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Politique Publié le vendredi 10 décembre 2010 | Le Patriote

Polemique autour des resultats du scrutin du 28 novembre - Un juriste dévoile les dérapages du Conseil constitutionnel

La question soulevée par la proclamation provisoire des résultats du second tour du scrutin présidentiel en Côte d’Ivoire et le dérapage du Conseil constitutionnel ne sauraient laisser indifférent tout juriste de haut niveau digne de ce titre.
En effet, le vote du second tour de l’élection présidentielle a eu lieu le 28 novembre 2010 et la Commission Electorale Indépendante « CEI » a communiqué publiquement les résultats des ivoiriens résidant à l’étranger le 29 novembre 2010 et dont il ressort que le candidat du Rassemblement des Houphouétistes pour la Démocratie et la Paix « RHDP» a obtenu 59,97% et La Majorité Présidentielle « LMP » 40% .
Le 30 novembre 2010, alors que le Porte parole de la CEI était sur le point de communiquer publiquement les résultats partiels des ivoiriens de l’intérieur du pays, deux représentants de LMP, membres de cette commission lui ont arraché, devant tout le monde, le document sur lequel était consigné ces résultats qui donnaient le candidat du RHDP gagnant, faisant ainsi obstacle à cette publication.
Le 1er décembre 2010, le candidat de LMP saisit le Conseil constitutionnel de cinq requêtes tendant à l’annulation des résultats du vote dans la région de la Vallée du Bandama, notamment à Bouake, et dans celle des Savanes, notamment à Korhogo, régions où le candidat du RHDP a réalisé son meilleur score comme au premier tour de cette élection.
Le 2 décembre 2010 à 17h40, le Président de la CEI a proclamé les résultats provisoires du second tour de l’élection présidentielle qui donnent le candidat du RHDP gagnant avec 54,1% de voix.
Le Président du Conseil constitutionnel se rendit alors à la RTI pour déclarer, à 19h12 soit 1h32 après cette proclamation provisoire des résultats, que ceux-ci n’étaient pas valables dans la mesure où ils ont été proclamés au-delà de 3 jours à compter de la date du vote.
Le 3 décembre 2010, le Conseil constitutionnel a fait droit aux requêtes du candidat de LMP et a annulé les résultats des suffrages exprimés dans les régions considérées où le candidat du RHDP a réalisé plus de 85% des voix, et proclamé le candidat de LMP vainqueur de l’élection avec 51,45% des suffrages exprimés.
Il se pose alors la question de savoir si la proclamation provisoire des résultats de cette élection était valable et si le Conseil constitutionnel a agi dans le respect de la constitution ivoirienne.
L’analyse juridique de la situation actuelle en Côte d’ivoire, à la lumière de l’exposé ci-dessus et des moyens de droit ci-après, permet de soutenir que :
La validité de la proclamation le jeudi 2 décembre 2010 des résultats provisoires de l’élection présidentielle du 28 novembre 2010l, est incontestable.
L’illégitimité de la décision du Conseil constitutionnel est avérée.

I. SUR L’INCONTESTABLE VALIDITÉ DE LA PROCLAMATION PROVISOIRE DES RÉSULTATS DE L’ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE.

Aux termes des articles 31 et 32 de la loi organique régissant l’organisation et le fonctionnement du Conseil constitutionnel, ses attributions en matière d’élection du Président de la république sont déterminées par le Code électoral qui se trouve modifié par l’Ordonnance n° 2008-133 du 14 avril 2008 portant ajustement du Code électoral.
L’article 59 du Code électoral modifié par l’article 24 de cette ordonnance dispose que « La Commission Electorale Indépendante procède au recensement général des votes et à la proclamation provisoire des résultats du scrutin, au niveau de la circonscription administrative, en présence des représentants présents des candidats.
Trois exemplaires du procès-verbal accompagnés des pièces justificatives sont transmis au Président de la Commission Electorale. Celui-ci procède aux opérations de collecte et à la proclamation provisoire des résultats en présence des représentants des candidats.
Le Président de la Commission Electorale Indépendante communique au Conseil Constitutionnel, au Représentant spécial du Secrétaire Général des Nations Unies en Côte d’Ivoire et au Représentant Spécial du Facilitateur un exemplaire des procès-verbaux, accompagnés des pièces justificatives dans les trois jours qui suivent le scrutin.
