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Politique Publié le mercredi 13 octobre 2010 | Le Nouveau Courrier

Nous attendons des actes plutôt que des discours mielleux

«La France est un Etat souverain, la Côte d'Ivoire est un Etat souverain et elle n'est pas un Etat moins souverain que la France...», a déclaré Claude Guéant au terme de sa visite-éclair en Côte d’Ivoire. Que signifie le mot « souverain » ? Pour Tzvetan Todorov, sémiologue et philosophe français d’origine bulgare, un Etat est souverain quand il est capable de « définir pour lui-même le Bien, plutôt que de se le voir imposer du dehors ». Todorov ajoute que cette capacité à dire ce qui est bon pour soi-même, à choisir ceci et non cela, bref le fait de prendre son destin en main est un droit que devraient reconnaître ceux qui se targuent d’être la patrie des droits de l’homme et de pratiquer la démocratie depuis un ou deux siècles (T. Todorov, Le nouveau désordre mondial, Paris, Robert Laffont, 2003, p. 31).
La souveraineté ainsi définie signifie que seul le peuple ivoirien est autorisé à dire qui doit le gouverner pendant les cinq prochaines années, que le président qui sera élu par les Ivoiriens n’est pas obligé d’obtenir le feu vert de l’Elysée pour entreprendre ceci ou cela, pour commercer avec tel ou tel pays d’Afrique, d’Europe, d’Asie ou d’Amérique. Que la France n’ est pas habilitée à dire si la Constitution ivoirienne est bonne ou mauvaise, que les dirigeants français ne devraient pas créer des rébellions pour déstabiliser et assassiner en Afrique les chefs d’Etat qui refusent de leur accorder tel ou tel marché juteux, etc. Le secrétaire général de l’Elysée semble partager cette conception de la souveraineté puisque, dans la même déclaration, il soutient que « c'est d'égal à égal que nous devons travailler ensemble entre partenaires », que « le président de la Côte d'Ivoire, qui qu'il soit, sera le représentant de son peuple et, par conséquent, l'interlocuteur de la France ». Je n’ai pas dit que M. Guéant partage mais qu’il « semble partager ». Il y a nuance car, avec le verbe « sembler », on est dans la simulation, dans l’apparence. Or un adage français nous invite à nous méfier des apparences. Pourquoi ? Parce qu’elles sont trompeuses. En effet, un loup peut se déguiser en agneau; à Abidjan, il y a quelques années, un faux prêtre a dit des messes et célébré des mariages contre des espèces sonnantes et trébuchantes. Des bandits de grand chemin n’hésitent pas à porter la tenue des policiers, des gendarmes ou des médecins pour commettre des exactions. Nous devons donc faire preuve de circonspection et de réserve face à ceux qui « avancent, masqués » (René Descartes), face à ceux qui font semblant d’avoir tourné le dos au paternalisme et à l’impérialisme, face à ceux qui feignent d’avoir troqué l’arrogance et la suffisance contre l’humilité et le respect de l’autre.
Il est vrai que « seuls les imbéciles ne changent pas » et que Dieu à qui rien n’est impossible peut conduire l’homme des ténèbres à la lumière, du mal au bien (Saul ne devint-il pas l’apôtre Paul après avoir persécuté les disciples du Christ ?) mais j’ai envie de dire que les paroles des dirigeants français ne sont que des paroles anesthésiantes parce qu’elles n’ont pas d’autre objectif que d’endormir les patriotes ivoiriens. Dans « Le vieux nègre et la médaille » de Ferdinand Oyono, Meka avait entendu les mêmes paroles mielleuses le jour où le chef des Blancs lui remit une médaille pour services rendus à la France: « Tu es devenu l’ami des Blancs, tu es désormais notre frère. » Meka y avait cru jusqu’à ce qu’il fût arrêté et roué de coups par la police des mêmes Blancs pour avoir été découvert ivre dans le quartier réservé aux Français. De retour à la maison où on commençait à s’inquiéter de son absence, il dira aux siens que « le chimpanzé n’est pas le frère du gorille ». Traduction : l’amitié entre Blancs et Noirs est un leurre. Qu’on me comprenne bien ici: en revisitant l’œuvre du romancier camerounais, je suis loin de prêcher un racisme à rebours ; il ne s’agit pas non plus de laisser croire que tous les Blancs sont menteurs et méchants. Ce ne serait ni honnête ni sérieux de ma part. Je veux simplement faire entendre que nous devons sortir de notre naïveté, admettre une fois pour toutes qu’« il n’y a pas d’amis en politique mais des intérêts » (phrase attribuée au général de Gaulle), cesser d’être trop gentils.
Si les paroles de Guéant ne me paraissent pas sincères, ce n’est pas seulement à cause des mésaventures de Méka. C’est aussi parce que les promesses faites par Nicolas Sarkozy à Cotonou en mai 2006 (débarrasser les relations entre la France et ses anciennes colonies des « complexes nourris de notre passé commun ») n’ont jamais connu un début de réalisation. Mais pourquoi la France peine-t-elle à faire ce qu’elle dit ? Pourquoi s’acoquine-t-elle des présidents autoritaires et sanguinaires ? Pourquoi déteste-t-elle et vilipende-t-elle les présidents qui refusent de se courber devant elle ? Pourquoi lui est-il difficile d’avoir des rapports normaux avec les Africains ? Parce que, sans les nombreuses richesses de l’Afrique francophone, elle ne serait plus un pays qui compte en Europe et dans le monde.
En conclusion, je dirais que les paroles de Guéant et de Sarkozy n’engagent que la France. Un pays qu’Achille Mbembe compare volontiers à un musée à cause de son incapacité à se décoloniser, c’est-à-dire à comprendre que l’Afrique a grandi et changé. Quant à nous, nous attendons des actes, des actes en accord avec les discours. Rien que des actes car nous sommes fatigués d’entendre des paroles creuses et doucereuses.

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