C`est demain dimanche 1er août que démarre le colloque international pluridisciplinaire sur le cinquantenaire de l`indépendance de la Côte d`Ivoire. Dans cette interview, Pr. Pierre Kipré, le président de la Commission nationale d`organisation du cinquantenaire, explique les enjeux d`une rencontre d`un si haut niveau à Yamoussoukro.
Notre Voie : Excellence, vous êtes président de la Commission nationale d`organisation pour le cinquantenaire de l`indépendance de la Côte d`Ivoire. Dans le cadre des activités scientifiques, vous organisez un colloque international pluridisciplinaire du 1er au 5 août à Yamoussoukro. A quel souci répond cette initiative ?
Pr. Pierre Kipré : Cette activité va être le point d`orgue des activités à caractère scientifique que nous organisons dans le cadre du cinquantenaire. Et il s`agit pour nous, premièrement, de promouvoir les études sur l`Afrique post coloniale. Si possible dans une perspective pluridisciplinaire. Deuxièmement, il s`agit de saisir cette opportunité pour que les intellectuels, les spécialistes venus du monde entier confrontent leurs idées sur l`état de la question des indépendances en Afrique subsaharienne et les perspectives qui s`ouvrent pour les 50 prochaines années. Et ces échanges menés par de grands spécialistes s`appuieront sur les expériences de chacun des pays de l`Afrique subsaharienne sur des expériences qui peuvent enrichir les Ivoiriens, qui peuvent enrichir les Africains. Parce que nous appartenons tous au même continent. Nous avons à peu près les mêmes problèmes quand ces problèmes ne sont pas tous de même nature. Et donc, il est important que, de ce point de vue, nous nous rencontrions, que nous échangions, que nous voyions ce qu`il faut faire pour que les 50 prochaines années -, et c`est le 3ème objectif, ce qu`il faut faire, ce qu`il faut proposer aux décideurs, ce qu`il faut proposer à nos sociétés, à nos communautés - soient meilleures que les premières années de ce temps de l`indépendance. Voilà les trois raisons principales de l`organisation de ce colloque qui va voir la participation de 850 universitaires venus du monde entier, d`Amérique, d`Europe, d`Asie, d`Afrique, etc.
N.V. : Comment ce colloque va-t-il se traduire sur le terrain ?
P.K. : Nous avons un calendrier. Il y aura l`ouverture par le président de la République, le dimanche après-midi, ensuite les 2, 3, 4 et 5, il y aura des communications en plénière. Et il y aura des ateliers.
N.V. : Le cinquantenaire de l`indépendance de la Côte d`Ivoire est avant tout un anniversaire. Et, dans notre entendement, cela pourrait être synonyme de fête de réjouissance populaire. Nous pensons à la danse, à un défilé militaire et/ ou civil, à un dîner-gala, etc. Pourquoi la Côte d`Ivoire a-t-elle donc privilégié la réflexion pour célébrer ces 50 premières années d`indépendance ?
