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Politique Publié le vendredi 4 février 2011 | L’Inter

Crise post-électorale - Un prêtre démonte la lettre de Mgr Lezoutié - Le père Djereke: «Un Evêque, ça ferme ou ça démissionne»

© L’Inter Par DR
Religion - Mgr Jean Salomon Lezoutié, Evêque coadjuteur du diocèse de Yopougon
Un mois après la lettre de Mgr Salomon Lezoutié, faisant suite à une sortie de la conférence épiscopale ivoirienne sur la crise ivoirienne, le père Jean Claude Djereké a décidé de lui donner la réplique. Ci-dessous sa contribution dans laquelle il interpelle le prélat sur ses devoirs.


``Chanter dans le chœur``

«Si certains Ivoiriens ont été choqués par la lettre de Mgr Lezoutié à Laurent Gbagbo et à Alassane Ouattara (cf. «Le Patriote» du 11 janvier 2011), d’autres en revanche l’ont applaudie. Aussi légitimes qu’elles soient, les réactions des uns et des autres ne doivent pas occulter le fait que la prise de position de l’évêque coadjuteur de Yopougon soulève un certain nombre de questions qui nous semblent essentielles. En voici quelques-unes: Y a-t-il un mal pour un ``serviteur de Dieu`` à avoir de la sympathie pour tel ou tel homme politique? Imams, pasteurs et prêtres sont-ils dans leur rôle quand ils se prononcent sur les problèmes qui travaillent la Cité? Salomon Lezoutié devait-il intervenir dans les médias après la conférence épiscopale dont il fait partie et au sein de laquelle il est censé donner librement son point de vue? Dans la présente contribution, nous tenterons de répondre à ces questions. Mais, auparavant, qu’il nous soit permis de dire ce que nous pensons sincèrement de la lettre de l’ancien évêque d’Odienné. Ici, il s’agira d’exposer les forces et faiblesses de la position de Lezoutié.
I/ Forces et faiblesses d’une adresse
Pour nous, cette lettre a deux qualités majeures. La première, c’est qu’elle prend clairement fait et cause pour le président du RDR. Pour Lezoutié, en effet, c’est Alassane Ouattara qui a gagné le second tour de la présidentielle de 2010. Les évêques qui voient en Laurent Gbagbo le vainqueur du scrutin, on eût aimé qu’ils fissent montre de la même clarté au lieu de jouer les équilibristes en invitant les deux protagonistes au dialogue. Celui-ci, est-il besoin de le redire, n’est pas une fin en soi, mais un moyen permettant d’arriver à des résolutions qu’il faut ensuite appliquer. Les résolutions nées des différents dialogues (Lomé, Marcoussis, Accra, Pretoria et Ouagadougou) ont-elles été appliquées ? En d’autres termes, Gbagbo et Soro ont-ils fait tout ce qui était attendu d’eux? Les analystes répondent que le premier a fait tous les sacrifices qui lui avaient été demandés alors que le second a refusé jusqu’au bout de désarmer sans que cela ne provoque l’indignation et la condamnation de la CEDEAO, de l’Union africaine, de l’Union européenne et de l’ONU, preuve que ces organisations-bidon sont de mèche avec ceux qui, depuis le 19 septembre 2002, endeuillent la République de Côte d’Ivoire et pillent ses richesses. Tout homme sensé et patriote un tant soit peu, ne peut que résister à ces organisations partisanes et dépourvues de moralité, à toutes les personnes qui, en Afrique et ailleurs, veulent faire de la Côte d’Ivoire un ``no man’s land`` et mettre à sa tête des marionnettes. Ce qui nous a plu aussi dans la lettre de Lezoutié, c’est qu’elle appelle courageusement Ouattara à ne pas recourir à la violence et à s’incliner devant la décision du Conseil constitutionnel, même si Lezoutié trouve cette décision injuste. Pourquoi jugeons-nous cet appel courageux? Parce que bon nombre de personnes pensent à tort qu’il est interdit de critiquer ou de désavouer un bienfaiteur. Pour la gouverne des chrétiens, on peut rappeler que manger chez des fortunés et des puissants comme Lévi ou Zachée n’empêcha jamais Jésus de leur faire des reproches ou de les contredire. L’Afrique aura