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Société Publié le mardi 21 septembre 2010 | Nord-Sud

Conflit agriculteurs-éleveurs/Bafing : Veillée d’armes avant la tempête de sang

Les éleveurs étrangers ne sont plus les bienvenus chez les agriculteurs autochtones mahou du Bafing (Touba). Dans cette région du nord-ouest ivoirien, le feu couve sous la cendre et si rien n’est fait, on s’achemine vers l’irréparable.

Non loin du village de Singoro, sur l’axe Ouaninou-Koonan, trois jeunes gens, fusils de chasse en bandoulière, effectuent une battue. Ils sont à la recherche d’éleveurs peulhs qui venaient, quelques minutes plus tôt, de ligoter un paysan avant de s’emparer de ses bœufs de labour. Il est presque 18 heures, en ce mois de juillet. Le crépuscule combat la lumière du jour et les chances de retrouver «les malfaiteurs» deviennent de plus en plus minces. Mais les enquêteurs d’un soir ne démordent pas. Ils veulent à tout prix capturer «ces intrus» qui bouleversent la quiétude des populations depuis bien longtemps. «Cette affaire d’éleveurs sera réglée dans le sang», vitupère l’un d’entre eux. En regardant à travers le rétroviseur du véhicule, on les voit soudain fendre les hautes herbes comme s’ils avaient aperçu ceux qu’ils cherchaient.
La scène est assez émouvante mais le fait n’est pas nouveau dans la région. Il fait désormais partie du quotidien des populations mahou. Les conflits entre autochtones paysans et éleveurs peulhs sont devenus depuis quelques années très fréquents et parfois meurtriers dans le Bafing. De Koonan à Foungbesso en passant par Ouaninou, ou de Guintéguéla à Booko en passant par Koro et Borotou, aucune sous-préfecture n’est épargnée. Selon le président des Maliens de la région, Mamadou Kéita, on dénombre déjà au moins 7 morts. Ces poussées meurtrières sont liées à l’irruption, dans la région, de nombreux éleveurs étrangers qui vivaient autrefois dans les zones sahéliennes. Très souvent, des heurts éclatent lorsque le cheptel cause des dégâts dans les champs de manioc, d’igname et de riz appartenant aux autochtones.

Des visiteurs désormais encombrants

Sur le plan de la productivité, à cause de ces conflits interminables, le secteur agricole local est en difficulté. Il n’y a pas de statistiques officielles. Mais, la raréfaction des commerçants en donne la preuve. Conséquences, les denrées alimentaires manquent et plusieurs contrées du Bafing font face à des menaces de famine. «Notre zone était naguère le grenier de la région. Les gens venaient de Man, de Duékoué, de Sipilou pour s’approvisionner en igname chez nous. Mais avec l’arrivée massive des bouviers, tout cela relève désormais du souvenir. Nous vivons maintenant de l’aide de nos parents de l’extérieur. Les bœufs ont tout gâté», s’offusque le chef de village de Téninmassa, Bakary Bamba. Pourtant, le travail de la terre constitue l’activité principale des habitants. Ces derniers mois, la situation s’est sérieusement dégradée entre les parties. Il ne se passe plus de semaine sans que l’on ne signale des affrontements entre les deux groupes avec leur cortège de blessés et parfois de pertes en vies humaines. Au mois de juin, de jeunes fermiers ont sauvagement battu un bouvier à Santa, à quelques kilomètres de la commune de Ouaninou. Daouda Sangaré, né en 1980 à Falani au Mali a péri des suites de ses blessures. Plusieurs bêtes ont également été massacrées à l’occasion. Des investigations ont permis l’arrestation de quatre personnes. Au violon du Centre de commandement intégré (CCI) où ils étaient détenus, les prévenus se défendent d’être les auteurs de l’attaque mortelle. Mais, le procureur de la République, Casimir Vaha, les a inculpés pour assassinat. Le parquet se dit convaincu que le meurtre a été commis avec préméditation. Transférés à Daloa, ils sont incarcérés à la prison civile où ils attendent de passer devant la Cour d’assises. L’année dernière, 22 ressortissants de Téninmassa, à 7 kilomètres de Koonan, ont été interpellés.

Vague de violence

Six taureaux avaient été retrouvés morts non loin de leur village. Sur une plainte de bouviers, les forces de l’ordre ont conduit une expédition punitive qui fera date dans toute la sous-préfecture. En effet, les hommes du commandant Lassina Karamoko, chef du détachement militaire de Koonan, appuyés par des éléments venus de Touba et de Ouaninou, ont effectué une descente musclée qui a causé d’énormes pertes matérielles et fait plusieurs blessés parmi les villageois. «Ils sont venus nous frapper sans raison valable. Nous ne sommes pas responsables de l’abattage des bêtes», explique le notable Falikou Bamba. «Faux, d’autant que nous les avons vus transporter la viande dans de grosses bassines», rétorque le commandant Karamoko. Ce chef militaire n’a pas bonne presse dans la région. Les autochtones le trouvent trop favorable aux éleveurs. «Je n’ai pas besoin de ça. Les Mahou sont des paresseux. Il faut qu’ils reconnaissent cela », se défend le commandant Karamoko qui n’hésite pas à montrer ses champs de haricot et de riz à ses visiteurs. Près de 5 hectares. Il porte sa croix avec le sous-préfet de Koonan, Amidou Traoré. L’administrateur civil est fortement accusé aussi de connivence avec les éleveurs. «Ce sont des affabulations. Je ne me sens pas concerné», répond l’autorité administrative. Dans tous les cas, les agriculteurs racontent à qui veut les écouter qu’ils ont des preuves. En fait, dans la clé de répartition des dédommagements causés par les bêtes, une part est versée au sous-préfet. Le représentant de l’Agence nationale d’appui au développement rural (Anader) qui est chargé d’inventorier les dégâts, a également sa quote-part. Sans oublier le comité formé par les organisations non-gouvernementales. En fin de compte, le villageois-victime se retrouve avec environ le quart de l’argent déboursé par le bouvier fautif.