P.K. : Merci. Il y a trois raisons. La première est d`ordre conceptuel. Le concept de fête ; le concept de fête tel que compris dans les cultures africaines. Beaucoup d`Africains ne connaissent pas parfois leur propre culture. La fête, dans nos cultures, signifie quoi ? Un moment de danse, un moment de rassemblement et un moment de projection sur l`avenir. Et c`est pour cela que même quand il y a la mort, nous dansons. Parce que c`est justement cette approche qui signifie la fête. La fête n`est pas que la danse. Et nous avons tiré de cette compréhension de nos cultures l`idée que cet anniversaire doit nous permettre de réfléchir principalement. Réfléchir principalement pourquoi ? C`est la 2ème raison, d`abord nous avons des difficultés financières, économiques, politiques. Il nous faut comprendre pourquoi au moment où nous sommes âgés de 50 ans, au moment où notre pays est âgé de 50 ans, il est dans de telles difficultés. Il faut éclairer cette situation. Il faut l`éclairer d`autant mieux qu’il y va de l`avenir de notre pays pour les 50 prochaines années. Et il nous faut y réfléchir sérieusement pour les arguments et les armes nécessaires permettant de corriger nos erreurs des 50 premières années. La 3ème raison, c`est que vous savez bien, au jour d`aujourd`hui, la mobilisation uniquement de danseurs, de groupes musicaux, de groupes artistiques coûtent cher. Et tous les Ivoiriens ont besoin de partager tout cela. Or, il se trouve que, sur instruction du président de la République, le gouvernement est en train de négocier la fin de l`endettement insupportable de notre pays par mobilisation du programme Ppte, à savoir le programme des pays pauvres très endettés. Ce n`est pas au moment où nous demandons à nos partenaires de la finance internationale d`effacer nos dettes que nous allons prendre les maigres ressources dont nous disposons pour ne faire que la fête. Le résultat, c`est que nous réduisons au grand maximum tout ce qui est uniquement festif pour privilégier davantage la réflexion. N.V. : Monsieur le président, dans une interview accordée à Rfi, vous avez dit que les soldats ivoiriens ne défileraient pas sur les Champs-Elysées à Paris ; il allaient défiler chez eux, en Côte d`Ivoire. Est-ce que vous pouvez repréciser cette idée, sinon les motivations parce qu`il s`agissait aussi de la célébration du cinquantenaire des indépendances des Etats africains ? P.K. : D`abord, c`est en ma qualité d`ambassadeur de Côte d`Ivoire près la République française que j`ai fait cette déclaration pour bien traduire la décision prise par le président de la République de Côte d`Ivoire de ne pas donner suite favorable à l`invitation à lui adressée par le président de la République française, M. Sarkozy. Le président l`a clairement dit dans une interview et m`a donné instruction de transmettre aux autorités françaises le refus de la Côte d`Ivoire de participer au défilé du 14 juillet. Le refus est motivé par le fait que, premièrement, notre armée est en reconstruction ; deuxièmement, qu`il y a un contentieux politique entre la France et la Côte d`Ivoire. Et, pour ces raisons, il ne peut pas venir parce que l`opinion publique ne comprendrait pas que sans qu`il n’y ait eu un début de discussion sur ce contentieux, le président de la République de Côte d`Ivoire se rende en France. Voilà les trois raisons. Mais, avant cela, en tant que président de la Commission nationale d`organisation du cinquantenaire de la Côte d`Ivoire, j`avais pris position très clairement lorsque Monsieur le ministre Jacques Toubon chargé par l`Elysée d`organiser le cinquantenaire des indépendances des pays africains était venu me voir pour m`exposer le projet français. Et je lui avais dit que c`est notre anniversaire. Nous l`organisons donc en invitant nos amis et nos parents. Certains viendront les bras ballants, d`autres les bras chargés de présents, mais qu`on ne nous demande pas de fêter notre anniversaire dans le palais qui est à côté, alors que nous avons notre petite case. Nous fêtons notre anniversaire chez nous. C`est dans la même veine qu`il faut comprendre aussi que, pour un anniversaire aussi singulier et unique qu`est le cinquantenaire, l`armée ivoirienne ne peut pas défiler comme cela en dehors de nos frontières sans qu`il n’y ait eu des clarifications sur le sens à donner à ce défilé. La France a l`habitude, lors du 14 juillet, d`inviter des pays amis à défiler. Nous pensons que si ça n`a pas été fait avant 2010, ça peut se faire après 2010. On peut inviter la Côte d`Ivoire à venir défiler. Mais je trouvais, et le président m`a donné acte de cette observation, bizarre que ce n`étaient que des pays francophones ayant obtenu leur indépendance en 1960 qui étaient invités. Le Nigeria a eu l`indépendance en 1960. On aurait pu aussi inviter le Nigeria.
N.V. : Vous avez trouvé cela ambigu ?