fait un grand pas en avant le jour où nous aurons compris que la vraie amitié se nourrit de vérité, donc de contradiction, qu’aimer quelqu’un ne veut pas dire approuver tout ce qu’il fait. Je félicite Salomon Lezoutié parce qu’il a eu le courage de dire à Ouattara qu’il est incohérent de se dire démocrate, de revendiquer l’héritage d’Houphouët-Boigny qui avait fait du dialogue son cheval de bataille ou d’admirer Gandhi, Martin Luther King ou Nelson Mandela et de pactiser constamment avec la force et la violence. Certains ``hommes de Dieu`` ou cadres, parce qu’ils ont été placés à tel ou tel endroit, se croient obligés de cautionner tout ce que dit et fait leur bienfaiteur. Comme si celui-ci était parfait. Or nous sommes tous d’accord que Dieu seul est saint. En exhortant Ouattara à la non-violence et au respect des institutions, fussent-elles imparfaites (et j’ai trouvé pertinents les deux exemples que Lezoutié a pris pour étayer sa thèse: les joueurs qui acceptent d’être éliminés par l’arbitre tout en sachant qu’ils devaient l’emporter; Jésus qui, bien qu’innocent, fut condamné), l’évêque coadjuteur de Yopougon nous donne une très belle leçon d’esprit critique; il montre, et il n’as pas tort, qu’on peut estimer quelqu’un sans fermer les yeux sur ses erreurs, dérives ou défauts. La missive de Lezoutié est-elle pour autant sans reproche? Non! Et c’est ici que je voudrais répondre aux questions posées plus haut: Un serviteur de Dieu peut-il être sympathisant de tel ou tel homme politique? A-t-il le droit de s’exprimer sur les problèmes politiques? Salomon Lezoutié avait-il le droit de s’exprimer après que la conférence épiscopale l’avait fait le 3 janvier?
II/ Réponse à des questions controversées
Première question: Un ``serviteur de Dieu`` peut-il être sympathisant de tel ou tel homme politique? Durant mon séjour en France (2003-2009), j’ai rencontré des prêtres sympathisants du Parti socialiste, de l’Union pour la majorité présidentielle (UMP) ou du Parti communiste. L’un d’entre eux, ancien prêtre ouvrier, m’a même dit qu’il participe à tous les meetings que le PCF organise dans sa ville. Pendant l’occupation de la France par l’Allemagne nazie, la majorité des évêques (plus d’une centaine)étaient pétainistes (le maréchal Pétain était pour la collaboration avec l’envahisseur). Seuls 5 évêques parmi lesquels le cardinal Gerlier de Lyon et Mgr Jules Saliège de Toulouse avaient choisi de résister aux côtés du général de Gaulle. Que tel prêtre ou tel évêque soit proche de Gbagbo, de Bédié ou d’Alassane Ouattara ne devrait donc pas scandaliser. Ce qui serait scandaleux et contraire à l’évangile, c’est que le prêtre ou l’évêque aliène sa liberté et sa dignité, qu’il perde son esprit critique, qu’il soit incapable de protester quand l’homme politique qu’il soutient patauge dans les eaux boueuses de la violence, de la haine ou du tribalisme primaire et stupide de peur qu’on ne lui coupe les vivres (bons d’essence, sacs de ciment, vins et champagnes, petites ou grandes enveloppes, etc.), quand son analyse manque d’objectivité. Par exemple, il y a quelques mois, l’évêque d’Odienné s’est adressé aux acteurs politiques ivoiriens. Après avoir lu et relu son texte, je me rendis compte qu’il s’en prenait uniquement aux dirigeants de la zone gouvernementale accusés de ceci ou de cela. En effet, l’article parlait des exactions commises à l’endroit des ressortissants du Nord en zone gouvernementale mais restait curieusement muet sur l’exploitation des richesses de la zone CNO au seul profit de la rébellion, le non-désarmement des rebelles, l’occupation illégale de certaines maisons à Bouaké par les rebelles, le vol du cacao et du coton ivoiriens par le Burkina et le Mali, etc. En résumé, je voudrais dire ceci: Si chacun de nous a le droit d’aimer tel ou tel leader, nul ne peut se permettre de ne pas être objectif ou honnête dans l’appréciation des faits.