Les autres exemplaires des procès-verbaux restent respectivement dans les archives de la Commission Electorale locale et au siège de la Commission Electorale Indépendante. ».
C’est donc au regard de ce texte qu’il convient d’apprécier la légalité de la proclamation provisoire de l’élection présidentielle ivoirienne faite par le président de la CEI.
Il ressort en premier lieu du texte susvisé que le pouvoir de proclamation provisoire de l’élection présidentielle appartient exclusivement au Président de la Commission Electorale Indépendante, et l‘exercice de ce pouvoir n’est pas limité dans un délai fixe.
Peut-on alors penser qu’il est libre de proclamer les résultats provisoires quand il veut et comme il veut? Bien sûr que non dans une certaine mesure.
En effet, il est de règle en droit que lorsqu’un délai n’est pas prévu par la loi pour agir, il faudrait recourir au principe du délai raisonnable qui est généralement déterminé en considération de certaines circonstances insurmontables.
C e qui est sûr, c’est qu’aucun délai n’est prévu pour la proclamation par le Président de la CEI des résultats provisoires de l’élection du Président de la République et que la proclamation provisoire du second tour de cette élection est intervenue à bref délai.
Il en résulte que tant que la proclamation provisoire des résultats de l’élection présidentielle n’était pas effectuée par le Président de la Commission Electorale Indépendante, aucun exemplaire des procès-verbaux ne pouvait être communiqué ni au Conseil constitutionnel, ni au Représentant spécial du Secrétaire Général des Nations Unies en Côte d’Ivoire, ni au Représentant Spécial du Facilitateur.
En proclamant les résultats provisoires du second tour de l’élection présidentielle du 28 novembre 2010, le 2 décembre 2010, le Président de la CEI n’a fait qu’exercer dans le respect des règles de l’art, le pouvoir qu’il tient du Code électoral.
On peut cependant relever que cette proclamation n’a pas été effectuée au siège de la Commission ni en présence des représentants des candidats.
Il faudrait à ce sujet noter d’une part, qu’aucun texte n’exige la proclamation provisoire des résultats au siège de la Commission, et d’autre part, la présence des représentants des candidats au moment de la proclamation provisoire des résultats n’est pas une condition de validité des résultats provisoires.
Force est cependant de constater que la proclamation des résultats partiels des suffrages exprimés par les ivoiriens de l’intérieur a été rendue impossible par les représentants du candidat de LMP, de sorte qu’il fallait prendre les mesures nécessaires pour éviter une nouvelle perturbation en évitant la présence problématique des représentants des deux candidats au moment de la proclamation des résultats provisoires.
En tout état de cause, la présence des représentants des candidats au moment de la proclamation provisoire des résultats n’est qu’une simple formalité protocolaire qui n’affecte pas les résultats provisoires ainsi proclamés et dont-ils ont eu connaissance des procès-verbaux .
En conséquence, la proclamation provisoire des résultats à l’hôtel du golf où les conditions de sécurité étaient réunies et en l’absence des représentants des candidats n’a pas affecté la validité des résultats provisoires proclamés par le Président de la CEI;
Il s’agit d’un épiphénomène de circonstance qui n’a aucun impact sur les votes exprimés.
Il ressort en deuxième lieu de ce texte que LE DÉLAI DE TROIS JOURS y figurant EST un délai franc PRÉVU POUR LA COMMUNICATION DES EXEMPLAIRES des procès-verbaux ET NON POUR LA PROCLAMATION DES RÉSULTATS: «Le Président de la Commission Electorale Indépendante communique au Conseil Constitutionnel, au Représentant spécial du Secrétaire Général des Nations Unies en Côte d’Ivoire et au Représentant Spécial du Facilitateur un exemplaire des procès-verbaux, accompagnés des pièces justificatives dans les trois jours qui suivent le scrutin. ».
Aucune disposition en vigueur du Code électoral ne permet de soutenir que la proclamation le jeudi 2 décembre 2010 par le Président de la CEI, des résultats provisoires de l’élection présidentielle était tardive.