P.K. : J`ai trouvé cela ambigu parce qu`un mois auparavant, il y a eu le sommet Afrique-France où la France a dit clairement qu`elle ne faisait plus de distinction entre pays francophones et autres et qu`il fallait partir sur de nouvelles bases. Or là, cela me semblait revenir aux bases anciennes des relations de la France avec l`Afrique. Rien ne me semblait fondamentalement changé. Cette approche des autorités françaises a gêné beaucoup de monde. On espère que ce n`était qu`une simple maladresse d`approche. L`essentiel en tout étant la volonté française de coopérer toujours et plus en profondeur avec les pays africains et avec la Côte d`Ivoire. Parce qu`on ne s`y trompe pas. Au moment où je vous parle, la Côte d`Ivoire est le pays d`Afrique francophone qui est en première place parmi les clients de la France. La Côte d`Ivoire à elle seule représente 47% des échanges de la France avec les pays d`Afrique noire francophone. Le Cameroun vient immédiatement après nous avec 25%. C`est vous dire le poids de la Côte d`Ivoire. Du point de vue de la Francophonie, en proportion de la population, la Côte d`Ivoire, sur tout le continent africain, est le pays où on pratique plus la langue française. Et, en population, en données brutes, c`est le 2ème pays après la Rdc (Congo). Ce n`est donc pas un pays banal dont on peut faire bon marché des relations. Malheureusement, tout n`a pas encore été bien clarifié. Tout ne se passe pas véritablement comme nous l`avaient fait espérer les discours de rupture prononcés par le président Sarkozy. C`est pour cela que, par prudence, le président Gbagbo nous a instruit de présenter la position de la Côte d`Ivoire.
N.V. : Est-ce que cette nouvelle vision des rapports entre la France et les pays africains indépendants depuis 1960 est prise en compte dans les résultats de ce colloque international que vous attendez ?
P.K. : Nous l`espérons, et quand je regarde certaines communications, dans tous les domaines, il y a des chances pour que des éléments nouveaux soient présentés par ce colloque international. Je ne veux pas anticiper. D`abord par respect de mes invités. Ensuite parce que les opinions sont libres dans le monde universitaire. Et, troisièmement, il n`est pas de ma responsabilité de dire ce que la Côte d`Ivoire attend. La seule chose qui relève de mon fait, c`est que mes attentes sur le colloque international sont de 3 ordres : premièrement, que ce soit l`occasion d`une promotion plus grande des études sur l`état post colonial en Afrique. Deuxièmement, que ce soit l`occasion d`échanges pluriels entre universitaires venus d`horizons divers. Et troisièmement, que ce soit l`occasion d`une projection des Africains sur le futur. Au lieu d`être toujours à l`horizon de 5, 10 ans, il faut que nous nous projetions sur 50 ans pour dire comment nous imaginons notre continent dans 50 ans.
N.V. : Avez-vous un appel à lancer aux Ivoiriens ?
P.K. : Qu`ils viennent tous. C`est le moment d`échanges libres sans tabou. Certains pensent que ce cinquantenaire est fait pour faire la promotion politique du président Gbagbo. Le président Gbagbo n`a pas 50 ans. Il a 65 ans. Moi aussi d`ailleurs. Ce n`est donc pas son anniversaire qu’on fête. C’est l’anniversaire de la République de Côte d`Ivoire. C`est donc l`anniversaire de notre pays. C`est l`anniversaire d`un certain nombre de pays africains. 50 ans, ça paraît peu dans l`histoire longue d`un pays, mais c`est beaucoup. En 50 ans, beaucoup de choses peuvent se passer et beaucoup de choses se sont passées. Bonnes ou mauvaises. C`est le moment de venir en toute liberté. Ceux qui ont peur du droit d`inventaire, on ne peut pas cacher le soleil avec la main, comme disait feu le président Houphouet-Boigny. Qu`on le veuille ou non, il y aura ce droit d`inventaire. Mais il y aura la volonté de se projeter sur le futur pour gommer tout ce qui a été négatif et promouvoir tout ce qui a été positif. C`est cela et c`est à cela que nous appelons tous les Ivoiriens, tous les habitants de ce pays et même au-delà et c`est pour cela que nous organisons ce colloque international en plus des 5 rencontres que nous avons eues auparavant, 4 pré-colloques et un forum de jeunes, en plus des 22 études sectorielles qui ont été lancées sur les mutations sociales en Côte d`Ivoire de 1960 à 2010. Voilà l`appel que je peux lancer aux uns et aux autres. C`est la fête, mais c`est la fête de l`esprit.