Deuxième question: Un ``serviteur de Dieu`` a-t-il le droit de se prononcer sur les affaires politiques? Sans hésiter, je réponds par l’affirmative. Pourquoi? Parce que les hommes de Dieu ne vivent pas en dehors (comme Robinson Crusoé sur une île déserte) ni au-dessus de la Cité (polis en grec) mais dans la Cité. Jésus n’a jamais demandé à ses disciples de s’évader du monde. Au contraire, avant de passer de ce monde à son Père, il fit cette prière: «Je ne te demande pas de les retirer du monde mais de les garder du Mauvais» (Jn 17, 15). Prêtres et évêques ne peuvent donc pas se désintéresser des crises et des difficultés que traverse cette Cité dans laquelle ils vivent. Ne parler que du Ciel à des hommes et femmes privés de nourriture, de travail, de justice et de liberté serait non seulement irresponsable mais une trahison du message de Jésus qui ne s’est pas contenté de parler du Royaume de Dieu (lequel Royaume commence ici-bas) mais a nourri aussi les foules affamées et guéri des malades de toutes sortes. Par conséquent, les évêques ne sortent pas de leur rôle quand ils interviennent dans le débat public, quand ils mettent les acteurs politiques en garde contre ce qui pourrait mettre à mal le vivre-ensemble, quand ils consentent à «être la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche» (Aimé Césaire). C’est leur manière, mais non la seule, de contribuer à la construction d’une société plus juste, plus humaine. Le Concile Vatican II (1962-65) le reconnaissait déjà lorsqu’il appelait les chrétiens (laïcs et clercs) « à partager les joies et peines, les angoisses, tristesses et espérances des hommes et femmes de ce temps» (Gaudium et spes, n° 1).
Troisième question: Mgr Lezoutié devait-il s’exprimer après que la conférence épiscopale eût donné sa position sur la crise post-électorale (respect des institutions et de la souveraineté de la Côte d’Ivoire, condamnation de la force comme moyen de résolution de la présente crise, etc.)? Non, parce qu’il fait bel et bien partie de cette conférence qui se réunit au moins deux fois dans l’année. Lorsque les évêques se sont retrouvés pour échanger sur la crise, Lezoutié était-il absent du pays ou bien malade? Nos sources d’information nous apprennent qu’il n’était ni cloué au lit ni à l’extérieur du pays. S’il n’était ni malade ni en déplacement à l’étranger, l’évêque coadjuteur de Yopougon a donc participé aux travaux de la conférence épiscopale. C’est là, à notre avis, qu’il devait donner son point de vue; c’est là qu’il devait faire connaître et expliquer son désaccord avec ses pairs. Ceux-ci l’auraient écouté et se seraient peut-être rangés à son avis si son argumentaire était convaincant. Il est vrai que, dans notre Eglise de Côte d’Ivoire, l’on semble apprécier les béni-oui-oui, les séminaristes et prêtres prêts à faire l’âne pour avoir le foin, bref ceux qui attendent d’être prêtres ou évêques pour commencer à dire ce qu’ils pensent. Mais personne, au sein de la conférence épiscopale, n’aurait cherché à réduire Lezoutié au silence. Nous avons plutôt le sentiment que l’ancien évêque d’Odienné a voulu montrer publiquement qu’il ne se reconnaissait pas dans la déclaration des évêques de Côte d’Ivoire. Or, dans l’Eglise, il ne s’agit pas de faire son petit numéro, de faire cavalier seul. Mgr Jacques