En revanche, le délai de trois est jours requis pour la communication des exemplaires conjointement au Conseil Constitutionnel, au Représentant spécial du Secrétaire Général des Nations Unies en Côte d’Ivoire et au Représentant Spécial du Facilitateur ne court qu’à partir du premier jour suivant le scrutin soit le lendemain du scrutin: « dans les trois jours qui suivent le scrutin. ».
Il est important d’attirer l’attention des lecteurs sur la définition du terme scrutin et sur la computation du délai de trois jours.
Le terme « scrutin » est défini comme « L’ensemble des actes constituant l’opération électorale proprement dite: il comprend le dépôt par les électeurs de leur vote, le dépouillement, la proclamation des élus ».(Association Henri CAPITAN; Gérard CORNU; « Vocabulaire juridique »; 6ème éd.; PUF; p. 764 )
A la lumière de cette définition, le délai de 3 jours ne court qu’à compter de la proclamation provisoire des résultats de l’élection du 28 novembre 2010.
La proclamation provisoire du second tour de l’élection présidentielle par le Président de la Commission Electorale le 2 décembre 2010 est donc parfaitement conforme à la législation en vigueur .
En considérant que le délai prescrit au Président de la Commission Electorale Indépendante « C.E.I. » pour proclamer les résultats provisoires de l’élection présidentielle était expiré, le Conseil constitutionnel a commis une grossière erreur de droit.
Même si, par extraordinaire, le délai de 3 jours était prévu pour la proclamation et que le terme scrutin était remplacé par vote, le délai de 3 jours devrait commencer à courir que le 29 novembre 2010 pour se terminer le 2 décembre 2010 à minuit ( 29 au 30= 1 jr ; 30 au 1er = 2 jrs et 1er au 2 à minuit= 3 jrs).
La proclamation provisoire des résultats le 2 décembre 2010 à 17 heures 45 était donc intervenue dans le délai de 3 trois jours.
Rien ne pouvait, en tout état de cause, laisser supposer que la proclamation provisoire intervenue le 2 décembre 2010 à 17 heures 45 était tardive.
Il ressort enfin de ce texte que l’initiative de ladite communication appartient au Président de la Commission Electorale Indépendante et cette communication se fait en même temps au Représentant spécial du Secrétaire Général des Nations Unies en Côte d’Ivoire et au Représentant Spécial du Facilitateur.
Aucun texte ne permet au Conseil constitutionnel de requérir d’office à la CEI la communication des procès-verbaux des résultats provisoires encore moins le dessaisissement de cette institution qui, comme son nom l’indique, est indépendante.
Le coup de force du Conseil constitutionnel à cet effet sonne le glas d’un véritable coup d’état Constitutionnel.

II. SUR LE DÉRAPAGE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET L’ILLÉGITIMITÉ DE SA DÉCISION DU 03/12/2010

Le Conseil constitutionnel est un organe juridictionnel dont la composition, la compétence et le fonctionnement sont déterminés par la Constitution ivoirienne du 23 juillet 2000 en ses articles 88 à 100 et par la loi organique du 16 mars 2001.
Il tient sa légitimité de ces textes dont le respect confère à sa décision une autorité morale et justifie sa force exécutoire.
L’analyse de la crise politique que traverse la Côte d’Ivoire laisse apparaître qu’elle a été alimentée par le dérapage des membres du Conseil constitutionnel qui se sont comportés comme des véritables militants politiques pour détourner cette institution de sa mission, et non en juges gardiens de la paix sociale.
En effet, les Présidents et membres du Conseil constitutionnel prêtent serment d’exercer leur fonction en toute indépendance et en toute impartialité dans le respect de la Constitution, et de ne prendre aucune position publique dans les domaines politiques.
C’est dans ce sens que l’article 90 de la constitution ivoirienne dispose que « Le Président du Conseil constitutionnel est nommé par le Président de la République pour une durée de six ans non renouvelables parmi les personnalités connues pour leur compétence en matière juridique ou administrative.
Avant son entrée en fonction, il prête serment devant le Président de la république, en ces termes : ‘Je m’engage à bien et fidèlement remplir ma fonction, à l’exercer en toute indépendance et en toute impartialité dans le respect de la Constitution, à garder le secret des délibérations et des votes, même après la cessation de mes fonctions, à ne prendre aucune position publique dans les domaines politique, économique ou social, à ne donner aucune consultation à titre privé sur les questions relevant de la compétence du Conseil constitutionnel’.».
