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Politique Publié le vendredi 18 février 2011 | Le Patriote

Point de vue/ Francis Wodié à Gbagbo : “Si tu avais gagné, je t’aurais suivi”

© Le Patriote Par Christian Koffi
Parti ivoirien des travailleurs (PIT) : le candidat Francis Wodié en campagne
Photo: Pr Francis Wodié
18 févier 1992-18 février 2002. Vingt ans déjà que se sont déroulés les événements qui ont failli faire basculer le destin de la Côte d’Ivoire. Acteur majeur de cette page de l’Histoire politique de notre pays, le Pr. Francis Wodié, président du PIT, ancien compagnon de lutte de Laurent Gbagbo et ex-candidat à l’élection présidentielle, saisit l’opportunité de ce jour anniversaire pour interpeller, une fois de plus, l’ancien chef de l’Etat. Il lui demande de mettre un terme à la rébellion contre la volonté du peuple et d’accepter de quitter le Palais.

I – quel est le problème ? Toujours et encore !? Hier et aujourd’hui !?

Une élection de sortie de crise qui nous plonge – durablement ? - dans une nouvelle crise, insolite.

Hier 18 février 1992, on a frôlé une grave crise.

Aujourd’hui 18 février 2011 (19 an après) on est en plein dans une grave crise.

On ne peut pas ne pas avoir une pensée, et se souvenir pour le devenir, sans crise, pour le devenir de la Côte d’Ivoire ; que les victimes d’hier ne deviennent pas les bourreaux d’aujourd’hui, et vis-versa, afin que demain il n’y ait plus ni victimes ni bourreaux pour le renouveau de la Côte d’Ivoire avec le nouveau Président de la République élu le 28 novembre 2010 par le peuple de Côte d’Ivoire.

C’est fini !

Alors ! On ne devrait plus continuer à se poser la question de savoir qui de Gbagbo Laurent et d’Alassane Ouattara est le Président de la République de Côte d’Ivoire. La page est tournée, et le seul problème est un problème de fait, celui de savoir comment traduire dans la réalité la volonté du peuple pour rendre effectif le pouvoir présidentiel désormais dévolu à Alassane Ouattara ; et on ne doit pas faire comme s’il n’y avait eu d’élection.

Le débat politique et juridique est connu, et il est clos ; j’aurais donc dû me taire, et tous nous aurions dû nous être tus ; mais comme certains de bonne fois, continuent à s’interroger, je me sens en devoir de dire le mot de la fin, dont j’espère qu’il mettra fin ou aidera à mettre fin à cette crise monstrueuse qui menace de nous engloutir tous.

1) Il s’agit d’une question essentiellement nationale, de légitimité, qu’on essaie de brouiller, en la détournant vers des considérations d’ingérence étrangère, habillée et maquillée aux couleurs d’une atteinte à la souveraineté nationale, toujours par le fait des autres (certains Etats, les Organisations internationales et la « Communauté internationale »), en s’exonérant, à bon compte, de toute responsabilité. Notre souveraineté ne sera jamais respectée que si nous savons respecter celle des autres, ainsi que la nôtre propre, en nous interdisant d’offenser les hommes et les choses qui symbolisent une telle souveraineté ; la souveraineté de chaque Etat c’est l’égalité souveraine de tous les Etats. Blaise Compaoré hier (Accord de Ouagadougou) adulé, aujourd’hui vilipendé !? Un exemple patent de nos incohérences et de notre inaptitude à nous assumer ; ne cédons pas à la duplicité et à la division. Unis et dignes, nous serons hors d’atteinte.

En cette période de forte tension, il faut se garder d’en rajouter ; et le Chef de « LMP » doit donner des consignes de modération et de sagesse à ses partisans, et à nous tous, surtout à tous ces blancs-becs qui grouillent comme des mouches autour du miel ; si on n’a pas le sens de l’humilité et de la mesure on ne trouvera jamais le chemin de la vérité et de l’honneur.

2) Il s’agit, revenant à la réalité brulante, de savoir comment s’est traduite la volonté du peuple de Côte d’ivoire à travers l’élection présidentielle, et qui a pouvoir pour proclamer les résultats et les traduire dans la réalité, dans le respect de la volonté du peuple.

RAPPEL ! APPEL !

II – LES ORGANES DE DECISION

Deux Organes, on le rappelle, ont pouvoir, selon la Constitution et le Code électoral, pour proclamer les résultats de l’élection présidentielle : la Commission Electorale Indépendante et le Conseil Constitutionnel.