Gaillot avait la manie d’agir ainsi jusqu’à ce que, le 18 janvier 1992, feu Jean-Paul II l’interpelle en ces termes: «Il faut chanter dans le chœur et non en dehors du chœur». On croyait que Gaillot avait retenu la leçon. Que nenni! Arriva alors ce qui devait arriver: le 19 janvier 1995, le cardinal béninois Bernardin Gantin, préfet de la Congrégation des évêques, le démit de ses fonctions. Gaillot fut sanctionné non pas parce qu’il prêchait autre chose que la doctrine catholique, ni parce qu’il était méchant (il était plutôt bon, doux, attentif aux défavorisés et exclus) mais parce qu’il était rebelle à toute discipline, parce qu’il ne faisait pas corps avec les autres évêques, parce que, silencieux pendant les travaux de la conférence des évêques de France, il devenait prolixe et intarissable devant et dans les médias privés et publics. En un mot, Mgr Gaillot fut limogé puis transféré d’Evreux à Parténia (diocèse situé non loin de Sétif en Algérie et disparu au 4è siècle) parce qu’il refusait de jouer le jeu de la collégialité épiscopale. Or qui dit collégialité, dit unité. Une unité pour laquelle Jésus a prié: «Père, qu’ils soient un comme toi et moi sommes un afin que le monde croie que tu m’as envoyé» (Jn 17, 21). C’est cette unité qui fait la force de l’Eglise catholique et la distingue en même temps des autres grandes institutions de l’Histoire depuis deux millénaires. Un évêque n’est pas un prêtre. Ce dernier jouit de plus de liberté d’expression que l’évêque qui doit ``chanter dans le chœur``. Si un évêque chante en dehors du chœur, cela fait désordre et divise la conférence épiscopale. Or, si les évêques ont le droit d’avoir des opinions différentes sur telle ou telle question, ils doivent néanmoins éviter de diviser le Corps du Christ. Souhaitons à Mgr Lezoutié de comprendre une fois pour toutes que le ministère d’unité est le premier devoir d’un évêque et que, pour parodier Jean-Pierre Chevènement qui venait de quitter le gouvernement Pierre Mauroy (22 mars 1983), «un évêque, ça ferme sa gueule; si ça veut l’ouvrir, ça démissionne».
Conclusion
Il y a d’autres points contestables dans la lettre de Lézoutié. Par exemple, quand l’auteur place la Commission électorale indépendante (habilitée à ne donner que des résultats provisoires) au-dessus du Conseil constitutionnel qui a le dernier mot, quand il fait une différence sans l’expliquer entre «président officiel» et «président légitime», quand il ironise sur la souveraineté de notre pays, etc. Sans doute aurait-il été intéressant de consacrer davantage de lignes à ces points. Nous laissons à d’autres le soin de le faire. Il nous suffisait d’extraire de la lettre de Mgr Jean-Salomon Lezoutié quelques problèmes de fond et de nous prononcer là-dessus. Nous espérons l’avoir fait intelligemment et honnêtement».

Père Jean-Claude DJEREKE
Docteur en Histoire et en sociologie
Associé au Centre de recherches politiques Raymond Aron de L’Ecole des Hautes Etudes en sciences sociales (Paris)
Dernières publications: ``Les hommes d’Eglise et le pouvoir politique en Afrique noire. L’exemple de Mgr Bernard Yago``, Paris, L’Harmattan, 2009 et ``Les évêques et les événements politiques en Côte d’Ivoire (1980-2005)``, 3 tomes, Paris, L’Harmattan, 2009.

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