Une interview de Robert Krassault
ciurbaine@yahoo.fr
Notre Voie : Excellence, vous êtes président de la Commission nationale d`organisation pour le cinquantenaire de l`indépendance de la Côte d`Ivoire. Dans le cadre des activités scientifiques, vous organisez un colloque international pluridisciplinaire du 1er au 5 août à Yamoussoukro. A quel souci répond cette initiative ?
Pr. Pierre Kipré : Cette activité va être le point d`orgue des activités à caractère scientifique que nous organisons dans le cadre du cinquantenaire. Et il s`agit pour nous, premièrement, de promouvoir les études sur l`Afrique post coloniale. Si possible dans une perspective pluridisciplinaire. Deuxièmement, il s`agit de saisir cette opportunité pour que les intellectuels, les spécialistes venus du monde entier confrontent leurs idées sur l`état de la question des indépendances en Afrique subsaharienne et les perspectives qui s`ouvrent pour les 50 prochaines années. Et ces échanges menés par de grands spécialistes s`appuieront sur les expériences de chacun des pays de l`Afrique subsaharienne sur des expériences qui peuvent enrichir les Ivoiriens, qui peuvent enrichir les Africains. Parce que nous appartenons tous au même continent. Nous avons à peu près les mêmes problèmes quand ces problèmes ne sont pas tous de même nature. Et donc, il est important que, de ce point de vue, nous nous rencontrions, que nous échangions, que nous voyions ce qu`il faut faire pour que les 50 prochaines années -, et c`est le 3ème objectif, ce qu`il faut faire, ce qu`il faut proposer aux décideurs, ce qu`il faut proposer à nos sociétés, à nos communautés - soient meilleures que les premières années de ce temps de l`indépendance. Voilà les trois raisons principales de l`organisation de ce colloque qui va voir la participation de 850 universitaires venus du monde entier, d`Amérique, d`Europe, d`Asie, d`Afrique, etc.
N.V. : Comment ce colloque va-t-il se traduire sur le terrain ?
P.K. : Nous avons un calendrier. Il y aura l`ouverture par le président de la République, le dimanche après-midi, ensuite les 2, 3, 4 et 5, il y aura des communications en plénière. Et il y aura des ateliers.
N.V. : Le cinquantenaire de l`indépendance de la Côte d`Ivoire est avant tout un anniversaire. Et, dans notre entendement, cela pourrait être synonyme de fête de réjouissance populaire. Nous pensons à la danse, à un défilé militaire et/ ou civil, à un dîner-gala, etc. Pourquoi la Côte d`Ivoire a-t-elle donc privilégié la réflexion pour célébrer ces 50 premières années d`indépendance ?
P.K. : Merci. Il y a trois raisons. La première est d`ordre conceptuel. Le concept de fête ; le concept de fête tel que compris dans les cultures africaines. Beaucoup d`Africains ne connaissent pas parfois leur propre culture. La fête, dans nos cultures, signifie quoi ? Un moment de danse, un moment de rassemblement et un moment de projection sur l`avenir. Et c`est pour cela que même quand il y a la mort, nous dansons. Parce que c`est justement cette approche qui signifie la fête. La fête n`est pas que la danse. Et nous avons tiré de cette compréhension de nos cultures l`idée que cet anniversaire doit nous permettre de réfléchir principalement. Réfléchir principalement pourquoi ? C`est la 2ème raison, d`abord nous avons des difficultés financières, économiques, politiques. Il nous faut comprendre pourquoi au moment où nous sommes âgés de 50 ans, au moment où notre pays est âgé de 50 ans, il est dans de telles difficultés. Il faut éclairer cette situation. Il faut l`éclairer d`autant mieux qu’il y va de l`avenir de notre pays pour les 50 prochaines années. Et il nous faut y réfléchir sérieusement pour les arguments et les armes