De même, l’article 91 de la même constitution dispose : « Les conseillers sont nommés pour une durée de six ans non renouvelables par le Président de la République parmi les personnalités connues pour leur compétence en matière juridique ou administrative.
Avant leur entrée en fonction, ils prêtent serment devant le Président du Conseil Constitutionnel en ces termes : « Je jure de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de les exercer en toute impartialité dans le respect de la constitution et de garder le secret des délibérations et des votes, même après la cessation de mes fonctions ».
Le premier Conseil constitutionnel comprendra :

- Trois conseillers dont deux désignés par le Président de l’Assemblée nationale, nommés pour trois ans par le Président de la République ;
- Trois conseillers dont un désigné par le Président de l’Assemblée nationale, nommés pour six ans par le Président de la République. ».
Ainsi, ils ont prêté serment de respecter la constitution et d’exercer leur fonction en toute impartialité.
C’est donc au regard de leurs serments et des règles constitutionnelles applicables qu’il convient d’apprécier les différents actes des membres du Conseil constitutionnel qui ont abouti à la décision du 3 décembre 2010 proclamant le candidat de LMP vainqueur de l’élection présidentielle du 28 novembre 2010.
En effet, les attributions du Conseil constitutionnel en matière de l’élection du Président de la République sont prévus par l’article 94 de la constitution ivoirienne du 23 juillet 2000 et les articles 31 et 32 de la loi organique portant organisation et fonctionnement dudit Conseil qui renvoient aux dispositions du Code électoral.
Aux termes de l’article 94 susvisé «Le Conseil Constitutionnel contrôle la régularité des opérations de référendum et en proclame les résultats.

Le Conseil statue sur :

L’éligibilité des candidats aux élections présidentielle et législative ;
Les contestations relatives à l’élection du Président de la République et des députés.
Le conseil constitutionnel proclame les résultats définitifs des élections présidentielles. »
La compétence du Conseil constitutionnel prévue par ce texte en ce qui concerne l’élection du Président de la République est donc renvoyée, ainsi que nous venons de l’annoncer, au Code électoral.
Ainsi, l’article 31 de la loi organique dispose que « Les attributions du Conseil constitutionnel en matière d’élection à la Présidence de la République sont déterminées par la loi n° 2000-514 du 1er août 2000 portant Code électoral et particulièrement en ses articles 46, 47, 52, 56, 59, 60, 61, 62, 63, 64 et les textes particuliers y afférents. »
De même, l’article 32 de cette loi organique dispose: « Toutes réclamations, toutes contestations relatives à l’élection du Président de la République sont soumises aux délais et conditions du Code électoral. ».
Nous aimerions rappeler d’une part, que les dispositions du Code électoral sont modifiées par l’Ordonnance n° 2008-133 du 14 avril 2008 portant ajustement du Code électoral, et d’autre part, que nous sommes au second tour de l’élection présidentielle où les questions de candidature et d’éligibilité sont purgées, et d‘autre part enfin, que nous avons déjà démontré, au visa de l’article 59 du Code électoral en vigueur, que la proclamation provisoire faite par le Président de la CEI était valable.
Il se pose ici la question des actes posés par les membres du Conseil constitutionnel et particulièrement son président.
En premier lieu, le Président du Conseil constitutionnel s’était présenté, dès la proclamation des résultats provisoires du second tour de cette élection, à la Radio Télévision Ivoirienne « RTI » pour déclarer que ces résultats n’étaient pas valables.
Était-il en droit de se présenter seul à la RTI pour prononcer l’invalidation des résultats provisoires proclamés par le Président de la CEI?
Les dispositions des articles 14 et 15 de la loi organique ne permettent pas de répondre par l’affirmative.
Aux termes de l’article 14 de la loi organique régissant l’organisation et le fonctionnement du Conseil constitutionnel, « Les décisions et avis du Conseil constitutionnel sont rendus par cinq membres au moins. Ils sont adoptés à la majorité des membres du Conseil.
En cas de partage de voix, celle du président ou de son suppléant est prépondérante.
Il en résulte que la décision ou l’avis du Conseil constitutionnel qui est une juridiction, doit être rendu en collégialité.
