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Politique Publié le mardi 4 janvier 2011 | Le Patriote

Interview/ Alioune Tine (Président de la RADDHO)- “Il faut être très ferme avec Gbagbo”

Président de la Raddho (Rencontre africaine pour la défense des droits de l’homme), Alioune Tine suit de très près la crise post électorale en Côte d’Ivoire. Observateur, pour le compte de la Cedeao, du scrutin présidentiel, qui a vu l’élection d’Alassane Ouattara, ce farouche militant des droits humains explique, en fin analyste politique, pourquoi Laurent Gbagbo refuse de céder le fauteuil présidentiel. De même, il s’insurge contre ce putsch électoral, qui, à ses yeux, ne doit pas prospérer.
Le Patriote : Quelle lecture faites-vous aujourd’hui de la crise postélectorale en Côte d’Ivoire ?
Alioune Tine : Nous sommes extrêmement meurtris par la situation en Côte d’Ivoire, que nous suivons depuis pratiquement la mort de feu le président Félix Houphouët-Boigny. Vous savez, nous avons participé avec la société civile à l’élaboration du code de bonne conduite. Donc, on a travaillé pratiquement avec tous les acteurs, que ce soit les politiques, le gouvernement, les religieux que la société civile traditionnelle. Nous avons également pris part à l’observation des élections, pour le compte de la CEDEAO. Nous avons aussi observé que la Côte d’Ivoire a beaucoup changé, que l’aspiration de la paix est très profonde dans toutes les couches de la société. Tout le monde a perçu ces élections comme le seul moyen d’une sortie de crise pacifique.

LP : Cependant, elles suscitent aujourd’hui une vive polémique entretenue manifestement par le camp Gbagbo. En tant qu’observateur, quelle analyse faites-vous objectivement de ce scrutin ?
A.T : Ces élections sont les plus sécurisées qu’il m’a été donné d’observer en Afrique de l’Ouest. Il y a eu énormément d’investissements d’abord en moyens financiers, puis humains, matériels et militaires. Il y a eu un travail pour la réalisation du consensus avec l’implication de Chefs d’Etat, des Nations Unies, de la CEDEAO, de l’Union Africaine, qui a fait que quand la date des élections a été fixée, il y a eu un espoir fou. Le jour du scrutin, aussi bien pour le premier que le second tour, nous avons observé les opérations électorales, qui se sont bien déroulées.

L.P : Cela n’a pas empêché le pays de plonger dans la grave crise qu’on connaît aujourd’hui…
A.T : Effectivement. On espérait tous que la Côte d’Ivoire sortirait enfin de la crise avec cette élection. Mais c’était sans compter avec M. Gbagbo, qui même dans ses pires cauchemars, n’avait jamais imaginé une défaite. Il a tout envisagé sauf quitter le pouvoir. Je pense qu’il l’a bien traduit dans son slogan : on gagne ou on gagne. Pendant ces élections, j’avais dit à certains observateurs que si Ouattara perd, on n’aura pas de problèmes, mais si Gbagbo perd, on aura de gros problèmes. En réalité, ni politiquement, ni psychologiquement, il n’était préparé à quitter le pouvoir. On le sent encore aujourd’hui. Il a perdu les élections et il le sait. Et il a mis le plan B en marche le jour même du face-à-face, quand il a décrété le couvre-feu. Là, il se prépositionnait pour un coup d’Etat électoral. On n’a jamais vu un couvre-feu être décrété à la veille d’un scrutin. C’était la première fois. Ensuite, on a vu ce qui s’est passé à la CEI (Commission Electorale Indépendante). Cette structure, faut-il le rappeler, a fait des négociations intenses pour qu’il y ait un consensus sur le nombre et les gens qui doivent y être. Elle a même été dissoute une fois. Il a fallu donc encore des négociations pour avoir cette CEI consensuelle. Tout le monde était d’accord pour accepter les résultats. Des obstacles ont été mis pour empêcher la CEI de proclamer les résultats du scrutin (2ème tour). Elle a été prise d’assaut par des hommes en armes. La presse nationale et internationale a été chassée. Donc, quand la CEI a publié les résultats, le président du Conseil constitutionnel, qui avait 7 jours pour les examiner, les a expédiés en quelques heures. Les Nations Unies ont observé, surveillé ces élections, ont eu un double de tous les PV et ont certifié ces élections. Nous sommes donc dans une situation d’impasse tout simplement parce qu’il y a un mauvais perdant. Aujourd’hui, Gbagbo ressemble, de mon point de vue, à ce pirate de l’air qui a une grenade et qui dit aux gens : « Retenez-moi avant que je ne fasse le malheur ». Et ça, c’est une situation scandaleuse et honteuse pour le continent africain.

