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Politique Publié le lundi 19 juillet 2010 | Nord-Sud

Jean-Paul Malan, coordonnateur du Pscn : “Le chômage des jeunes est une bombe à retardement”

Mise en place en juin 2008, la nouvelle formule du Programme du service civique national, a réinséré 7.500 jeunes, en deux ans, selon Jean-Paul Malan qui le pilote. Le service civique doit prospérer, selon lui, parce qu'il est le fondement de la Côte d'Ivoire post-crise.

• Le service civique national a-t-il bien existé dans ce pays ?
Le Programme du service civique a déjà existé de 1961 à 1983. Il a fait son chemin et avec la crise économique et l'ensemble des programmes d'ajustement structurel, il a été mis entre parenthèses. Aujourd'hui, face à la grande crise que nous connaissons, depuis 2002, le gouvernement s'est senti interpellé et obligé de réactiver cet instrument de formation civique et citoyenne, de formation qualifiante à l'endroit d'une partie de notre jeunesse.

• Comment expliquez-vous la timidité des Ivoiriens face à ce service?
C'est une des préoccupations actuelles de la nation et du gouvernement qui fait qu'aujourd'hui, nous sommes obligés de replacer la question du civisme et de la citoyenneté au cœur de l'intérêt des Ivoiriens. Parce que ce pays ne peut pas avancer si on n'a pas l'esprit civique, on ne respecte pas les lois, on a une défiance permanente à l'Etat et à ses symboles.

• A qui la faute, la cellule familiale ou les institutions de l'Etat ?
Il ne s'agit pas d'accuser qui que ce soit. Il s'agit de prendre simplement conscience de ce problème et de voir comment lui garantir un succès.

• Est-ce que ce service ne devrait pas intervenir à la base, c'est-à-dire à l'école ?
Cela pose la question même de la responsabilité de tous. Vous parlez de l'école mais il y a aussi la famille. La vraie éducation commence d'abord dans la cellule familiale bien sûr avec l'apprentissage des notions de civisme, de l'Etat, de solidarité, de défense de l'intérêt national, du travail bien fait, de conscience professionnelle ou bien du respect de la chose publique. Aujourd'hui, il serait important de le réintroduire dans les formations actuelles. Car, nous constatons qu'il y a une véritable crise de valeurs dans la société ivoirienne. Cette crise part de la base au sommet.

• L'éducation civique enseignée à l'école ne devrait-elle pas être revalorisée à partir du coefficient qui lui est affecté, afin d'amener les enfants à s'y intéresser et éviter à l'Etat de créer des structures supplémentaires?
Il ne faut pas se tromper d'objectif. Le Programme du service civique tel qu'il est conçu, s'adresse à une cible bien précise. Il s'adresse à tous les Ivoiriens, désœuvrés, âgés de 18 à 35 ans, qui sont sortis du système scolaire ou qui ont touché aux armes. Le ministère de l'Education nationale et tous ceux qui sont chargés de la formation et de l'enseignement doivent jouer leur rôle. Nous pouvons faire des propositions ou des suggestions pour dire que le concept est important. Parce que nous le vivons tous, dans les rues : personne ne respecte son voisin, on jette des ordures partout, personne ne veut travailler pour l'autre, un tout petit travail nécessite de l'argent et il n'y a pas de solidarité.

• Y a-t-il dans ce cas, une collaboration entre le Pscn et les autres structures de l'Etat en charge du civisme?
Ce qu'il faut comprendre, c'est peut-être des synergies et des complémentarités que nous devons développer avec ces institutions. Nous sommes une structure récente, donc nous démarrons avec des acquis. Les documents qui ont été élaborés par le ministère de la Jeunesse et des Sports ou de l'Education nationale, par exemple, nous servent de modules de formation dans nos établissements. Nous pouvons donc parler de collaboration. Lorsque nous devons faire de la formation dans nos différents centres sur le civisme, par exemple, nous faisons appel à des formateurs du ministère.

• On a l'impression que vous attendez tranquillement à un carrefour que les ''déchets'' viennent à vous, pour leur appliquer votre recette.
Non, ce n'est pas le cas. Notre priorité est une cible bien connue parce que bien identifiée : ce sont les ex-combattants, les ex-groupes d'autodéfense et les jeunes à risque qui se sont familiarisés au maniement des armes. Bien sûr, les jeunes à risque, ce sont aussi les jeunes déscolarisés et désœuvrés. Nous allons vers ceux-ci, ils viennent aussi à nous et nous travaillons ensemble.

