes de croissance économique. Parce que je le répète et beaucoup de gens se trompent là-dessus, la meilleure façon de lutter contre la pauvreté, c`est la création de richesses. C`est-à-dire la croissance économique. Ce programme économique et financier qu`on met œuvre, si on le fait avec succès, il va nous amener à améliorer notre taux de croissance économique et donc créer les meilleures conditions possibles de réduction de la pauvreté. Sans croissance, on ne peut pas réduire la pauvreté. Celui qui vous propose autre chose, à mon avis, est en train de vendre du rêve. Ainsi, le DRSP et le programme économique et financier élaborés et soutenus par le Fonds monétaire international, la mise en œuvre de ces deux documents, va, à terme, nous amener à réduire significativement la pauvreté pour le bien de notre pays.
Nous sommes à un niveau de croissance estimé à 3,8 % contre un taux de croissance démographique qui a atteint les 3,5 %. Il faut reconnaître que la faiblesse du ratio rend marginal, l`effort du gouvernement. Dans ces conditions, on peut penser que l`avenir se dessine en pointillés. Quel est le niveau de croissance pour que les populations ressentent effectivement la croissance et dans leur quotidien, et dans leurs assiettes ?
C`est clair que notre taux de croissance reste marginal. Mais il ne faut pas regarder les évolutions économiques en statique. C`est une question dynamique. Aujourd`hui, nous avons un taux de croissance positif. C`est déjà bien mais il faut aller plus loin parce que toutes les statistiques montrent que pour que les pays africains atteignent les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), il faut en moyenne un taux de croissance de 7 %. Nous sommes encore loin de là. Et plus on approchera ce taux, mieux ce sera pour nous. C`est clair qu`on ne va pas atteindre les objectifs à l`horizon 2015. Mais au moins, on aura fait des progrès. Au lieu de 49 % aujourd`hui pour notre pays, on va ramener l`indice de pauvreté à un niveau beaucoup plus bas. Mais si nous voulons arriver à des taux supportables, c`est pendant plusieurs années qu`il faudra poursuivre les efforts. Il ne sert à rien d`avoir un taux de croissance de 5 % aujourd`hui, 2 % demain et 10 % après-demain. Ce n`est pas cela le développement. Il faut supporter la croissance sur la durée.
•Vous l`avez noté, les conditions d`une croissance durable, c`est la bonne gouvernance et, des efforts ont été faits. Et nous avons vu des actions de lutte contre le racket. Malheureusement, sur le front de la lutte contre la corruption, on attend toujours. La non-résolution de ces dysfonctionnements n`est-elle pas de nature à saper les bases du travail accompli ?
Sur cette question de la corruption, nous avons beaucoup de chemin à parcourir. Mais, les solutions existent et il faut avoir le courage de les mettre en œuvre. Il ne suffit pas de dénoncer la corruption. Il faut la sanctionner. C`est ainsi qu`on va arriver à endiguer ce mal. Mais, il faut savoir que, dans notre société, le mal est profond. Il n`y a pratiquement plus d`administration où on ne vend pas le service. C`est un mal réel. Pourquoi est-ce qu`on ne parle que des policiers ? C`est parce que pour eux, c`est spectaculaire. Il est sur la route et normalement vous ne le sollicitez pas. Généralement, vous êtes sur votre chemin et c`est lui qui décide de vous arrêter et vous êtes obligé de le payer avant de passer. Mais tous les autres fonctionnaires qu`on sollicite, que ce soit l`agent de la sous-préfecture à qui on s`adresse pour se faire établir une copie de son acte de naissance ou de son jugement supplétif, que ce soit le haut-cadre de l`administration à qui on s`adresse pour avoir une signature, ceux-là on les sollicite. Et là, ce n`est pas spectaculaire. Cela se passe entre quatre murs. Cela dit, l`Etat doit se donner les moyens pour traquer cette corruption. Généralement, les exemples portent des fruits. Parce que tant qu`on ne sanctionne pas, chacun pense qu`il est protégé. L`impunité est le meilleur moyen d`encourager la pauvreté. Il faut donc y mettre fin. Soit en dénonçant, soit en sanctionnant.
•Avec ce que vous dites, la preuve est presque faite qu`il y a une sorte de privatisation du service public. En dehors du secteur du café-cacao où on a vu quelques interpellations, tous les autres secteurs d`activités ne sont pas inquiétés. A quand la phase de répression effective ?
J`ai lu la dernière interview du président Gbagbo où il disait qu`on a vu des actions dans le secteur du café-cacao mais qu`il y a d`autres secteurs auxquels il faudra s`attaquer. A mon avis, il faut lui faire confiance et s`attaquer aux autres secteurs. C`est vrai que le secteur du café-cacao est le plus spectaculaire, le plus visible, le plus sensible. Si j`en crois ce qu`affirme le président, il ne faut pas que les secteurs qui ne sont pas concernés, pour le moment, continuent de se la couler douce. Ils seront tous visités.
Interview réalisée par Kesy B. Jacob et Lanciné Bakayoko