Le dédommagement contesté

«Nous comprenons les villageois qui demandent le départ du sous-préfet», charge pudiquement le maire-résident de Koonan, Fofy Bamba. La colère est d’autant plus vive qu’après les auditions, les 22 jeunes hommes ont été relâchés mais le procureur a retenu le délit d’abattage d’animaux domestiques contre eux. Certes, ils n’ont pas été formellement inculpés, mais d’aucuns pensent que leur salut vient du fait que la maison d’arrêt de la ville n’est toujours pas fonctionnelle. Le magistrat lui-même reconnaît avoir été bien obligé de suspendre la procédure. En attendant. «Pour le moment, il n’y a pas les équipements. Je les ai arrêtés avant de les relâcher pour marquer la présence de l’appareil répressif de l’Etat. Parce qu’il serait dangereux qu’ils pensent qu’ils sont dans un monde où tout est possible», justifie le juge. En fait, le chef du parquet veut faire de la pédagogie en restant dissuasif pour anticiper d’éventuels débordements. Mais, les agriculteurs qui s’estiment victimes d’humiliations, ruminent des représailles contre les bœufs qui détruisent leurs champs et leurs propriétaires. Le préfet de région, Youssouf Diakité, multiplie les initiatives pour éviter que la situation ne dégénère davantage. Il veut, par exemple, faire construire des parcs à bétails bien sécurisés. Malgré les décisions prises, les deux parties se regardent en chiens de faïence. «Le préfet avait promis de faire construire des parcs. Il nous avait demandé de lui laisser le temps de rencontrer les différentes ambassades. Mais nous ne voyons rien venir. Nous avons l’impression qu’il nous tourne en bourrique. Nous allons prendre nos responsabilités», menacent les paysans. «S’ils se contentaient de tuer les bêtes, on pouvait comprendre. Mais ils tuent les animaux, en mangent et en vendent la carcasse sur le marché. C’est une attitude inacceptable que nous allons empêcher par tous les moyens», annonce Gaoussou Sangaré, un bouvier guinéen. Les bouviers, faute d’herbes fraîches pour nourrir leurs bétails, continuent de se diriger vers des zones plus propices, encore pourvoyeuses de nourriture. Ce qui tend à généraliser la crise. «Nous assistons à des vagues de troupeaux qui descendent vers les autres régions. Et, au fil des mois, le nombre de bœufs s’accroît de manière incontrôlée», souligne Messomo Diomandé, chef de terre à Foungbesso.
Pour préserver les champs des dégâts, de nombreux paysans sont obligés de passer la nuit, sur place. «Une journée en dehors des champs peut être regrettable. Il devient difficile d’identifier les bœufs qui ont dévasté votre champ. Or, les autorités nous demandent de les identifier avant toute action», se plaint-il. En fait, les bouviers abandonnent souvent le bétail dont ils ont la charge, pour vaquer à d’autres occupations. Dans la plupart des cas, ils laissent la tâche à leurs enfants qui ne peuvent pas surveiller tous les mouvements du bétail.

Veillée d’armes

Toutefois, selon les cultivateurs, certains choisissent de donner carrément dans la provocation. De façon délibérée, ils conduisent nuitamment leurs troupeaux vers les champs. Et, il n’est pas rare que certains ouvrent les barricades dressées autour des parcelles cultivées. «Les peulhs ont un rapport presque grégaire avec les bœufs qu’ils considèrent comme l’homme. Ils préfèrent dédommager plus tard l’agriculteur, pourvu que les animaux mangent bien», raconte le chef de village de Vayasso. Par ailleurs, parce qu’ils coupent les branchages, les populations craignent que les bœufs transhumants ne finissent par modifier la végétation.
Ils ont plusieurs fois protesté contre de telles pratiques. Mais en vain: les autorités préfectorales arguent que les bouviers sont aussi indispensables pour répondre aux besoins des populations. Une autre défaite pour les Mahou : des lieux sacrés sont touchés. Le cycle climatique est irrémédiablement coupé et le nombre d’espèces végétales baisse drastiquement. Les carences dans l’alimentation ainsi que l’apparition du paludisme augmentent la mortalité des enfants. L’anthropologue, Vassidiki Koné, estime que les groupes nomades qui ont pénétré avec les armes dans le territoire ancestral, mettent en danger les vies, empêchent la jouissance effective des droits ethniques et culturels sur le territoire et mènent des actions qui violent les droits fondamentaux individuels et collectifs. Mais l’autre véritable problème qui envenime les rapports est lié aux questions de mœurs. Les villageois s’offusquent de la propension des hôtes à nourrir des relations très étroites avec leurs femmes. «Comme, ils ont les moyens financiers, ils n’hésitent pas à faire des avances indécentes à nos femmes. Chaque matin, après la vente du lait de vache, ils sont capables de donner 2.000 Fcfa là où nous n’avons pas 500 Fcfa à offrir. A cause de tout cela, les jeunes filles n’ont d’yeux que pour eux, plongeant nos jeunes dans la disette. Cela ne peut continuer encore longtemps», accusent le président des jeunes de Koonan. En somme, les autochtones ont une revendication toute simple : le départ des bouviers. Pour eux, c’est une question de survie.

Lanciné Bakayoko, envoyé spécial
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