1) La Commission Electorale Indépendante (La Commission Nationale ou Centrale)

Elle proclame les résultats provisoires sur la base des procès-verbaux recueillis par les Commissions électorales locales (Communales, Sous-préfectorales, Départementales et Régionales), en sachant que tout ce qui a trait à l’élection présidentielle, dans son déroulement normal, est placée sous la responsabilité (exclusive ou finale) de la Commission Electorale Indépendante ; la Commission Electorale Indépendante a proclamé les résultats que voici : Laurent Gbagbo 45,90 % et Alassane Ouattara 54,10 %.

La Commission Electorale Indépendante a ainsi déclaré vainqueur Alassane Ouattara, c’est-à-dire celui que le peuple de Côte d’Ivoire a librement élu comme Président de la République.

2) Le Conseil Constitutionnel

Le Conseil Constitutionnel proclame les résultats définitifs ; et le Conseil Constitutionnel a déclaré, de son côté, à la suite et à l’opposé de la Commission Electorale Indépendante, Laurent Gbagbo vainqueur de l’élection présidentielle, comme étant celui que le peuple de Côte d’Ivoire a librement élu en tant que Président de la République.

Une question deux réponses !? Désaccord sur le droit (la loi), désaccord entre le droit et le fait.

Il en résulte un problème politique, grave, de légitimité qui n’aurait pas dû se poser et qui a surgi avec violence parce qu’on n’a pas joué franc jeu, parce qu’on n’a joué le jeu en toute régularité et en toute sincérité. Le pays ne peut avoir deux Présidents de la République, pas plus qu’il ne peut avoir deux Gouvernements, avec des Ivoiriens tiraillés et traumatisés ; situation on ne peut plus anormale qui doit cesser au plus tôt, et qui n’aurait jamais dû se produire ni en droit ni en fait.

3) Le point de la question

Il importe de rappeler, ainsi qu’on vient de le voir, que la loi prescrit deux types de résultats, se succédant dans le temps, de valeur inégale, l’un provisoire, l’autre définitif, les deux n’ayant de force politique et juridique que dans le respect de la loi ; faute d’avoir respecté la loi, le résultat proclamé par la Commission Electorale Indépendante, provisoire, est exposé à l’invalidation (juridique) par le Conseil Constitutionnel ; faute d’avoir respecté la loi, le résultat, définitif, proclamé par le Conseil Constitutionnel, est exposé à l’invalidation (politique ?) puisqu’aussi bien la décision du Conseil Constitutionnel est définitive et insusceptible d’aucun recours en droit ; du problème juridique, mal réglé, nous sommes passés au problème politique qui en est la source ; en effet, l’élection présidentielle est avant tout, et essentiellement, une question politique de légitimité avant d’être une question juridique ; le droit étant, ici comme ailleurs, soumis au politique comme la légalité reste soumise à la légitimité (politique) qui en est la source ; de ces prémisses doivent découler les solutions.

a- Relativement à la Commission Electorale Indépendante

Les reproches et arguments à l’encontre de la Commission Electorale Indépendante, tendant à invalider sa décision, sont les suivants :

a-1 Le délai

La Commission Electorale Indépendante n’a pas proclamé les résultats dans les trois (3) jours
prévus par la loi, assure-t-on.

a-2 Le lieu

Les résultats proclamés hors délai l’ont été en dehors du Siège de la Commission Electorale Indépendante, à l’Hôtel du Golf, où se trouve, par ailleurs, le QG du candidat Alassane Ouattara ; la décision est ainsi dépourvue de toute validité et, partant, de tout effet (nul effet) selon les intéressés.

En conséquence de quoi (de cette nullité présumée), le Conseil Constitutionnel se trouve seul à avoir pouvoir pour proclamer les résultats de l’élection, la Commission Electorale Indépendante s’étant disqualifiée selon ces auteurs.

a-3 La réplique

∞) Le délai

La Commission Electorale Indépendante doit, selon la loi, transmettre les procès-verbaux au Conseil Constitutionnel dans les trois jours suivant la clôture du scrutin ; ce qui a été fait ; nulle part, ni dans la Constitution ni dans la loi électorale n’est prévue l’obligation pour la Commission Electorale Indépendante de proclamer les résultats dans les trois jours suivant la clôture du scrutin : oui trois jours pour transmettre les procès-verbaux au Conseil Constitutionnel, non trois jours pour proclamer les résultats (provisoires). La Commission Electorale Indépendante est (était) dans son droit, car elle est restée dans le droit (la loi) ; au total, pas de délai prévu par la loi pour la proclamation des résultats par la CEI ; or il faut un délai, et quel délai, malgré tout ! Il y a là une question pratique et un problème d’interprétation qui, à défaut de la lettre (qui est muette) doit obéir à l’esprit de la loi qui oblige à proclamer les résultats provisoires avant les résultats définitifs, bien sûr, donc avant l’expiration du délai de sept jours assigné au Conseil Constitutionnel pour prononcer sa décision et proclamer les résultats définitifs (donc un délai raisonnable ?, non défini formellement) ; on ne peut donc en tirer argument pour…