En se présentant seul à la RTI pour déclarer publiquement que les résultats provisoires du second tour de l’élection présidentielle proclamés par le Président de la CEI n’étaient pas valables alors que cette dernière n’avait pas encore communiqué au Conseil constitutionnel l’exemplaire des procès-verbaux à lui destiné, le Président du Conseil constitutionnel a non seulement violé la constitution mais également son serment, se mettant ainsi en marge du cadre constitutionnel .
De même, l’article 15 de la loi organique applicable dispose que « Le Conseil constitutionnel siège en toutes matières à huis clos. Seuls les parties, leurs représentants, les experts et conseils, participent aux débats.
Les décisions du conseil sont rendu en audience publique sur rapport d’un de ses membres et ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics, à toutes les autorités administratives, juridictionnelles, militaires et à toute personne physique ou morale.
Toute personne participant, à quelque titre que ce soit, aux travaux du Conseil constitutionnel, est tenue au respect du secret. »
Il appert de ce texte que la décision ou l’avis du Conseil constitutionnel ne peut être rendu que sur un rapport rédigé par l’un de ses membres et ce, en audience publique; étant précisé que l’audience publique du Conseil constitutionnel se tient dans une salle spécialement aménagée et affectée à cet effet .
En décidant, sans aucun rapport préalable de l’un de ses collègues désigné dans les règles de l’art, de l’invalidation des résultats provisoires proclamés par le Président de la CEI et de surcroît, au studio de la RTI qui n’est pas une salle d’audience du Conseil constitutionnel, le Président du Conseil constitutionnel s’est, une fois de plus et doublement, placé en dehors du cadre constitutionnel dont il tient sa légitimité.
En deuxième lieu, le Président du Conseil constitutionnel a, avant la proclamation provisoire des résultats du second tour, tenté de dessaisir la Commission Electorale Indépendante de la proclamation provisoire des résultats de l’élection présidentielle et requis la transmission des procès-verbaux des résultats des votes.
Il est important de rappeler que la CEI est une institution indépendante qui n’est pas placée sous la tutelle du Conseil constitutionnel encore moins sous son autorité.
Nous avons démontré dans la précédente rubrique que l’initiative de communication des procès-verbaux appartient exclusivement au Président de la CEI qui le fait spontanément dans le respect du Code électoral, de sorte que cela ne se fait pas à la demande du Conseil constitutionnel.
Il convient de préciser ici que le Représentant Spécial du Secrétaire Général des Nations Unies en Côte d’Ivoire et le Représentant Spécial du Facilitateur sont de plein droit destinataires d’un exemplaire des procès-verbaux des résultats de l’élection présidentielle au même titre que le Conseil constitutionnel.
Le dessaisissement de la CEI par le Conseil constitutionnel implique qu’il l’a subrogée dans son pouvoir de proclamation des résultats provisoires et de communication des procès-verbaux à lui-même et au Représentant Spécial du Secrétaire Général des Nations-Unies en Côte d’Ivoire ainsi qu’au Représentant Spécial du Facilitateur.
Or aux termes de l’article 59 alinéas 2 et 3 du Code électoral modifié, la proclamation provisoire des résultats est préalable à la communication des procès-verbaux au Conseil constitutionnel, et cette communication doit se faire en même temps aux autres destinataires.
Ainsi, dès lors que le Conseil constitutionnel a réceptionné les procès-verbaux des résultats avant la proclamation provisoire de ceux-ci, leur communication aux autres destinataires n’était plus garantie puisque le Conseil Constitutionnel n’était pas tenu de cette obligation à leur égard.
Fort heureusement, le Président de la CEI a résisté à ce coup de force du Conseil constitutionnel pour exercer jusqu’au bout ses pouvoirs légaux, en procédant à la proclamation des résultats provisoires et la communication conjointe des exemplaires des procès-verbaux des résultats aux destinataires requis par le Code électoral modifié.
En se comportant ainsi, le Conseil constitutionnel a une fois de plus, violé la constitution.
En troisième lieu, le Conseil constitutionnel a annulé le 3 décembre 2010 les résultats des votes favorables au candidat du RDHP et a proclamé le candidat de LMP vainqueur de l’élection présidentielle du 28 novembre 2010.
Il est important de souligner que cette décision est intervenue sur une saisine du 1er décembre 2010.