nécessaires permettant de corriger nos erreurs des 50 premières années. La 3ème raison, c`est que vous savez bien, au jour d`aujourd`hui, la mobilisation uniquement de danseurs, de groupes musicaux, de groupes artistiques coûtent cher. Et tous les Ivoiriens ont besoin de partager tout cela. Or, il se trouve que, sur instruction du président de la République, le gouvernement est en train de négocier la fin de l`endettement insupportable de notre pays par mobilisation du programme Ppte, à savoir le programme des pays pauvres très endettés. Ce n`est pas au moment où nous demandons à nos partenaires de la finance internationale d`effacer nos dettes que nous allons prendre les maigres ressources dont nous disposons pour ne faire que la fête. Le résultat, c`est que nous réduisons au grand maximum tout ce qui est uniquement festif pour privilégier davantage la réflexion. N.V. : Monsieur le président, dans une interview accordée à Rfi, vous avez dit que les soldats ivoiriens ne défileraient pas sur les Champs-Elysées à Paris ; il allaient défiler chez eux, en Côte d`Ivoire. Est-ce que vous pouvez repréciser cette idée, sinon les motivations parce qu`il s`agissait aussi de la célébration du cinquantenaire des indépendances des Etats africains ? P.K. : D`abord, c`est en ma qualité d`ambassadeur de Côte d`Ivoire près la République française que j`ai fait cette déclaration pour bien traduire la décision prise par le président de la République de Côte d`Ivoire de ne pas donner suite favorable à l`invitation à lui adressée par le président de la République française, M. Sarkozy. Le président l`a clairement dit dans une interview et m`a donné instruction de transmettre aux autorités françaises le refus de la Côte d`Ivoire de participer au défilé du 14 juillet. Le refus est motivé par le fait que, premièrement, notre armée est en reconstruction ; deuxièmement, qu`il y a un contentieux politique entre la France et la Côte d`Ivoire. Et, pour ces raisons, il ne peut pas venir parce que l`opinion publique ne comprendrait pas que sans qu`il n’y ait eu un début de discussion sur ce contentieux, le président de la République de Côte d`Ivoire se rende en France. Voilà les trois raisons. Mais, avant cela, en tant que président de la Commission nationale d`organisation du cinquantenaire de la Côte d`Ivoire, j`avais pris position très clairement lorsque Monsieur le ministre Jacques Toubon chargé par l`Elysée d`organiser le cinquantenaire des indépendances des pays africains était venu me voir pour m`exposer le projet français. Et je lui avais dit que c`est notre anniversaire. Nous l`organisons donc en invitant nos amis et nos parents. Certains viendront les bras ballants, d`autres les bras chargés de présents, mais qu`on ne nous demande pas de fêter notre anniversaire dans le palais qui est à côté, alors que nous avons notre petite case. Nous fêtons notre anniversaire chez nous. C`est dans la même veine qu`il faut comprendre aussi que, pour un anniversaire aussi singulier et unique qu`est le cinquantenaire, l`armée ivoirienne ne peut pas défiler comme cela en dehors de nos frontières sans qu`il n’y ait eu des clarifications sur le sens à donner à ce défilé. La France a l`habitude, lors du 14 juillet, d`inviter des pays amis à défiler. Nous pensons que si ça n`a pas été fait avant 2010, ça peut se faire après 2010. On peut inviter la Côte d`Ivoire à venir défiler. Mais je trouvais, et le président m`a donné acte de cette observation, bizarre que ce n`étaient que des pays francophones ayant obtenu leur indépendance en 1960 qui étaient invités. Le Nigeria a eu l`indépendance en 1960. On aurait pu aussi inviter le Nigeria.
N.V. : Vous avez trouvé cela ambigu ?