On peut ajouter, ainsi que nous l’avons déjà relevé, pour préciser et clarifier, que lors du premier tour, la CEI a proclamé les résultats le 4ème jour sans que cela n’ait soulevé ni protestation ni réclamation de qui que ce soit ; il y a là un précédent qu’on ne peut oublier et qui doit servir ; et c’est le 4ème jour que la CEI a proclamé les résultats du 2ème tour. Par conséquent, la CEI n’est pas en faute ; elle conserve, donc, de ce point de vue, tous ses pouvoirs, en ayant agi en toute légalité, c`est-à-dire conformément à la loi.

_) le lieu

La CEI aurait dû effectivement proclamer les résultats au siège de la CEI : question de simple logique et de bon sens, bien que cela n’ait pas été prévu expressément par la loi ; mais la CEI qui aurait dû n’a pu, en en ayant été empêchée par les partisans du candidat de LMP qui ont envahi, avec leurs troupes (la Garde républicaine ou présidentielle), le Siège de la CEI, en lui opposant la force (voir le geste spectaculaire de Damana Pickas rendu honteusement public par la Télévision Ivoirienne) ; nécessité fait loi ? Oui ? Non ? En tout cas à l’impossible nul n’est tenu ; ce lieu sur lequel on peut pinailler à l’infini s’étend offert comme le seul sûr du moment, cette circonstance ne pouvant à elle seule et a priori affecté d’une « suspicion légitime » et d’irrégularité les résultats fournis par le CEI.

Dans ce cas, le camp « LMP » n’est nullement fondé à se prévaloir d’une situation qu’il a volontairement provoquée (la faute) pour en tirer profit ; on l’a déjà dit, et clairement, et cela est maintenant entendu.

b- la décision du Conseil Constitutionnel

b-1 dans la forme

On peut rappeler que le Conseil Constitutionnel dispose, selon la loi, d’un délai de sept (07) jours pour statuer ; le Conseil Constitutionnel a décidé en quelque 24 heures, sans s’être donné le temps, pensons-nous, le temps de dépouiller les quelque 20.000 procès-verbaux à lui transmis par la CEI, comme si la procédure et la décision au fond avaient été préfabriquées et prêtes à être servies (à chaud).

b-2) au fond

L’article 64 (nouveau) du Code électoral dispose qu’en cas d’irrégularités graves de nature à entacher la sincérité du scrutin et en affecter le résultat d’ensemble, le Conseil Constitutionnel prononce l’annulation de l’élection… »

En pareil cas il y a un conflit grave entre la CEI et le Conseil Constitutionnel sur l’expression de la volonté (choix) du peuple ; il ne peut appartenir ni à l’un (Conseil Constitutionnel) ni à l’autre (CEI) de trancher ; d’où l’impératif de l’annulation pour permettre au peuple, juge suprême, de se prononcer (en fixant son choix) à travers une nouvelle élection, un peu comme en régime parlementaire quand surgi un conflit grave de confiance entre l’exécutif et le législatif, la dissolution de la Chambre (Parlement) renvoyant les « deux parties » devant le peuple qui, à travers les nouvelles élections, exerce son pouvoir, suprême d’arbitrage.

Mais pour prendre une telle décision, gravissime, le Conseil Constitutionnel doit satisfaire à deux conditions substantielles.

1) Etablir la matérialité (la réalité ou la véracité) de ces irrégularités, ce que le Conseil Constitutionnel n’a pu faire et

2) établir l’ampleur et la gravité des irrégularités de nature à justifier l’annulation ; ce que le Conseil Constitutionnel n’a pu faire formellement, en étant parvenu à cette décision que de manière biaisée.

Brochant sur le tout se dévoile l’engagement pris, vis-à-vis du Représentant Spécial du Secrétaire Général de l’ONU, par les « Acteurs principaux », dont Gbagbo, d’aller à l’élection présidentielle bien que le désarmement n’ait pu avoir lieu deux mois avant le scrutin (contrairement aux prescriptions de l’Accord de Ouagadougou), en s’interdisant d’entreprendre aucune procédure de contestation des irrégularités susceptibles de se produire (surgir) dans les zones CNO.

Voilà qui achève (achèverait) de retirer à « LMP », si cet engagement était établi, tout droit de contestation des irrégularités dans les 7 Départements situés en zone CNO retenues par le Conseil Constitutionnel comme justifiant sa décision d’inversion des résultats.