L.P : Pour sortir justement de cette impasse, préconisez-vous toujours le recours à la force pour chasser Laurent Gbagbo, comme vous l’aviez suggéré, il y a quelques semaines ?
A.T : Je pense qu’il faut quand même épuiser toutes les voies de la négociation, avant d’envisager bien entendu d’autres moyens. C’est ce que la CEDEAO est en train de faire.

L.P : Mais Gbagbo campe sur sa position, qui est de ne pas quitter le palais présidentiel…
A.T : Le problème, c’est que négocier avec Gbagbo est difficile. Quand vous négociez avec quelqu’un qui est de bonne foi et qui va respecter ses engagements, il n’y a pas de problème. Mais si vous négociez avec quelqu’un qui essaie toujours de vous rouler dans la farine, c’est difficile d’aboutir à quelque chose de concret. J’ai l’impression que Gbagbo n’est plus dans notre rationalité, notre logique voire notre réalité. Pour lui, en dehors du pouvoir, il n’y a point de salut. C’est dans cette situation d’impasse difficile que nous nous trouvons. Et ce n’est pas évident d’en sortir facilement. Cela dit, je pense que face à sa perspective du moi ou le chaos, il faut encore être très ferme.

L.P : C’est-à-dire ?
A.T : Il serait totalement irresponsable de laisser cette jurisprudence prospérer, parce qu’en réalité, il n’y aura plus de crédibilité en matière d’élection sur le continent. Faire beaucoup d’investissements, impliquer le monde entier dans une espèce de farce, c’est vraiment inacceptable. Pour moi, Gbagbo est dans une logique : soit il garde le pouvoir, soit il s’offre en martyr. C’est la perspective pessimiste dans laquelle il place les gens. C’est vraiment dommage. Maintenant, si ses amis, qui le soutiennent, peuvent vraiment le persuader qu’en tant qu’historien et panafricaniste, de puiser dans ses ressources les plus profondes, pour ne pas être un acteur qui va créer l’apocalypse en Côte d’Ivoire, ce serait salutaire.

L.P : Face à l’intransigeance de Gbagbo, le recours à la force est-elle indispensable ?
A.T : Ecoutez, ce n’est pas facile dans un contexte de dire que c’est nécessaire et que ça va réussir. Mais par rapport à sa logique, il faut une forte dissuasion qui lui permet de se retirer du pouvoir. Je pense qu’il faut exercer la dissuasion la plus forte. Jusqu’ici, il semble résister. Malgré tout, il ne faut pas renoncer à l’exercice de cette forte dissuasion.