• Sur quels critères sont-ils sélectionnés?
Un tel programme est basé sur des éléments de planification. Les premières enquêtes qui ont été menées après cette crise concernant les ex-combattants et groupes d'autodéfense, ont montré que, potentiellement, le Pscn pourrait s'adresser à environ quarante mille personnes.

• Pourquoi parlez-vous au conditionnel ? N'y a-t-il pas de statistiques fiables ?
Si, les statistiques sont fiables, les ex-combattants ont été évalués à environ 32.000, les groupes d'autodéfense à près de 50.000. Ce qui fait environ 80.000. Le service civique se dit capable d'encadrer environ la moitié avec des critères de nationalité, d'âge, de volontariat. Maintenant, avec la réalité du terrain, nous travaillons en fonction des moyens disponibles en termes de capacité d'absorption des centres, de leur disponibilité géographique, de la présence ou de la concentration des sites.

• Que recouvre l'appellation ''jeunes à risque'' ?
Ce sont des jeunes qui sont en situation de vulnérabilité, soit parce qu'ils n'ont pas d'emploi ou qu'ils sont en quête de formation. En somme, ce sont des jeunes Ivoiriens qui présentent les mêmes caractéristiques que les ex-combattants et ex-membres de groupes d'autodéfense.

• Vos statistiques de 40.000 jeunes reflètent-elles la réalité, quand on sait qu'il y a des jeunes à risque partout en Côte d'Ivoire? Ne vont-elles pas connaître des modifications avec les personnes non éligibles à l'armée nouvelle ?
Le Pscn tel qu'il a été créé, s'adresse à tous les Ivoiriens de toutes les régions du pays. Pourvu qu'ils remplissent les critères requis. Dans le cadre de la sortie de crise, nous accordons la priorité aux ex-combattants et aux ex-membres des groupes d'autodéfense. Quand nous nous rendons, par exemple, à Bouaké, nous recrutons en priorité les ex-combattants. Et pour une question d'équité et de justice, nous ne faisons pas de différence entre ces jeunes et leurs ''frères'' qui y vivent et qui ont besoin d'encadrement. Nous incorporons donc un pourcentage allant de 20 à 30% de ces jeunes. Cela veut dire que pour chaque effectif recruté dans un centre, nous veillons à ce qu'il y ait 20 à 30 % de jeunes à risque.

• Dans quelles zones trouve-t-on le plus de jeunes à risque ?
C'est toute la Côte d'Ivoire qui est concernée mais, aujourd'hui, le Pscn est le plus concentré dans la zone Cno (Centre, nord, ouest). Nous sommes donc à Bouaké, M'Bahiakro, Man, Korhogo, Boundiali, Sangouiné, Guiglo, Toulepleu, Tabou et même ici à Abidjan, pour ne citer que ces villes.

• A quoi ressemblent ces structures en termes d'infrastructures?
Nous avons deux types de structures. D'une part, les anciens centres de service civique que nous avons récupérés et réhabilités grâce à des financements de partenaires au développement ; c'est le cas de M'Bahiakro, Gotangouiné, Bondoukou, Guingréni (Boundiali). Et d'autre part, les centres de proximité que nous développons pour nous rapprocher de notre cible. Ces centres sont un peu partout, à Touleupleu, Tabou, Bangolo…

• Avez-vous un chronogramme ou une échéance pour un objectif précis?
Le programme est limité dans le temps, à un moment donné il va falloir passer le relais. En ce qui concerne le Pscn, l'Office national du service civique a été déjà créé pour prendre le relais. Cela veut dire qu'on ne mettra pas fin au Pscn avec la sortie de crise. Mais le service civique va continuer ses activités avec l'Office national de service civique. L'objectif général, c'est de former 40.000 personnes mais nous ne sommes pas le seul programme à intervenir. Il y a d'autres programmes tel que le Pnrrc, les mille microprojets de l'Onuci, l'Ageroute, Care International. Nous devons absorber le maximum des 40.000 bénéficiaires en vue d'atteindre 10.000 personnes cette année.