4- En conséquence de ce qui précède, le Conseil Constitutionnel, en décidant, comme il a fait, a violé la loi ainsi que les engagements - nationaux et internationaux - souscrits en la matière ; le Conseil Constitutionnel n’a pas appliqué la loi, en s’étant autorisé à créer la loi, sa loi ; le Juge, le Conseil Constitutionnel, se sublime en législateur ; ce qu’il n’a nul pouvoir pour faire, car tout juge, même le juge suprême, Organe constitué, ne peut qu’appliquer la loi, en respectant la loi. Il ne peut ni modifier ni abroger ni créer la loi. Le Conseil Constitutionnel est juge du droit, il n’est pas maître du droit. Le Conseil Constitutionnel n’avait pas pouvoir pour annuler les élections dans certains Départements seulement (07), en modifiant les résultats d’ensemble pour les inverser ; en lui accordant le bénéfice de la bonne foi, on peut, au minimum, affirmer que le Conseil Constitutionnel a fait une mauvaise interprétation (erreur de fait ou de droit) de la loi qu’il s’est mis dans l’impossibilité d’appliquer comme il se doit, privant sa décision de tout fondement juridique, sans qu’existe une voie de droit pour en obtenir l’annulation (la nullité) ; on le constate, on remonte chaque fois à la racine ou à la source qui est politique. Oubliant le droit et s’abandonnant au politique, le Conseil Constitutionnel s’octroie le droit de désigner (élire) le nouveau Président de la République, en usurpant, ainsi, un pouvoir qui doit rester, à titre incommutable, aux mains du peuple souverain, dans tout régime voulu démocratique. Le Conseil Constitutionnel n’aura donc pas respecté la loi ; il n’aura pas respecté non plus (la volonté) le choix du peuple, auquel il s’est substitué, fort illégitimement, retirant de ce chef toute force juridique à sa décision.

Nous avions déjà, en 2010, à l’occasion de l’examen par le Conseil Constitutionnel des candidatures à l’élection présidentielle (éligibilité) relevé, pour les déplorer et les condamner, les manipulations et violation de la Constitution et la loi dont se rendait déjà coupable le Conseil Constitutionnel ; nous avions mis en garde, en vain ; j’ajoutais, fort sentencieusement : on sait quand et comment ça commence ; on ne sait jamais quand et comment ça finit ! (voir Mon Combat pour la Côte d’Ivoire). Et où en sommes-nous aujourd’hui ? Tout cela est bien lamentable. Qui ne respecte pas la Constitution ne peut se prévaloir de la Constitution qui ne peut fonctionner à éclipse, comme un essuie-glace.

Sauf à céder aux sirènes de l’aventure politique qui est déjà à nos portes, et à sombrer dans la violence qui est déjà là, seule peut et doit être retenue la décision, matériellement (et donc politiquement) établie et de surcroît « certifiée » de la Commission Electorale Indépendante qui traduit la volonté, souveraine, du peuple de Côte d’Ivoire, seule source de légitimité (politique) et partant de légalité (du droit), en faisant en sorte que s’accordent le droit et le fait, le droit et la morale, la légitimité (qui fait défaut à l’un) et l’effectivité (qui manque à l’autre), ces deux éléments constitutifs (nécessaires) du pouvoir politique dans un Etat de droit.

Telle est la voie à suivre… pour sauver la démocratie et la souveraineté de la Côte d’Ivoire au sens de la souveraineté du peuple, pour que force reste toujours à la loi… et au peuple.

Nous sortirons ainsi de la situation catastrophique dans laquelle ne cesse de plonger dangereusement le pays, pour que les Ivoiriens, réconciliés, puissent trouver, de concert et dans la paix, le chemin de leur destin, dans la vérité.

Ce qui s’est passé est passé ; c’est le passé et seul doit compter l’avenir.

Quand on tourne le dos au droit, à la raison et à la justice, on finit par se retrouver en face de la force d’une manière ou d’une autre.

Alors attention !

Nous sommes face à nous-mêmes ! A nous de décider ! A nous de nous décider.

M’adressant maintenant à toi, Gbagbo Laurent, au militant que tu as été, que nous avons été, et au nom du combat commun, je te demande de ne pas laisser sombrer notre pays au nom d’un pouvoir que tu as déjà exercé pendant 10 ans.

Si j’étais sûr que tu avais gagné, Laurent, je t’aurais soutenu de toutes mes forces mais je suis sûr que tu n’as pas gagné ; et c’est pour ça que je te demande instamment de prendre dès maintenant, c`est-à-dire aujourd’hui même, la décision qui sauve ; et je suis sûr que nous nous sommes compris.

Francis WODIE
Professeur de Droit
Président du Parti Ivoirien des Travailleurs
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