L.P : Gbagbo et ses partisans envisagent prendre en otage les ressortissants ouest-africains qui vivent en Côte d’Ivoire, en cas de recours à la force pour le chasser du pouvoir. Pensez-vous que cela peut freiner l’ardeur de la CEDEAO?
A.T : Il ne faut justement pas céder à ce chantage là. Il brandit aussi les armes qu’il a acquises. Il exerce une espèce de patrimonialisation des institutions dont la plus prestigieuse est le Conseil constitutionnel. Cette crise pose surtout le problème de l’hyper présidentialisation en Afrique. La plupart des crises en Afrique surviennent après des élections présidentielles. En Guinée, il y a eu beaucoup de tension, de morts, de conflits. Cela mène même à des conflits armés. Il faut donc une réflexion sur l’hyper présidentialisation en Afrique, qui, de plus en plus, glisse vers la monarchisation. Des chefs d’Etat, pour la succession à la tête de l’Etat, envisagent la dévolution monarchique, c’est-à-dire lèguent l’héritage à leurs fils. Récemment, j’ai vu un documentaire sur Houphouët-Boigny qui disait qu’aucun de ses enfants n’était impliqué dans la gestion des affaires publiques. Senghor (premier président du Sénégal) fonctionnait comme ça. Des chefs d’Etat avaient une éthique, aujourd’hui, ce n’est pas le cas. Au moment où nous entrons le plus dans l’ère de la transition démocratique, des Chefs d’Etat profitent de leur légitimité pour domestiquer les institutions de l’Etat, pour en faire une propriété et qui finissent dans une situation comme celle de la Côte d’Ivoire, où quelqu’un a perdu les élections et utilise les institutions pour se maintenir au pouvoir. Et réfléchir sur les institutions, c’est faire en sorte que ce soit des équipes qui dirigent. Après la Côte d’Ivoire, la Guinée, le Kenya d’Arap Moi, ce qui s’est passé au Zimbabwe et en prévision des conflits qui se profilent au Togo et même au Burkina Faso, il faut que les Africains réfléchissent sur la fonction présidentielle. Le présidentialisme montre franchement aujourd’hui ses limites. C’est dans quelques rares pays que l’alternance politique se fait pacifiquement. Concernant la Côte d’Ivoire, nous demandons à Gbagbo, qui est un grand intellectuel et panafricaniste, que s’il doit laisser une trace dans l’histoire, il faut qu’elle soit positive, préserve la paix, l’intégrité nationale. Et ce n’est pas trop tard. Car il n’est jamais trop tard pour bien faire.

L.P : Pour certains analystes politiques, Laurent Gbagbo joue volontiers le pourrissement de la situation en Côte d’Ivoire pour aboutir en fait à un partage du pouvoir calqué sur le modèle kenyan ou Zimbabwéen. Pensez-vous que c’est une hypothèse crédible ?
A.T : Bien sûr. C’est une proposition, il me semble, qui a été faite. Mais, c’est la mort de la démocratie, de l’alternance politique. Ce qui s’est passé au Kenya et au Zimbabwe est une honte. Il faut éviter cette jurisprudence. Ça ôte tout intérêt à l’organisation d’élections en Afrique, il n’y a plus d’enjeu. Ce qu’il faut faire, c’est une réflexion et une reforme du système présidentiel de façon globale. Comment allons-nous faire pour que les élites africaines puissent aller à l’essentiel pour gouverner ensemble ? Mais, pas sous cette forme. Il est bon qu’on réfléchisse comment on peut avoir un président de la République, qui n’est pas le propriétaire ou encore le Dieu du pays, mais régule plutôt les conflits. Qu’il soit comme un père de famille qui règle les problèmes et que par le jeu d’un régime parlementaire intelligent, il amène les gens à former des équipes qui travaillent ensemble.

L.P : L’autre facette de la crise post électorale en Côte d’Ivoire, c’est malheureusement les exécutions extrajudiciaires, les violations flagrantes des droits de l’homme. Que compte faire la Raddho pour ces victimes qui attendent désespérément un salut ?
A.T : Ecoutez, nous avons déjà documenté ces violences. A la veille de la marche du 16 décembre dernier (ndlr, pour la libération de la RTI), il y a eu beaucoup d’exécutions extrajudiciaires. Nous sommes les seuls à avoir dit qu’il y avait une sérieuse menace de génocide en Côte d’Ivoire. Nous avons alerté la Communauté internationale qui a réagi, notamment le Conseil des Nations Unies pour les droits de l’homme. Si on a cette espèce de situation calme aujourd’hui, c’est parce que les organisations des droits de l’homme, entre autres Amnesty International, la Raddho, la FIDH (Fédération Internationale pour les Droits de l’homme), ont véritablement réagi et continuent à faire la veille. Nous poursuivons la documentation avec la collaboration des organisations qui sont sur place. Nous avons même des images de ces exécutions extrajudiciaires. Dès qu’il y a des assassinats, nous les condamnons fortement et nous demandons à ce que des enquêtes soient faites et que les auteurs soient arrêtés et jugés. Il faut une implication très forte de la Cour Pénale Internationale (CPI). D’ailleurs, nous nous réjouissons que le procureur de la CPI (Luis Moreno Campo) ait lancé des rappels à l’ordre très clairs et ait insisté sur le fait que si effectivement, les gens continuent à commettre ces exactions, ils seront arrêtés et poursuivis. Et nous entendons mettre nos documents au service de la CPI pour que tous les auteurs de ces exactions soient poursuivis.
YS

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