Il se pose alors la question d’une part, de la recevabilité de la requête par laquelle le Conseil constitutionnel a été saisi, et d’autre part, de la légalité de sa décision en cause.
Aux termes de l’article 60 du Code électoral modifié par l’article 25 de l’ordonnance en vigueur «Tout candidat à l’élection du Président de la République peut présenter, par requête écrite adressée au Président du Conseil Constitutionnel, une réclamation concernant la régularité du scrutin ou de son dépouillement. La requête ainsi que les pièces produites au soutien de ses moyens doivent être déposées dans les trois jours (03) qui suivent la clôture du scrutin.
Le requérant adresse une copie de sa requête à la Commission Electorale Indépendante au Représentant Spécial du Secrétaire Général des Nations Unies et au Représentant Spécial du Facilitateur. ».
Il ressort de ce texte que la requête à fin de réclamation doit être déposée après la clôture du scrutin et dans les trois jours qui suivent ce scrutin.
Or le Conseil constitutionnel a été saisi le 1er décembre 2010, alors que le scrutin n’a été clôturé que le 2 décembre 2010 de sorte que la première date utile de la saisine était le premier jour suivant la clôture du scrutin soit le 3 décembre 2010.
La saisine du conseil constitutionnel avant la clôture du scrutin était donc prématurée de sorte que la requête aurait dû être déclarée irrecevable.
Au fond, l’article 64 Code électoral modifié par l’article 28 de l’ordonnance applicable dispose que «Dans le cas où le Conseil Constitutionnel constate des irrégularités de nature à entacher la validité du scrutin et à en affecter le résultat d’ensemble, il prononce l’annulation de l’élection.
La date du nouveau scrutin est fixée par décret pris en Conseil des Ministres sur proposition de la Commission Electorale Indépendante. Le scrutin a lieu au plus tard quarante cinq jours à compter de la date de la décision du Conseil Constitutionnel.»
Il en résulte que dans le cas où les irrégularités constatées sont de nature à affecter la validité du scrutin et à affecter le résultat de l’élection, le Conseil constitutionnel doit prononcer l’annulation de l’élection et non annuler certains résultats afin de modifier l’issue des suffrages exprimés.
En annulant certains résultats favorables à l’un des candidats pour modifier l’issue des suffrages exprimés et déclarer l’autre candidat vainqueur, le Conseil constitutionnel a opéré un véritable coup d’état constitutionnel.
Peut-on considérer que les irrégularités alléguées sont de nature à affecter le résultat d’ensemble ?
Il convient alors de se reporter au premier tour du scrutin pour relever le score réalisé par le candidat du RHDP et ceux réalisés par ses alliés afin de s’assurer que le candidat de LMP n’avait aucune chance de réaliser un score ne fusse qu’honorable dans ces régions.
Les irrégularités constatées dans ces conditions ne sont pas de nature à influer sur les résultats du second tour dans ces régions.
Or le Conseil constitutionnel s’est contenté d’avaliser la simple allégation du Candidat de LMP ainsi qu’il appert de sa décision: « Qu’en l’espèce, le requérant explique que ses représentants et délégués dans les bureaux de vote en ont été expulsés ou empêchés d’y avoir accès et qu’ils ont été parfois séquestrés, leurs mandats et documents électoraux détruits;
Qu’ainsi ses représentants et délégués n’ont pu prendre part aussi bien au déroulement du scrutin qu’au dépouillement des bulletins;….
Qu’il s’ensuit que cette absence de représentants et de délégués dus à des exactions constitue une irrégularité grave de nature a entacher la sincérité du scrutin et justifie ainsi l’annulation du scrutin dans les départements ci-dessus mentionnés ….
Considérant que le requérant soutient que dans le village de Konanprikro, des urnes ont été remplies par une vingtaine de personnes avant d’être transportées au siège de la CEI locale;
Que dans les bureaux de vote d’Alloko-Yaokoro, les présidents ont fait voter des personnes non inscrites en lieu et place des électeurs absents.