P.K. : J`ai trouvé cela ambigu parce qu`un mois auparavant, il y a eu le sommet Afrique-France où la France a dit clairement qu`elle ne faisait plus de distinction entre pays francophones et autres et qu`il fallait partir sur de nouvelles bases. Or là, cela me semblait revenir aux bases anciennes des relations de la France avec l`Afrique. Rien ne me semblait fondamentalement changé. Cette approche des autorités françaises a gêné beaucoup de monde. On espère que ce n`était qu`une simple maladresse d`approche. L`essentiel en tout étant la volonté française de coopérer toujours et plus en profondeur avec les pays africains et avec la Côte d`Ivoire. Parce qu`on ne s`y trompe pas. Au moment où je vous parle, la Côte d`Ivoire est le pays d`Afrique francophone qui est en première place parmi les clients de la France. La Côte d`Ivoire à elle seule représente 47% des échanges de la France avec les pays d`Afrique noire francophone. Le Cameroun vient immédiatement après nous avec 25%. C`est vous dire le poids de la Côte d`Ivoire. Du point de vue de la Francophonie, en proportion de la population, la Côte d`Ivoire, sur tout le continent africain, est le pays où on pratique plus la langue française. Et, en population, en données brutes, c`est le 2ème pays après la Rdc (Congo). Ce n`est donc pas un pays banal dont on peut faire bon marché des relations. Malheureusement, tout n`a pas encore été bien clarifié. Tout ne se passe pas véritablement comme nous l`avaient fait espérer les discours de rupture prononcés par le président Sarkozy. C`est pour cela que, par prudence, le président Gbagbo nous a instruit de présenter la position de la Côte d`Ivoire.
N.V. : Est-ce que cette nouvelle vision des rapports entre la France et les pays africains indépendants depuis 1960 est prise en compte dans les résultats de ce colloque international que vous attendez ?
P.K. : Nous l`espérons, et quand je regarde certaines communications, dans tous les domaines, il y a des chances pour que des éléments nouveaux soient présentés par ce colloque international. Je ne veux pas anticiper. D`abord par respect de mes invités. Ensuite parce que les opinions sont libres dans le monde universitaire. Et, troisièmement, il n`est pas de ma responsabilité de dire ce que la Côte d`Ivoire attend. La seule chose qui relève de mon fait, c`est que mes attentes sur le colloque international sont de 3 ordres : premièrement, que ce soit l`occasion d`une promotion plus grande des études sur l`état post colonial en Afrique. Deuxièmement, que ce soit l`occasion d`échanges pluriels entre universitaires venus d`horizons divers. Et troisièmement, que ce soit l`occasion d`une projection des Africains sur le futur. Au lieu d`être toujours à l`horizon de 5, 10 ans, il faut que nous nous projetions sur 50 ans pour dire comment nous imaginons notre continent dans 50 ans.
N.V. : Avez-vous un appel à lancer aux Ivoiriens ?
P.K. : Qu`ils viennent tous. C`est le moment d`échanges libres sans tabou. Certains pensent que ce cinquantenaire est fait pour faire la promotion politique du président Gbagbo. Le président Gbagbo n`a pas 50 ans. Il a 65 ans. Moi aussi d`ailleurs. Ce n`est donc pas son anniversaire qu’on fête. C’est l’anniversaire de la République de Côte d`Ivoire. C`est donc l`anniversaire de notre pays. C`est l`anniversaire d`un certain nombre de pays africains. 50 ans, ça paraît peu dans l`histoire longue d`un pays, mais c`est beaucoup. En 50 ans, beaucoup de choses peuvent se passer et beaucoup de choses se sont passées. Bonnes ou mauvaises. C`est le moment de venir en toute liberté. Ceux qui ont peur du droit d`inventaire, on ne peut pas cacher le soleil avec la main, comme disait feu le président Houphouet-Boigny. Qu`on le veuille ou non, il y aura ce droit d`inventaire. Mais il y aura la volonté de se projeter sur le futur pour gommer tout ce qui a été négatif et promouvoir tout ce qui a été positif. C`est cela et c`est à cela que nous appelons tous les Ivoiriens, tous les habitants de ce pays et même au-delà et c`est pour cela que nous organisons ce colloque international en plus des 5 rencontres que nous avons eues auparavant, 4 pré-colloques et un forum de jeunes, en plus des 22 études sectorielles qui ont été lancées sur les mutations sociales en Côte d`Ivoire de 1960 à 2010. Voilà l`appel que je peux lancer aux uns et aux autres. C`est la fête, mais c`est la fête de l`esprit.
Une interview de Robert Krassault
ciurbaine@yahoo.fr