• Y a-t-il un guichet unique pour tous ces services ou bien chacun évolue en solitaire ?
Pour plusieurs intervenants, il faut une plate-forme de coordination. C'est la raison pour laquelle un comité national chargé de la réinsertion et de la réhabilitation communautaire a été installé au sein du cabinet du Premier ministre. Ce comité permet d'éviter que les différentes structures ne se marchent pas sur les pieds et que l'une aille plus loin par rapport à ce qu'une autre a réalisé. Nous tenons donc compte de l'implantation d'un programme sur le terrain. La coordination mise en place nous permet de rationnaliser nos ressources et nos moyens à déployer sur le terrain.

• Quel est le pourcentage de recrutement par zone d'implantation?
Le Pscn est présent dans dix-neuf localités et chaque centre, qui tourne en rotation, a une capacité de 150 à 200 personnes. Comme les formations durent, au maximum, six mois, nous faisons tout pour avoir deux ou trois rotations par an. Après la formation théorique, les jeunes vont aux chantiers d'application ou à leur installation.

• Comment se fait le recrutement?
Les bénéficiaires figurent déjà sur des listes tenues par le Cci (Centre de commandement intégré) et le Pnrrc (Programme national de réinsertion, réhabilitation communautaire). C'est sur la base de ces listes que nous pouvons confirmer qu'untel élément qui se présente à nous est effectivement ex-combattant ou ex-membre d'un groupe d'autodéfense. Lorsqu'un jeune se présente à nous, nous vérifions sa présence sur les listes et nous nous assurons qu'il n'a pas bénéficié d'un autre programme. Nous lui expliquons les modules de formations : le civisme et la citoyenneté. Les jeunes font ensuite leur choix, ils obtiennent des formations et nous les accompagnons pour leur installation avec ce qu'on appelle des kits d'insertion.

• Comment les jeunes sont-ils orientés?
Si quelqu'un vient de la zone agricole de Korhogo, par exemple, nous lui demandons s'il a une portion de terre pour faire de l'agriculture. S'il répond non, alors nous lui conseillons de voir avec ses parents si des terres peuvent être mises à sa disposition. Mais la plupart des jeunes n'ont pas de problème.

• Combien d'entre eux ont été insérés à ce jour ?
C'est environ 7.500 jeunes qui ont été formés aux valeurs du civisme, à la citoyenneté et à l'apprentissage d'un métier. Il y en a 70% qui ont reçu des kits d'insertion et 30% qui attendent leurs kits, qui ne sont pas près en termes de programmation. Ceux qui ont eu leurs kits, exercent et dans un an, nous espérons les trouver en activité. Nous avons mis en place un système de suivi de leur travail en vue de les maintenir dans l'activité qu'ils ont choisie. Toutes les dispositions ont été prises pour que, d'ici la fin du mois de juillet, les 30% restant reçoivent leurs kits d'insertion.

• Quels sont les projets récurrents et en quoi consiste techniquement le suivi ?
La plupart des projets tournent autour de l'agro-pastorale, l'artisanat et les métiers techniques (mécanique, couture, menuiserie…). Nous avons des agents de suivi qui aident les jeunes à s'installer. Il faut attendre longtemps pour savoir qu'ils exercent toujours. C'est en ce moment qu'on peut parler de taux de réussite. Dans les normes internationales, si on a 40 % de personnes qui continuent leurs activités, ce n'est déjà pas mal.

• Peut-on conclure que le programme du service civique est viable avec les contraintes et autres difficultés qui peuvent être liées aux procédures de décaissement de financement, de disponibilité des moyens logistiques ?

Il est important que toutes les valeurs cardinales de la citoyenneté soient replacées au centre des intérêts de la jeunesse et des populations ivoiriennes. Le programme est même indispensable. Quand on regarde le taux de chômage ou d'inactivité des jeunes en Côte d'Ivoire, je pense qu'il est une bombe à retardement. Si on ne fait rien pour la formation et l'insertion de ces jeunes, nous allons vivre certainement une crise plus grave que celle que nous vivons aujourd'hui. C'est pour répondre à cette problématique que le Pscn a été mis en place. C'est donc un défi pour toute la Côte d'Ivoire.

Propos recueillis par Bidi Ignace
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