Qu’il en résulte que de telles pratiques, confirmés par le procès-verbal d’audition en date du 29 novembre 2010 sont suffisamment graves et de nature à fausser les résultats du scrutin…. »;

Trois observations s’imposent:

En premier lieu, le Conseil ne donne aucune indication chiffrée sur le nombre des inscrits, le nombre des suffrages exprimés au premier tour en faveur de chacun des candidats du 1er tour et ceux exprimés au second tour afin de relever le décalage et de s’assurer qu’il est, par sa grandeur, de nature à fausser la sincérité des votes.
En deuxième lieu, le Conseil se contente des éléments produits par le candidat de LMP, tels que le procès-verbal d’audition du 29 novembre 2010 susvisé dont on ignore les tendances politiques des auteurs et les conditions dans lesquelles cette audition a été réalisée; sans toutefois donner aucune indication sur le nombre des personnes supposées absentes et celui de celles qui auraient voté à leur lieu et place pour permettre de déterminer l’ampleur de leur nombre afin de savoir si elle est de nature à influer sur l‘issue des suffrages exprimés.
Par ailleurs, il ne ressort nulle part de ladite décision que les requêtes et les éléments de preuve produites à l’appui ont été soumises à l’autre partie avec possibilité d’y répondre dans un délai raisonnable, et cela rappelle le Procès de Nicolae et Elena CHAUSHESKU.
En troisième lieu, le seul fait pour l’un des candidats de ne pas être représenté au second tour des élections dans un bureau de vote où son adversaire avait réalisé au premier tour un score de plus de 60% validé, alors qu’il n’est pas démontré que le nombre des votants dépasse celui des inscrits, n’est pas de nature à entacher la validité du scrutin et à affecter le résultat d’ensemble.
C’est dans ce sens que la chambre constitutionnelle de la Cour suprême de Guinée a jugé dans sa décision du 3 décembre 2010, en déclarant non fondé le moyen tiré de l’absence du représentant de l’un des candidats à l’élection présidentielle au motif que cette présence n’est pas une condition de validité du scrutin dès lors que l’intéressé a la faculté de s’absenter du bureau de vote.
Si les autres membres du Conseil constitutionnel n’ont pas pu agir aussi publiquement que leur Président, il n’en demeure pas moins qu’ils ont cautionné tout ce qu’il a entrepris et accompli, faisant ainsi preuve d‘un manque d‘indépendance et d‘impartialité dans l‘exercice de leur fonction.
En définitive, les membres actuels de cette honorable institution qu’est le conseil constitutionnel, l’ont totalement dépouillé de toute sa légitimité, de sorte qu’il est très difficile de lui reconnaître dans ces conditions une quelconque autorité morale qui anime la force exécutoire d’une décision juridictionnelle.
La paix a été, pendant longtemps et encore aujourd’hui en Afrique, menacée par la rébellion et les coups d’états militaires, véritables cauchemars des Nations-Unies et de l’Union Africaine sont obligées leurs ressources humaines, financières et matérielles afin d‘y remédier.
La paix en Côte d’Ivoire est aujourd’hui menacée par un coup d’état « sui generis » que l’on peut aisément qualifier de «Coup d’état constitutionnel », et cela devrait interpeller davantage les juristes africains sur la nécessité d’envisager, à la lumière du dérapage du Conseil constitutionnel de la Côte d’Ivoire, la création d’une chambre constitutionnelle de la Cour de Justice de l’Union Africaine pour connaître des recours dirigés contre les décisions rendues par les Conseils ou Cours Constitutionnels des Etats membres; étant rappelé que l’article 19.2 du Protocole de la Cour de Justice de l’Union Africaine dispose que « La Conférence peut donner compétence à la Cour pour connaître des litiges autres que ceux visés dans le présent article ». Cela contribuera certainement à renforcer l’élan supranational des institutions africaines. On pourra alors tendre vers une véritable Cour Africaine de Justice qui succédera à la Cour de Justice de l’Union Africaine.
Et si la solution du problème ivoirien pouvait provenir d’un compromis d’arbitrage signé par les deux candidats pour soumettre les résultats provisoires proclamés par la CEI et la décision du Conseil Constitutionnel du 3 décembre 2010, à une chambre constitutionnelle spécialement constituée par la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement de l’Union Africaine avec la collaboration des Nations-Unies, et dont la décision sera exécutoire .
Me Wang-You Jean-Chrysostome SANDO
Docteur en droit
Avocat à la Cour d’appel de Paris

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